samedi 29 novembre 2014

« La Petite Venise » (Io sono Li) d'Andrea Segre (2011)

    Modeste long métrage, « La Petite Venise » mérite pourtant que l'on s'attarde sur lui. Joliment filmé, éclairé par une photographie élégante bien que parfois un peu trop terne à mon goût, il s'agit surtout d'une belle histoire d'amitié entre un vieux pêcheur italien immigré de Yougoslavie, et une jeune mère chinoise immigrée en Italie, cherchant à faire venir son fils auprès d'elle. Forcément, leur amitié dérangera leur entourage : une telle différence d'âge, et surtout de culture ! Les amis italiens de Bepi se méfient des Chinois qu'ils jugent cupides et arrivistes, les Chinois ne veulent surtout pas faire de vagues et cherchent à éviter le scandale d'une relation entre une serveuse, Shun Li, l'héroïne, avec l'un des leurs clients. Je ne me risquerai pas à dévoiler davantage l'intrigue, sous peine d'en dire trop. Ce qui est remarquable dans ce film n'est pas tant l'interprétation un peu maladroite de certain acteurs, encore que Zhao Tao (égérie de Jia Zhangke), le personnage principal, est exceptionnelle, avec un jeu tout en nuance et en finesse, d'une grande subtilité. Ce qui est particulièrement réussi dans ce long métrage c'est la peinture de l'immigration et des difficultés que cela représente aussi bien pour les immigrés (quitter son foyer, son pays, sa famille, ses amis, sa culture, s'intégrer, subvenir à ses besoins matériels et financiers,...) que pour les populations locales (accepter l'étranger, accepter sa différence,...). Le réalisateur, Andrea Segre, ne juge pas : il témoigne. Et il le fait d'une façon très intelligente. L'autre personnage principal, le vieux Bepi, par exemple, est très finement brossé : bien qu'Italien, il est lui aussi immigré, et ressent de la sympathie pour la jeune Chinoise. Finalement nous sommes tous des immigrés semble nous dire Segre, et nous avons le devoir d'accueillir celui ou celle qui se présente à nous, démuni(e), seul(e), sans rien d'autre que sa bonne volonté et sa capacité à travailler. Une belle leçon d'humanité...

[2/4]

« Poulet aux prunes » de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (2011)

    Je vais être un peu dur avec ce film. J'aime beaucoup Marjane Satrapi et ses bandes dessinées. Son humour est à l'image de son coup de crayon : simple, enfantin, malicieux, drôle, sensible. « Persépolis » est une très grande bande dessinée et une réussite cinématographique, un véritable et excellent dessin animé. Et « Poulet aux prunes » a les qualités de « l'univers Satrapi » : c'est une très belle histoire d'amour contrarié dans les meilleurs moments du long métrage, doublée d'une peinture sociale de l'Iran de la deuxième moitié du XXème siècle fort convaincante. Mais c'est bien là le problème : ce film est inégal, malgré d'indéniables sommets. Il faut bien le dire, on s'ennuie poliment la majeure partie du temps, et l'on a du mal à trouver Mathieu Amalric sympathique... Tout droit sorti des films d'auteurs franchouillards chiants à mourir (pardonnez-moi l'expression), il plombe le long métrage par son humeur dépressive et suicidaire. Je ne me souviens plus trop de la bande dessinée originale, mais je l'avais plutôt bien appréciée dans mon souvenir. Prendre Amalric pour jouer le rôle principal était osé, mais un acteur inconnu aurait été sans doute préférable tant il en fait trop. Le film ne tourne plus qu'autour de lui, et les personnages secondaires peinent à ressortir. Le résultat est que l'on a de la peine à ressentir quoique ce soit pour les personnages et ce qui se trame à l'écran. « Poulet aux prunes » devient alors un long métrage tout à fait artificiel, aussi factice que son éclairage à la Jean-Pierre Jeunet. Bref, et ça me fait mal de le dire : sans âme. C'est vraiment dommage. Car quelques passages valent le détour : l'irruption inattendue d'Azraël, l'ange de la mort, incarné par un Edouard Baer méconnaissable, et surtout les moments avec Golshifteh Farahani, qui crève l'écran. Quelques éclats de lumière d'un diamant brut, malheureusement bien terne... 

