jeudi 30 juin 2011

« Le Narcisse noir » (Black narcissus) de Michael Powell et Emeric Pressburger (1947)

    Un film sensuel comme un bloc de marbre... Je ne peux m'empêcher de penser au « Fleuve » de Renoir, et comparer ces deux oeuvres, voire les deux « nations » qui se confrontent de cette façon : peut-on voir en ces deux longs métrages l'un britannique et l'autre français (du moins pour ce qui est de leurs réalisateurs respectifs) un bon aperçu des différences culturelles qui nous séparent? C'est peut-être un raccourci hâtif... Toutefois une chose est certaine, « Le Narcisse noir » est un film raide comme ses décors en carton pâte, froid car mécanique et artificiel, sans âme et sans passion. C'en est même fascinant tant chaque plan est savamment construit et élaboré par nos deux compères, sûrs de leur bon goût et de leur raffinement, tandis qu'à chaque fois un petit détail vient désamorcer le sérieux (hilarant malgré lui) du film : un arrière-plan tremblant dans des passages censés nous couper le souffle par leur cadrage vertigineux, un humour lourdingue, des nonnes d'un ridicule, un mâle, un vrai au torse velu, et trottinant sur un poney trop bas pour lui (inoubliable), des éclairages qui ne trompent aujourd'hui plus personne, des protagonistes écrits à la truelle, clichés au possible, une sorte d'histrionne édentée qu'on voudrait jeter du haut de la falaise factice du couvent... Bref, « Le Narcisse noir » est un monument d'académisme cinématographique, un film où tout est lisse et bien à sa place, mais qui n'a absolument aucune raison d'être. A vrai dire je ne suis guère étonné à présent que Powell ait pu « commettre » cet horrible film puritain qu'est « Le Voyeur » : c'est la même sensibilité si j'ose dire qui émane de ce film, baignant constamment dans un second degré trivial sous ses atours de  chef-d'oeuvre de magnificence et de psychologie. Un film assez bête il faut bien le dire, ou plutôt niais : voilà le mot qui convient le mieux au « Narcisse noir ». Je ne peux m'empêcher de songer à un autre film portant sur un sujet relativement similaire : « Mère Jeanne des anges », de Jerzy Kawalerowicz, autrement plus inoubliable! Et pour revenir enfin à la comparaison avec « Le Fleuve » de Renoir : ce dernier est non seulement passionnant, profond et formidablement émouvant. Mais il est aussi beau à chaque instant qui s'écoule. En dépit de sa photographie sophistiquée et de sa pompe orchestrée à grands coups d'archets hollywoodiens, « Le Narcisse noir » ne peut même pas en dire autant. Hélas, le « beau » cinématographique ce n'est pas seulement filmer de beaux décors et de beaux acteurs à l'aide de beaux cadrages...

[1/4]

« Week-end » de Jean-Luc Godard (1967)

    Hum... Que dire devant ce véritable suicide cinématographique? Je ne sais même pas si ça vaut la peine que j'en parle, il faut le regarder, tout simplement : le voir pour le croire. Ce n'est ni bon ni mauvais, ou plutôt si, c'est à la fois bon et extrêmement mauvais, et le résultat est à peine moyen. Mais on rit beaucoup, c'est déjà ça! On retrouve tout l'humour godardien, se jouant des codes sociaux comme cinématographiques dans un esprit résolument régressif. « Week-end » est une plaisanterie adolescente, mais quelle plaisanterie! Une sorte de mauvaise farce rimbaldienne, trainant avec elle son lot de tics exaspérants, de bêtise insondable... et de moments réjouissants, et même touchants (bien qu'ils soient rares, je le concède). Je vois dans ce film l'équivalent soixante-huitard (à peu de choses près) du « 99 Francs » de Jan Kounen. Un truc à la fois d'un mauvais goût savamment cultivé, fascinant et vomitif à la fois, et d'une justesse certaine, dans sa capacité à capter l'esprit d'une époque dans ses pire défauts et apparences, et à en faire quelque chose... d'aussi contradictoire. Bon, ce quelque chose vaut ce qu'il vaut, mais malgré tout (et surtout malgré lui) il invite quelque peu à la réflexion, notamment sur ce qui nous entoure et la société dans laquelle on vit : « Week-end » est encore d'actualité, c'est étonnant à quel point, et je ne sais pas s'il faut s'en réjouir... Bref, dans « Week-end » Godard s'amuse comme un sale gosse, et on le suit la plupart du temps. Certains passages sont vraiment ratés, et laissent entrevoir les rouages de la mécanique godardienne (le côté improvisation théâtrale qui n'a rien à dire et fait tout pour attirer l'attention du spectateur. Horrible). D'autres par leur répétition viennent amoindrir la puissance du film (pourquoi cette manie de répéter des passages qui ont bien marché au début du film? C'est une énigme pour moi...). Et puis d'autres encore, sont tout bonnement irrésistibles. C'est loin d'être le meilleur Godard, mais il vaut le coup d'oeil! Attention à l'indigestion toutefois...

