samedi 16 avril 2011

« Nostalghia » d'Andreï Tarkovski (1983)

    « Nostalghia » est peut-être, sans en avoir l'air, le film le plus douloureux d'Andreï Tarkovski, celui où se concentre de la façon la plus évidente toute la tension de l'existence humaine. Il n'y a d'ailleurs pas à proprement parler d'intrigue, il s'agit plutôt de la retranscription imagée de la vie, cette éternelle attente où hommes et femmes, fous et sains d'esprits, étrangers ou autochtones, tous aspirent à combler un manque, leur manque, et à embrasser l'infini. La nostalgie en est la manifestation même : ce sentiment indicible et ô combien ambivalent, à la fois autodestructeur et source d'un doux réconfort, peut-être par trop illusoire... « Nostalghia » est bien le long métrage de l'irréconciliable ambiguïté terrestre... Mais il propose un chemin à suivre, une réelle issue, pour qui sait l'entr'apercevoir. « Nostalghia » est l'oeuvre d'un artiste et d'un homme au soir de sa vie, une oeuvre pleinement aboutie, magnifique, exceptionnellement riche, celle d'un maître du cinématographe. C'est aussi l'oeuvre d'un homme qui a eu le loisir de contempler toute la vanité humaine, tous les faux-semblants dont l'humanité se pare et dans lesquels elle s'enfonce toujours davantage pour mieux s'y perdre. Au premier rang desquels l'on trouve cette insatiable soif de matérialisme, qu'il dénoncera de manière encore plus vive et efficace dans « Le Sacrifice ». J'ai été particulièrement surpris de découvrir une nouvelle facette d'Andreï Tarkovski avec ce long métrage, on l'y découvre un peu plus charnel, sensible (cette bande-son! ces couleurs!), un peu plus amer, un peu plus drôle, un peu plus serein... Et toujours cette petite lueur d'espoir au milieu de l'immensité du monde... Incroyable comme il parvient à simplifier son art, le rendre plus clair, plus limpide, et à la fois plus riche, encore plus profond et touchant... Bref, un chef-d'oeuvre de plus pour cet extraordinaire cinéaste.

[4/4]

« Un Prophète » de Jacques Audiard (2009)

    C'est donc ça le Grand Prix de Cannes 2009? Un ersatz des « Affranchis » de Scorsese ou du « Parrain » de Coppola? Soit à peu de choses près un équivalent français des derniers James Gray? Oui, j'en ai bien peur... Pourquoi tant de bruit alors pour si peu? Peut-être car Audiard est l'un des seuls français à avoir su créer le film « à l'américaine » dont tout le monde rêvait depuis des années, un peu comme Melville en son temps, mais en moins bien. Car ce fameux film « à l'américaine » n'est rien d'autre qu'une convention dans laquelle sont embourbés nos amis d'outre-Atlantique, et ce que fait Audiard c'est y sauter allègrement à pieds joints! Contrairement à Melville, Audiard n'a en effet aucune « personnalité cinématographique ». Que faut-il pour réaliser un long métrage « à l'américaine »? Une mise en scène qui ne se voit pas trop mais un peu tout de même (il faut bien donner l'illusion que l'on sert à quelque chose, surtout si ça permet de récolter une statuette), du rythme, de l'action, des personnages de gangsters, une musique homéopathique, une histoire d'ascension et de chute,... Et c'est à peu près tout : cahier des charges dont Jacques Audiard s'est acquitté à merveille. Il est de plus secondé par d'excellents acteurs : Niels Arestrup et surtout Tahar Rahim, belle révélation du film. Il rejoint ainsi la sphère où évolue un certain Jean-François Richet (et ses « Mesrine »), celle du polar français « à l'américaine ». Maintenant est-ce bien de cinéma dont on parle, voire d'art cinématographique? Je n'en suis guère convaincu... Rien de bien original dans le fond ou dans la forme ne vient en effet appuyer la nécessité d'un tel long métrage. Oui c'est plutôt bien joué, oui c'est assez prenant (et encore...), mais non on n'en ressort pas grandi, non ça n'est pas spécialement « beau », non ça ne laisse aucun souvenir impérissable... C'est peut-être tout simplement que Jacques Audiard n'a rien à dire... « Un Prophète » touche quelque peu aux rivalités identitaires, à une sorte de relation père/fils, au parcours initiatique,... Mais ce ne sont que le fruit de conjectures, d'ailleurs fort heureusement Audiard adopte une relative sobriété de ton qui ne fait pas peser l'ensemble d'un côté ou de l'autre... Reste que l'on est dans le conventionnel à tout va, et que je ne peux me résoudre à qualifier d'artistique cet énième film de gangsters palot, surtout si c'est ce conformisme absolu que l'on récompense à Cannes... Complètement anecdotique.

