mercredi 26 janvier 2011

« Few of us » de Sharunas Bartas (1996)

Quelques plans d’une ville industrielle, là-bas à l’est. Une jeune femme qui contemple l’immensité des paysages sibériens à travers le hublot d’un hélicoptère. Puis la voilà larguée au milieu de nulle part. Que vient-elle chercher dans cette terre reculée? Peut-être retrouver ce sentiment de liberté pure, première, qui consiste simplement à mettre un pied devant l’autre, sans qu’aucun élément extérieur ne vienne imposer une direction préférentielle… Ce besoin que l’on ressent parfois face à une société dans laquelle la vie est dirigée, fléchée. Mais ce n’est là que suggestion personnelle car s’il est bien un film qui n’explique rien, c’est « Few of us ». La jeune fille finit par rejoindre un village dans lequel vit un peuple damné auquel la civilisation n’a su apporter que l’alcool et les armes. Un peuple qui n’existe peut-être plus, un peuple en voie d’extinction, comme on le dit d’une espèce animale. Et le parallèle n’est pas anodin : jamais peut-être la vie n’avait ainsi été filmée, dans ce qu’elle a de plus instinctive, si ce n’est dans les films animaliers. Bartas filme consciencieusement les gestes, les visages, sans aucun commentaire, avec un regard situé quelque part entre le poète, le paysagiste et l’ethnologue. Un lointain cousin de Derzou Ouzala fume interminablement le même mégot et partage son pain avec la jeune fille dans un geste au naturel et à l’évidence qui dépasse les mots (dont le film est d’ailleurs exempt), et qui nous ramène aux origines de la socialité. Une vieille femme endormie dévoile compulsivement une bouche édentée dans des grimaces répétitives qui la réveillent. Ca dure… Puis le film change de rythme, une forme lointaine et primitive de narration semble se mettre en place. Il y a une fête où l’on boit. Deux hommes tournent autour de la fille (là encore on retrouve un comportement très animal) : un viol se prépare. Puis un éclat, une gifle, un meurtre (ou deux?). Il faut fuir. La jeune femme est suivie par un asiatique au regard noir, qui semble la protéger. Il est traqué par un homme qui le cherche dans le brouillard lors d’une séquence qui n’est pas sans rappeler celle des cavaliers perdus dans la brume du « Château de l’Araignée ». On a presque l’impression de voir un western tribal. Le film se finit par un coup de feu. La jeune fille au visage désormais tuméfié observe dans le lointain l’hélicoptère qui vient la chercher. La neige et le froid envahissent les monts Saïan. Fin. C’est superbe. « Few of us » est un film au présent, une expérience de cinéma fascinante.

[4/4]

lundi 24 janvier 2011

« Cochon qui s’en dédit » de Jean-Louis Le Tacon (1979)

« Cochon qui s’en dédit » est un film qui est rattaché au cinéma militant, ce mouvement cinématographique des années 60 et 70 oublié par l’histoire "officielle" du cinéma. Il serait pourtant avisé d’étudier aujourd’hui l’influence que ce geste cinématographique a pu avoir sur le cinéma moderne (et particulièrement sur le documentaire ou le cinéma dit social). Parler de geste cinématographique est tout à fait adapté ici puisque il s’agit d’une réinvention (réappropriation) de la façon de faire du cinéma, notamment grâce aux caméras Super 8, légères et abordables, et qui rendent accessible le cinéma à tout un chacun : en cette époque de grande agitation politique, avec une critique du Capital et de la société de consommation de plus en plus radicale et pertinente, les étudiants descendent dans les rues filmer les manifs, les ouvriers filment leurs expériences de grèves et le cinéma devient un outil de revendication et d’émancipation. Cinéma politisé donc. Mais si « Cochon qui s’en dédit » est un film aussi fort et aussi efficace dans sa description de cette machine à broyer l’humain qu’est le productivisme, c’est bien plus pour ses qualités purement artistiques, Le Tacon parsemant son film de visions d’horreurs et de séquences oniriques particulièrement suggestives. « Cochon qui s’en dédit » décrit le quotidien de Maxime, éleveur de porcs dans une porcherie hors sol, sorte de Auschwitz du cochon (le parallèle avec les camps d’extermination est plusieurs fois souligné par Maxime lui-même). Filmé à la manière de Jean Rouch (immersion totale dans le travail et la vie de Maxime qui commente après coup les images tournées), « Cochon qui s’en dédit » est construit autour de cercles dantesques, un peu à la manière du « Salo » de Pasolini, nous enfonçant toujours un peu plus dans l’horreur : celle vécue par les porcs, et celle subie par Maxime. Endetté, aliéné, Maxime est obsédé par la porcherie, est hanté par la maladie et la mort, est poursuivi par l’odeur de la merde. Il est possédé par son outil de travail, jusque dans ses rêves. Et Le Tacon ne se contente pas de le laisser parler et exprimer ses angoisses, il les met en images, comme cette puissante séquence onirique dans laquelle Maxime jette désespérément des cadavres de porcelets dans la parcelle du voisin, cadavres qui lui reviennent fatalement… « Cochon qui s’en dédit » est un film éprouvant, dont on ne ressort pas indemne (cela faisait des années que je n’avais pas détourné le regard d’un écran de cinéma, supportant difficilement ce qui m’était montré). Un film qui appelle l’émeute, comme le dit l’essayiste Leboutte. Mais surtout un film qui, s’il appartient au cinéma militant (qui trouve là son sommet), reste d’abord et avant tout une œuvre de mise en scène, une œuvre de cinéma, une œuvre d’art.

