lundi 29 décembre 2014

« Ressusciter » de Christian Bobin (2001)

    Quelques mots sur Christian Bobin. Christian Bobin est un chercheur d'or, capable de trouver le métal le plus fin et le plus pur dans le cours tumultueux de la vie. Les aphorismes de Christian Bobin sont comme des touches de couleur aux nuances infimes, tantôt teintées de lumières, tantôt baignées par une ombre douceâtre. Leur éclat varie au gré des mots : elles sont souvent d'une joie parfaite, parfois d'une douleur sourde, mais jamais désemparée, toujours belles : simples et belles. Le vers libre (et plus généralement l'art) de Christian Bobin confirme que la poésie n'est pas qu'affaire de forme, je dirais même qu'elle est davantage affaire de sens, versée dans la forme des mots et leur agencement. Ce qui réjouit l'âme, dans la poésie de Christian Bobin, c'est la rencontre des images convoquées, c'est l'infini perçu dans le trois fois rien, c'est la richesse de la vie perçue dans la pauvreté de nos existences d'êtres humains. M. Bobin est capable de se réjouir de tout : c'est la marque des gens simples, d'une noble simplicité, qui sait que la vie ne réside pas dans l'argent ou les honneurs, mais dans l'amour et l'amitié. Et de fait, M. Bobin est un grand écrivain : il est un fin moraliste, mais pas un moraliste aride et aigre du XVIIIème siècle, car c'est aussi un merveilleux poète. Réjouissons-nous de cette conjonction de talents, qui nous offre de belles et longues méditations à partir de petits textes, et un beau moment de lecture grâce à cet art si consommé avec lequel il manie le Verbe.

    A présent, quelques mots sur son recueil « Ressusciter ». C'est un authentique chef d’œuvre de la littérature, un instantané de ce qui s'est écrit de mieux en ce début de XXIème siècle. Rares sont les ouvrages capables de délivrer avec autant de précision et de délicatesse le parfum si particulier de la vie véritable, celle des rencontres humaines et de l'émerveillement face à l'humanité et la nature. Bien sûr, cet émerveillement n'est pas béat et encore moins dupe : M. Bobin sait dépeindre les lâchetés d'autant mieux qu'elles blessent la sensibilité aiguë de son cœur d'homme. Pour autant, rares sont les livres à m'avoir touché à ce point, ce qui est d'autant plus étonnant au vu de la forme on ne peut plus modeste de l'ouvrage : quelques phrases couchées ici et là au creux de pages d'un blanc immaculé, aussi pures que sa poésie. Je me suis même pris à retrouver des souvenirs perdus de mon enfance et de mon adolescence, et autant le dire tout de suite, c'étaient de merveilleux souvenirs. Car oui, je n'ai pas peur de le dire : Christian Bobin réveille ce qu'il y a de meilleur en nous. Et pour cela, merci.

[4/4]

« Mary Poppins » de Robert Stevenson (1964)