[2/4]

« The Tree of life » de Terrence Malick (2011)

    Trop. Trop d'images, de sons,... Trop de plans, de choses inutiles, répétitives, forcées, trop de symboles, de pellicule, de musique (le grand Bach côtoie... la soupe signée Alexandre Desplat)... Et trop de déjà-vu. « The Tree of life » est un film raté, profondément raté. Pour faire simple, c'est le « Miroir » de Terrence Malick revisité par Gaspard Noé (cette caméra omnisciente qui plonge à n'en plus finir). Mais ce qui a été fait une fois ne peut l'être une seconde (en ce qui concerne « Le Miroir » j'entends), « The Tree of life » n'est donc qu'un film d'un réalisateur qui cherche à être autre, à être « le plus grand » : les seuls moments réussis et vraiment bouleversants du long métrage, ce sont certains moments dramatiques, concernant la famille, réellement « créés pour le film » (ou du moins ce sont les seuls passages à sembler l'être). Le reste est de l'art pour ceux qui ne croient que ce qu'ils voient. Malick choisit alors de montrer, beaucoup. Mais il est certaines choses que l'on ne peut pas montrer, que l'on ne peut, humblement, que suggérer. Qu'il emprunte (là aussi beaucoup) à Yann Arthus Bertrand (sic), à Brahms, à Tarkovski ou à Kubrick rien n'y fait, Malick s'est perdu dans ce projet gargantuesque, exactement le type de projets infaisables sur le papier, et qui gagnent à ne rester qu'un rêve. Une fois à l'écran, il s'agit d'une mécanique rutilante, de la poésie pour mangeurs de pop-corn (passez moi l'expression, mais l'on se demande souvent si Malick ne cherche pas trop à se faire comprendre, surtout d'un certain public). En fait, son chef-d'oeuvre, il l'a réalisé depuis bien longtemps. C'est « La Balade sauvage ». Question de forme et de concision sans doute, de sincérité et de spontanéité surement. Depuis, chacun de ses films n'a fait que ternir un peu plus son aura de réalisateur mythique. Le voilà en passe de devenir ringard, commun, vidé de toute émotion, embourbé dans une esthétique new age fatigante, et des tics de réalisation aujourd'hui clairement ostensibles... Dommage, vraiment. Il aurait mieux fait de ne pas sortir de son silence, et d'en rester à ce qu'il avait fait, et bien. Car oui, Terrence Malick est, ou était un grand cinéaste, mais peut-être ne le sait-il pas, et court-il après autre chose que du cinéma... Pour revenir à « The Tree of life », c'est un film non fini, auquel il faudrait retirer des heures et des heures (je vous l'accorde, il n'en resterait pas grand chose), et oui ce serait un grand film, immense même. De toute évidence Malick n'a pas su où couper, car tout aurait été à refaire en ce cas, ou d'un autre point de vue. La structure même du film le plombe, sans compter qu'elle n'est pas rattrapée par l'esthétique façon National Geographic ou pub pour voitures d'une « beauté » toute relative... En somme, un échec cinglant.