[3/4]

dimanche 16 janvier 2011

« Un Condamné à Mort s'est Échappé » de Robert Bresson (1956)

    Un film fiévreux, acéré, sombre, puissamment poétique, tout en émotion contenue, comme tous les films de Robert Bresson d'ailleurs. « Un Condamné à Mort s'est Échappé » c'est bien évidemment un long métrage relatif à l'évasion d'un résistant français d'une prison tenue par les allemands durant la seconde guerre mondiale, donnant lieu à de fameuses scènes de suspense servies par une esthétique ascétique extraordinairement suggestive. Mais c'est avant tout la métaphore de la vie même, du combat qu'il faut mener face à l'oppresseur, face à ses camarades qui flanchent, face à son corps qui lentement dépéri, face à son esprit qui cesse de croire en l'impossible. « Un Condamné à Mort s'est Échappé » est un vibrant plaidoyer pour la liberté et le salut de l'homme, rendus possible à force de détermination, de courage, de ténacité. « Un Condamné à Mort s'est Échappé » c'est le triomphe de la volonté sur la matière et l'esprit : il n'y a qu'à voir comment les autres prisonniers vivent au rythme des tentatives d'évasion des uns et des autres, la fuite de l'un leur redonne espoir, l'échec d'un autre les désespère... Et pourtant Fontaine est tout sauf un « surhomme » ou un saint, il est profondément humain : il hésite, se trompe parfois et surtout doit tuer pour s'enfuir! Bresson sait donc ménager des parts d'obscurité dans son long métrage. Pour le reste son film est vraiment admirable, visuellement certes mais tout autant d'un point de vue sonore : rarement les sons auront été aussi importants, il faut peut-être retourner à Fritz Lang et aux débuts du parlant pour retrouver une telle pureté dans leur emploi! « Un Condamné à Mort s'est Échappé » est peut-être la meilleure porte d'entrée pour le cinématographe de Bresson, si sa maîtrise n'est pas encore totale (bien qu'elle soit considérable : Mozart ne sert pas à grand chose ici tant l'art de Bresson est fort), c'est l'un de ses rares longs métrages à suivre une trame narrative « classique », à savoir la chronologie d'une évasion, des plus petits préparatifs aux doutes ou aux obstacles qui l'entravent. On suit donc avec le plus grand des intérêts la folle aventure du lieutenant Fontaine, mais l'on peut tout autant s'attarder sur les autres niveaux de lecture du long métrage, ce qui en fait une œuvre qui comblera les attentes de tous les types de spectateurs à mon sens. L'un des premiers grands chefs-d'oeuvre du maître du cinéma français.

