dimanche 17 mai 2015

« Souvenirs goutte à goutte » (Omoide poroporo) d'Isao Takahata (1991)

    La première fois que j'ai vu ce film, ça n'a pas manqué : le ton nostalgique, le rythme lent, le manque d'une certaine poésie audacieuse ou de la touche épique miyazakienne, tout cela m'avait déçu. Tout comme pour « Le Château ambulant », maintenant que j'ai donné une seconde chance à ce long métrage sans en attendre la lune, mon avis diffère, et en bien !

Takahata réussit à dépeindre plus que deux époques (les années 1960 et 1980), il évoque avec brio deux âges de la vie d'une jeune femme : l'éveil de l'adolescence et le passage à proprement parler à la vie adulte (fin des études et début du travail). « Souvenirs goutte à goutte » nous conte les vacances d'une tokyoïte de 27 ans, Taeko, qui en prenant le chemin de la campagne, se remémore bien des souvenirs de son enfance, quand elle avait une dizaine d'années.

Les séquences alternent donc entre 1966 et 1982, celles de 1966 étant dessinées à l'aquarelle dans de jolies couleurs, tandis que 1982 est représentée dans les tonalités habituelles et sous le trait caractéristique du Studio Ghibli. Ce qui est intéressant, c'est le côté presque documentaire de l'exercice, car les souvenirs de Taeko rappellent bien des souvenirs qui nous appartiennent : la lutte (à l'usure !) pour obtenir telle ou telle chose de son père ou de sa mère, les cours qu'on juge trop difficiles, l'amour envers son ou sa camarade, les relations familiales avec les frères et sœurs, et bien sûr les parents,... De même pour la jeune femme de 27 ans, quand on approche cet âge, on vit le même genre de problématiques : la question de l'attrait pour un travail pas toujours très intéressant, la question du mariage, le choix de la vie à la ville ou à la campagne,...

Takahata réussit subtilement à aborder bien des thèmes qui nous touchent, et ce sans que l'on se rende compte de l' « artificialité » du dessin (toujours plus que relative chez Ghibli) : en bref, on se croirait devant un film « live » tant c'est bien amené, et plus encore, devant un film d'Ozu, tant ce long métrage respire la lenteur, la nostalgie et le soin apporté aux sentiments les plus fins, sans parler de la qualité toujours aussi prodigieuse de la l'animation. « Souvenirs goutte à goutte » est donc un film hautement recommandable, mais clairement à destination des adultes, sous peine d'endormir les enfants !

[4/4]

vendredi 1 mai 2015

« Le Serpent blanc » (Hakuja den) de Taiji Yabushita (1958)

    « Le Serpent blanc » est le pont entre Disney et Hayao Miyazaki, entre l'animation occidentale et extrême-orientale, entre le début et la fin du XXème siècle. Il s'agit d'un long métrage animé d'une grande qualité et d'une grande poésie, qui commence tout simplement pour s'achever non moins joliment. Les personnages sont bien dessinés, l'animation est fluide, et les petits animaux qui aident nos deux héros dans leurs aventures fantastiques sont fort sympathiques. Il s'agit d'un conte immémorial, l'histoire d'un petit garçon qui découvre un serpent blanc au marché et qui le ramène chez lui, mais dont ses parents veulent qu'il se sépare, ce qu'il finit par faire à son plus grand regret. Toutefois le serpent réapparaît bien plus tard sous les traits d'une jeune fille, et l'on se doute de ce qui va se passer. On retrouve plusieurs effets d'animation à la manière de Disney, et le couple d'amoureux comme les autres personnages secondaires aux traits animaliers rappellent à bien des égards les contes imagés de la firme américaine. Pour autant, c'est l'une des premières fois que l'intrigue se passe en Extrême-Orient, du moins pour un film de cette envergure. Même si l'animation est japonaise, il s'agit d'un vieux conte chinois. De même, un grand soin est apporté aux paysages tout ce qu'il y a de plus locaux. Tout cela ne pouvait qu'inspirer Hayao Miyazaki et lui donner l'envie de se dépasser, constatant qu'il est possible de créer des animés de qualité au Japon. Cependant, si ce long métrage a indéniablement ouvert des portes, il faut bien dire qu'il ne se hisse pas au même niveau de profondeur et de richesse que bien des films de maître Miya. Pour autant, il s'agit d'une œuvre très poétique, qui malgré des maladresses et quelques archaïsmes demeure une indéniable réussite. A voir, ne serait-ce que pour sa culture cinématographique.

