lundi 30 décembre 2013

« Fanfulla » (Le avventure di Fanfulla) de Mino Milani et Hugo Pratt (1981)

    Quel plaisir! Une réédition d'un album de bande dessinée digne de ce nom! Le fait est suffisamment rare, en ces temps de merchandising acharné, pour être souligné. L'histoire, captivante, a beau être signée Milani, « Fanfulla » est du pur Hugo Pratt. Je ne parle bien évidemment pas du coup de crayon si particulier de l'italien, un peu brouillon ici, mais par moments grandiose. Comme d'habitude, d'ailleurs, malgré les efforts déployés pour la mise en couleur, rien ne vaut un bon noir et blanc dessiné de main de maître, que nous ne pouvons qu'imaginer en l'occurrence. Mais ce qui fait que nous nous retrouvons en terrain connu, c'est tout d'abord cet anti-héros bagarreur, violent, qui cache sous la crasse et le picaresque un cœur d'or, et même une âme de chevalier. Fanfulla est certes un mercenaire, mais c'est avant tout l'alter ego de Corto Maltese : un bandit qui sert son propre intérêt... jusqu'à ce que l'honneur l'oblige à prendre parti pour les faibles et les opprimés, toujours avec un flegmatisme et une nonchalance inimitables. Pas de doute, Fanfulla est un héros complexe, lointain aïeul de Corto ou du lieutenant Koïnsky, des « Scorpions du Désert ». L'intrigue, quant à elle, ne dépareille pas dans l’œuvre du dessinateur italien. On retrouve ce mélange de bravoure et de traitrise, d'amour et d'aventure qui a fait son succès. Campée dans un contexte historique bien précis, le pillage de Rome et Florence par les troupes de Charles Quint, c'est l'occasion pour Milani et Pratt de s'approprier une nouvelle période de l'Histoire, et de donner vie à des personnages bien en chair, et proprement inoubliables. Notons, pour finir, que « Fanfulla » est un album complet : le scénario est entier (avec un début et une fin), et il ne manque pas de planches (du moins pas à ma connaissance), contrairement à « Sandokan », album inachevé. Voilà donc un opus qui devrait ravir les inconditionnels d'Hugo Pratt, et les amateurs de bandes dessinées de qualité.

[3/4]

dimanche 29 décembre 2013

« L'Onde Septimus » de Jean Dufaux, Antoine Aubin et Etienne Schréder (2013)

    « L'Onde Septimus » est un projet mort-né, tout comme « L'Etrange rendez-vous ». Je serai donc tout aussi catégorique. L'équipe à l’œuvre ici, à l'image de celle de l'opus précédemment cité, ont décidé de sucer jusqu'à la moelle des albums de Jacobs se suffisant à eux-mêmes, pour des raisons de facilité bassement commerciales. Bon sang, pourquoi vouloir donner une suite à « La Marque Jaune », qui compte parmi les albums de la série autonomes, cohérents en diable et d'une grande qualité ? Aura-t-on droit au « Secret de l'Atlantide 2 » ? A « S.O.S. Météores 2 » ? Au « Piège diabolique 2 » ? Surtout que le résultat est très décevant. L'intrigue est brouillonne, pleine d'une familiarité déplacée et d'un langage ampoulé loin de l'efficacité narrative jacobsienne, certes très précise donc longue et fastidieuse, mais jamais gratuite. De surcroît, le rythme est bancal : l'intrigue met du temps à démarrer et aboutit à un final médiocre. Dommage, car quelques pistes étaient bienvenues : l'errance hallucinée d'Olrik notamment, que l'on découvre sous un nouveau jour. Et puis n'oublions pas LA fausse bonne idée de l'opus : cette myriade de Septimus sous leur parapluie... absolument ridicule, pas du tout angoissante, et d'une lourdeur pachydermique. Les auteurs ont voulu faire revivre Septimus. Soit. Mais là il lui enlèvent tout mystère, le galvaudent, et il ne se résume plus qu'à ce qu'il est ici (et à ce qu'est cet album) : un cliché défraichi. Décidément, il paraît bien difficile pour les équipes qui ont repris la série de retrouver le souffle et l'universalité qui parcouraient l’œuvre de Jacobs, loin de la science-fiction de pacotille qui veut se substituer à la flamboyance des Jacobs les plus ambitieux. Le dessin quant à lui est excellent en ce qui concerne les personnages : à l'inverse du trait de Juillard, ici nous avons le droit à une copie conforme du style Jacobs. Et c'est bienvenu. Non pas que que le style Juillard me déplaise : tout comme Ted Benoît, Juillard a su redonner vie aux héros de Jacobs avec un brin d'originalité qui ne nuit pas à la qualité visuelle de la série. Aubin, pour sa part, s'en tire plutôt bien... Car dès que l'on regarde trop l'arrière plan, on sent comme une impression de vide : c'est assez bâclé. Mais le pire se ressent vers la fin de l'album : là tout s'étiole, personnages comme décors. Pressés par un Noël 2013 qui s'approchait à grands pas, les auteurs ont en effet dû mettre les bouchées doubles pour sortir l'album à temps... Aux dépens de la qualité de l'ouvrage. Grande déception donc, que cette « Onde Septimus ». L'avenir de la série n'appartient-il pas à ces tentatives de créer de nouvelles intrigues et de nouveaux personnages sans s’arrimer au passé (tout en respectant l'esprit – et non la lettre – de la bande dessinée originelle), comme dans le cas de « L'Affaire Francis Blake », « La Machination Voronov » ou « Le Serment des Cinq Lords » ? Bref, à véritablement (oser) créer, plutôt que reprendre jusqu'à épuisement des œuvres, elles, accomplies ?