[4/4]

vendredi 7 janvier 2011

« Ruhr » de James Benning (2010)

    Un très beau documentaire! D'une grande profondeur aussi, ce qui en fait une sorte d'oeuvre méditative des plus appréciables. « Ruhr » c'est 7 plan-séquences fixes, et donc 7 idées de mise en scène. C'est peu, mais la pertinence des cadrages de James Benning est telle qu'il ne lui en faut guère plus pour donner à voir un portrait éloquent même si morcelé de la région allemande éponyme. D'un point de vue esthétique, « Ruhr » est un modèle de maîtrise du plan : chaque élément le pouvant se meut avec une grâce sans pareille, que ce soit une feuille qui tombe, de la fumée s'échappant de la cheminée d'une usine, des hommes priant à la mosquée, le ballet des machines-outils... L'homme est d'ailleurs omniprésent dans ce long métrage, non pas par une présence physique directe mais par sa production, son oeuvre, les traces de sa vie : chaque plan est traversé par un ou plusieurs éléments de l'âge industriel qu'est le nôtre, et l'on peut observer avec curiosité l'interaction relativement proche ou éloignée de l'homme et de son environnement (car bien souvent entre l'homme et la nature se trouve l'outil). Comme la fumée de l'usine se fond dans les nuages, comment le vent d'un avion balaie les arbres, comme le bruit de l'activité humaine résonne dans l'immensité du ciel. Il est d'ailleurs frappant que le seul moment où nous nous retrouvions vraiment proches d'êtres humains vient lorsque ceux-ci sont en train de prier, dans un seul plan-séquence donc, qui plus est au milieu du film de sorte que l'homme entre « pour de vrai » peu à peu dans le long métrage pour s'évanouir aussitôt, dans un écho repris par la cheminée de l'usine et la nuit qui tombe. Aussi bien par l'image que par le son, « Ruhr » est donc un film d'une grande subtilité, mû par la capacité de Benning à jouer avec le cadre et le temps. En revanche la poésie de « Ruhr » est bien évidemment toute relative : c'est le film contemplatif par excellence, l'art de James Benning consiste justement en l'effacement de l'artiste, sans compter que Benning est peut-être plus photographe que cinéaste (si tant est qu'une telle affirmation ait un sens). Je suis donc plus réservé quant à l'aspect « artistique » de ce film : certes il nous fait méditer sur le 7e art et sur l'homme, et ça n'est pas le moindre de ses mérites, mais je ne peux m'empêcher de me demander jusqu'à quel point peut-on aller dans l'enregistrement pur et simple d'une réalité « objective »... De toute façon le sens que confère Benning à ses cadrages et à son montage, les choix qu'il opère, la subjectivité de son regard dissolvent le moindre doute quant à son apport et sa création, toutefois l'on peut discuter de son envergure.

[1/4]

samedi 1 janvier 2011

« Nathalie Granger » de Marguerite Duras (1972)

    Quel beau film! Et quel magnifique début! Il faut seulement quelques minutes à Marguerite Duras pour qu'elle suggère et recrée le monde de l'enfance : une maison énigmatique, quelques notes de piano jouées par une main hésitante, une poupée abandonnée... Dommage que le reste du film ne conserve cette intensité poétique admirable... Heureusement il soutient tout de même la comparaison, et si « Nathalie Granger » ne relève pas de la pure perfection c'est indéniablement une grande réussite! L'influence de Bresson se fait ressentir, surtout par cet art de la retenue et la vive émotion qu'il évoque subtilement, mais Marguerite Duras parvient à transcrire son intériorité par ses propres moyens : les gestes ont une grande importance par exemple, non pas pour eux-mêmes comme ce pourrait être le cas chez n'importe quel vulgaire formaliste cinématographique à la mode, mais en ce qu'ils révèlent de l'être qui se meut, de ses sentiments, de son attention pour l'autre, de son amour... Ainsi avec une économie de moyens formidable Marguerite Duras parvient à donner vie à des moments des plus émouvants. Elle prend aussi des risques, comme avec cette séquence étirée plus que de raison où l'on découvre un Gérard Depardieu méconnaissable tant il crève l'écran. Mince alors je ne l'ai jamais vu aussi bon! Il livre là une performance sur le fil du rasoir, on attend à chaque seconde qui s'écoule le moment où il trébuchera, où son jeu sonnera faux... mais ce moment ne vient pas. Hélas l'auteure n'a pas su laisser en l'état ce pur moment de grâce (déjà ô combien fragile) en le soulignant plus tard dans le film par des mots qui expliquent trop et un retour de Depardieu maladroit... Vraiment dommage car ces quelques petits défauts qui parsèment le long métrage à mesure que l'on avance viennent ternir ces moments de bravoure et cette singulière atmosphère hors du temps. Pour le reste l'artiste française nous livre là d'inoubliables portraits de mère et de fille, elle a su évoquer avec talent l'essence de la maternité telle que peut se la représenter l'enfant, mêlant mystère, crainte et quête désespérée d'amour, connivence ou au contraire incompréhension et distance physique comme sentimentale. Une oeuvre riche et accomplie donc, à voir sans hésiter!

