jeudi 23 mai 2013

« Achik Kerib, conte d'un poète amoureux » (Ashugi Qaribi) de Sergeï Paradjanov et Dodo Abachidzé (1988)

    « Achik Kerib » est peut-être l'un des films les plus dépouillés de Paradjanov, faute d'argent semble-t-il, et pourtant c'est une fois de plus une œuvre d'une grande richesse visuelle. Le cinéaste arménien n'a pas son pareil pour se jouer des contraintes matérielles, et c'est en cela que c'est un grand artiste : il parvient à suggérer les choses les plus subtiles avec une grande économie de moyens. Mais cette économie ne signifie pas pauvreté visuelle, au contraire : toujours aussi exubérant, il joue avec les couleurs avec un talent rare, les costumes évoluant du noir au blanc, en passant par toutes les teintes, au fur et à mesure du temps qui s'écoule. De plus, il figure l'onirisme le plus pur avec une mise en scène astucieuse, qui n'enlève rien à la magie de ce qu'il filme! En fait, on croit au cinéma de Paradjanov, peut importe qu'un paquebot passe en arrière plan de « La Légende de la forteresse de Souram » ou qu'on entende ici les personnages parler sans qu'ils remuent les lèvres (leur voix étant post-synchronisée)... Ces détails ajoutent même au charme des longs métrages de l'artiste hors pair qu'est Paradjanov. Car l'on retrouve bien dans « Achik Kerib » son talent pour la composition de l'image, pour la mise en scène baroque, pour les histoires d'amour et les contes du Caucase. Le récit est encore plus elliptique que celui de « La Légende de la forteresse de Souram », et sans doute le film est-il moins impressionnant visuellement que ce dernier et « Sayat Nova », voire même que « Les Chevaux de feu ». Pour autant, il s'agit bien de l'un des sommets du septième art, et j'invite les novices comme les amateurs du cinéaste à découvrir son ultime long métrage, dédié qui plus est à son fidèle ami Andreï Tarkovski, autre maître du cinéma.

[4/4]

samedi 18 mai 2013

« Que ma joie demeure » d'Alexandre Astier et Jean-Christophe Hembert (2012)

    Un singulier portrait de Jean-Sébastien Bach, entre humour et gravité. Alexandre Astier revisite à sa sauce, et avec panache, la vie du Cantor allemand. Il a en effet écrit et interprète seul sur scène le spectacle. Et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il est doué. Empli d'une énergie débordante, fin joueur de clavecin et de viole de gambe (Astier a suivi des études musicales au conservatoire avant de se tourner vers la comédie), l'auteur-interprète donne chair à son personnage, que l'on voit revivre sous nos yeux l'espace d'1h30. Certes, sa façon de se saisir de l'illustre Bach est un peu cavalière, assez triviale parfois, mais c'est l'occasion de rire aux éclats, à un rythme soutenu. Le langage employé est délicieusement anachronique, mais Astier respecte toujours son (anti)héros, un brin ronchon. En fait, il vulgarise la vie et l'art du compositeur allemand, avec simplicité et gouaille, mais toujours dans le souci de nous en faire apprendre davantage sur cette existence si particulière. On apprend les rudiments de la musique, on inspecte avec Bach un orgue vétuste... et l'on s'attriste de la perte de ses enfants. Car c'est là le versant sombre de Bach : sur la vingtaine d'enfants qu'il a eus, 10 mourront en bas âge. Et l'on sent le poids de la vie, pas toujours clémente pour lui, sur ses épaules. Ces moments plus versés dans l'émotion alternent avec les moments de création musicale ou d'enseignement, et c'est avec un grand talent scénaristique qu'Alexandre Astier jongle entre les registres et les scènes d'une chronologie non linéaire. A tous points de vue, « Que ma joie demeure » est donc une véritable réussite, un spectacle populaire dans le bon sens du terme, qui rend accessible à tous la musique la plus sophistiquée qui soit, avec bonheur qui plus est. Par ailleurs, le film du spectacle est bien réalisé, tout en sobriété, et met bien en valeur le jeu d'Alexandre Astier. Une façon originale et réjouissante de découvrir Bach !

[3/4]

lundi 6 mai 2013

« Le Petit Prince » d'Antoine de Saint-Exupéry (1943)