[1/4]

samedi 1 novembre 2014

dimanche 7 septembre 2014

« La Poursuite infernale » (My Darling Clementine) de John Ford (1946)

    « La Poursuite infernale » n'est pas seulement un excellent John Ford. C'est avant tout un grand moment de cinéma, faisant la part belle aux morceaux de bravoure. C'est l'histoire d'un cow-boy se faisant shérif pour venger la mort de son frère et le vol de son bétail : le célèbre Wyatt Earp. Mais l'histoire ne s'arrête pas là : ce film regorge de seconds rôles extraordinaires, en commençant par le mystérieux Doc Holliday, homme tourmenté mi-gentleman mi-brute épaisse, en passant par l'aguicheuse Chihuahua et celle qui donne son nom au titre original du long métrage : la belle Clémentine, courageuse fiancée de Doc Holliday. Un foisonnement de seconds rôles (caractéristique du cinéma de Ford) des plus réjouissants. Certes, oui, comme l'indique Télérama, « La Poursuite infernale » est un western crépusculaire. C'est l'histoire d'un meurtre presque biblique, d'une quête sans fin, de la foi dans une justice qui vient réparer l'affront et punir le malfaiteur, mais qui reste humaine (Earp ne veut pas tuer l'assassin mais le mettre derrière les verrous pour le juger). C'est la confrontation entre la loi et l'ordre de la civilisation face à la barbarie de l'Ouest. Toutefois, John Ford ne donne pas à son film une orientation uni-dimensionnelle. Comme le titre original le laisse supposer, « My Darling Clementine » est aussi une histoire d'amour, et un instantané de la vie quotidienne dans l'Ouest américain, qu'il soit question de se faire raser chez le barbier (avec beaucoup d'humour) ou d'inaugurer une église, le temps d'une danse endiablée. Comme d'habitude chez Ford, on ne compte plus les séquences inoubliables, et ces moments de tension filmés avec trois fois rien, mais d'une force tellurique : la séquence du jeu de poker, du verre de champagne, de la tirade shakespearienne de l'acteur de théâtre, etc. etc. Et comme toujours, l'interprétation est parfaite. Henry Fonda est magistral en Wyatt Earp, tout comme Victor Mature en Doc Holiday. Mais tous les autres acteurs, du moindre frère Earp au violoniste à moustache, en passant par le barman, sont géniaux. « La Poursuite infernale », s'il n'est pas l'un des tous meilleurs Ford (encore que), n'en reste donc pas moins un grand film, réalisé de main de maître (et le mot n'est pas galvaudé).

[4/4]

jeudi 28 août 2014

« L'Homme des Caraïbes » (Sven) d'Hugo Pratt (1979)

    « L'Homme des Caraïbes » est un vrai bon album d'Hugo Pratt, du moins tel que je l'entends. Il y a tous les ingrédients qui font ses meilleures aventures : un anti-héros sarcastique mais plus généreux qu'on ne le croit, des péripéties trépidantes, une révolution, de l'argent volé (faute de trésor), de la trahison, des rebondissements, un brin de mystère et un soupçon d'humour. Ajoutons un coup de crayon pas extraordinaire mais tout ce qu'il y a de plus honorable, et nous obtenons un agréable moment de lecture imagée. Seul regret : la relative brièveté de cette histoire, on aurait aimé la voir plus dense et plus complexe, pour mieux se dénouer à la fin. Mais ne boudons pas notre plaisir, tous les albums d'Hugo Pratt ne sont pas de cette teneur, alors mieux vaut s'en féliciter !

[3/4]

« À l'ouest de l'Eden » d'Hugo Pratt (1977)

    Au carrefour des religions et des croyances, « À l'Ouest de l'Eden » est une version moderne du mythe de Caïn et Abel, de ce meurtre fratricide qui ouvre les premières pages de la Bible. Et il faut bien le dire, Pratt a du talent : sa bande dessinée est terrifiante. Dans une ambiance d'une noirceur abyssale, les morts s'égrènent un à un sous les coups de feu d'un mystérieux vengeur. Le trait est somptueux, aride, sublimant un désert funeste d'où l'on ne réchappe pas vivant. Un bémol : le mélange d'influences de Pratt n'est pas encore imbuvable, mais presque. L'idée de revisiter le mythe sous les uniformes de l'armée britannique est géniale. Mais certains personnages (dont Ève) tombent dans une bouillie ésotérico-chamanesque pas forcément du meilleur aloi. Dommage. Ceci dit, il s'agit bien d'un album réalisé de main de maître... auquel on sera en droit de préférer certains Corto Maltese et d'autres aventures d'Hugo Pratt plus... chaleureuses et humaines !