[3/4]

vendredi 31 décembre 2010

« ABC Africa » d'Abbas Kiarostami (2001)

    « ABC Africa » a ceci de particulier qu'il ne prétend pas à une vérité objective, contrairement à nombre de documentaire soigneusement commentés par une voix-off lénifiante. Comme bien souvent chez Abbas Kiarostami le geste, l'éthique de celui qui est amené à filmer est remis en question, soupesé, ostentiblement mis en avant pour éviter tout malentendu et pour proposer matière à réflexion. Il s'agit donc d'un documentaire certes, mais du point de vue d'un étranger se rendant pour un temps limité en terre africaine, découvrant avec nous un pays, un peuple, des femmes et des enfants rescapés des guerres civiles et de l'épidémie de SIDA en Ouganda, ainsi que les gens qui les aident. La gêne que l'on peut ressentir à certains moments lorsque sont filmés des moments intimes, banals ou difficiles, c'est celle de Kiarostami et de son équipe, c'est celle que rencontre tout documentariste qui ne peut qu'espérer dépasser son statut de « voyeur » en gagnant la confiance de ceux qu'il enregistre sur pellicule. Car inutile de le nier, et c'est d'ailleurs ce que Kiarostami a le courage de montrer, on s'immisce véritablement chez des personnes qui sont contraintes d'accepter, souvent sous l'effet de la surprise, la présence envahissante d'une caméra. Une fois de plus Kiarostami n'hésite pas à déjouer le processus filmique, à dévoiler les ressorts d'une telle entreprise et à littéralement afficher l'effet de la caméra sur le sujet filmé, son interaction avec lui. Le plus bel exemple en sont ces séquences dans la rue où les enfants, intrigués, viennent s'agglutiner face à la caméra de nos reporters, sautillant, grimaçant, riant devant cet objet qui les regarde. C'est d'ailleurs amusant car on a l'impression que c'est notre propre présence qui fait cet effet, on se sent véritablement à la place des caméramans et Kiarostami nous implique ainsi complètement dans son projet : s'il questionne son regard, il interroge tout autant le nôtre! Les films de Kiarostami nous incitent à méditer sur le cinéma, ses documentaires font donc de même quant au « genre » auxquels on les rattache (sans compter qu'avec le cinéaste iranien la frontière documentaire/fiction est de toute façon plus que poreuse). Une fois encore je ne peux que saluer l'intelligence et l'honnêteté de la démarche, d'autant qu'« ABC Africa » est un documentaire d'une beauté et d'une force remarquables.

[2/4]

jeudi 30 décembre 2010

« Médée » (Medea) de Pier Paolo Pasolini (1969)