[0/4]

vendredi 15 avril 2011

« Les Amants du Pont-Neuf » de Leos Carax (1991)

    Le stéréotype du drame misérabiliste français. Exactement ce que l'on est en droit d'attendre du bobo/cinéphile/parisien jusqu'au bout des doigts en manque d'inspiration, ou encore du trentenaire/adolescent attardé qu'était certainement Leos Carax à l'époque où il tournait ce film. Un film qui ne dépareillerait pas aux côtés du fameux « Subway », autre fleuron du cinéma français infantile/rigolo/foufou/criard/nigaud estampillé fin des années 80. Comment un être humain a-t-il pu nous pondre un truc pareil? Tentons de nous mettre dans la peau du bonhomme : j'aime le cinéma et je veux même être artiste, et puis de toute façon je me dis que ça ne doit pas être bien compliqué de faire un film. Oui mais par où commencer? L'art c'est quoi au fait? Bah c'est des émotions, et puis c'est joli aussi! Tiens si je racontais l'histoire émouvante de deux clodos dont l'une a un oeil en moins et dont l'autre voit son pied se faire  écraser en direct par une voiture alors qu'il se racle la tête contre le bitume... Où se tiendrait l'histoire? Tiens attends que je regarde à ma fenêtre : le Pont-Neuf, parfait, on s'y bourre la gueule le samedi soir entre potes et j'y viens quand j'ai un chagrin d'amour. Bon maintenant que va-t-elle raconter cette histoire? Elle va parler d'amour bien sûr! Et de la dureté de la vie! Donc oui la vie c'est dur, l'amour c'est beau. Une fois qu'il nous l'a fait comprendre Carax se gratte la tête, que dire? Le marteler, encore et toujours plus. Plus de dureté, plus d'amour, du choc, de la merde, du vomi, et des pleurs. Ah oui un peu d'automutilation et de claques dans la tronche aussi... Mince, que dire d'autre... Ah oui pour vivre il faut de l'espoir! Mmm, que dire encore... Euh, les parents c'est chiant! Bon, et ensuite, qu'est-ce qu'ils vont faire alors les personnages? Bah ils vont courir et sauter partout quand ils sont contents, et puis ils vont se taper la tête contre les murs quand ils seront pas contents. Ah tiens je l'avais pas déjà fait ça? En bref, l'écriture y est d'une médiocrité confondante : Besson n'a qu'à bien se tenir! Carax est un torturé, alors il fait subir à ses personnages les pires atrocités physiques. Il ne sait pas pour autant nous les rendre sympathiques, il les filme juste d'un point de vue extérieur, niveau primaire de l'art cinématographique. 95% du film est filmé de la même façon : au premier degré. Tout est au premier degré : les dialogues, l'humour, l'interprétation... D'ailleurs c'est à peine si Binoche croit à son rôle... Elle qui était si belle, à croire que Carax avait une dent à son encontre, j'ai honte pour elle tant son rôle est à pleurer... Et je ne parle pas de la séquence sur la plage, inoubliable, avec Denis Lavant à poil en contre-jour... Très charmant! Et puis le troisième personnage principal, Paris bien sûr! Et Paris c'est quoi? L'accordéon, les bistrots, la Seine, la peinture, le musée... et le Pont-Neuf! En somme, le film que j'aurais réalisé à 12 ans. Heureusement pour tous, je ne l'ai pas fait, malheureusement Carax a osé...

