samedi 30 mars 2013

« Amok » d'Atoms For Peace (2013)

    Depuis plus de 10 ans, et le basculement de Radiohead dans la musique électronique avec « Kid A », Thom Yorke use jusqu'à la corde une esthétique désincarnée. Épurant toujours plus sa façon de faire, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des « blips blips » synthétiques en guise de mélodie, sur fond de percussions tout aussi artificielles, le tout rehaussé par des miaulements dépressifs, ayant pris la place de toute voix humaine... En solo, accompagné d'un super-groupe (comme c'est ici le cas), ou avec Radiohead, la musique de Thom Yorke perd année après année en âme et en consistance, pour s'enfermer dans des tics et l'auto-parodie la plus crasse. L'oxfordien ne surprend plus, malgré ses tentatives avant-gardistes. Il avait pourtant un certain talent, que l'on retrouve dans telle ou telle ligne mélodique (bien évidemment ensevelie sous un amas électronique d'un goût plus ou moins sûr), tel ou tel rythme décalé (Stuck Together Pieces, seule chanson où l'on perçoive la présence d'un réel musicien, en l'occurrence un percussionniste latino-américain), ou une chanson comme Before Your Very Eyes (le titre inaugural d'« Amok », et de loin le meilleur). Les singles ayant précédé la sortie de l'album (Default, Ingenue et Judge Jury and Executioner) sont d'une banalité affligeante. Le reste n'est peu ou prou que remplissage (Dropped, Unless, Reverse Running, Amok). Et que dire des paroles, tristes et absconses à mourir... Serait-il temps pour l'ami Yorke de quitter la scène musicale ?

[0/4]

jeudi 21 mars 2013

« Shara » (Sharasojyu) de Naomi Kawase (2003)

    Au risque de me répéter, le cinéma de Naomi Kawase me laisse indifférent. Non pas qu'il n'ait aucun intérêt (encore que), mais ses personnages désincarnés, taciturnes, le regard vide, peinent à me toucher. D'autant que la spiritualité que tente d'incarner la cinéaste japonaise demeure au stade de joli cliché. A trop épurer son art, il n'en reste pas grand chose. Peut-on parler de scénario ? Peut-on parler de cadrages ? Peut-on parler de réalisation ? Peut-on parler de film ? « Shara » laisse un goût d'inachevé dans l'esprit du spectateur. Pourtant, il abonde en idées, hélas non approfondies. Bien que bancale, la séquence d'ouverture du film réserve quelques belles images, et est empreinte de mystère. La scène de la danse de Basara, là encore inégale, est le point culminant du film : pleine d'énergie, c'est peut-être le seul moment qui justifie l'existence de ce long métrage. On se laisse hypnotiser par la musique lancinante, et la jeune et jolie Yuka Hyodo. Mais après, que reste-t-il ? Une caméra portée maladroite et exaspérante, un sentiment de paresse de la part de l'auteure et réalisatrice, et de vide total... Sans parler de cet aspect factice dont son art ne semble décidément pas pouvoir se défaire. On ne croit pas aux personnages (allez, sauf peut-être en l'héroïne), on voit juste des acteurs amateurs, tentant d'exister malgré une absence criante de dialogues (sans compter que les rares paroles échangées sonnent faux). Du coup, ils posent... Les comparaisons avec Tarkovski et Erice ne sont pas sérieuses : ce qui manque au cinéma de Naomi Kawase, c'est une âme! En lieu et place, elle nous offre un pâle essai new age... 1/4 pour le film, et 1/4 pour la scène de la danse : nous arrivons péniblement à deux.

[2/4]


samedi 9 mars 2013

« Les Petites Filles modèles » de la comtesse de Ségur (1858)

    Un autre livre admirable de mon enfance. « Les Petites Filles modèles » est un ouvrage charmant, d'une fraicheur intemporelle. La comtesse de Ségur y conte avec grâce et bienveillance les aventures de quatre petites filles plus ou moins sages. Camille et Madeleine de Fleurville sont la bonté même, altruistes, généreuses et raisonnables. Marguerite de Rosbourg, quant à elle, est une petite fille plus spontanée, qui se laisse parfois rapidement emporter. Sophie, pour finir, est turbulente, nerveuse et gauche. Battue par sa belle-mère, l'odieuse et ridicule Madame Fichini, elle court de bêtises en bêtises. L'action se déroule au château de Fleurville, tenu par la vertueuse Madame de Fleurville, veuve de son état, et par ses loyaux domestiques. « Les Petites Filles modèles » est un instantané d'une époque révolue, aux images quelque peu surannées. Néanmoins il condense de façon universelle la candeur de l'enfance, ses joies, ses peines, sans jamais se départir d'un regard tendre et généreux. La comtesse de Ségur y emploie un français simple mais distingué. Et les différentes scénettes qu'elle égrène le long de son ouvrage sont réjouissantes par leur naïveté et leur caractère initiatique pour ses jeunes héroïnes. Un vrai petit classique.