    Il fut un temps où l'on pouvait concilier divertissement et qualité. J'insiste : divertissement ET qualité. Ce qui aujourd'hui sonne comme un oxymore, trouve son plus bel accomplissement dans cette adaptation cinématographique de l'histoire de Mary Poppins, gouvernante idéale (du moins pour les enfants), plus par la magie de ses tours et son imagination que par sa distinction (tout effrontée, l'air de rien) et son autorité (naturelle, car basée sur l'intérêt qu'elle porte aux enfants). Le studio Disney réussit la prouesse de mêler prises de vue réelles et animées, sans qu'aucun effet spécial (et Dieu sait qu'il y en a dans ce film) ne soit disgracieux. En fait c'est bien simple, dans ce long métrage, tout est réussi. Les acteurs sont exceptionnels, Julie Andrews et Dick Van Dyke en tête, les séquences animées sont poétiques et drôles à souhait, les numéros de comédie musicale sont entraînants et imaginatifs, bref, nous avons là l'une des toutes meilleures réalisations Disney. Certains passages sont de véritables moments d'anthologie : le rangement de la chambre des enfants, la partie animée (extraordinaire), ou encore le passage sur les toits. Et les seconds rôles ne sont pas en reste, des banquiers affairés et ennuyeux au capitaine de navire, en passant par la mère suffragette et le père totalement pris par son métier. Finalement, « Mary Poppins » est une fable sur l'enfance et le rôle des parents : Mary ne fait que redonner aux parents Banks (surtout le mari) le goût de la vie et de l'imagination, et plus encore, le goût des autres, le goût de ses propres enfants. Une frontière semblait s'être établie entre le monde fantastique des enfants et celui morne et triste du père, rationnel et besogneux : ils ne savaient plus se parler, le nombre de gouvernantes ayant échoué à les élever en faisant foi. L'arrivée de Mary Poppins vient renouer les liens, et les univers se rejoignent alors : les enfants investissent la banque et la font littéralement sauter, et le père retombe en enfance. Car c'est elle qui a le dernier mot : l'enfance, cet âge merveilleux où tout est possible...

[4/4]

samedi 27 décembre 2014

« Un coup de dés jamais n'abolira le hasard » de Stéphane Mallarmé (1914)

    « Un coup de dés... » fait partie de ces œuvres fondatrices de la modernité artistique, qui ont conduit à la situation de l'art d'aujourd'hui, c'est-à-dire un art en crise, vidé de son sens et de sa substance. Ce poème posthume de Mallarmé confine aux limites de la fumisterie, si l'on excepte la sincérité de l'auteur, qui croyait en la poésie comme on croit en Dieu. Adepte de l'art pour l'art (autrement dit, l'art coupé de la vie et du sens), Mallarmé est de ces talentueux artistes qui ont précipité leur art dans le néant et la médiocrité, à l'image de Picasso, brillant technicien et commerçant, mais piètre artiste et visionnaire, fossoyeur de la peinture occidentale. Mallarmé a écrit des choses magnifiques, et est un fin versificateur. Seulement il a cru aveuglément que les mots pouvaient se suffire à leur sens, que leur gangue esthétique, leur seul aspect et leur seule sonorité pouvaient combler l'absence de sens, et mener à une perfection qu'il ne percevait pas complètement ampoulée (et stérile). Voulant créer une sorte de religion de la poésie, Mallarmé nous livre là un poème qui ne manque pas d'allure (notamment par la finesse des mots choisis), mais dont le vers libre se brise totalement sur les écueils de la vacuité. L'art pour l'art, l'esprit pour l'esprit, autrement dit le narcissisme artistique dans son plus bel éclat, tout cela ne mène à rien. Mais au début du XXème siècle, personne ne pouvait encore le deviner. Aujourd'hui, nous sommes les témoins impuissants des errements de nos aïeux (sinon en osant créer à notre tour du sens). Mallarmé, malgré sa longue quête artistique, ne semble pas avoir compris que l'essence du mot est d'être vecteur de sens. Le sens est véhiculé par la structure même du mot et par sa sonorité, et je me risquerai à avancer que l'art n'est rien d'autre que l'expression du sens, un langage qui utilise un support (ici les couleurs, là les mots, ou encore les sons) pour exprimer quelque chose, ce quelque chose étant l'opposé du rien. Alors il est vrai que ce poème est une longue divagation sur la notion de hasard, il a donc un certain sens, coulé dans son esthétique quelque peu prétentieuse et absconse. Mais si l'on juge à présent de l'intérêt de ce qui est véhiculé par ce poème, on en vient à être troublé. Quoi, tant de bruit pour si peu ? A l'image de l'art d'aujourd'hui, le choc stylistique masque la vacuité du fond et de la démarche de cette œuvre de bien faible envergure.

