samedi 10 novembre 2012

« Les Éthiopiques » (Le Etiopiche) d'Hugo Pratt (1978)

    Faisant suite aux « Celtiques », « Les Éthiopiques » est un recueil de quatre aventures de Corto Maltese. Elles se déroulent en 1918, à la fin de la guerre, dans la Corne de l'Afrique. Corto croisera le chemin d'un bédouin britannique, surnommé El Oxford, et de Cush, un assassin musulman au sacré caractère. Ce dernier se plaît à réciter des sourates du Coran au gré de ses tribulations et de ses meurtres. Il réapparaîtra par ailleurs dans « Les Scorpions du Désert », autres aventures africaines dessinées par Hugo Pratt. Les noms de Lawrence d'Arabie et d'Arthur Rimbaud sont même évoqués. « Les Éthiopiques » est marqué par les antagonismes entre tribus, britanniques et allemands, dans un contexte trouble et un désert qui rend fiévreux. Il s'agit d'une époque marquée par le courage, l'héroïsme, mais aussi la peur, la lâcheté et la mort. Notre marin fera lui-même l'expérience de la couardise! Après tout, de son propre aveu il n'est pas un héros... Corto Maltese est en effet terriblement humain, il est le témoin d'une ère oscillant entre raison et folie (meurtrière), d'un monde qui s'effondre sur lui-même, et à travers ses yeux nous revivons des temps sombres de l'histoire humaine. Néanmoins il y a toujours de l'espoir, celui-ci résidant surtout dans l'imagination et l'onirisme,  mais aussi dans l'amitié et le sens du devoir, nous dit Hugo Pratt l'africain.

[3/4]

« Fable de Venise » (Favola di Venezia) d'Hugo Pratt (1981)

    « Fable de Venise »  est un album charnière, qui fait la transition entre deux aventures de Corto assez denses : « Corto Maltese en Sibérie » et « La Maison dorée de Samarkand », sans pour autant les prolonger ou les anticiper : c’est un épisode à part entière des péripétie de notre audacieux marin. On y retrouve tous les ingrédients de la série imaginée par Hugo Pratt : de l’aventure, du mystère, de l’onirisme, de l’ésotérisme, des rencontres avec des personnages historiques (D’Annunzio…). Mais aussi, au premier plan, Venise ! Venise et ses arcanes, ses sociétés secrètes, ses Chemises noires (nous sommes en 1921), son ghetto juif… Corto Maltese est l’un des grands héros modernes. Aventureux, solitaire, généreux sous ses atours individualiste et désintéressé de tout (sinon de l’argent),... Il est mélancolique, rêveur, mais aussi lucide sur la société de son temps, faite d’illusions, de faux-semblants, de troubles politiques et caractérisée par la crise spirituelle de l’Occident. Il traverse tous ces évènements avec son flegme si caractéristique, et son aplomb salvateur (il réussit toujours à se sortir des mauvaises passes), qu’on peut même qualifier de courage. En cela Corto Maltese est d’un autre temps, d’une époque révolue, certes moderne (avant la Seconde guerre mondiale et notre modernisme forcené), mais gardant une certaine noblesse passée, un goût pour la hauteur d’âme, que l’on ne retrouve hélas plus, ou presque plus, dans les œuvres d’art actuelles.

[3/4]

mercredi 7 novembre 2012

Citation du mercredi 7 novembre 2012

« Je me refuse simplement mais absolument à confondre la conscience de l’artiste, qui est une chose, avec sa sincérité, qui en est une autre [...]. Cette conscience exige que nous développions en nous le bon ouvrier. Mon objectif est donc la perfection technique. Je puis y tendre sans cesse, puisque je suis assuré de ne jamais l’atteindre. L’important est d’en approcher toujours davantage. L’art, sans doute, a d’autres effets, mais l’artiste, à mon gré, ne doit pas avoir d’autre but. »

Maurice Ravel
(Esquisse autobiographique, 1928)

lundi 29 octobre 2012

« Peter Ibbetson » d'Henry Hathaway (1935)

    Un film étrange, empli de mélancolie, et beau. C'est l'histoire d'un petit garçon et d'une petite fille séparés trop vite par la vie, d'un amour perdu à jamais inguérissable. Dans des décors intérieurs comme extérieurs somptueux, baignés par une photographie nuancée à l'extrême, se noue le drame de deux vies qui s'aiment à en mourir. « Peter Ibbetson » est une œuvre à mi-chemin entre le préraphaélisme et le surréalisme. Dirigée avec goût, la mise en scène réserve des moments d'onirisme pur du meilleur aloi. Tout n'est certes pas parfait dans ce long métrage, un peu maladroit, un peu surfait parfois. Mais son côté gauche et surtout sincère, presque naïf, est touchant. Gary Cooper excelle en jeune homme rongé par le passé. Ann Harding laisse moins affleurer une réelle humanité, son visage est quelque peu glacial, sa beauté est froide. Mais nos deux interprètes parviennent tout de même, de concert, à donner chair à cette histoire d'amour qui brave le temps et l'espace. On retiendra particulièrement le début et la fin du film, qui s'imprimeront durablement dans l'esprit du spectateur. Un des sommets du cinéma américain des années 30.