[1/4]

mercredi 29 juin 2011

« Une Séparation » (Jodaeiye Nader az Simin ) d'Asghar Farhadi (2011)

    D'emblée, Asghar Farhadi nous place en position de juge : au tout début du long métrage, nous sommes au tribunal, le couple des protagonistes principaux nous faisant face, tandis que l'on entend en voix-off parler le magistrat chargé de régler leur différend. Et tout au long du film, nous serons à la fois témoins des événements : que s'est-il passé? disent-ils la vérité? sont-ils sincères? et juges des personnages : qui punir? pourquoi?... « Une Séparation » rappelle à notre bon souvenir « Rashômon » et plus proche encore par bien des aspects « Close up », d'Abbas Kiarostami. Différence de taille : « Une Séparation » accorde moins de place à la beauté de l'image, pour se centrer sur la dramaturgie de l'intrigue, excellente soit dit en passant. De plus, les interrogations qui nous assaillent ne sont pas du même ordre, même si bien des points communs sont dénombrables : les questions relatives à l'homme et à la femme, à l'état, à la justice, à la bureaucratie, au travail, à l'enfance, à la famille, et bien sûr, entre autres, à la vérité sont soulevées, mais surtout pour en faire un état des lieux de l'Iran d'aujourd'hui (par extension, la suggestion étant de mise ici). « Rashômon » et « Close-up » sont des films relativement abstraits, l'un dans le temps et l'autre dans sa narration. Ici Asghar Farhadi nous livre un film extrêmement réaliste quoique pudique, explicitement contemporain, et difficile de ne pas se retrouver parmi tous ces tracas qui accablent les protagonistes, tant la vie d'aujourd'hui n'est guère différente de celle qui se déroule à l'écran. De surcroît le réalisateur se garde bien de tirer des conclusions : les faits parlent d'eux-mêmes, du moins parlent-ils jusqu'à un certain point, et c'est là tout le problème. Je ne sais si « Une Séparation » méritait son Ours d'or, n'ayant pas pris connaissance de la sélection, mais une chose est sûre : il mérite le coup d'oeil. Quant aux interprètes, je ne crois pas non plus qu'ils aient volé leur prix, sans être extraordinaires ils sont très justes!

[3/4]

mardi 28 juin 2011

« La Prisonnière du désert » (The searchers) de John Ford (1956)

    Le western n'est pas vraiment ma tasse de thé, mais je concède volontiers que John Ford et ses célèbres « Searchers » ont fière allure! Il s'agit là d'un film épique digne de ce nom, d'une passionnante quête aussi bien spirituelle qu'initiatique, maquillée en divertissement de haute volée. Je ne peux que louer la qualité de l'écriture du long métrage, tant la galerie de personnages et le scénario réservent de nombreux moments de surprise! Les différents protagonistes sont en effet fouillés psychologiquement, et l'intrigue abonde en digressions et autres rebondissements des plus appréciables! De plus la mise en scène est de qualité, même si avec le temps elle a un peu perdu de son éclat en raison de son classicisme. Mais le fait est qu'elle sert le film, et que ce dernier demeure d'une harmonie bienvenue, Ford a donc réussi son coup si j'ose dire. Les interprètes sont bons, voire très bons, même si l'on pourra regretter de temps à autres des expressions empruntées. Il est vrai que le film fait parfois « fabriqué », on sent une mécanique bien huilée à l’œuvre, aussi bien dans les gags parfois maladroits et superflus (bien qu'ils soient souvent fort réjouissants!) que dans les scènes de dialogue et autres disputes. Eh oui, nous sommes bien à Hollywood, nul doute! Toutefois s'arrêter là serait faire preuve de mauvaise foi, car ce ne sont là que des défauts insignifiants au regard de la subtilité (si si!) du propos : « La Prisonnière du désert » est justement une œuvre qui intime de dépasser le premier abord et les faux semblants. Certes il s'agit d'un cinéma peut-être trop « romanesque » dans son écriture et sa dramaturgie, mais c'est aussi et avant tout un puissant récit, et il faut bien le dire un excellent film. S'il ne fallait voir qu'un seul western, ce serait donc peut-être bien celui-là (préférable aux Leone, plus clinquants au niveau de la mise en scène mais ô combien moins justes et profonds).

[4/4]

lundi 27 juin 2011

« Le Roman de Renard » de Ladislas Starewitch (1941)