[1/4]

« Le Serment des Cinq Lords » d'Yves Sente et André Juillard (2012)

    Voici donc le 21ème album des aventures de Blake et Mortimer. Après être passée par des hauts (la majorité des albums de Jacobs, « L'Affaire Francis Blake » ou « La Machination Voronov ») et des bas, voire des très bas (le scénaristiquement très paresseux « Etrange rendez-vous » ou l'insipide « Sanctuaire du Gondwana »), la série repart de plus belle, et voilà nos héros britanniques prêts à combattre de nouveau le crime. Fort heureusement, le résultat est assez probant : « Le Serment des Cinq Lords » est un album au scénario bien construit, ménageant du suspense, autour d'une intrigue crédible (une fois n'est pas coutume), laissant une part de mystère environner le tout pour donner une relative dimension à l'histoire qui nous est contée. Le dessin de Juillard est, comme d'habitude pour cette série, élégant et original à la fois. Et les couleurs de Madeleine de Mille sont là aussi, comme d'habitude, bien belles. Le contrat est donc rempli : malgré des circonvolutions et des facilités narratives, Sente et Juillard ont réussi leur pari de donner vie une fois de plus à des personnages archi-connus, et de façon pertinente. Oui : cela vaut le coup de lire « Le Serment des Cinq Lords », hourra! Ce n'est certes pas un grand album, loin de là. Car c'est là le revers de l'une de ses qualités : l'histoire est tellement prometteuse que l'on aurait voulu qu'elle soit plus développée, elle semble trop étriquée et le soufflet retombe trop vite pour donner l'impression que l'on a eu affaire à un opus de choix. Pour autant, Sente et Juillard n'ont pas à rougir de leur effort, cet ouvrage vaut bien (voire dépasse) à mon sens « L'Affaire du Collier ». Soit l'un des plus mauvais Jacobs à mon goût (trop quelconque, trop banal, en réaction à la fantaisie du « Piège diabolique »). Mais un Jacobs tout de même.

[2/4]

lundi 23 décembre 2013

« Little Nemo » (Winsor McCay, the Famous Cartoonist of the N.Y. Herald and His Moving Comics) de Winsor McCay (1911)

    Ce bref court métrage demeure l'un des témoignages les plus touchants de la naissance de l'animation cinématographique. Winsor McCay, avec beaucoup d'humour, relève un pari devant ses amis : dessiner en un mois 4 000 dessins et les animer. On le voit donc s'affairer sur son bureau, perturbé par de maladroits visiteurs. Puis vient le miracle : un peu plus d'une minute de poésie pure, durant laquelle les personnages de sa bande dessinée « Little Nemo in Slumberland » prennent littéralement vie sous nos yeux. Que dire de sa maîtrise du mouvement ! De toute évidence, McCay est l'une des grandes références de Miyazaki. Mais n'oublions pas sa gaieté ainsi que sa propension comique (contrebalançant une véritable noirceur dans d'autres de ses œuvres), et plus encore, sa délicatesse : Little Nemo et la Princesse de Slumberland sont une fois de plus finement dessinés, dans une scénette admirable. Mais 10 minutes, c'est court : on reste finalement sur notre faim, et l'on se prend à rêver de ce que serait devenu le monde de l'animation si Winsor McCay avait réalisé de longs métrages avec son jeune héros.