[1/4]

« Le Loup de Wall Street » (The Wolf of Wall Street) de Martin Scorsese (2013)

    Indéniablement, ce film est bien réalisé, bien écrit, bien joué. On ne s'ennuie pas une seule seconde, on rigole devant tant de bêtise (la scène où Belfort, complètement ravagé par une drogue expérimentale, veut conduire sa Lamborghini, la scène des nains, et plein d'autres), on est estomaqué devant la cupidité de ces courtiers. Mais on ressent une sorte de malaise diffus pendant tout le long métrage. Où veut donc en venir Scorsese ? On a le droit à la sempiternelle trajectoire ascension fulgurante / gloire et excès / et chute brutale (cf. « Raging Bull », « Les Affranchis » ou « Casino »). Mais Scorsese est-il critique envers ce jeune loup aux dents acérées et qui veut faire sa fortune sur le dos des gens ? Ou se laisse-t-il plutôt fasciner par toute cette débauche de fric, de drogue et de sexe qu'il filme avec une grande précision (et une grande complaisance) ? Je ne sais pas mais j'ai ma petite idée : sans doute les deux... même s'il penche peut-être davantage pour la deuxième option. Scorsese a toujours été ambivalent dans ses films sur la mafia, souvent violents : il semblait comme ébloui par le clinquant de ses mafieux et leurs excès en tous genre. Seule la chute venait timidement les ramener à la réalité. Ici, on peut dire qu'on a droit à 3h de sexe en tout genre avec prise de toute une variété de drogues, brillamment documentées par la voix-off et la constatation des effets. Cela comporte deux dangers : 1) croire et faire croire que la finance « est vraiment comme ça », alors que c'est le fait, certes bien réel, de quelques individus seulement ; 2) inciter des jeunes à devenir à leur tour des traders cupides et dégénérés, avides d'argent facile, de sexe et de drogue. Car tout semble réussir aux anti-héros de Scorsese, et ils semblent s'éclater à fond. Pourquoi, dans ce cas, ne pas les imiter ? Tout comme le fameux « Wall Street » d'Oliver Stone en son temps, « Le Loup de Wall Street » sera sûrement (j'en mettrais ma main à couper) le déclencheur de bien des carrières de jeunes requins prêts littéralement à tout pour s'enrichir facilement et rapidement aux dépens des autres. Toutefois, je reconnais une chose à Martin Scorsese, c'est qu'il nous dit que personne n'est innocent : les pigeons arnaqués par Belfort et sa bande voulaient s'enrichir rapidement sans chercher à comprendre comment, tout comme l'assemblée du dernier plan, prête à recevoir les enseignements de Belfort pour à son tour devenir une bande d'arrivistes sans foi ni loi. De ceux qui exigent des rendements excessifs (ça peut être le petit retraité de Californie comme l'épargnant français de base) aux opérateurs de marché complètement immoraux, non, personne n'est innocent.

PS : il convient de noter qu'auparavant, la profession de trader ne nécessitait pas d'avoir fait d'études. Ce qui explique l'absence de vision de ces individus à l'époque, et aussi l'hypocrisie de l'époque actuelle qui forme des flopées de Bac + 5 pour faire de la vente pure et simple, d'où les mécanismes complètement tordus créés par ces têtes d’œuf frustrées, qui nous on conduit à la crise que l'on connaît.

[2/4]

jeudi 25 décembre 2014

« Le Bâton de Plutarque » d'Yves Sente et André Juillard (2014)