[2/4]

« Jésuite Joe » (Jesuit Joe) d'Hugo Pratt (1980)

    « Jésuite Joe » est visuellement superbe. Dans l'édition couleur, les teintes automnales éclatent et brillent de mille feux. De plus, le personnage éponyme (sorte de justicier sorti tout droit de l'enfer) est mystérieux à souhait, presque fascinant, quasi mutique (les premières pages sont extraordinaires, nimbées d'un silence élégiaque)... mais il est aussi violemment brutal. Et c'est là que le bât blesse : difficile de ressentir de la sympathie pour Joe. Il tire à la carabine et scalpe à tour de bras... C'est le côté nihiliste de Pratt qui ressort dans cette brève aventure. Et ce n'est pas le versant que je lui préfère. Il y a toutefois une pointe d'humanité dans le comportement de Joe, mais est-ce le hasard ? Un très léger brin de bonté qui complexifie le personnage, sorte de Corto Maltese au cœur calciné. Est-ce le fait que la version que j'ai eue entre les mains ne comporte pas la fin de l'histoire (semble-t-il) ? Je ne sais pas. En tout cas difficile de comprendre les motivations de Jésuite Joe, et le sens de ce récit... J'attends d'avoir une version complète, si elle existe, pour réviser (ou pas) mon jugement.

[2/4]

« Vous ne l'emporterez pas avec vous » (You Can't Take It With You) de Frank Capra (1938)

    « Vous ne l'emporterez pas avec vous » est une véritable explosion de joie et de fantaisie, un film réjouissant au possible, servi par d'excellents acteurs. Capra a le don de l'histoire qui fait mouche, du scénario intelligent qui rassemble les contraires et les préjugés pour mieux les défaire. Ici, il est question de deux familles qui s'opposent : les Vanderhof, dont le grand-père est un homme bon et affable, épris de liberté et d'amour pour son prochain, et les Kirby, dont le père est un homme d'affaire besogneux, cupide, égoïste et suffisant. Mr Kirby veut réaliser une opération commerciale qui mettra son concurrent sur la paille en achetant tout un lot d'habitations dans un quartier résidentiel, afin d'y construire des usines. Mais une petite maison le gène et résiste à son emprise... Celle des Vanderhof ! Sans compter que la petite fille de Mr Vanderhof est amoureuse du fils de Mr Kirby, et réciproquement... Bien évidemment, tous les ingrédients sont là pour promettre une comédie romantique haute en couleur et trépidante, mais ce qui fait tout son sel, c'est son arrière fond de critique sociale et de fable morale (sur la vacuité de l'argent-roi). Dans les mains d'un autre que Capra, ce serait soit mièvre soit raté, avec un humour qui tomberait à plat. Ici, tout est réussi, du moindre second rôle (l'hilarant russe aigri Kolenkhov) aux idées de mise en scène. Il faut dire que la troupe de Capra est excellente, James Stewart et Jean Arthur en tête, sans oublier le grand-père Vanderhof joué par Lionel Barrymore ou Edward Arnold, qui incarne le détestable Mr Kirby avec talent. Mais n'oublions pas la mise en scène de Capra, fluide et intelligente, audacieuse, sans parler du montage rythmé et impeccable. Tout est au diapason pour nous offrir une merveille de long métrage, frais, drôle et très original. Pourquoi ne sait-on plus faire de films comme ça de nos jours ? Quel dommage... Car ça ne demande pas de grands moyens... Juste de l'imagination et du cœur ! A croire que c'est ce qui fait le plus défaut aux cinéastes (du moins à beaucoup d'entre eux) et à l'Hollywood d'aujourd'hui.