[3/4]

« Princes et Princesses » de Michel Ocelot (2000)

    Comme tous les artistes dignes de ce nom, Michel Ocelot a compris ce qui fait l'essence des belles œuvres d'art : leur sens. Concrètement, qu'est-ce que ça veut dire ? Que peu importe la forme, un riche et beau sujet est inépuisable. Et quel sujet plus intemporel que l'amour ? Quels héros plus antiques et modernes à la fois que l'homme et la femme, le couple : le prince et la princesse ? Peu importe la forme, certes, encore que... Mais si la forme est sublime, comment ne pas se réjouir de l'idée toute simple et pourtant géniale de reprendre un même thème, subtilement décliné à l'infini, telles les variations d'un Bach ou d'un Vivaldi ? « Princes et Princesses » c'est cela : des histoires toutes simples servies par un visuel épuré mais néanmoins de choix, à la manière des théâtres d'ombres chinoises. Un sujet intemporel, une forme intemporelle, et le tout d'une beauté... On y sent toute la sensibilité de Michel Ocelot, mélange harmonieux de poésie, d'audace et d'humour. Ça aurait pu confiner à l'exercice de style, c'est finalement éclatant, passionnant, et beau, tout simplement. Certes, c'est parfois maladroit, mais c'est ce qui rend ces dessins, ces héros en deux dimensions d'autant plus humains. Chaque conte se distingue par son originalité, une approche et une époque différentes. Chaque conte est construit avec le même soin et la même « patte Ocelot ». Oui Michel Ocelot est un grand monsieur de l'animation française et mondiale. Merci à lui !

[3/4]

lundi 6 avril 2015

« Interstellar » de Christopher Nolan (2014)

    J'ai relevé quatre qualités à ce long métrage. Tout d'abord il rend hommage aux pionniers en tous genres, qu'ils soient astronautes ou simplement navigateurs du XVème siècle (ou encore pionniers du Far West). « Interstellar » est l'histoire d'un équipage humain perdu dans l'espace, espérant fonder une colonie pour y emmener des hommes et des femmes qui ne peuvent plus rien tirer d'une Terre dévastée par un environnement hostile. Et Nolan arrive à nous faire ressentir cette crainte mêlée d'espoir de ces aventuriers au courage hors norme. On suit l'intrigue sans jamais ressentir d'ennui, et l'on se dit que l'on pourrait être aussi bien dans une caravelle de Christophe Colomb que dans un vaisseau spatial tant ce genre de situations confine à l'universel, un universel de temps et de lieu. Bravo donc. Ensuite, second point positif, en nous faisant quitter la Terre, Nolan ne nous la fait que mieux aimer. Cela dit je ne sais pas si c'était voulu. Mais c'est un fait, quand le long métrage s'achève, on se dit qu'on est bien, et même très bien sur notre bonne vieille planète, si belle et si riche, si fragile aussi. Puis, troisième qualité que j'ai décelée : une certaine émotion que je ne pensais jamais pouvoir trouver dans un film de Nolan. Matthew McConaughey n'est pas trop mal même si pas toujours crédible malgré son expressivité parfois un peu excessive. Et il parvient tout de même à nous transmettre quelques sentiments touchants, notamment au début et à la fin de son aventure, aidé en cela par plusieurs acteurs de seconds rôles plutôt convaincants. Enfin, la musique. Hans Zimmer s'est vraiment dépassé, pour créer quelque chose d'original et de prenant. Elle donne vraiment une autre dimension, une profondeur à l’œuvre de Nolan.

