jeudi 7 août 2014

Citation du jeudi 7 août 2014

« Ce qui se transmettait ainsi de génération en génération, avec le lent progrès d'une croissance d'arbre, c'était la vie mais c'était aussi la conscience. Quelle mystérieuse ascension ! D'une lave en fusion, d'une pâte d'étoile, d'une cellule vivante germée par miracle nous sommes issus, et, peu à peu, nous nous sommes élevés jusqu'à écrire des cantates et à peser des voies lactées. »

Antoine de Saint-Exupéry
(Terre des hommes, 1939)

jeudi 10 juillet 2014

« Le Conte de la princesse Kaguya » (Kaguya-hime no monogatari) de Isao Takahata (2014)

    « Le Conte de la princesse Kaguya » est une œuvre très adulte et assez sombre malgré ses atours enfantins. En effet, y est évoquée la vie sur terre d'une jeune fille aux origines surnaturelles, trouvée par un modeste paysan dans une pousse de bambou, et élevée par ses soins avec sa femme. La jeune fille grandit avec des enfants de la bambouseraie, tout aussi modestes que ses parents adoptifs, et elle goûte aux joies d'une vie simple et heureuse. Mais le paysan trouve un jour de l'or et de belles étoffes dans la bambouseraie : il en est convaincu, sa fille est en réalité une princesse. Il se doit donc de l'éduquer en conséquence et de lui offrir une place de choix à la capitale, où elle pourra s'épanouir et épouser un riche courtisan. Mais, pour l'héroïne, cela veut dire renoncer à la vie qu'elle mène et qu'elle aime tant, et à ses amis, trop « rustres » pour elle selon son père... D'autant qu'on lui assigne une marâtre en guise d'éducatrice, et qu'elle doit se plier à des usages proprement inhumains (s'épiler les sourcils, ne plus rire, se noircir les dents, rester cloîtrée chez elle, ne pas participer aux fêtes données en son honneur,...). Le conte prend alors une autre tournure, et vient dénoncer l'avidité des hommes, qui recherchent gloire, richesse et ascension sociale sans limite (on n'est d'ailleurs pas très loin du « Bourgeois gentilhomme » de Molière, même si ce dernier est drôle et léger, bien au contraire du présent long métrage). Takahata enrichit avec intelligence le conte d'origine (daté du Xème siècle) pour opposer deux conceptions de l'existence. Ce qui, en filigrane, malgré son côté désabusé, fait du « Conte de la princesse Kaguya » (et là je vais citer un ami) « un hymne à la vie. Mais à la « vraie » vie. Une vie au contact de la nature, de gens authentiques. Une vie simple ». Je ne retrouve pas chez Takahata la même joie et la même humanité (bienveillante) que chez Miyazaki. Mais certains passages de ce film sont excellents, et surtout, le ton est assez subtil et intelligent pour donner à réfléchir, tout en savourant de jolis dessins. Attention donc, ce long métrage n'est pas vraiment pour les enfants, et il vous laissera peut-être un goût doux-amer à la sortie de la séance. Mais il offre un saisissant portrait du Japon médiéval, et plus encore, dénonce avec force et brio des travers humains plus que funestes. D'une manière telle qu'on ne peut que saluer ce qui sera peut-être le dernier film d'Isao Takahata.

[4/4]

dimanche 1 juin 2014

Citation du dimanche 1er juin 2014

« La vraie musique est le langage du cœur. »

Jean-Philippe Rameau 
(Code de musique pratique, chapitre VII, article 14, 1760)

jeudi 29 mai 2014

« Qu'elle était verte ma vallée » (How Green Was My Valley) de John Ford (1941)