[4/4]

lundi 4 mars 2013

Citation du lundi 4 mars 2013

« Qu’est-ce que dessiner ? Comment y arrive-t-on ? C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible, qui semble se trouver entre ce que l’on sent et ce que l’on peut. Comment doit-on traverser ce mur, sachant qu’il ne sert à rien d’y frapper fort ? A mon avis on doit miner ce mur et le traverser à la lime, lentement et avec patience. »

Vincent van Gogh
(Lettre à Théo, 22 octobre 1882)

dimanche 3 mars 2013

« October » de U2 (1981)

    La musique de U2 a progressivement perdu sa qualité (et il faut bien le dire son âme) à mesure que le groupe a gagné en influence sur la scène internationale. « October » n'est que le deuxième album du groupe irlandais, mais pourtant il est avec « War » (encore plus abouti, et parsemé de succès planétaires) à mon sens le meilleur album de U2. Empli d'un souffle et d'une spiritualité peu communs alors pour un groupe rock (encore plus aujourd'hui), « October » comporte d'excellentes chansons tout en restant homogène. Au premier rang desquelles Gloria, qui ouvre majestueusement l'album. Bono chante avec sincérité et exaltation le Seigneur, dans l'un des tous meilleurs titres de sa carrière. Les paroles sont merveilleuses... et l'on peut en dire de même pour le reste de l'album. S'ensuivent I Fall Dawn et I Threw a Brick Throuh a Window, de très bonnes chansons. Rejoice est énergique, et annonce Fire, l'un des sommets de l'album. La musique est envoûtante, à la fois menaçante et mystérieuse, tandis que les paroles sont empreintes d'une poésie presque apocalyptique. Tomorrow est une chanson plus apaisée et personnelle, dédiée à la mère, décédée, de Bono. October est elle aussi une chanson calme, mélancolique, avec peu de paroles, mais ô combien déchirante. With a Shout (Jerusalem), est tout comme Gloria une chanson exaltée, habitée par la voix de Bono, au texte ouvertement chrétien. Stranger in a Strange Land comporte quant à elle des paroles plus sombres, évoquant la solitude la plus noire. Scarlett est évanescente, diaphane, énigmatique. Is That All, enfin, clôt l'album avec panache, chantée toujours avec la même foi par Bono. « October » est donc un albums accompli, à la fois sincère, profond et contrasté. Et tout simplement beau.

[4/4]

samedi 12 janvier 2013

« Épouses et concubines » (Da hongdenglong gaogao gua) de Zhang Yimou (1991)

    Un film très beau... et terrible à la fois! Zhang Yimou dénonce dans ce long métrage l'horreur de la condition des femmes chinoises au début du XXème siècle. Songlian est une jeune fille pauvre de 19 ans, qui a dû quitter l'université, où elle n'a étudié que six mois, faute d'argent. Elle choisit alors de se marier à un homme riche, et devient... sa quatrième épouse. Elle découvre un monde clos sur lui-même, étouffant (l'impression d'enfermement est renforcée par la mise en scène très insistante du réalisateur chinois), alors que les manœuvres de ses rivales pour s'approprier les faveurs du maître des lieux lui mènent la vie dure. Baigné par le rouge des lanternes, qui annoncent la favorite du seigneur et celle qui peut gouverner pour un moment les serviteurs de la maisonnée, « Épouses et concubines » brille par la beauté de sa réalisation. Les cadrages sont méticuleux, les plans choisis avec soins, évitant tout superflu, tout en suggérant avec une économie de moyens remarquable le drame intérieur de ces femmes livrées au bon vouloir d'un homme qui les possède et les rend folles de jalousie. Car ce que dépeint avant tout Yimou, c'est la bassesse des sentiments humains dans une situation où l'amour se marchande. Il y a bien peu d'espoir dans cette demeure où l'on ne sort jamais : les plans aériens de ces cours enserrées par les toits finissent par donner la nausée. D'ailleurs, pour renforcer ce sentiment d'abandon et d'humiliation, on ne voit jamais le visage du maître, toujours filmé de loin ou de dos. Il est ainsi proprement inhumain, comme l'est en un sens « Épouses et concubines », tant sous l'éclat de sa mise en scène il donne à voir une noirceur insoutenable. Notons pour finir la beauté de la musique qui accompagne l'image!