[4/4]

jeudi 19 décembre 2013

« La Forteresse cachée » (Kakushi toride no san akunin) d'Akira Kurosawa (1958)

    « La Forteresse cachée » est un pur divertissement, mais un divertissement de grande qualité, denrée plus que rare dans le paysage cinématographique actuel. Akira Kurosawa use pour la première fois du format cinémascope, mais le maîtrise déjà : sa science du cadrage fait de chaque plan une image mémorable.
 
Et le scénario s'avère haletant : un territoire japonais, le fief Akizuki, est décimé et occupé par un fief rival, celui des Yamana. La princesse du clan Akizuki cherche alors à quitter ses terres, avec l'or de sa famille, pour faire renaître sa dynastie. Elle est accompagnée de fidèles compagnons, et l'on suit donc la fuite des héros, cherchant à tromper la vigilance des Yamana.
 
Sans compter que l'on est guidé dans ce périple par deux anti-héros : les paysans cupides Tahei et Matashichi, très drôles. « La Forteresse cachée » est parcouru d'un certain pessimisme, assez sombre, et en même temps d'un souffle réjoui, plein d'espoir dans le renouveau, et empreint d'une joie parfois picaresque.
 
Ainsi, « La Forteresse cachée » est un grand film d'aventure, une fresque épique qui n'a certes pas la profondeur des « Sept Samouraïs », ni l'éclat formel du « Garde du corps » (encore que) ou de « Sanjuro ». Mais c'est un long métrage en tous points réussi, émaillé de scènes d'anthologie : le combat à cheval de Rokurota, la danse du feu, les différents rebondissements...
 
N'oublions pas les acteurs, tous excellents, des deux paysans en passant par la princesse ou Mifune, égal à lui-même. Mentionnons pour finir la présence, en filigrane, de préoccupations sociales, typiques du cinéma de Kurosawa. « La Forteresse cachée » devient alors un film initiatique, notamment pour la princesse, qui reconsidère son peuple et apprend de son périple.
 
Sans être le plus grand des Kurosawa, ce film remonte sans cesse dans mon estime à chaque fois que je le revois, et je finis par penser qu'il figure dans ce qu'il a fait de mieux. Un long métrage de bien belle facture qui réserve un agréable moment de cinéma.

[4/4]

lundi 16 décembre 2013

« Un jour je m’en irai sans avoir tout dit » de Jean d'Ormesson (2013)