    Maintenant que j'ai passé en revue les qualités de ce long métrage, passons aux défauts, qui sans être trop pesants, sont bien réels. Tout d'abord, difficile de faire un long métrage sur l'espace après « 2001 : L'Odyssée de l'espace », surtout quand on prétend marcher sur ses plates bandes ésotérico-philosophiques, et ce en dépit des défauts eux aussi bien réels du film de Kubrick. Nolan ne tombe pas dans l'écueil des effets spéciaux en toc (je pense à la séquence d'introduction kitchissime et pompeuse dans le Kubrick) : un point pour lui. Par contre il recrée quelque peu la même atmosphère oppressante dans l'espace, sauf que chez lui les robots sont gentils (à noter quelques clins d’œils à l'humour ravageur). Et la valse des vaisseaux spatiaux reprend celle de « 2001 ». Un point pour Kubrick donc. La musique de Zimmer a beau être réussie, elle ressemble étrangement à la célèbre musique viennoise de « 2001 » par moments... Et difficile d'éclipser l'originale. Un point pour Kubrick. Heureusement les émotions que l'on éprouve face à « Interstellar » dépassent de loin l'inhumanité qui règne dans « 2001 ». Un point pour Nolan. On se retrouve ainsi à deux partout. Là où je veux en venir, c'est que « Interstellar » ne dépasse pas « 2001 », et ne peut donc pas prétendre au titre de chef-d’œuvre absolu de la science fiction (d'autant que « 2001 » ne mérite pas le nom de chef-d’œuvre à mon sens, bien que ce soit indéniablement un film marquant). Ce qui me gène aussi dans le long métrage de Nolan, c'est son scénario tellement bien huilé que les personnages restent en deux dimensions. Nolan humaniste ? Rien n'est moins vrai. N'est pas John Ford ou Frank Capra qui veut. Non, Nolan est un entertainer de grand talent, tout comme un Cameron ou un Ridley Scott, mais ça s'arrête là. Ses personnages n'ont aucune épaisseur, ils servent le scénario alors que chez les « grands », le scénario, avec toute sa profondeur, sert les personnages. Et puis ce côté chien savant, petit génie du scénario en poupée russe m'agace. Lorsque j'avais critiqué « Inception », j'avais déjà cité Will Self qui disait à son propos : « Un film qui, loin d'être intelligent, n'est que l'idée que se fait un imbécile d'un film intelligent ». Je n'irai pas jusque là avec « Interstellar », qui pose avec un certain aplomb (et un certain succès) la question du futur de l'humanité sur Terre. Il n'empêche que le goût de Nolan pour les intrigues excessivement tordues est exaspérant. Et finalement, on ne retrouve pas dans ce film le souffle des grands chefs-d’œuvres du Septième art. Quand « Interstellar » s'achève, on reste avec un certain goût amer dans la bouche, et pas avec l'enthousiasme que nous transmettent les grands films dignes de ce nom.

Conclusion : sans être un grand film, « Interstellar » est un bon long métrage de science-fiction. Une réussite donc, et là encore je ne pensais pas pouvoir dire un jour cela d'un film de Christopher Nolan. Mais ça reste une œuvre de science fiction qui ne transcende pas le genre, à l'inverse du Tarkovski de « Stalker » et de « Solaris ». En effet, chez Tarkoski, la science-fiction est un moyen et pas une fin, contrairement à Nolan. Un moyen pour dire toute la beauté et la richesse de la vie humaine. Une richesse que l'on ne retrouve pas chez Nolan. Il ne reste plus qu'à lui offrir un exemplaire de chacun de ces chefs-d’œuvre, pas seulement de la science fiction, mais aussi du cinéma, voire de l'art du XXème siècle.

[2/4]

samedi 21 mars 2015

« Tokyo Fiancée » de Stefan Liberski (2014)

    Je ne connais Amélie Nothomb que de nom et de réputation, et je serai donc bien en peine d'évaluer la fidélité de ce long métrage à l’œuvre d'origine (si tant est que ce soit une question pertinente). A première vue, il semble que le réalisateur ait tenu à s'en démarquer quelque peu, ne serait-ce que par le choix de son héroïne, qui ne ressemble pas beaucoup à l'auteure belge malgré quelques traits en commun. Ce choix me semble bienvenu tant Pauline Etienne joue à merveille l'ingénue et la fan du Japon, tout en donnant vie à son personnage avec entrain. La réalisation fait très fabriquée au premier abord, voire artificielle (interludes avec ralentis, voix-off, cadrages méticuleux), mais c'est tellement bien amené que ça en devient évident et plaisant. Pour tout dire, il y a beaucoup d'humour dans ce film, et c'est ce qui fait sa force première. C'est un condensé de fraicheur, malgré ses thématiques un peu mélancoliques : comment s'adapter à un pays si riche de coutumes et de traditions que le Japon quand on vient de l'autre côté du monde, voilà la question centrale de « Tokyo fiancée ». Beaucoup de séquences sont très drôles et assez anthologiques, jouant de ce ton aigre-doux particulier qui baigne tout le long métrage. En bref, acteurs, réalisateur, directeur de la photographie, compositeur, tous tiennent leur rôle avec talent et réussissent à faire de ce film un joli instantané mi-joyeux, mi-nostalgique des relations fascinées (et assez fantasmées) qu'entretiennent le Japon et la France. Une bonne surprise !