    Quel film ! Et quel réalisateur que John Ford ! « Qu'elle était verte ma vallée » est un long métrage très émouvant, contant l'héroïsme des mineurs du siècle dernier, l'action se déroulant au Pays de Galles. L'histoire de la famille Morgan nous est transmise à travers le regard du petit dernier d'une fratrie de plusieurs frères et d'une sœur, élevés par un père et une mère bourrus, mais aimants et généreux. La vie des Morgan tourne autour de la mine, véritable antre sans cœur, qui recrache les hommes tantôt sans vie, tantôt noirs comme du charbon, éreintés par un labeur épuisant. Néanmoins, ils trouvent leur honneur dans l'exercice de ce métier pénible, et surtout regardé de haut par la bourgeoisie de l'époque. Rien n'épargne les Morgan, ni la maladie, ni la mort, ni l'opprobre des habitants de leur bourgade. Pourtant, ils se relèvent toujours, et continuent à vivre en souriant, confiants et pleins d'espoir en une vie dure mais belle. L'interprétation est ici exceptionnelle, du premier au dernier rôle : chaque acteur semble plus vrai que nature. Il faut dire que John Ford est un sacré directeur d'acteurs. Il a le sens du détail qui fait mouche, de ce petit mouvement, de ce regard en plus qui en dit bien plus qu'un long discours. Chez Ford, en effet, le scénario est primordial. C'est le tronc d'un chêne massif, beau, large et puissant, aux ramifications infinies. Mais l'image est plus encore première : c'est la sève de l’œuvre, ce sens de l'image, si belle dans les mains de Ford, cette image qui dit tout. Ce sont cette famille à table, ce pasteur attristé dont la silhouette se détache sous un arbre, ce regard de l'enfant au réveil du printemps... Est-il long métrage plus simple et à la fois plus riche qu'un film de John Ford ? Nulle théorisation, pas de symbolique excessive, plutôt un art de la parabole, de l'histoire universelle qui touche par delà les âges et les frontières. Car il faut bien le dire, les personnages de John Ford paraissent nettement plus vivants que dans bien des films récents ou d'aujourd'hui. Encore une fois, je m'incline avec respect devant Ford, grand parmi les grands, et le remercie pour son art si appréciable.

[4/4]

vendredi 18 avril 2014

« Noé » (Noah) de Darren Aronofsky (2014)

    Un film désolant... Darren Aronofsky décide d'adapter l'histoire de Noé à sa façon, façon glauque et sombre (le mot est faible) teintée d'heroic fantasy comme sortie d'un abrutissant jeu vidéo... Et le résultat est aberrant. Pourtant j'aurais dû m'en douter en voyant la bande annonce : Aronofsky met le paquet sur les effets spéciaux, et de fait, dans son long métrage, seule l'apparence (laide à faire peur) est de mise, rien de véritablement profond, et pire, rien de beau, rien d'intéressant, rien de touchant. Noé est présenté comme une brute colérique et sanguinaire, l'humanité est divisée entre gentils et méchants comme certains Américains savent si bien schématiser (à gros traits) les choses, il y a beaucoup de violence et de haine de surcroît, et tout ça pour quoi ? On se le demande, la violence semble en effet bien gratuite dans ce film, et Aronofsky bien complaisant (mais au regard de sa filmographie ce n'est guère étonnant). De plus, tout sonne faux, artificiel au possible, du maquillage aux costumes faussement élimés pour faire plus authentique, en passant par les effets spéciaux fort disgracieux, et les acteurs insipides au possible. Et que dire de cette façon de réinterpréter la Bible pour en faire un pseudo pensum écolo-stupido-moche pour adolescents attardés et avides de sang qui gicle et de tripes étalées ? Une fois encore, tout ça pour ça ? Est-ce donc tout ce que le mythe de Noé avait à nous livrer ? Une vision nauséeuse et nauséabonde de la vie humaine ? Une vision haineuse de l'humanité, qui devrait être détruite sans espoir de survie ? Est-ce cela le message originel de l'histoire de Noé ? Non, je ne pense pas. Alors pourquoi ce film aussi violent ? C'est qu'Aronofsky doit avoir un problème... Son pessimisme est en effet atterrant. Et le peu de talent que je pensais avoir décelé chez lui semble définitivement évaporé. Non, décidément, rien à sauver du naufrage de ce long métrage et de son réalisateur.

[0/4]

dimanche 6 avril 2014

Citation du dimanche 6 avril 2014

« Voir le jour se lever est plus utile que d'entendre la Symphonie Pastorale. »

Claude Debussy
(L'Entretien avec M. Croche, Monsieur Croche et autres écrits, 1901)

mercredi 12 mars 2014

« La Grande Bellezza » de Paolo Sorrentino (2013)

    A la sortie de ce long métrage, devant les critiques dithyrambiques de la presse et des spectateurs, je m'étais rendu au cinéma sûr d'avoir affaire à un chef-d’œuvre. Ce ne fut pas tout à fait le cas, du moins « La Grande Bellezza » ne l'était pas au sens où je l'entendais. Ma déconvenue fut donc à la hauteur de mes attentes, et j'ai longtemps pris le film de Paolo Sorrentino pour du sous Fellini, le copiant et le plagiant jusqu'à plus soif, pour un rendu des plus douteux. Avec le recul et des avis très positifs dans mon entourage plus ou moins proche, je me suis dit qu'il fallait que je donne une seconde chance à ce film, et maintenant que je connais bien plus l'Italie, j'ai vraiment pu l'apprécier.