    Je découvre avec cet ouvrage Jean d’Ormesson, l’écrivain et non la personnalité médiatique, j’entends. Et je suis déçu. M. d’Ormesson est intelligent, il a de l’esprit – enfin il est drôle, il est plutôt joyeux, il est subtil, il est espiègle, il n’a pas peur de ne pas se revendiquer moderne, exècre le consumérisme ambiant... Bonne nouvelle ! Oui, mais il n’est pas Chateaubriand ni même Flaubert. Mince alors ! Car c’est là que le bât blesse : M. d’Ormesson, ne pourriez-vous pas faire un peu d’effort pour dire des choses un peu plus consistantes s’il vous plaît ? Eh oui, hélas, triste constat : « Jean d’O » n’a pas (ou plus) grand-chose à dire. Par contre ce « pas grand-chose » est fort intéressant, presque captivant. M. d’Ormesson  est un  privilégié. Mais il a l’extrême élégance de l’assumer, contrairement à beaucoup d’intellectuels et d’artistes de France ou d’ailleurs. Et en tant que privilégié, M. d’O a un point de vue (relativement) privilégié sur l’histoire de son temps. Il a vécu la fin des grands aristocrates terriens, rongés par le relativisme des mœurs et le relâchement moral (et inversement). Il a vécu la guerre, a côtoyé des résistants et approché les plus grands. Il a vécu l’Amour, avec un grand A. Il a de l’imagination et a goûté à l’Aventure. Et ça, oui, tout ça, c’est fort intéressant. Sur ce point donc, merci Monsieur d’Ormesson de partager votre expérience. Vous le faites bien, simplement et avec goût. Bravo ! Mais pourquoi vous embarrasser de métaphysique de bazar ? Pourquoi vous prendre les pieds dans de la vulgarisation scientifique disgracieuse ? Pourquoi énumérer sans fin vos vacances au soleil ? Et finalement, pourquoi tortiller du croupion (passez-moi l’expression) pour plagier le manuel de sciences naturelles de votre petit-fils, et nous pondre un livre aussi faiblement digne d’intérêt dans l’ensemble ? Avez-vous tant besoin d’argent que cela ? De notoriété ? De postérité ? Ou tout simplement, manquez vous finalement de goût… Ceci dit, je ne vais pas vous accabler, car vos confessions sont touchantes. Et j’exagère un peu, car je comprends que votre démarche pseudo-scientiste s’explique par vos convictions personnelles, bien estimables. Toutefois, comme votre ouvrage reste assez scolaire, je vais le noter scolairement, en bon lecteur qui se respecte. 1 sur 4, car j’estime à environ un quart de votre livre la matière qui mérite le nom de littérature. Et car j’attends un peu plus d’un Académicien (oui, je sais, je dois être un des derniers à attendre quelque chose des Académiciens) que votre effort inégal. Ceci dit, vous êtes loin d’être le pire des Académiciens (dont finalement très peu d’entre vous sont passés et passerons à la postérité, mais vous le savez mieux que personne), surtout que vous avez l’avantage de paraître bien sympathique. Donc continuez à écrire ! Seulement par pitié, prenez un peu plus de temps pour vous relire et sélectionner le meilleur de votre art. Car vous n’êtes certes pas Claudel ou Wilde. Mais vous n’êtes jamais aussi intéressant que quand vous êtes Jean d’Ormesson.

[1/4]

mercredi 11 décembre 2013

« Au-delà » (Hereafter) de Clint Eastwood (2010)

    « Au-delà » signe l'incursion de Clint Eastwood aux frontières du réel. C'est un film profondément marqué par l'idée de mort, comme le sont ses trois principaux personnages. Dans une esthétique assez glauque et terne, un homme, une femme et un enfant se retrouvent aux prises avec la Grande Faucheuse... et l'au-delà de la vie. Plus que les rapports étranges qu'ont les héros avec la mort, c'est le regard sur cette dernière qui semble intéresser Eastwood. Comment vivons-nous, comment acceptons-nous la mort ? Qu'est-ce que cela signifie pour nous ? Un passage, ou une fin de tout, tragique et terrible ? Y a-t-il un au-delà ? Que deviennent dans notre cœur les personnes chères qui nous ont quittées ? Sans proposer de réponses, Eastwood illustre le drame de plusieurs familles et personnes confrontées à ce qui demeure souvent l'inattendu, l'impensé. Sur ce point, je ne peux que louer la sobriété du ton d'Eastwood : sans rien asséner, il nous fait part de tourments que nous avons tous à un moment ou un autre éprouvés. Mais que dire du style ? La mise en scène est tout sauf exceptionnelle, le scénario parfois racoleur (mais parfois intelligent, il faut bien le concéder) nous laisse sur notre fin... et la vision de l'au-delà, même si ce n'est pas le propos du film que d'en montrer la substance, n'est pas plus concluante. En résulte donc un long métrage bancal, tantôt très subtil, tantôt assez grossier... et finalement en demi-teinte. On aurait bien voulu que la recherche du personnage incarné par Cécile de France (qui joue très bien, de loin la mieux, au passage) soit approfondie... Mais non, Eastwood survole le sujet. Et le personnage de Matt Damon n'est pas très crédible... Bref, peut mieux faire.

