lundi 10 janvier 2022

« La Main de Dieu » (È stata la mano di Dio) de Paolo Sorrentino (2021)

 

    Grosse déception... Pour qui connaît bien Naples, la voir traitée de cette façon, complètement superficielle, ne peut que désappointer... « La Main de Dieu » se rapproche plus de la froideur figée et pompeuse de « Youth » que de la relative fraîcheur de « La Grande Bellezza » (même si c'est tout de même un long métrage déjà bien lourd). Surtout que le pitch du film promet monts et merveilles... Forcément, face au résultat, on déchante...

Autre problème de taille, ce long métrage se veut le plus personnel de Sorrentino et raconte effectivement un événement terrible, qui fut fondateur pour lui. Mais le comble, c'est qu'il n'arrive pas à nous toucher... Tout est trop traité par-dessus la jambe, les personnages sont trop caricaturaux et fades à la fois pour nous émouvoir... Et le cinéaste n'arrive pas à installer la moindre émotion, si ce n'est un sens du surprenant, par son goût récurrent pour le baroque visuel, pour ne pas dire l'outrance indigeste...

Il faut dire que son scénario se perd (et nous perd) dans des digressions multiples, perdant du temps en déroulant le fil d'intrigues secondaires et de multiples séquences sans intérêt. Les quelques bonnes idées sorties du chapeau de Sorrentino ne sont hélas pas exploitées, comme celle sur la légende de San Gennaro, l'une des rares scènes intéressantes du film visuellement parlant... quelque peu gâchée par le goût de Sorrentino pour la vulgarité crasse, et qui ne trouvera plus d'écho dans le reste du long métrage.

Dommage, car le potentiel de ce film était énorme... Difficile de croire que Sorrentino est Napolitain d'origine... Avec une ville pareille, à l'histoire et à la culture si riches, arriver à se planter de cette façon c'est invraisemblable... Il nous livre un film presque sans âme, alors que Naples est justement une ville qui en a une. C'est l'une des cités italiennes les plus attachantes et les plus passionnantes, une ville avec une énergie considérable, vraiment vivante, contrairement à Rome, qui ressemble trop à une ville-musée aujourd'hui.

Peut-être que c'est là que réside le problème. Dans son film, le héros, qui n'est autre que Sorrentino jeune, quitte Naples pour Rome, où il espère percer dans le cinéma. Un personnage lui dit d'ailleurs qu'il va se perdre en quittant sa ville natale, en cherchant à rejoindre Rome à tout prix. Or c'est peut-être une explication probante, consciente ou non, de Sorrentino. A force de lisser son art, de renier ses racines pour plaire au plus grand nombre, il a perdu le sens de ce qui fait la singularité de Naples.

En résulte un film qui n'est pas honteux, mais, chose que je ne pensais pas pouvoir dire d'un long métrage de Sorrentino, qui est très moyen et n'apporte pas grand chose, qui laisse indifférent. Même si je reconnais son talent certain pour composer des images baroques frappantes. Encore une fois, dommage…

[2/4]

dimanche 9 janvier 2022

« Corto Maltese - Océan Noir » de Martin Quenehen et Bastien Vivès (2021)


     Une fois n'est pas coutume, je salue la relative prise de risque de Casterman. La célébrissime maison d'édition laisse quartier libre à Bastien Vivès et Martin Quenehen pour revisiter Corto, en le transposant à une époque plus contemporaine, en prise avec les enjeux de notre temps. Clairement cet album est peu ou prou le meilleur de la série post-Hugo Pratt. Car il ose enfin !

Malheureusement, Vivès et surtout Quenehen n'ont pas le talent suffisant pour approcher le génie du maestro italien. Pour ce qui est du dessin, Vivès s'en sort honorablement. Il actualise l'aspect visuel de Corto avec talent, notamment son visage. Pas de doute, il est bien plus talentueux que Rubén Pellejero et ne livre pas une copie servile, mais une nouvelle version de Corto, à la fois personnelle et dans l'esprit du personnage d'origine. 