    Avec « Le Petit Prince », Antoine de Saint-Exupéry nous propose un récit onirique d'une grande poésie. L'auteur met en scène son jeune héros dans une sorte de voyage initiatique : ce dernier, partant de son petit astéroïde perdu dans l'espace, rencontrera en effet nombre d'êtres saugrenus, que ce soit un renard, une rose, un roi ou un business man. On sent poindre chez l'auteur une légère ironie envers ces adultes affairés, vaniteux, absurdes, en face desquels le Petit Prince, plein d'aplomb avec ses questions incessantes, fait fière figure. Auréolé de ses cheveux blonds, c'est une sorte d'ange tombé du ciel qui confie au narrateur (l'aviateur/Saint-Exupéry) le fil de ses aventures, avant tout humaines. Car bien que le Petit Prince se retrouve confronté à des animaux ou des plantes, c'est toujours un comportement humain qui l'anime : il fait tout simplement l'apprentissage de la vie, il découvre le goût des autres et de l'effort, la bonté, l'amour, le beau... Mais aussi le mal, quoique l'auteur le dépeigne toujours comme une absence de bien, et donc bien faible en comparaison. Pour autant, on sent une certaine gravité dans cet ouvrage. Le Petit Prince, ou le bien, l'innocence, semble perdu dans l'immensité du monde et de l'espace. Les deux guerres mondiales sont passées par là. Toutefois l'espoir demeure, et bien qu'il disparaisse, le Petit Prince se fond dans les étoiles, qui illuminent la Terre et les hommes, leur laissant un souvenir impérissable. Retenons donc cet élan plein d'espérance de l’œuvre la plus connue du célèbre aviateur écrivain.

[4/4]

samedi 4 mai 2013

Citation du samedi 4 mai 2013

« Être supérieur aux autres n'a jamais représenté un grand effort si l'on n'y joint pas le beau désir d'être supérieur à soi-même. »    

Claude Debussy
(Monsieur Croche et autres écrits, 1901-1914)

dimanche 7 avril 2013

« Cato Zoulou » (Cato Zulu) d'Hugo Pratt (1988)

    « Cato Zoulou » se déroule en Afrique du Sud à la fin du XIXème siècle. L'album est scindé en deux parties. La première raconte la fin absurde et tragique du jeune prince Eugène Louis Napoléon. On y retrouve l'attrait d'Hugo Pratt pour les destinées romantiques : idéaliste, épris de bravoure, le Français courra à sa perte. L'auteur italien en profite pour introduire un nouveau personnage, Cato Milton, tout aussi rustre et indiscipliné que le prince est distingué. Une autre facette de Pratt : le goût pour la bouffonnerie et le grotesque, parfois même pour le graveleux. L'autre partie de l'album est consacrée à la fuite de Cato, qui trouve refuge dans une caravane Boers, ne tardant pas à être attaquée par des Zoulous. « Cato Zoulou » compte parmi les œuvres « martiales » d'Hugo Pratt. Sa grande connaissance de l'histoire, des armées de l'époque, ainsi que des différentes cultures européennes et africaines, lui permet de faire revivre l'espace de 80 pages une histoire oubliée, avec un réalisme et une relative poésie appréciables. « Cato Zoulou » ne compte pas parmi les meilleurs bandes dessinées de Pratt, mais il s'agit néanmoins d'une solide aventure, où le goût du détail et de l'exotisme du dessinateur italien forcent l'admiration.

[2/4]

jeudi 4 avril 2013

« La Légende de la forteresse de Souram » (Ambavi Suramis tsikhitsa) de Sergeï Paradjanov et Dodo Abachidzé (1984)

    Quelle merveille! « La Légende de la forteresse de Souram » est une splendeur de tous les instants. Chaque image est soigneusement composée, restant pendant longtemps en mémoire. Paradjanov n'a pas son pareil pour dynamiser le cadre, pour faire se mouvoir avec grâce ses acteurs, utilisant au maximum tous les plans de l'image, de sorte que malgré la fixité du cadrage, elle semble animée d'une vie propre. C'est comme si le film vivait de lui-même, je ne trouve pas de meilleur mot pour exprimer la puissance évocatrice du cinéma de Paradjanov. Visuellement, ce long métrage est donc très riche, d'autant plus qu'il regorge de symboles. On ne retrouve un tel foisonnement pictural, une telle exubérance contrôlée, que dans les meilleurs œuvres de Fellini. Mais là, l'art du cinéaste arménien sert une vieille légende géorgienne, trahissant son goût pour les contes et le folklore traditionnel. Histoire d'amour déçu, ou d'abnégation d'un peuple et de ses héros, « La Légende de la forteresse de Souram » fait défiler chapitres et tableaux mystérieux près d'1h30 durant. Bien que simple, la trame est un peu nébuleuse, on se perd dans les personnages, les fils d'untel ou d'untel. Mais cela ne fait qu'ajouter au charme de l'ensemble, à son atmosphère onirique, insaisissable. La réalisation de Paradjanov ose tout, quand on croit avoir tout vu, on est encore surpris... Ce film est d'une poésie rare, que l'on ne retrouve que chez les plus grands, autant dire une poignée. Ce n'est peut-être pas avec ce long métrage qu'il faut découvrir Paradjanov (préférez « Les Chevaux de Feu », ou même « Sayat Nova », plus cohérent, encore que très original et déroutant dans sa narration), mais il se hisse aisément au panthéon du septième art, et il est donc indispensable, à mon sens, pour tout amoureux du cinéma qui se respecte, de l'avoir vu.