[0/4]

jeudi 14 avril 2011

« L'Ange exterminateur » (El Ángel exterminador) de Luis Buñuel (1962)

    Extraordinaire! « L'Ange exterminateur » est probablement l'un des tous meilleurs films de Luis Buñuel, l'un de ses plus aboutis, l'un de ses plus profonds... Car l'un de ses plus ambigus! On peut certes y voir une satire mordante de la haute bourgeoisie, difficile de soutenir le contraire tant c'est la spécialité du cinéaste espagnol. Mais à mon sens la force de ce long métrage ne réside pas là, et son propos (s'il y en a bien un, ce dont je ne doute point) est autrement plus riche : il s'agit tout autant d'une violente charge contre l'étiquette et tout ce qui ressemble à des conventions, contre l'Eglise catholique, et peut-être même — et surtout — contre la raison. S'il s'attaque si férocement à cette dernière c'est qu'elle emprisonne l'esprit humain en lui donnant des solutions qu'il se doit d'accepter (tout l'y pousse), mais qui de toute évidence ne suffisent pas... A quoi ne suffiraient-elle pas? A combler le désir sexuel? Le désir tout court, c'est-à-dire un désir d'une autre nature? A apaiser la peur de la mort? La réponse ne nous est pas donnée, le spectateur est abandonné au milieu des images et des sons. Inutile donc de chercher un discours construit (du moins construit en termes de dialogues se suivant justement rationnellement), la trace d'un argumentaire... « L'Ange exterminateur » est une merveille de suggestion opérant uniquement par les moyens du cinématographe, s'adressant à tous nos sens, laissant l'esprit dans un profond désarroi. Et je ne parle pas seulement de ce que l'on peut prendre un peu hâtivement pour des symboles ou encore de l'absurdité de certaines conversations, mais de l'ensemble. Circonscrire ce long métrage à certains de ses passages le dessert, et c'est d'ailleurs là que l'on peut se rendre compte de son niveau d'accomplissement : retirons un élément de « L'Ange exterminateur » et il perd irrémédiablement quelque chose, tant il est proche de la perfection.

[4/4]

mercredi 13 avril 2011

« City Girl » de Friedrich Wilhelm Murnau (1930)

    Malgré qu'il ait été remanié par la Fox, et que l'on soit bien en peine de savoir jusqu'à quel point la version actuelle de « City Girl » est proche de celle imaginée à l'origine par Murnau, son avant dernier long métrage porte indéniablement sa marque, et l'on peut même avancer qu'il figure en honorable position dans sa riche filmographie. « City Girl » est très américain dans son traitement esthétique et scénaristique (on pense à Ford, Kazan,...), sans que l'on puisse trancher définitivement une fois encore entre une probable évolution du style du cinéaste allemand ou l'intervention a posteriori de tiers au montage. Comme plusieurs commentateurs le suggèrent, j'y vois pour ma part un film continuant dans le sillon tracé par « L'Aurore », qui lui était encore fortement sous influence expressionniste, alors que « City Girl » semble avoir parachevé l'assimilation par Murnau d'une façon de faire américaine, plus simple, abandonnant les complexes mouvements d'appareils, même si ça et là des jeux d'ombres ou la maîtrise de la caméra viennent rappeler l'illustre passé du réalisateur. L'intrigue porte en elle des tensions évoquant là aussi « L'Aurore » : il est question d'un jeune couple marié apprenant à se connaître et devant faire face aux multiples tentations comme à la violence du monde, qu'elle prenne les traits du père particulièrement austère ou des regards lubriques des hommes. On retrouve de surcroît l'opposition ville/campagne de « L'Aurore », la métropole étant particulièrement sombre, étouffante et fatigante, fourmillant de badauds affairés, alors que la campagne est parée d'une lumière radieuse, magnifiée par les grands espaces qui lui confèrent une immédiate sensation de liberté. Murnau évite fort heureusement les lieux communs en dépassant cette dichotomie comme il avait su si bien le faire auparavant, tout en ancrant son film dans un cadre archétypique qui lui confère une solide unité. Le caractère viscéral de l'histoire, simple mais forte, abonde en ce sens : « City Girl » n'est certes pas l'un des plus grands films de Murnau (et encore !), mais c'est l'un de ses plus beaux et immédiats.