Dommage qu'il soit loin de maîtriser le noir et blanc comme Pratt... La BD est colorisée en nuances de gris, certainement à la tablette, et Vivès use des couleurs sans en faire un atout narratif supplémentaire. Là où Pratt excellait à dramatiser une scène ou à la rendre contemplative par sa gestion virtuose de l'encre de Chine et des aplats de noir.

Dommage également que la moitié du temps, Vivès ne daigne pas dessiner complètement les visages des personnages. Pour les personnages secondaires, ça passe encore. Mais que Corto n'ait pas d'yeux ou de bouche la moitié de l'album, c'est soit de la paresse monstre, soit du pur je-m'en-foutisme. Le pire, c'est que je pense que ce sont les deux à la fois...

Ça rejoint ma remarque sur la gestion des couleurs. Vivès, qui a sans doute un agenda chargé du fait de ses nombreux autres projets, et l'éditeur Benoît Mouchart, n'ont sans doute pas considéré qu'une série pourtant culte comme Corto Maltese méritait qu'on passe du temps sur un album et qu'il soit de la meilleure qualité possible. Comme pour les reprises de Blake et Mortimer etc., il semble que la logique industrielle du travail à la chaîne prévale... En résulte un album complètement bâclé d'un point de vue visuel. Oui, de temps en temps, Vivès nous livre une belle vignette. Mais la plupart du temps, ses vignettes ressemblent plus à des esquisses à peine dignes d'un storyboard... Je serais curieux de savoir combien de temps Bastien Vivès a passé pour dessiner et coloriser cet album !

Visuellement, la BD fait donc très cheap, entre les visuels dessinés à la va-vite et les couleurs utilisées sans aucun sens graphique ou narratif... Si le scénario était réussi, je serais passé outre. Mais le hic, c'est que le scénario est encore pire que le dessin... Il commence plutôt bien, en installant du mystère... Puis patatras, il s'effondre sur lui-même en se heurtant à deux écueils.

Premièrement, celui de tomber dans du James Bond ou du Mission Impossible de deuxième zone. Depuis la reprise de Corto, il semble acquis qu'un album de la série doit faire voyager les héros dans le monde entier, sur au moins 3 continents. Forcément en 166 pages, les péripéties s'enchaînent à vitesse grand V, les ellipses foisonnent, et tout passe tellement vite que les auteurs n'ont le temps d'installer aucune ambiance ou atmosphère... Alors que les albums de Pratt avaient un ton et une saveur uniques, souvent liés à des lieux extraordinaires et visuellement marquants. Il faut dire aussi que la plupart de ses albums se contentaient d'une seule localisation, qui lui suffisait pourtant à exploiter tout le potentiel de ses récits.

Deuxièmement, Quenehen cherche à injecter bien trop de sujets divers dans son scénario. Entre l'écologie, les fascistes japonais, les cartels sud-américains, le journalisme d'investigation, le théâtre nô... Et surtout le 11 septembre 2001 et Colin Powell, sortis de nulle part et ne servant strictement à rien... Le pire, c'est que Quenehen survole complètement ces sujets et qu'ils ne sont utilisés que comme des décors ou des faire-valoir, à aucun moment il les approfondit et en fait vraiment quelque chose d'intéressant...

Bref, le scénario se contente de cocher les cases du cahier des charges d'un Corto du XXIe siècle, sans aucune inspiration. Seule une certaine ironie rappelle le ton si particulier d'Hugo Pratt. Mais les phrases pseudo-poétiques et qui se veulent définitives tombent quasiment toujours à plat... N'est pas Pratt qui veut...

Au total, si Casterman prend (un peu) de risques, le résultat est bien loin de l'ambition de l'éditeur de nous livrer des albums post-Hugo Pratt qui aient un intérêt autre que purement commercial et financier. Certes, les nouveaux albums valorisent le catalogue historique en relançant les ventes. J'incite donc les lecteurs qui ne connaissent pas encore Corto Maltese à lire la série d'origine, il se prendront une belle claque. Pour le reste, ne gaspillez pas votre argent. Cet album qui coûte cher pour ce qu'il est et qui prend de la place ne vous sera d'aucune utilité...

[1/4]