    S'il a quelque peu subi les outrages du temps, « Le Roman de Renard » étonne par la modernité de son ton et surtout de son animation. A vrai dire elle est intemporelle tant Starewittch maîtrise à la perfection ses marionnettes, réussissant à saisir à la fois mimiques et mouvements des plus humains et à produire un réalisme animalier surprenant. Dommage que tout son film ne tienne pas sur la durée la grande qualité du début (peut-être est-ce l'effet de surprise qui au premier abord nous fait espérer en l'impossible), pour autant ce ne sont là que broutilles au regard de l'exploit réalisé par Starewitch : littéralement donner vie à son espiègle ménagerie. Il s'agit là d'une adaptation lointaine mais je suppose fidèle dans l'esprit (je n'ai pas lu le livre d'origine) du célèbre recueil de fabliaux éponyme. Voici donc messire Renard (ou Renart, c'est selon), qui courre de méfaits en méfaits, égal à lui même et à la hauteur de sa réputation de fieffé coquin, menant à la plus haute exaspération la plèbe animale. Grâce à sa ruse légendaire, il se sort toujours des pièges qu'on lui tend, et c'est finalement le roi des animaux en personne, sire le Lion, qui doit intimer à ses hommes de s'occuper du cas Renard. A leurs risques et périls... Si l'on excepte quelques anachronismes volontaires pas toujours des plus indispensables, il faut bien le dire Ladislas Starewitch passe non loin du chef-d'oeuvre, tant la qualité de son long métrage en fait une pierre angulaire de l'animation. L'humour est omniprésent, les différents degrés de lecture abondent, les mouvements des personnages sont tantôt d'un comique réjouissant, tantôt d'une prestance appréciable, bref, « Le Roman de Renard » est une oeuvre universelle qui mériterait d'être plus connue!

[3/4]

« Le Conte des contes » (Skazka skazok) de Youri Norstein (1978)

    Déception pour ce moyen métrage élu « Meilleur film d'animation de tous les temps »... Ce genre de titres est décidément souvent bien lourd à porter... Avec « Le Conte des contes », Youri Norstein nous offre certainement son film à la structure la plus poétique, une sorte de « Miroir » à la Tarkovski en version animée, toutes proportions gardées. Le problème c'est qu'il dure près d'une demi-heure, et qu'il ne parvient pas à garder sur la durée la perfection formelle de certains de ses sublimes courts métrages. Certes il se peut que l'on puisse y voir davantage de profondeur, pour ma part je reste assez sceptique. L'atmosphère est parfois touchante, mais la façon dont Norstein fait passer les émotions et finalement nous parle à travers son langage imagé est trop convenue à mon goût... D'autant que je le répète, la qualité de l'animation n'est pas au rendez-vous, hélas... Pour autant, cela reste un beau film, même si au vu des louanges dont il fait l'objet et de sa place dans la filmographie de Youri Norstein, j'attendais un chef-d'oeuvre digne de ce nom...

[2/4]

« Le Hérisson dans le brouillard » (Yozhik v tumane) de Youri Norstein (1975)

    Magnifique! Comme quoi, n'en déplaise aux prophètes des nouvelles technologies, l'art n'est pas question de moyens techniques, mais de poésie, de transcendance de la matière, de suggestion. Quel bonheur de découvrir un film si simple et si beau... Une fois encore je préfère ne pas mettre de mots sur une atmosphère si douce et fragile... Sinon vous inviter à découvrir l'oeuvre de Youri Norstein!

[4/4]

« Le Héron et la cigogne » (Tsaplya i Zuravl) de Youri Norstein (1974)

    Une fable tantôt drôle tantôt nostalgique et triste, relatant les chassés-croisés amoureux d'un héron dandy et d'une cigogne versatile. L'animation est une fois de plus fort appréciable, mais il faut passer outre le thème peut-être moins original qu'à l'accoutumée pour saisir la portée de cette petite oeuvre, qui ambitionne rien moins que de raconter métaphoriquement les errements de l'âme humaine et de la vie en une dizaine de minutes. Il s'agit donc là encore d'un film qui vaut le détour, comme toute oeuvre de Youri Norstein qui se respecte, tant la simplicité et une ironie à la fois amusée et désabusée l'emplissent avec bonheur.

[3/4]

« La Renarde et le lièvre » (Lisa i zayats) de Youri Norstein (1973)

    Quelle merveille! Un charmant petit conte enfantin, d'une simplicité désarmante, animé avec grand talent par Youri Norstein et porté une fois de plus par une musique magnifique, russe évidemment. Il s'agit de l'histoire d'un petit lièvre, chassé de sa maison par une renarde roublarde, ce à quoi il ne pourra pas se résoudre. Inutile d'en dire plus, sous peine de briser le mystère de cet art si fragile et si beau à la fois... Avec son troisième film, Youri Norstein entre si j'ose dire dans la cour des grands, celle des maîtres de l'animation. Grâce lui sent rendue!

[4/4]