    Un album à destination hautement... commerciale. Je ne vois pas d'autre explication possible à sa raison d'être. « Le Bâton de Plutarque » fait partie de ces albums de bande dessinée qui sucent jusqu'à la moelle d'autres albums d'envergure. Qui n'hésitent pas à reprendre des personnages qui n'ont vocation qu'à apparaître une seule fois et disparaître dans l'ombre pour faire place à de nouvelles aventures (et ouvrir le champ à l'imagination féconde de tout artiste digne de ce nom, pour le plus grand bonheur des spectateurs/lecteurs). Ici, rien de nouveau. L'histoire prend place juste avant « Le Secret de l'Espadon », peut-être la plus grande réussite de feu Edgar P. Jacobs (qui doit se retourner dans sa tombe), et assurément l'une des plus grandes aventures du neuvième art. Et paresseusement, l'intrigue sommaire (digne d'un collégien de classe de troisième), déroule maladroitement ses entrelacs pour ouvrir sur le grand récit bien connu de tous les aficionados de « B & M ». Le problème est que tout est bancal. On repère la taupe de l'histoire à des kilomètres à la ronde. Les péripéties semblent cousues de fil blanc, tout est mécanique et semble creux, factice, juste bon à servir de prétexte. Le scénario est soporifique, et seule l'arrivée d'un personnage clé de l'univers jacobsien vient pimenter le tout. Mais lui aussi fait de la figuration, il a bien plus d'allure et d'épaisseur dans la suite des aventures de Blake et Mortimer, surtout sous le crayon de Jacobs en personne. Je l'ai déjà évoqué, le problème des aventures de B & M postérieures au maître est qu'elles doivent remplir un cahier des charges bêtement établi. On ne rend pas hommage à l’œuvre d'un artiste en la copiant fidèlement (et c'est vrai pour tout art et toute époque), mais en créant quelque chose de tout à fait neuf tout en s'en inspirant avec parcimonie. Et de fait, les meilleurs albums post-Jacobs (à savoir « L'Affaire Francis Blake » et « La Machination Voronov ») sont excellents parce qu'ils osent tout. Tout reprendre à zéro, tout remettre en question, changer totalement de cadre et proposer autre chose. Le pire cauchemar de tout artiste ou créateur est (ou devrait être) de s'enfermer dans des tics et une expression auto-référentielle des plus nombrilistes, pauvre et stérile au possible. Dans une parodie sans âme qui ne fait rire personne. Malheureusement, il semble que les continuateurs de B & M s'enfoncent de plus en plus dans cette direction...

[1/4]

dimanche 21 décembre 2014

« Timbuktu » d'Abderrahmane Sissako (2014)

    « Timbuktu » est le film qui devait être fait sur l'actualité brûlante du djihadisme barbare, qui s'est répandu comme une trainée de poudre au Moyen-Orient et en Afrique. Mieux encore, c'est un long métrage réalisé par un poète : au lieu de montrer l'horreur qui est l'apanage des extrémistes de tout poil (et au lieu de s'avilir comme eux dans cette complaisance de la violence), Sissako suggère, et nous offre un film d'une grande beauté formelle. Beaucoup de plans sont magnifiques, et il use avec talent du cinémascope. Il nous surprend même, quand son long métrage prend des atours de fable biblique ou coranique. Il oppose l'Eden du foyer familial, des époux et de leurs enfants, aux étrangers brutaux qui arrivent tout à coup pour semer le chaos et l'horreur (un exemple nous est donné avec cet homme qui mitraille une touffe d'herbes dans les dunes de sable, juste pour le plaisir et pour montrer sa puissance). Mais Sissako est un fin personnage : il nous représente les djihadistes comme ce qu'ils sont réellement, des pauvres hommes déracinés et fanatisés, qui préfèrent presque Messi et Zidane à Allah, qui ne peuvent s'empêcher de danser même si c'est proscrit, ou de fumer même si c'est interdit. Oui ce sont juste des hommes, embarqués dans une escalade de violence et de haine qui s'auto-alimente, sans échappatoire. La force du long métrage d'Abderrahmane Sissako réside surtout dans son humour, en ce qu'il montre avec humanité et bienveillance (certains le trouveront trop doux) l'absurdité totale du djihadisme tel qu'il est vécu par ces hordes de sinistres individus. Là encore il fait preuve d'intelligence lorsqu'il fait parler un imam face aux djihadistes, ce dernier leur expliquant que le djihad est avant tout intérieur, et mettant ces hommes qui n'hésitent pas à s'introduire armés dans une mosquée face à leurs contradictions. En quelques touches de pinceau, Sissako nous montre que les djihadistes ont tout faux, que leur Islam n'est pas le véritable Islam, que leur guerre n'est ni juste et encore moins sainte, en ce qu'elle brise des individus qui ne sont autres que leurs frères et sœurs, dans la foi comme dans cette nature humaine qui leur fait bien défaut. Heureusement nous dit Sissako, tout ce qui fait l'humanité : la bienveillance, l'amitié, le pardon, la culture, la musique, l'amour, tout cela survivra toujours à la haine et la violence de quelques individus. Puisse ce message d'espoir redonner courage à tous ceux qui souffrent encore aujourd'hui de la barbarie dans le monde...