[3/4]

« Messa da requiem » de Giuseppe Verdi (1874)

    Une œuvre imposante ! Le « Requiem » de Verdi, composé en l'honneur de la mort de son compatriote, le poète Alessandro Manzoni, est très impressionnant. Notamment par le déchaînement des éléments dans son célèbre Dies Irae, qui chante la fin du monde et le jugement dernier. Dans un déferlement de voix menaçantes, de cuivres, de cordes et de percussions, Verdi nous fait dresser les cheveux sur la tête ! Cet air est tout à fait caractéristique de cet opus qui se démarque par sa théâtralité. Certains ont parlé d'opéra religieux à son propos, ils n'ont pas tort. Surtout quand on sait que Verdi était athée. Il semble donc que le compositeur italien ait mis tout son talent à faire briller de mille feux sa messe des morts. Car le Dies Irae n'est pas le seul morceau de bravoure, le Tuba Mirum, avec ses trompettes dissimulées dans les coulisses, puis sonnant héroïquement la résurrection, est lui aussi particulièrement marquant. Tout comme le Rex Tremendae Majestatis (qui porte bien son nom). La théâtralité de ces passages rappelle d'ailleurs celle de certains airs du « Requiem » de Mozart. Néanmoins on ne retrouve pas l'intériorité de l'œuvre de l'autrichien, sa finesse délicate. Pourtant, le « Requiem » de Verdi comporte des moments plus apaisés, comme ce joyeux Sanctus, dont la légèreté annonce presque le « Gloria » de Poulenc, et son malicieux Laudamus Te. D'une grande qualité, bien qu'on puisse regretter un manque certain de sincérité, la messe des morts de Verdi s'achève en beauté par un Libera Me majestueux, autre sommet de l'œuvre. Un classique qu'on savourera de préférence dans la bien belle version de Carlo Maria Giulini, passionnée et pleine de relief.

[4/4]

« La Chaumière indienne » de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1790)

    « La Chaumière indienne » est un charmant petit conte philosophique. On y retrouve la sensibilité si particulière de Bernardin de Saint-Pierre, épris d'idéal et de vertu. Il s'agit en effet d'un éloge de l'humilité et de la simplicité, face au pouvoir, à la connaissance, et tout simplement à la vie. L'intrigue est simple, archétypique, et pleine de bon sens, comme tout conte qui se respecte. Un docteur anglais, glorieux érudit, cherche à rendre l'humanité plus heureuse en se lançant dans une quête surhumaine : collecter tous les savoirs ancestraux du monde entier, de Paris à Delhi, en passant par le Vatican ou Istanbul, afin de répondre aux questions innombrables de la Société royale de Londres sur le sens de la vie et de son incarnation terrestre. Mais lorsqu'il a recueilli au terme de son long périple une quantité démesurée de connaissances, le voilà qui se met à douter. Que faire de tant d'enseignements ? D'autant qu'ils se contredisent quasiment tous... Et voilà notre pauvre docteur perdu et abattu. Nulle réponse à ses questions! Lorsqu'on lui apprend qu'un brame supérieur, sage parmi les sages, méditant dans son palais, près d'une embouchure du Gange, en Inde, serait le seul au monde capable de résoudre toutes les fameuses questions qu'on lui a chargé de poser, le voilà qui reprend espoir! Et il s'empresse d'aller le visiter. Il ira, bien évidemment, de surprises en surprises, et ses certitudes seront bien ébranlées. Je n'en dis pas plus, je vous invite à prendre le temps de vous plonger dans cette fort belle histoire, qu'on lit en une heure à peine, mais qu'on savoure des heures durant.

[3/4]

« Paul et Virginie » de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1787)

    Il y a peu, je rangeais ma bibliothèque. Alors que je triais de vieux livres de quand j'étais petit, je suis tombé sur une édition Carrefour (sic) de « Paul et Virginie », de Bernardin de Saint-Pierre, qu'on m'avait offerte étant enfant. Je ne sais pas pourquoi, je me suis dit que ce serait peut-être intéressant à lire. Alors je me suis plongé dedans. Quelle surprise ! C'est un chef d'œuvre ! Bernardin de Saint-Pierre écrit dans un français merveilleux, à la fois simple et limpide mais finement ciselé, d'une réelle beauté. Et que dire de la façon dont il dépeint la nature ! C'était paraît-il son grand talent, en effet, c'est peu de le dire ! Mais n'oublions pas non plus la finesse avec laquelle il décrit les sentiments, notamment de ses deux jeunes héros ! « Paul et Virginie » est un roman qui exalte la vertu, d'une façon tellement sincère, presque enfantine... Dans un décor paradisiaque (l'ouvrage est construit comme le magnifique film « Tabou » de Murnau), Paul et Virginie vivent avec leurs mères respectives, bannies de la société française. Nous sommes dans l'Île de France (aujourd'hui l'Île Maurice), à la fin du XVIIIème siècle, et Bernardin de Saint-Pierre est épris de la philosophie de Jean-Jacques Rousseau. Paul et Virginie, vivant à l'écart de la civilisation, sont en effet la bonté même. Ce sont les hommes et leurs froids calculs qui viendront semer le désordre et la désolation. Vraiment quelle surprise de trouver là l'un des plus brillants écrivains de son temps, et même l'un des plus brillants écrivains français ! Car comme le fait si bien remarquer la note biographique insérée en fin de mon édition, « Paul et Virginie » est une « idylle morale et mélancolique, évitant la fadeur et la déclamation ». Préfigurant le romantisme sans annoncer ses travers, « Paul et Virginie » est une œuvre intemporelle et remarquable.

[4/4]