[4/4]

mardi 12 avril 2011

« Interstella 5555 » de Leiji Matsumoto (2003)

    Si j'étais indulgent, je dirais qu'« Interstella 5555 » est à réserver aux fans de Daft Punk, et je m'arrêterais là. Mais je ne le serai pas. Pour être honnête, le présent « long métrage » est proche de l'arnaque : si vous connaissiez déjà les clips des titres phares de l'album « Discovery » sorti en 2001, alors vous avez presque tout vu du « film » dont il est question, si l'on peut qualifier de « film » ce vague prétexte consistant en l'histoire mise en images de la capture d'un groupe de rock extraterrestre par un manager démoniaque... Avec un peu de bonne volonté on pourrait y voir une métaphore du « star-system »... Mais au vu de la piètre qualité de l'ensemble, musique comme animation, difficile d'y voir grand chose tout court. Je m'abstiendrai par ailleurs de parler des paroles, et me refuserai à les traduire en français, par respect pour le lecteur. Que reste-t-il donc d'« Interstella 5555 » une fois qu'on l'ait soumis à un sommaire examen critique? Rien. Il s'agit juste d'un clip étiré plus que de raison, d'une boutade, d'un « rêve de gosse » enfin réalisé. En effet, à 10 ans il est possible que l'on soit fasciné par cette musique mi-rock, mi-électro, mi-disco, avec beaucoup (euphémisme) de samples et d'idées « piochées » à droite à gauche. On a ainsi l'impression d'écouter de la musique de grands, et Daft Punk ratisse tellement large qu'on écoute un peu de tout à l'occasion... On peut aussi écouter « Discovery » en boîte, à la boum de son anniversaire, en concert : parfait! En réalité, le film est à l'image de l'album : un mélange de mauvais goût, qui passe encore les premières fois qu'on y goûte (à 10 ans en somme), mais qui retourne l'estomac assez rapidement... Le gros point fort de Daft Punk est finalement leur image, mais cette fois-ci en tant qu'image marketing : leurs tenues robotiques leur donnent l'allure qui manque à leur musique, et donnent une « cohérence » (comprendre une portée artistique) à tout ce qu'ils touchent. Il ne manquait plus qu'un mangaka japonais pour asseoir leur réputation et fasciner les geeks du monde entier, et voilà de quoi assurer leur succès. Chose faite avec « Interstella 5555 ». Quant à parler de cinéma...

[0/4]

dimanche 10 avril 2011

« At Land » de Maya Deren (1944)

    J'étais sévère avec « Meshes of the Afternoon », je le serai plus encore avec « At Land ». Au risque de passer pour un rustre, j'avoue n'avoir guère été enchanté par ce court métrage sibyllin... C'est à peine si j'y vois quelque chose : des associations d'idées, de la psychanalyse, des pulsions, du surréalisme et c'est à peu près tout... J'y vois aussi une artiste qui semble faire sienne l'écriture cinématographique, mais qui paradoxalement me donne la fâcheuse impression d'avoir affaire à du déjà-vu... J'y vois beaucoup de « trucs », d'effets, mais difficile d'être touché par quoique ce soit... En bref, une fois encore j'y vois quelqu'un qui sait comment représenter l'onirisme à l'écran, mais qui peine à dépasser ce stade. Non pas que ce court métrage soit dénué totalement de sens, mais son envergure m'apparaît décidément toute relative, et je ne parle bien évidemment pas de sa concision temporelle. Que dire de plus sinon mon profond désarroi une fois de plus devant ce que l'on appelle non sans une certaine complaisance « cinéma d'avant-garde »...