[3/4]

« Le Très-Bas » de Christian Bobin (1992)

    Cet ouvrage est probablement l'un des, sinon le chef-d’œuvre de Christian Bobin. A vrai dire, tout comme « Andrei Roublev » est un film à la fois historique, hagiographique et autobiographique pour Andreï Tarkovski, ce dernier mettant en scène un moine-peintre d'icônes dont la destinée et les préoccupations rejoignent les siennes, « Le Très-Bas » raconte l'histoire de François d'Assise, ce moine-poète au service des pauvres et amoureux de la nature, et l'on comprend aisément que c'est Bobin qui se dépeint à travers les traits du fondateur de l'un des principaux ordres mendiants. Condensé de poésie et de subtilité, ce livre renferme une vision enchanteresse du monde, une vision exaltée de la nature dans sa simplicité et sa beauté pure. Mais Bobin ne chante pas seulement les merveilles des bois et des bêtes, il chante avant tout et surtout l'amour d'une mère pour son fils, ou l'amitié féconde de deux êtres épris des autres : Claire et François. Ce qui fait toute la richesse de cet ouvrage, c'est non seulement l'emploi d'une langue magnifiée, finement ciselée, poétique et signifiante à souhait, mais aussi la réflexion sur l'essence de la vie que nous livre Christian Bobin. Nous ne sommes certainement pas tous destinés à vivre dans le dénuement le plus total. Mais Bobin fait bien de nous rappeler que toute vie n'est pleinement vécue que dans le don de soi. Un livre qui est appelé à devenir un classique de la langue française, sans aucun doute.

[4/4]

dimanche 1 mars 2015

« Le Château dans le ciel » (Tenkū no shiro Rapyuta) d'Hayao Miyazaki (1986)

    Après avoir vu tous les longs métrages d'Hayao Miyazaki, dont certains au moins deux fois, j'en arrive à la conclusion suivante. Deux films surnagent parmi cette douzaine d'authentiques chefs-d’œuvre : « Totoro »... et « Le Château dans le Ciel ». Parlons de ce dernier. A mon sens, il s'agit d'un film parfait. Parfait parce que sans défaut, mais surtout, parce que poétique au possible, merveilleux, entraînant, subtil, divertissant tout en conservant une grande profondeur. Ce n'est pas un long métrage aride, parfait car lisse, austère, non, il est parfait pour moi car je n'ai jamais vu mieux. Oui, c'est un film très sensuel. Et poétique, je me répète. J'en veux pour preuve cette magnifique séquence d'introduction : une petite fille tombe du ciel, lentement, doucement, pour arriver dans les bras d'un petit garçon, émerveillé et surpris à la fois. Et c'est là que tout commence. Mélange d'histoire d'amour et d'amitié, mais aussi de pure aventure, « Le Château dans le ciel » est peut-être avec « Totoro » le film le plus universel de Miyazaki. Les valeurs de l'entraide, du courage, de la curiosité, de la débrouillardise, et de l'amour, toujours, y sont exaltées. Et puis cette exubérance visuelle, cette inventivité permanente est extraordinaire. Tout semble possible pour Miyazaki. C'est bien lui qui est allé le plus loin dans le domaine de l'animation, car il est allé chercher ce qu'il y avait de meilleur dans son cœur de poète ainsi que ses yeux et ses mains de dessinateur : un conte pour enfants (et adultes n'ayant pas perdu leur âme d'enfant) intemporel. Avant, je n'attribuais pas la note suprême à ce film car j'avais toujours à l'esprit ce méchant assez manichéen. Et en fait non, peu importe. Le mal existe, il ne sert à rien de le masquer. L'important c'est que le bien triomphe. Que l'innocence vienne à bout de la noirceur qui peut régner dans ce monde. Que des enfants puissent sauver l'humanité, précisément car ce sont des enfants, au cœur pur. Et puis toute cette galerie de seconds rôles, est comme d'habitude chez Maître Miya, réjouissante : des pirates facétieux et maladroits, un vieillard esseulé, perdu dans une mine, un chef ouvrier grognon mais humain... Et comment ne pas évoquer la musique de Joe Hisaishi, qui comme toujours vient sublimer le tout, donner une dimension supplémentaire à un film déjà exceptionnellement riche par bien des aspects ? D'autant que n'ai pas parlé de tout ce mystère autour de Laputa, la fantastique île volante. Cette partie là aussi du long métrage est intrigante, mystérieuse et fascinante. En fait, et j'en reviens à ma conclusion : tout dans ce film est réussi. Tout. Et je crois que je pourrais le revoir des dizaines et des dizaines de fois en étant toujours aussi ému. Rares sont les œuvres dont je peux affirmer cela, tous arts confondus... « Le Château dans le ciel » en fait indéniablement partie.