[1/4]

mercredi 4 décembre 2013

Citation du mercredi 4 décembre 2013

« Il est vain de s'asseoir pour écrire quand on ne s'est jamais levé pour vivre. »

Henry David Thoreau 
(Journal, 1861)

vendredi 29 novembre 2013

« Macbeth » de William Shakespeare (1623)

    « Macbeth » est, de fait, l'une des plus grandes pièces de théâtre jamais écrites. Tout concourt à en faire une œuvre de premier plan : la profondeur psychologique des personnages, la complexité de l'intrigue, des ressorts scénaristiques fantastiques (spectres, sorcières, prophéties,...) qui s'intègrent parfaitement bien au récit,... et surtout une qualité d'écriture sans pareille. La plume acérée de Shakespeare est fleurie à souhaits : très imagée, elle abonde en métaphores et autres figures de style toutes mieux trouvées les unes que les autres, d'une beauté aussi réjouissante que la tonalité de la pièce est sombre. Et puis quelle histoire, tout de même! La tension entre Macbeth et la prophétie auto-réalisatrice est prodigieuse. Et à ce titre, elle trouve sans doute sa meilleure expression dans le fameux film d'Akira Kurosawa, « Le Château de l'Araignée », dominé par un Toshiro Mifune fiévreux, violemment torturé par les révélations sur son avenir exceptionnel. L'imagerie de Kurosawa sied à merveille à l'esprit de la pièce du dramaturge anglais, transposition géniale dans un Japon médiéval d'un terrible conflit moral et humain. Mais il faut dire que même à la simple lecture, « Macbeth » estomaque par la puissance des idées et des évènements qui sont convoqués. Impossible d'oublier le délire public de Macbeth, l'horreur des sorcières ou la folie de Lady Macbeth. Ce sont bien des images littéraires et théâtrales qui font la grandeur de cette pièce. Après avoir évoqué l'adaptation cinématographique de « Macbeth », venons-en brièvement à la traduction. Je dois dire que j'ai eu de la chance de lire la version de François-Victor Hugo (dans la compilation de pièces éditées par GF - Flammarion), certes non versifiée (encore que certaines phrases se fassent écho par de discrètes rimes), mais d'une précision et d'une élégance qui rend hommage au style de Shakespeare. Peut-être existe-il meilleure traduction (par essence imparfaite). Mais pour ma part, je m'estime fort satisfait. En conclusion, pour revenir à « Macbeth », il s'agit là, sans hésitation, d'une œuvre incontournable.

[4/4]

samedi 23 novembre 2013

« Messe de Requiem » de Gabriel Fauré (1888)

    Le « Requiem » de Fauré compte parmi les plus belles messes des morts jamais écrites. La vision de la mort chez Fauré est très apaisée, très douce. Pour lui, il s'agissait plus d'une transition heureuse vers un au-delà (bien qu'il n'était pas croyant) qu'un passage douloureux, dont on pouvait craindre le surgissement. Son « Requiem » est donc radicalement opposé à celui d'un Verdi. Alors que l'Italien offre une vision grandiloquente et théâtrale de la mort, le Français propose une partition toute en sérénité et délicatesse, personnelle, profondément intimiste, comme nombre d’œuvres françaises de l'époque. Les mélodies de Fauré, celles du « Requiem » j'entends, sont très finement sculptées dans le matériau sonore, et proprement inoubliables. L'Introït, et surtout le Kyrie est extraordinairement beau. Profondément original, il inaugure le parti pris musical de ce requiem. Le Sanctus prolonge l'impression de douceur sans pareille qui émane de la musique de Fauré : il est magnifique. Mais le sommet absolu de cet opus est le fameux Pie Jesu, qu'un garçon ou une femme peuvent chanter. Saint-Saëns ne s'y trompait pas : la postérité retiendra cet air, et en fera peut-être bien LE seul Pie Jesu. Le reste de l’œuvre conserve la même qualité d'écriture. L'Agnus Dei, le Lux Aeterna, le Libera Me sont de bien belle facture. Et la messe s'achève sur un In Paradisum angélique. Après l'indétrônable « Requiem » de Mozart, celui de Fauré figure en très bonne position parmi les réussites magistrales du genre, non loin de celui tellement différent de Verdi. Je vous conseille d'écouter le « Requiem » de Fauré dans sa version enregistrée par Philippe Herreweghe et La Chapelle Royale en 1988... car le Pie Jesu chanté par la soprano Agnès Mellon est d'une rare beauté. Sa voix très claire et très pure sied à merveille à ce chef-d’œuvre de sensibilité. Ceci dit, le reste de l'interprétation, instrumentale comme vocale, est d'un niveau comparable. C'est-à-dire excellent.

[4/4]