[1/4]

samedi 9 avril 2011

« Black Swan » de Darren Aronofsky (2011)

    Finalement il l'a fait. Darren Aronofsky aurait pu continuer sur la voie de « The Wrestler » et son académisme « tendance » (à tendance misérabiliste pour être juste), mais il s'est ressaisi et nous a réalisé un film presque aussi osé que « The Fountain ». « Black Swan » est un véritable choc cinématographique, artistique et physique, le cinéaste américain, comme à son habitude, n'épargnant guère le spectateur... Un choc donc, qui me laisse penser qu'un deuxième visionnement ne sera pas aussi riche. Mais pour le moment évoquons ce premier aperçu : il fut grisant. Depuis longtemps je n'avais vu au cinéma un film fraichement sorti aussi maîtrisé, aussi cohérent, aussi dense dans son propos (malgré ses apparences réductrices)... D'autant qu'à chaque instant il risque de s'effondrer sur lui-même, puis nous surprend et repart de plus belle. Il faut en effet remarquer tout d'abord la maîtrise du rythme d'Aronofsky. Son long métrage est une lente montée en puissance entrecoupée de brefs instants de relâchement qui équilibrent le film, et il parvient à plonger le spectateur dans une fascination quasi-constante pour ce qui se trame à l'écran, fascination au diapason du ressenti de l'audience, viscéralement identifiée à l'héroïne. A ce propos, parlons de Nathalie Portman : elle est ici parfaite. Aronofsky n'est pas tendre avec elle, mais elle parvient à jouer avec la plus grande des subtilités la multitude des sentiments qu'éprouve cette danseuse à la volonté de fer. Vincent Cassel quant à lui n'est pas très à l'aise avec l'anglais et fait un peu trop figure de faire-valoir, mais il s'en sort honorablement. Le reste de la distribution est tout aussi appréciable. Mais revenons au film en lui-même : ce qu'il dit de l'art et de l'artiste n'est que trop vrai, tant il s'agit d'une discipline qui nécessite une implication physique et mentale totale, aux conséquences que l'on sait. Et la façon dont Aronofsky le dit, c'est par les images (et quelles images!) ainsi qu'à l'aide d'une excellente bande-son, ce qui me permet d'avancer qu'il a bien réalisé une oeuvre cinématographique digne de ce nom. On pourra regretter que l'art de la suggestion soit aussi relatif chez lui, c'est certain. Toutefois soyons honnêtes : « Black Swan » est une réussite, et Darren Aronofsky est bien à mon sens l'un des rares cinéastes du moment à suivre, même s'il lui reste encore bien du chemin à parcourir pour faire date dans l'histoire du septième art.

[2/4]

« Meshes of the Afternoon » de Maya Deren (1943)

    S'il fallait choisir parmi ces mots barbares en -isme pour qualifier le court métrage de Maya Deren, nous pourrions opter pour celui de minimalisme. Mais peut-être serait-il possible de trouver mieux, non? Essayons avant-gardisme, à coup sûr l'on ne peut se tromper! Un peu trop facile... Surréalisme alors? Oui mais l'on peut y mettre tout ce qu'on veut... Psychologisme? Nous n'en sommes pas loin, mais tentons de trouver un terme moins « clinique »... Narcissisme? On y est, voilà qui me convient. Maya Deren se filme en train de jouer (à l'artiste) et se regarde filmer. J'aurais certes pu parler d'onirisme, d'« onirisme pour les nuls » en ce cas, tant il est difficile de faire abstraction des conditions de tournages pour le moins chiches de ce film, et tant le registre citationnel tourne à plein... Un petit peu de Dulac par ci, un petit peu de Cocteau par là, du vent dans les cheveux et des voiles sombres qui s'envolent mystérieusement... Et voilà, nous obtenons « de l'art »! Je suis un peu sévère il est vrai avec ce court, il possède une certaine cohérence, je me risquerai même à y voir une certain sensualité... Mais difficile de réprimer un sourire narquois devant l'étalage de procédés de cette oeuvre que l'on qualifierait significativement d'« arty » si elle avait été tournée récemment. Le cinéma de Maya Deren lorgne ostensiblement du côté du rêve, de l'inconscient. Mais à trop vouloir en faire la vraisemblance de son film en prend un sacré coup... Car le résultat manque finalement de subtilité et d'ambivalence, on pénètre bien trop facilement de cet « autre monde », d'autant que ce qu'on y trouve n'est pas vraiment renversant... Des symboles, c'est à peu près tout. Bergman ou Tarkovski sont bien loin...