[3/4]

jeudi 18 octobre 2012

« Like someone in love » d'Abbas Kiarostami (2012)

    Quelque peu décevant. A l'aide d'une mise en scène sobre et d'un scénario simple mais ingénieux, Abbas Kiarostami nous brosse le tableau d'un Japon (mais ce pourrait être ailleurs) meurtri par la modernité. L'individualisme règne, tout comme la mélancolie ou la solitude, dans un décor bétonné et illuminé de néons, tandis que l'amour (digne de ce nom) est le grand absent. Comme à son habitude, le cinéaste iranien nous gratifie de pérégrinations en voiture. Soit. Chose bienvenue, quelques pensées profondes émaillent le long métrage, la plupart venant de la bouche du sympathique Watanabe Takashi, vieux professeur de sociologie. Ce dernier fera la rencontre de la jeune Akiko, prostituée de son état, et harcelée par son violent petit ami. Cette rencontre illuminera la vie de nos deux protagonistes, même s'ils n'auront pas le temps de faire plus ample connaissance et de vraiment s'apprécier. Et c'est là que la bât blesse. Kiarostami n'arrive pas à nous extraire de son spleen pour nous proposer une fable de l'acabit de ses meilleurs films. Il en avait pourtant la matière et les moyens, il avait de surcroît de bons interprètes. Il n'approfondit pas non plus son étude, trop superficielle, de la modernité. La fin brutale annihile tout espoir d'avoir affaire à une œuvre dense, et surtout de qualité. Le talent de cinéaste et de conteur d'Abbas Kiarostami n'est pas à mettre en doute, le long métrage est porté par son regard pudique sur une relation qui n'aura pas lieu, qu'elle soit corporelle, amoureuse, ou tout simplement humaine. Mais son achèvement soudain vient signifier l'impasse dans laquelle s'est engouffré Kiarostami. A trop vouloir jouer le réalisme, l'art de l'iranien a perdu de son sel et de sa saveur. « Like someone in love » est un long métrage inabouti, et c'est bien dommage.

[1/4]

samedi 29 septembre 2012

« Centipede Hz » d'Animal Collective (2012)

    Un album décevant car par trop inégal. Il débute d'ailleurs par une chanson totalement anecdotique et assez horripilante : Moonjock. « Centipede Hz » est toutefois parcouru par quelques réussites : le single Today Supernatural, énergique en diable! Puis, et surtout Rosie Oh, superbe essai signé Panda Bear, tout à fait typique de ses meilleures compositions. Son talent mélodique est bien présent, au gré de ruptures harmoniques et d'une inventivité jamais prise en défaut. Une très belle chanson, peut-être la meilleure de l'album. Puis vient Applesauce, une jolie chanson signée Avey Tare. Wide Eyed s'ensuit. C'est une chanson de Deakin, assez laide, il faut bien le dire. Rien à voir avec la réussite Country Report, du mini album Keep. Father Time, d'Avey Tare est l'archétype de la chanson faible qui plombe un album. Totalement insipide et assez énervante avec son rythme bizarroïde. New Town Burnout est quant à elle typique des moins bonnes compositions de Panda Bear. Un rythme simpliste répété sans relâche, une voix elle aussi répétée à l'envie sur 2-3 hauteurs de notes. L'animal ne s'est pas foulé! On retrouve ses tics de composition hélas trop présents sur son album solo « Tomboy ». Monkey Riches est à peu de choses près du mauvais Avey Tare. Au contraire de Mercury Man, du plutôt bon Avey Tare cette fois.  Viennent ensuite deux chansons totalement anecdotiques chantées par Avey Tare : Pulleys et Amanita. En résumé, un opus bien plus faible que l'excellent « Merriweather Post Pavilion », ou le non moins excellent EP « Fall be kind ». Le groupe peine à se renouveler, ne surprend plus, et est clairement sur une pente descendante depuis le décevant « Oddsac », même si ses meilleures chansons restent bien au-dessus de la concurrence. Dommage.

[2/4]

mercredi 5 septembre 2012

« L'Île noire » d'Hergé (1938)

    Un excellent opus. Voilà l'exemple d'un album pleinement abouti, avec une intrigue poussée, mystérieuse, se dévoilant peu à peu, des personnages inoubliables, des dessins de belle facture, aux coloris fort appréciables. Bref un album de qualité à tous points de vue. « L'Île noire » possède une unité esthétique et scénaristique qui en fait un album qui se suffit à lui-même. Il y a quelques autres exemples de ce type dans les aventures de Tintin, c'est par exemple « Tintin en Amérique », « Le Sceptre d'Ottokar », « Tintin au pays de l'or noir », « L'Affaire Tournesol », « Tintin au Tibet »... Des albums remarquables. Ici, Tintin se fait tirer dessus alors qu'il tente d'en apprendre un peu plus sur un avion qui vient d'atterrir en catastrophe. Voilà qui le mènera au Royaume-Uni, et plus particulièrement en Écosse, où il découvrira l'Île noire, une île inquiétante, dont les rumeurs font état de son inhospitalité particulière. Tintin devra se débrouiller seul pour découvrir ce qui s'y trame, car à l'époque, pas encore de Capitaine Haddock ou de Professeur Tournesol. Il y a certes les Dupond et Dupont, mais pour qui les connaît, il n'est pas difficile de concevoir combien leur aide est toute relative... Un des grands (et beaux) albums de Tintin.