[4/4]

Citation du jeudi 4 avril 2013

« On ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux. »

Antoine de Saint-Exupéry 
(Le Petit Prince, 1943)

samedi 30 mars 2013

« Amok » d'Atoms For Peace (2013)

    Depuis plus de 10 ans, et le basculement de Radiohead dans la musique électronique avec « Kid A », Thom Yorke use jusqu'à la corde une esthétique désincarnée. Épurant toujours plus sa façon de faire, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des « blips blips » synthétiques en guise de mélodie, sur fond de percussions tout aussi artificielles, le tout rehaussé par des miaulements dépressifs, ayant pris la place de toute voix humaine... En solo, accompagné d'un super-groupe (comme c'est ici le cas), ou avec Radiohead, la musique de Thom Yorke perd année après année en âme et en consistance, pour s'enfermer dans des tics et l'auto-parodie la plus crasse. L'oxfordien ne surprend plus, malgré ses tentatives avant-gardistes. Il avait pourtant un certain talent, que l'on retrouve dans telle ou telle ligne mélodique (bien évidemment ensevelie sous un amas électronique d'un goût plus ou moins sûr), tel ou tel rythme décalé (Stuck Together Pieces, seule chanson où l'on perçoive la présence d'un réel musicien, en l'occurrence un percussionniste latino-américain), ou une chanson comme Before Your Very Eyes (le titre inaugural d'« Amok », et de loin le meilleur). Les singles ayant précédé la sortie de l'album (Default, Ingenue et Judge Jury and Executioner) sont d'une banalité affligeante. Le reste n'est peu ou prou que remplissage (Dropped, Unless, Reverse Running, Amok). Et que dire des paroles, tristes et absconses à mourir... Serait-il temps pour l'ami Yorke de quitter la scène musicale ?

[0/4]

jeudi 21 mars 2013

« Shara » (Sharasojyu) de Naomi Kawase (2003)

    Au risque de me répéter, le cinéma de Naomi Kawase me laisse indifférent. Non pas qu'il n'ait aucun intérêt (encore que), mais ses personnages désincarnés, taciturnes, le regard vide, peinent à me toucher. D'autant que la spiritualité que tente d'incarner la cinéaste japonaise demeure au stade de joli cliché. A trop épurer son art, il n'en reste pas grand chose. Peut-on parler de scénario ? Peut-on parler de cadrages ? Peut-on parler de réalisation ? Peut-on parler de film ? « Shara » laisse un goût d'inachevé dans l'esprit du spectateur. Pourtant, il abonde en idées, hélas non approfondies. Bien que bancale, la séquence d'ouverture du film réserve quelques belles images, et est empreinte de mystère. La scène de la danse de Basara, là encore inégale, est le point culminant du film : pleine d'énergie, c'est peut-être le seul moment qui justifie l'existence de ce long métrage. On se laisse hypnotiser par la musique lancinante, et la jeune et jolie Yuka Hyodo. Mais après, que reste-t-il ? Une caméra portée maladroite et exaspérante, un sentiment de paresse de la part de l'auteure et réalisatrice, et de vide total... Sans parler de cet aspect factice dont son art ne semble décidément pas pouvoir se défaire. On ne croit pas aux personnages (allez, sauf peut-être en l'héroïne), on voit juste des acteurs amateurs, tentant d'exister malgré une absence criante de dialogues (sans compter que les rares paroles échangées sonnent faux). Du coup, ils posent... Les comparaisons avec Tarkovski et Erice ne sont pas sérieuses : ce qui manque au cinéma de Naomi Kawase, c'est une âme! En lieu et place, elle nous offre un pâle essai new age... 1/4 pour le film, et 1/4 pour la scène de la danse : nous arrivons péniblement à deux.

[2/4]


samedi 9 mars 2013

« Les Petites Filles modèles » de la comtesse de Ségur (1858)

    Un autre livre admirable de mon enfance. « Les Petites Filles modèles » est un ouvrage charmant, d'une fraicheur intemporelle. La comtesse de Ségur y conte avec grâce et bienveillance les aventures de quatre petites filles plus ou moins sages. Camille et Madeleine de Fleurville sont la bonté même, altruistes, généreuses et raisonnables. Marguerite de Rosbourg, quant à elle, est une petite fille plus spontanée, qui se laisse parfois rapidement emporter. Sophie, pour finir, est turbulente, nerveuse et gauche. Battue par sa belle-mère, l'odieuse et ridicule Madame Fichini, elle court de bêtises en bêtises. L'action se déroule au château de Fleurville, tenu par la vertueuse Madame de Fleurville, veuve de son état, et par ses loyaux domestiques. « Les Petites Filles modèles » est un instantané d'une époque révolue, aux images quelque peu surannées. Néanmoins il condense de façon universelle la candeur de l'enfance, ses joies, ses peines, sans jamais se départir d'un regard tendre et généreux. La comtesse de Ségur y emploie un français simple mais distingué. Et les différentes scénettes qu'elle égrène le long de son ouvrage sont réjouissantes par leur naïveté et leur caractère initiatique pour ses jeunes héroïnes. Un vrai petit classique.

[4/4]