[1/4]

lundi 4 avril 2011

« The Brown Bunny » de Vincent Gallo (2004)

Un homme, Bud Clay, traverse les Etats-Unis pour rentrer chez lui et rejoindre sa femme Daisy. En chemin, il aborde des femmes au nom de fleurs, puis les abandonne, ne cherchant visiblement qu’à retrouver l’image de Daisy (Marguerite) à travers ces visages d’inconnues. Plus il se rapproche de sa destination, plus il semble souffrir. Des visions d’instants passés avec sa femme l’envahissent, des larmes coulent sur son visage. On soupçonne que quelque chose a mal tourné, on pense à une séparation brutale, à l’image du couple Travis/Jane de « Paris Texas », que le film de Gallo nous évoque à plusieurs reprises. Bud et Travis semblent atteint du même mal. Un fantôme les hante, fantôme qu’ils finiront par retrouver, soit pour se libérer (Travis), soit pour définitivement s’oublier (Bud, devenant fantôme lui-même). A sa sortie, le film de Gallo avait fait couler beaucoup d’encre. Les commentaires avaient été nombreux et passionnés, principalement axés autour de la personnalité du réalisateur-à-tout-faire Gallo (sur laquelle nous ne nous arrêterons pas), mais trop rarement portés sur ce qui compte vraiment, à savoir les qualités artistiques éventuelles du film. « The Brown Bunny » est un film d’une grande simplicité, simplicité dont il tire à la fois ses forces et ses faiblesses. Là où Wenders utilisait un outil scénaristique, à savoir le mutisme, pour marquer la séparation de Travis du monde extérieur, Gallo utilise davantage les moyens du cinéma (même si l’on ne peut pas négliger son interprétation), jouant intelligemment sur quelques idées et principes de mise en scène, en cloisonnant Bud dans des espaces fermés (le principal étant sa fourgonnette) qui semblent de jamais communiquer avec l’extérieur. En revanche, la simplicité des moyens utilisés n’obligeait aucunement à une certaine négligence dans la réalisation. La première séquence, où le cameraman filme une course de moto caméra à l’épaule (qu’on imagine plutôt à bout de bras dans le cas présent), est irregardable, et de manière générale, dès que la caméra est portée, c’est un supplice visuel (Gallo peut tout de même s’offrir un stabilisateur léger non ?). La pertinence de certains plans fixes, comme ceux filmés à l’intérieur du véhicule et qui reposent sur une idée précise de mise en scène, laisse trop apparaître, par contraste, l’absence d’idées pour soutenir d’autres plans qui semblent bâclés. Passées ces remarques générales, il faut s’attarder sur la longue séquence finale, sommet émotionnel du film mais aussi révélation trop explicative et appuyée du mystère de la relation Bud/Daisy. On a beaucoup commenté cette fellation non simulée (principal objet du scandale cannois), scène quasi pornographique (mais jamais érotique, créant une distance désexualisante). Passés les jugements passionnés hâtifs, il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence de cette scène explicite. Et il faut bien reconnaître qu’elle participe pleinement de la force de la séquence, dont on ressort quelque peu exténué. Alors certes, un Bergman n’aurait eu nul besoin de s’appuyer sur un tel dispositif pour obtenir une puissance de l’émotion encore bien supérieure et se serait contenté de son écriture, du texte et de l’interprétation de ses comédiens. Mais n’est pas Bergman qui veut ! Gallo réalise ici un film à fleur de peau (chose suffisamment rare dans le cinéma américain pour être signalée), un film travaillé d’une détresse et d’une émotion palpable. Trop palpable peut-être pour certains critiques et journalistes peu habitués, qui s’y sont probablement brûlés.

[2/4]