[4/4]

« Vol de Nuit » d'Antoine de Saint-Exupéry (1931)

    « Vol de Nuit » est un roman extraordinaire. A partir de l'aviation, et plus précisément d'une nuit au temps capricieux, Saint-Exupéry nous dit tout de la vie. Certes, d'abord, de la vie des pilotes de l'Aéropostale, et de leurs proches, toujours dans l'appréhension d'un accident mortel. Mais aussi de la hiérarchie de cette organisation, faite de chefs courageux et rudes, de pilotes jeunes et téméraires, et de bureaucrates ratés. Et enfin de cette joie de voler dans les airs, de quitter la terre pour mieux la rejoindre le temps d'une escale brève mais salutaire, de frôler les nuages, de saluer les étoiles,... Ce sentiment de liberté qui étreint les pilotes, nous le ressentons intensément grâce au talent de conteur de Saint-Ex, qui sort sa plus belle plume pour rendre hommage à ses amis pionniers. La poésie est omniprésente dans cet ouvrage, notamment dans ces descriptions magnifiées du ciel et de la nature, belle mais farouche. Mais aussi dans la description de la psychologie et des sentiments des personnages. Le passage sur la femme du pilote est à tomber. Je n'ai rien lu d'aussi beau, sensuel et subtil à la fois. Les personnages sont toujours complexes chez Saint-Ex, car riches de contradictions, comme tout être humain qui se respecte. Ainsi en va-t-il de la figure tutélaire de Rivière, ce chef intraitable, prêt à sacrifier ses hommes pour sa cause, ou plutôt une cause qui les dépasse tous : aller au-delà de ses limites physiques et psychologiques pour servir l'humanité. Toutefois pas de doute, il aime ses hommes, et s'il est particulièrement sévère, c'est parce qu'il veut les préserver de l'erreur funeste. Car dans le ciel, le moindre écart peut signer la fin de l'équipage. Mais Saint-Ex ne nous dépeint pas un chef aride, suffisant : Rivière doute. Qu'est-ce qui vaut plus que la vie humaine ? Qu'est-ce qui vaut que l'on décolle la nuit pour arracher à la pesanteur le courrier, symbole de la vie d'un continent ? Pourquoi vivre, et pourquoi vivre ainsi ? Tant de questions qui restent (apparemment) sans réponse, mais dont Saint-Ex nous fournit, discrètement, des propositions merveilleuses : le courage et l'espérance ne sont pas vains. Et ça, c'est une certitude.