Oui, Sorrentino fait du sous Fellini, ou du moins rend un certain hommage au maître Italien, n'arrivant pas tout à fait à l'égaler, mais proposant un long métrage original, intéressant, sensible, jamais ennuyeux. Il reprend le goût du grand Federico pour la peinture d'une bourgeoisie oisive, se perdant dans les fêtes endiablées et le non sens de leur existence. A ce titre, Jep (extraordinaire Toni Servillo !) est le roi des mondains. Il a connu la notoriété jeune avec un unique roman de dandy, et depuis il évolue dans la jet set, devenu d'autant plus cynique qu'il est sans illusions sur sa condition et sa vie ratée. Il mène en effet une existence superficielle avec un cercle d'amis à la vie tout aussi cabossée et superflue, loin des choses essentielles en ce bas monde, qui sont souvent les plus simples et les plus méprisées.

La beauté de ce long métrage réside dans le fait que Jep se rend compte tout d'un coup, à 65 ans, qu'il est passé à côté de quelque chose. Il essaie alors de rattraper en un sens ce temps perdu, en osant dire et faire ce qu'il aime et ce qu'il est profondément. Et sa lucidité est décapante, sans être hargneux il sait démonter les petits arrangements avec la vérité et il ne vaut mieux pas lui faire la leçon. Il sait aussi percevoir la beauté qui réside dans des petits choses qu'on dédaigne sans s'en rendre compte. Au fond, c'est un rêveur, mais un rêveur avec les pieds sur terre.

Je dois le dire, certains passages sont assez prodigieux, notamment quelques moments poétiques comme celui où des enfants courent dans un jardin de monastère. Plusieurs personnages valent également leur pesant de cacahuètes, je me répète mais il y a un côté terriblement lucide dans l'écriture des personnages, qui interpellent immédiatement : on se sent happé par leur histoire, même si elle peut sembler dérisoire. Elle est tellement réaliste que ce film nous parle directement, sans filtre.

Et à l'image de l'Italie d'aujourd'hui – qu'il faut connaître un minimum pour pleinement apprécier ce long métrage, comme je le disais en introduction – le beau, voire le sublime, côtoient la laideur et la vulgarité la plus crasse. Notre monde Occidental à la dérive ne parvient plus que par des fragments, des réminiscences, un reste de conduite « aristocratique » (je pense à Jep), même si en réalité elle n'est pas l'apanage des plus aisés ou d'une caste, à rappeler ces instants éternels où le temps s'arrête, où la beauté reprend ses droits.

Certes, Sorrentino reprend des aspects du baroque fellinien, des personnages au physique hors norme, du surréalisme sorti de nul part, de la vulgarité donc, un côté grand guignol picaresque. Et tout cela, en plus des thématiques abordées, peut faire très lourd et indigeste. Mais de façon surprenante, tout se tient, et l'on ressent comme une brise légère, comme l'envie de revivre à la manière de Jep. C'est donc avec plaisir que je révise mon jugement : il s'agit d'un film intéressant et touchant, une belle réussite en somme, servie par de talentueux interprètes et accompagnée, j'oubliais, par une excellente bande-son et de jolies musiques.

[3/4]

mardi 25 février 2014

« La Chevauchée fantastique » (Stagecoach) de John Ford (1939)