[4/4]

mardi 19 août 2014

« Mû » d'Hugo Pratt (1992)

    Ultime aventure de Corto Maltese, « Mû » est, tout comme « Les Helvétiques », un long rêve halluciné. Et tout comme « Les Helvétiques », il s'agit pour moi d'un album en demi-teinte. Corto entre de plein pied dans le pays des songes, mais ces songes n'ont pas la même saveur, à mon goût, que ceux plus subtils des « Celtiques » et autres « Sous le signe du Capricorne ». Peut-être est-ce dû au « trop plein » d'onirisme : à forcer de vouloir mettre des templiers et des champignons hallucinogènes partout, et surtout à force de les croiser avec tout et n'importe quoi (ici l'Atlantide et le pays perdu de Mû), Hugo Pratt perd en crédibilité, et surtout cède à une certaine facilité. Il faut dire que j'entrevois une baisse de régime dans l’œuvre de l'Italien depuis « La Maison dorée de Samarkand », dernière grande aventure, et dernier véritable bon album d'Hugo Pratt. A mon sens, ce qui fait le sel de Corto Maltese, c'est ce mélange entre un contexte historique fort et trouble (la première moitié du XXème siècle), des personnages mystérieux et mémorables (Corto et les nombreux personnages secondaires, excepté Raspoutine, trop grossièrement écrit, surtout vers les derniers albums), de l'aventure, et une pointe (bien qu'indispensable et plus que bienvenue, mais je dis bien une pointe, pas une louche) d'onirisme et de poésie. Un mélange délicat, qui a fonctionné pendant plusieurs albums de choix, mais qui semble se faner à partir de « Tango »... Sous couvert d'onirisme, Pratt se fait plus trivial, et ses personnages n'ont plus grand chose à dire... On ne compte plus les invectives un peu vaines qui jouent d'un comique de répétition éculé... Ainsi, il y a beaucoup de cases qui s'écoulent sans intérêt dans « Mû », délayées dans un récit au flou artistique plus ou moins maîtrisé. Pour autant, quelques passages et quelques bonnes idées forcent le respect, et démontrent qu'Hugo Pratt est (ou fut) un grand de la bande dessinée. « Mû » n'est donc pas un grand album de BD, mais son originalité et la beauté du trait de Pratt en font tout de même un passage (initiatique ?) obligé pour qui s'intéresse au neuvième art.

[2/4]

lundi 11 août 2014

« Un jour sans fin » (Groundhog Day) d'Harold Ramis (1993)

    « Un jour sans fin », c'est avant tout un scénario original et surtout merveilleusement bien exploité. Imaginez : Phil Connors est un présentateur météo complètement désabusé. Et pour cause, comme chaque année depuis 3 ans, il doit aller couvrir le Jour de la marmotte (censée annoncer la venue du printemps) dans une bourgade reculée de Pennsylvanie, lui qui se croit si sûr de son grand talent. Imbu de lui même, aigri, il insupporte ses collègues, mais, en trainant les pieds, fait son reportage. Vient enfin le moment de repartir vers Pittsburgh, quelle délivrance ! Hélas, le matin il se réveille dans le même hôtel que la veille... et c'est une fois encore le Jour de la marmotte. Et ainsi de suite pendant des jours et des jours : il est condamné à revivre exactement la même journée, et à revivre les mêmes situations avec les mêmes personnes que la veille. La seule chose qui change, c'est que Phil est conscient de ce qui lui arrive (c'est bien le seul) et que la seule liberté qui lui reste, c'est de choisir de vivre tant bien que mal cette journée sans fin, de façon positive ou non. De là découle une réflexion philosophique plus subtile qu'il n'y paraît : Phil est bloqué sur cette journée, mais il peut en faire ce qu'il veut, selon qu'il voie le verre à moitié vide ou à moitié plein. Il peut s'enfoncer dans la dépression la plus noire, braquer une banque ou au contraire s'améliorer chaque jour pour conquérir le cœur de la belle Andie MacDowell. « Un jour sans fin » est donc un hymne à la vie dans ce qu'elle a de plus simple. Vous êtes sur Terre pour des années, mais qu'allez vous faire de ce temps qui vous est imparti ? Voilà la question toute simple et pourtant essentielle que nous pose ce film. Et il le fait d'une fort belle (et ingénieuse) manière.

[4/4]