[4/4]

samedi 29 novembre 2014

« La Petite Venise » (Io sono Li) d'Andrea Segre (2011)

    Modeste long métrage, « La Petite Venise » mérite pourtant que l'on s'attarde sur lui. Joliment filmé, éclairé par une photographie élégante bien que parfois un peu trop terne à mon goût, il s'agit surtout d'une belle histoire d'amitié entre un vieux pêcheur italien immigré de Yougoslavie, et une jeune mère chinoise immigrée en Italie, cherchant à faire venir son fils auprès d'elle. Forcément, leur amitié dérangera leur entourage : une telle différence d'âge, et surtout de culture ! Les amis italiens de Bepi se méfient des Chinois qu'ils jugent cupides et arrivistes, les Chinois ne veulent surtout pas faire de vagues et cherchent à éviter le scandale d'une relation entre une serveuse, Shun Li, l'héroïne, avec l'un des leurs clients. Je ne me risquerai pas à dévoiler davantage l'intrigue, sous peine d'en dire trop. Ce qui est remarquable dans ce film n'est pas tant l'interprétation un peu maladroite de certain acteurs, encore que Zhao Tao (égérie de Jia Zhangke), le personnage principal, est exceptionnelle, avec un jeu tout en nuance et en finesse, d'une grande subtilité. Ce qui est particulièrement réussi dans ce long métrage c'est la peinture de l'immigration et des difficultés que cela représente aussi bien pour les immigrés (quitter son foyer, son pays, sa famille, ses amis, sa culture, s'intégrer, subvenir à ses besoins matériels et financiers,...) que pour les populations locales (accepter l'étranger, accepter sa différence,...). Le réalisateur, Andrea Segre, ne juge pas : il témoigne. Et il le fait d'une façon très intelligente. L'autre personnage principal, le vieux Bepi, par exemple, est très finement brossé : bien qu'Italien, il est lui aussi immigré, et ressent de la sympathie pour la jeune Chinoise. Finalement nous sommes tous des immigrés semble nous dire Segre, et nous avons le devoir d'accueillir celui ou celle qui se présente à nous, démuni(e), seul(e), sans rien d'autre que sa bonne volonté et sa capacité à travailler. Une belle leçon d'humanité...

[2/4]

« Poulet aux prunes » de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (2011)