    John Ford est un géant du septième art. De ceux qui ont non seulement un style inimitable, mais aussi de quoi dire, et surtout de belles choses à dire. C'est, en somme, un artiste complet. « La Chevauchée fantastique » est un grand film par sa perfection formelle : cadrages magnifiques (que l'on parle de gros plans sur des visages ou de plans larges sur les paysages de Monument Valley), rythme (et montage) tantôt trépidant, tantôt calme et serein, bref maîtrisé à la perfection, merveilleux usage du son et de la musique, et bien sûr, mise en scène impressionnante de grandeur et d'évidence (cette rencontre, le soir, entre Dallas et Ringo, tous les passages dans et au dehors de la diligence, ou encore cette scène inoubliable à la fin du long métrage, qui clôt l'intrigue avec force mais retenue – scène que l'on ne risquerait pas de trouver dans un film actuel, surtout dit d'« action »). Oui, esthétiquement parlant, « La Chevauchée fantastique » est génial. Mais plus encore, ce qui est incroyable chez John Ford, c'est la richesse de ses scénarios et de ses personnages. Chacun d'entre eux est profondément fouillé, même s'il est assez archétypique (le bandit, le shérif, le banquier, le joueur, la prostituée, le médecin alcoolique,...), et surtout, brillamment (et le mot est faible) interprété ! Tous, je dis bien tous les acteurs sont ici excellents, des premiers aux seconds rôles. Mais ce qui frappe le plus, c'est la compassion qu'a Ford pour ses personnages, voire l'amour qu'il leur porte. Malgré leur passé trouble ou leurs défauts, les personnages de « La Chevauchée fantastique » ont toujours un bon fond (exceptés peut-être ce banquier égoïste ou ces dames de la bonne société un peu (beaucoup) trop hautaines pour sembler vraiment humaines...). On comprend rapidement qu'outre la joliesse picturale, ce qui intéresse John Ford c'est la mise en situation de ses personnages face aux aléas de la vie et aux exigences morales qui leur incombent. Notons aussi que Ford est tout aussi à l'aise dans le registre épique que dans le registre intimiste et l'intériorité de ses personnages. Si les scènes de batailles sont exceptionnelles, que dire de ces jeux de regards qui disent tout des relations entre les protagonistes ! Et le résultat est plus que réussi : on passe un fort agréable moment en la compagnie de ces femmes et de ces hommes réfugiés dans leur diligence brinquebalante. Un grand classique, qui réserve un moment de cinéma particulièrement rare et appréciable.

[4/4]

lundi 10 février 2014

« Toni » de Jean Renoir (1935)

    Est-il long métrage plus beau, plus simple, plus déchirant que « Toni » pour conter les espoirs les plus vifs comme les affres de l'immigration ? Tant de choses sont dites en moins d'une heure et demie... Il est vrai que chez Renoir, l'image a une force tellurique. Il y a une sorte de beauté primitive dans ses films. C'est comme s'il était le premier à utiliser le cinématographe, redécouvrant la beauté physique mais aussi intérieure des femmes et des hommes. Il y a beaucoup de maladresses, mais elles sont à l'image de l'art de Renoir : humaines. Tout simplement. Et l'on comprend vite que l'intérêt des longs métrages du cinéaste français ne réside pas dans leur rigueur formelle, pourtant bien plus manifeste qu'on ne pourrait le croire au premier abord, car Renoir est un fin dramaturge, et qui plus est un brillant metteur en scène (notons par exemple ces chanteurs italiens qui ponctuent magnifiquement bien le récit, à la manière des chœurs grecs antiques). Non, l'intérêt des films de Renoir, outre leur splendeur visuelle (inouïe)... ce sont ses personnages. Malgré leur malheur, Renoir a une véritable tendresse pour ses personnages, incarnés avec maladresse (ô combien touchante), une fois encore, mais avec tellement de vérité et de sincérité ! Lorsque Josepha se joue de Toni, par exemple, quand ils sont seuls sur un chemin désert, elle est ainsi irrésistible. Mais les hommes et les femmes ont bien du mal à s'aimer vraiment d'un amour réciproque. Alors, tristement, ils scellent leur destin par des actes désespérés. Mais « Toni » ce n'est pas seulement une tragédie amoureuse, c'est aussi un drame sur l'immigration. Le film débute sur des immigrés fraichement venus par le train, heureux de rejoindre la France, sans oublier toutefois leur pays. Et c'est ainsi que se clôt le long métrage : de nouveaux arrivants reprennent les mêmes chansons mi-joyeuses mi-nostalgiques, la routine des arrivées nouvelles ravalant l'histoire de Toni au rang de simple fait divers... Il y a une grande mélancolie chez Renoir. L'amour y est rarement récompensé, au risque de demeurer trop brûlant, trop intense pour une vie humaine. C'est alors dans l'amitié, dans la bonté, que les êtres humains soignent leur blessures, et trouvent la force pour vivre. Il faut donc louer la richesse du fond comme de la forme de l’œuvre de Jean Renoir. Rarement justesse d'interprétation, beauté visuelle et profondeur du propos ne se sont rencontrées avec autant d'élégance (et d'évidence) dans l'histoire du septième art que chez Renoir.

[4/4]