    Le problème avec l'art de Pier Paolo Pasolini, c'est que s'il s'avère poétique il est peut-être plus encore symbolique, voire conceptuel et même politique (d'un symbolisme littéraire même : voyez le rôle primordial – car explicatif – que tient la parole dans son oeuvre!). Si « Médée » est d'une part un film pictural, illustratif, se « contentant » à l'instar de son « Oedipe Roi » et de « L'Evangile Selon Saint Matthieu » de mettre en images un texte d'une grande richesse, Pasolini y ajoute à un second degré sa sensibilité et soumet l'oeuvre de départ à sa vision, en plaçant derrière ses personnages et les diverses séquences du film des idées et un sens précis (principalement ici la nostalgie du sacré chez l'homme face à une modernité aliénante). C'est là qu'intervient le concept, je crois même que c'est là que réside la maladresse qu'il m'a semblé déceler dans plusieurs de ses longs métrages : les acteurs ne vivent pas réellement, ils restent relativement superficiels, réduits à leur physique et à l'idée qu'ils représentent. De même la structure du film est plutôt lâche, pas vraiment maîtrisée : certains passages sont très riches de sens, et le reste sert un peu d'« habillage » pour étoffer le tout. Le début par exemple est magnifique, comptant peut-être parmi ce que Pasolini a filmé de plus beau. Mais trop souvent par la suite il m'est apparu davantage se soucier du cliquetis de ses costumes, du baragouinage ou des danses rituelles de ses figurants que de l'émotion profonde de son film une fois le symbole amené. Entendons-nous bien, les oeuvres de Pasolini sont suffisamment riches et complexes pour fuir toute tentative de simplification. Néanmoins j'ai toujours trouvé ses films assez artificiels et « froids », d'une froideur toute intellectuelle, et je n'explique cette sensation que par le manque de cette essence purement cinématographique qui fait l'étoffe des grands chefs-d'oeuvres du 7e art à mes yeux... Je peux néanmoins me tromper (surtout qu'avant même la forme c'est peut-être en réalité le fond qui me gêne), quoiqu'il en soit « Médée » mérite le coup d'oeil, d'autant qu'il propose des plans magnifiques aux couleurs chatoyantes! Dommage par contre que certains anachronismes viennent rompre l'harmonie du long métrage, comme ces chants japonais mal synchronisés, surtout peu vraisemblables et détournant malencontreusement l'attention du spectateur... Pour le reste c'est sans doute l'un des meilleurs films de son auteur!

[2/4]

« Une Nuit à l'Opéra » (A Night at the Opera) de Sam Wood (1935)

    Une comédie parfois très drôle, mais pour tout dire assez lourde. Il est rapidement manifeste que les frères Marx viennent « de la scène » : « Une Nuit à l'Opéra » tient par trop du théâtre, du spectacle filmé pour qu'il constitue un réel chef-d'oeuvre de comédie cinématographique. C'est un peu le « Marx show » : chacun des célèbres frères possède son morceau de bravoure (à ce titre Chico au piano et surtout Harpo à la harpe méritent le coup d'oeil!). On ne devient alors plus spectateur d'un film mais de numéros de music-hall qui se suivent inlassablement, et qui se retrouvent greffés sur une trame de comédie classique à l'américaine : à savoir l'histoire d'un couple de jeunes premiers amoureux séparés par la vie et des méchants dont on rira à leurs dépens, au gré de chansons et de chorégraphies dansées sorties un peu de nulle part. Eh oui, le spectacle avant tout! Vous l'aurez compris, toute l'artillerie hollywoodienne est déployée par Irvin Thalberg, producteur exécutif du film, mais si cela a permis de conquérir le public à une certaine époque, aujourd'hui il faut bien le dire « Une Nuit à l'Opéra » n'a plus grand intérêt. La logorrhée de Groucho Marx est fatigante, mais elle fait encore mouche de temps en temps, d'autant que ce genre d'humour verbeux est aujourd'hui toujours pratiqué, même si rarement avec succès. Harpo Marx et son personnage de clown premier degré et muet est en revanche plus savoureux, tout à fait à son aise pour introduire avec ses frères le chaos dans la haute-société des habitués de l'opéra. En fait c'est surtout l'ensemble qui s'avère maladroit : les ficelles scénaristiques sont énormes, et l'on assiste à ce genre de films typiquement hollywoodiens tellement codifiés en se voulant virtuoses que l'on en vient à littéralement étouffer devant un humour souvent très forcé. On est bien loin des Charlie Chaplin et autres Buster Keaton, encore plus d'un Jacques Tati : malgré la relative sophistication du film ça n'est pas un modèle de subtilité et de comique visuel et sonore. Trop de répétitions, trop d'effets de style, trop de conventions pèsent sur « Une Nuit à l'Opéra », d'autant que la poésie y est une denrée rare. Un assez solide film de divertissement, poussif et quelque peu passé de mode, guère plus.