    Je vais être un peu dur avec ce film. J'aime beaucoup Marjane Satrapi et ses bandes dessinées. Son humour est à l'image de son coup de crayon : simple, enfantin, malicieux, drôle, sensible. « Persépolis » est une très grande bande dessinée et une réussite cinématographique, un véritable et excellent dessin animé. Et « Poulet aux prunes » a les qualités de « l'univers Satrapi » : c'est une très belle histoire d'amour contrarié dans les meilleurs moments du long métrage, doublée d'une peinture sociale de l'Iran de la deuxième moitié du XXème siècle fort convaincante. Mais c'est bien là le problème : ce film est inégal, malgré d'indéniables sommets. Il faut bien le dire, on s'ennuie poliment la majeure partie du temps, et l'on a du mal à trouver Mathieu Amalric sympathique... Tout droit sorti des films d'auteurs franchouillards chiants à mourir (pardonnez-moi l'expression), il plombe le long métrage par son humeur dépressive et suicidaire. Je ne me souviens plus trop de la bande dessinée originale, mais je l'avais plutôt bien appréciée dans mon souvenir. Prendre Amalric pour jouer le rôle principal était osé, mais un acteur inconnu aurait été sans doute préférable tant il en fait trop. Le film ne tourne plus qu'autour de lui, et les personnages secondaires peinent à ressortir. Le résultat est que l'on a de la peine à ressentir quoique ce soit pour les personnages et ce qui se trame à l'écran. « Poulet aux prunes » devient alors un long métrage tout à fait artificiel, aussi factice que son éclairage à la Jean-Pierre Jeunet. Bref, et ça me fait mal de le dire : sans âme. C'est vraiment dommage. Car quelques passages valent le détour : l'irruption inattendue d'Azraël, l'ange de la mort, incarné par un Edouard Baer méconnaissable, et surtout les moments avec Golshifteh Farahani, qui crève l'écran. Quelques éclats de lumière d'un diamant brut, malheureusement bien terne... 

[1/4]

samedi 1 novembre 2014

dimanche 7 septembre 2014

« La Poursuite infernale » (My Darling Clementine) de John Ford (1946)

    « La Poursuite infernale » n'est pas seulement un excellent John Ford. C'est avant tout un grand moment de cinéma, faisant la part belle aux morceaux de bravoure. C'est l'histoire d'un cow-boy se faisant shérif pour venger la mort de son frère et le vol de son bétail : le célèbre Wyatt Earp. Mais l'histoire ne s'arrête pas là : ce film regorge de seconds rôles extraordinaires, en commençant par le mystérieux Doc Holliday, homme tourmenté mi-gentleman mi-brute épaisse, en passant par l'aguicheuse Chihuahua et celle qui donne son nom au titre original du long métrage : la belle Clémentine, courageuse fiancée de Doc Holliday. Un foisonnement de seconds rôles (caractéristique du cinéma de Ford) des plus réjouissants. Certes, oui, comme l'indique Télérama, « La Poursuite infernale » est un western crépusculaire. C'est l'histoire d'un meurtre presque biblique, d'une quête sans fin, de la foi dans une justice qui vient réparer l'affront et punir le malfaiteur, mais qui reste humaine (Earp ne veut pas tuer l'assassin mais le mettre derrière les verrous pour le juger). C'est la confrontation entre la loi et l'ordre de la civilisation face à la barbarie de l'Ouest. Toutefois, John Ford ne donne pas à son film une orientation uni-dimensionnelle. Comme le titre original le laisse supposer, « My Darling Clementine » est aussi une histoire d'amour, et un instantané de la vie quotidienne dans l'Ouest américain, qu'il soit question de se faire raser chez le barbier (avec beaucoup d'humour) ou d'inaugurer une église, le temps d'une danse endiablée. Comme d'habitude chez Ford, on ne compte plus les séquences inoubliables, et ces moments de tension filmés avec trois fois rien, mais d'une force tellurique : la séquence du jeu de poker, du verre de champagne, de la tirade shakespearienne de l'acteur de théâtre, etc. etc. Et comme toujours, l'interprétation est parfaite. Henry Fonda est magistral en Wyatt Earp, tout comme Victor Mature en Doc Holiday. Mais tous les autres acteurs, du moindre frère Earp au violoniste à moustache, en passant par le barman, sont géniaux. « La Poursuite infernale », s'il n'est pas l'un des tous meilleurs Ford (encore que), n'en reste donc pas moins un grand film, réalisé de main de maître (et le mot n'est pas galvaudé).

[4/4]