[4/4]

« L'Affaire Tournesol » d'Hergé (1956)

    « L'Affaire Tournesol » est un excellent album des aventures de Tintin. Bourré d'humour, nous réservant une intrigue haute en rebondissements, nous traverserons la Suisse pour pénétrer en territoire bordure, la dictature (soit la Bordurie, pays fictif) qui longe la Syldavie, son ennemi de toujours. « L'Affaire Tournesol » est une histoire d'espionnage. Une histoire palpitante entrecoupée de gags irrésistibles. Dessiné de main de maître, c'est un album à l'atmosphère particulière, mystérieuse, envoûtante : on découvre les ors d'un régime dictatorial qui par bien des aspects nous rappelle le nazisme, mais travesti avec humour, on assiste une fois de plus (voir « Le Sceptre d'Ottokar ») à la rivalité Bordurie/Syldavie, des phénomènes inexpliqués nous intriguent pendant un certain temps... Tout concourt à en faire un des meilleurs albums réalisés par Hergé.

[4/4]

« Le Crabe aux pinces d'or » d'Hergé (1941)

    Un marin est retrouvé mort. Sur lui : un bout de papier, sur lequel est griffonné Karaboudjan. Ce bout de papier provient de l'étiquette d'une boîte de crabe. Et voici que ce bout de papier arrive entre les mains de Tintin... Qui se lancera à la recherche de trafiquants d'opium et finira au Maroc, après avoir rencontré un singulier personnage : le fameux Capitaine Haddock, marin au long cours... un peu trop porté sur la bouteille. « Le Crabe aux pinces d'or » nous réserve donc de l'aventure, du mystère, la naissance d'une longue amitié, du dépaysement, de l'exotisme... C'est un album charnière des aventures de Tintin, puisqu'on y fait la connaissance d'un protagoniste qui sera de premier plan tout au long des 14 albums suivants. On y retrouve aussi des vieilles connaissances, pour le meilleur comme pour le pire. Le scénario du « Crabe aux pinces d'or » prend une fois de plus la forme d'une enquête, mais elle est trépidante et nous tient en haleine à mesure que l'on tourne les pages. Pari réussi donc, une fois de plus, pour Hergé qui nous livre là un album plein d'humour et de fantaisie.

[4/4]

mardi 4 septembre 2012

« Je vous salue Marie » de Jean-Luc Godard (1985)

    Dans ce patchwork d'images et de sons, seules quelques photogrammes sont beaux, quelques (très) rares interprètes ont la grâce. C'est bien peu. Le reste est vulgaire, incohérent, et surtout très laid. D'une modernité poussée au paroxysme, complètement désincarnée. Comme du sérialisme cinématographique raté, dans tous ce qu'il a de pompeux et d'inhumain. Dans tout ce qu'il a d'anti-cinématographique, par son jusqu'au-boutisme revendiqué. Ne parlons pas de toutes ces voix qui se télescopent, qui ne veulent plus rien dire, elles aussi d'une triste vulgarité. De la philosophie au rabais. Agrémentée de musique classique (Bach entre autres, rien que ça), de temps en temps poussée à fond. Des citations en veux-tu en voilà. Et Marie dans tout ça? L'Annonciation se fait sur le parking d'une station service. Marie joue au basket, elle se fout à poil (elle n'est pas la seule à se trimbaler nue on ne sais pourquoi d'ailleurs...). Joseph? Un rustre, un idiot pour tout dire. Une vraie tête à claques. L'univers de Jean-Luc Godard est peuplé de ces paumés qui fument, comme pour mieux passer leur temps alors qu'ils n'ont plus aucune étincelle de vie, et mieux se meurtir. L'art – mais peut-on encore parler d'art ? – de Jean-Luc Godard est complètement sclérosé. Il recycle de vieilles méthodes, n'a plus rien à dire, reformule des choses qu'il ne sait plus exprimer... Le néant. Ce film n'est même pas un film, il s'autodétruit sous nos yeux, il n'est même pas construit. C'est une suite d'essais, de bouts de pellicules sans aucun intérêt, avec de temps en temps une parole, un son, une image qui ressort. Et encore, je suis bien généreux. Que retenir de tout ça? Que l'on a perdu son temps, que Godard a gâché de la pellicule, qu'il ne reste plus rien de la Nouvelle Vague et que son héritage est mortifère (voir Desplechin, Honoré et tous ces réalisateurs dans une impasse). Zéro pointé.

[0/4]