[1/4]

mardi 28 décembre 2010

« L'Argent » de Robert Bresson (1983)

    Ça me fait tout drôle de le dire, mais à mon sens « L'Argent » est l'un, sinon le film le plus violent de Robert Bresson. Pourquoi tout drôle? Car l'art de Bresson est la délicatesse même, et la violence qui explose dans ce long métrage n'heurtera sans doute pas grand monde. Il faut dire qu'avant cela il faut savoir apprécier à sa juste valeur la façon de faire si particulière de Bresson pour pouvoir en saisir l'immense subtilité, ainsi que les aspérités parfois tranchantes de son cinématographe. Mon ton paraîtra peut-être condescendant, mais c'est avant tout car j'essaie de mettre en garde le lecteur qui pourrait s'avérer déçu en visionnant ce film, je parle en connaissance de cause : j'ai mis beaucoup de temps à dépasser mon appréhension, voire mon horreur de ce cinéma si austère et particulier. Ce genre de long métrage, même s'il s'adresse à tous, est donc davantage réservé à un public « aguerri ». Néanmoins c'est un film d'une grande limpidité, d'un grand dépouillement : on est à mille lieues de l'intellectualisation du 7e art! Il est en revanche quelque peu hermétique (énigmatique serait plus approprié) dans ses divers niveaux de lecture, même si l'on peut distinguer assez aisément dans « L'Argent » l'hostilité de Bresson envers l'évolution matérialiste du monde. La violence absurde d'un personnage au début innocent puis pris dans l'étau du mensonge qui l'entoure, c'est peut-être celle de l'artiste français qui après s'être tant contenu (encore que beaucoup de ses films s'avèrent douloureux et torturés) cherche à se débattre dans un ultime geste de désespoir... Cette figure de l'être seul face au monde et la société hante toute la filmographie de Bresson. Et une fois encore il nous livre là une oeuvre (ou un essai préfèrerait-il que l'on dise) étouffante, sombre, terrible! Certes la grâce et le pardon sont encore possible, mais comment pourraient-ils triompher du mal? Le bien est la seule solution envisageable, elle existe donc, mais comme souvent chez Bresson c'est quelque chose d'immensément fragile. On retourne ainsi au Dostoïevski de « Pickpocket », même si la fin est sensiblement différente... « L'Argent » est beaucoup plus effrayant!

[4/4]

« Moustapha Alassane, Cinéaste du Possible » de Maria Silvia Bazzoli et Christian Lelong (2009)

    Un documentaire très instructif, surtout en ce qu'il révèle de l'existence passionnante du génial touche-à-tout Moustapha Alassane! Chronologiquement nous est racontée sa carrière, parallèlement à des séquences le montrant encore au travail à 67 ans et de nombreuses interviews en sa présence ou auprès de certains de ses amis, de ses confrères ou encore de critiques de cinéma africains. C'est avec un immense plaisir que l'on découvre les conditions de réalisation de ses divers courts et longs métrages, que l'on en apprend davantage sur la naissance du cinéma nigérien et par la même occasion du cinéma africain. La vie de Moustapha Alassane est un véritable hymne à la création artistique : c'est l'histoire d'un gamin qui a fabriqué sa propre « lanterne magique », puis s'est battu tout au long de son existence pour pratiquer son art dans des conditions extrêmement difficiles, avec très peu de moyens, mais qui encore aujourd'hui croit en ce qu'il fait, en la nécessité de donner accès à l'art aux populations africaines, et en particulier les plus jeunes. Le titre de ce documentaire est tout trouvé : avec Moustapha Alassane tout semble possible! Son dernier projet en date est d'ailleurs la création d'un logiciel permettant à des enfants de créer leurs propres films d'animation! Et une fois encore Alassane travaille avec des moyens incroyablement dérisoires, mais à force de travail, de courage et de ténacité il parvient à donner vie à ses projets les plus chers. Quel dommage qu'il ne soit davantage connu, et surtout qu'il peine à trouver des financements pour produire et distribuer ses films! Il faut dire que quand on lui demande s'il y a quelque chose qu'il n'a jamais fait dans le cinéma, il répond tout simplement :  « voler ». Il s'est toujours débrouillé pour obtenir « des recettes honnêtement » comme il le dit si bien, que ce soit à l'aide de son cinéma ambulant ou du plus récent hôtel qu'il a acheté pour subvenir à ses besoins et travailler en toute liberté. Finalement le plus impressionnant est de le voir à l'oeuvre, de l'observer s'affairer lentement mais sûrement, inlassablement depuis des années à ce qui lui tient tellement à coeur : créer.

[1/4]