[4/4]

jeudi 12 février 2015

« New York-Miami » (It Happened One Night) de Frank Capra (1934)

« New York-Miami » est la matrice de la comédie romantique actuelle et de la screwball comedy des années 30-40. Tout dans ce film est réjouissant : le couple d'acteurs principaux, au physique si particulier, Clark Gable et Claudette Colbert, les dialogues, vifs et piquants, irrésistibles, la mise en scène, fluide et inventive sans trop en faire, la photographie, réservant de belles séquences, notamment dans la nature,... Ce long métrage fait partie des meilleurs Capra, et autant le dire tout de suite, cela signifie que c'est un film d'une grande qualité et rafraichissant au possible. Un divertissement fin et intelligent, en somme, une rareté à notre époque ! Il paraît que l'ambiance était exécrable durant le tournage, les acteurs ayant été forcés de faire ce film par leurs producteurs : rien ne transparaît à l'écran, c'est dire leur professionnalisme. Au contraire, on sent une grande complicité entre Gable et sa partenaire, pimentée d'un brin d'agacement qui retarde à la toute fin des retrouvailles qu'on espère et qu'on devine depuis le début. Et comment ne pas évoquer l'humour omniprésent ! Que ce soit visuellement ou dans les dialogues, Capra a l'art de rendre le moindre évènement joyeux, de rendre la vie quotidienne euphorique, en partant de détails anodins ou de situations vues mille fois. Comme à son habitude, il utilise les clichés les plus rebattus pour mieux les faire voler en éclat. A ce titre, nombre de personnages sont ambivalents, apparaissant sous une dimension au début, et se révélant tout autre au fil du temps. Je n'en dis pas plus, mais vous comprendrez ce que je veux dire en regardant ce film : Capra a également l'art de surprendre. Rien ne lui résiste, encore moins le spectateur, qui ne peux que fondre devant ces personnages si attachants. En bref, un classique indémodable, et un film au charme envoutant. A voir !

[4/4]

samedi 7 février 2015

« Souvenirs de Marnie » (Omoide no Mānī) de Hiromasa Yonebayashi (2015)

    « Souvenirs de Marnie » est un Ghibli à part, par bien des aspects, malgré la qualité toujours aussi irréprochable du dessin. Tout d'abord il tourne autour d'une héroïne mal dans sa peau, timide à l'extrême et de surcroît asthmatique. Les héroïnes vaillantes, fières, courageuses de Miyazaki et Kondo semblent bien loin. Ensuite, l'ambiance est sombre, parfois effrayante. Là encore, plus aucune trace de la joie miyazakienne, voire du comique takahatien. Et enfin, c'est probablement le film du célèbre studio japonais le plus ambivalent. Et là, je dois dire que c'est très particulier. Chaque instant du long métrage (si l'on excepte la fin qui, heureusement, vient tout résoudre en apportant une grande bouffée d'air frais) menace de tomber dans l'excès, un excès que l'on craint graveleux, sordide. Mais non, ouf, on y échappe. Et ainsi de suite, jusqu'aux 10 dernières minutes. Les scènes de tension, presque anthologiques, sont légion, et l'on se demande assez rapidement où le film et son réalisateur veulent en venir. Ghibli nous avait habitué à des longs métrages plutôt francs du collier, directs, simples (mais d'une simplicité salutaire, solaire même). Ici tout est compliqué, tortueux, et toujours à la limite du borderline. Le carcan moral qui soutient, l'air de rien, les précédents films signés Ghibli semble fondre sous la chaleur du cœur en fusion de l'héroïne, prêt à exploser de mal être. Heureusement, donc, la fin vient expliquer et dénouer l'histoire, dont on ne faisait qu'entrapercevoir à grand peine le sens, bien tourmenté, mais rationnel il est vrai, et non dénué d'intérêt au demeurant. Toutefois, « Souvenirs de Marnie » marque bel et bien une rupture dans la production du studio. Miyazaki et Takahata, avec toutes leurs influences, à savoir le cinéma japonais, américain et européen de la première moitié du XXème siècle, surtout, tirent leur révérence. Ils laissent la place, en l'occurrence, à un cinéaste de toute évidence nourri au cinéma japonais de la deuxième moitié du XXème siècle, plus angoissé et terrifiant, plus adulte pourrait-on dire, plus sombre en fait. Et là se pose la question du futur : le studio peut-il poursuivre dans cette direction ? Il doit se réinventer, certes, et faire place nette aux jeunes générations. Mais doit-il pour autant s'engager dans cette voie, au risque d'aboutir à une impasse ? La pause intimée par Toshio Suzuki, le talentueux producteur du studio nippon, est éloquente : Yonebayashi est-il réellement un successeur de taille pour Miyazaki et Takahata ? Rien n'est moins sûr.

[2/4]