samedi 3 janvier 2015

« Entre elle et lui » de Nathalie Dessay et Michel Legrand (2013)

    Je le concède, les premières fois que j’ai écouté cet album, j’étais déçu par la production ultra léchée et la voix presque mécanique de Nathalie Dessay. Difficile de ressentir la moindre émotion, avec un essai qui me semblait presque factice, forcé. Mais bien malgré moi, à force d’éprouver l’envie de réentendre cet opus et au fil des écoutes, il s’est imposé à moi comme un magnifique aperçu de ce que sait faire de mieux Michel Legrand : des chansons aux mélodies riches et limpides à la fois. Car finalement Nathalie Dessay reste en retrait, et c’est la formidable musicalité des chansons de Legrand qui ressort, leur génie musical (n’ayons pas peur des mots) demeurant un régal sans pareil. Si l’on sent une patte, voire quelques « tics » de composition, force est de reconnaître que l’inspiration de Legrand semble sans limite. Certaines de ses œuvres sont déjà des classiques, et cet album est l’occasion de se rendre compte combien il a su composer des mélodies originales et se forger un style qui n’appartient qu’à lui. Un style qui ravira tout autant les adeptes de musique classique, les amateurs de jazz et les fans de comédies musicales. Le style de Legrand est protéiforme et s’abreuve aux meilleures sources qui soient. Et le tout, loin d’être indigeste, coule comme de l’eau de source, pure et claire. A tel point que je me suis surpris plusieurs fois à écouter le disque en boucle en le relançant une fois fini. Un disque que je recommande donc à tous, inconditionnels de Legrand ou simples amoureux de belle musique.

[3/4]

jeudi 1 janvier 2015

« Récits de jeunesse » d'Andreï Tarkovski (2004)

    Tarkovski le dit lui-même dans l'un des récits qui composent ce recueil, il n'est pas un bon écrivain. Et ce n'est pas moi qui le contredirai. Ses récits sont assez plats, n'ont que peu de relief artistique, manquent de poésie. A l'inverse, ce sont des récits autobiographiques, crus, plus par le regard sans fard que porte sur lui le futur cinéaste que par un langage vulgaire et grossier qu'on serait bien en peine de trouver parmi ces textes. Tarkovski a beau être sans concession sur sa personne, il n'en conserve pas moins une certaine pudeur. Mais on sent que Tarkovski n'est pas à l'aise avec l'art des mots, il ne suffisent pas à rendre compte de tout ce qu'il veut dire, ils peinent à rendre l'expérience de la vie telle qu'il la perçoit dans toute sa richesse (richesse dont témoigneront ses longs métrages, d'une grande beauté et d'une grande profondeur). Même ses poèmes, assez agréables (bien que parfois tourmentés), sont maladroits et ne frappent pas le lecteur par leur singularité. Ce sont de jolis instantanés de la nature russe (humaine comme végétale). Mais rien d'exceptionnel. Par contre, on sent dans chacun de ces textes, nouvelle ou poème, toute la sensibilité à fleur de peau du cinéaste russe, et surtout une attention portée au détail qui trouvera tout son accomplissement dans des films comme « Stalker », où la nature règne, majestueuse, sublimée par la photographie sépia ou en couleur du long métrage. Plus encore, on ressent ce que vit Tarkovski, ses peines comme ses joies, son émerveillement face à la nature environnante, même si ce n'est pas du même ordre que ce qu'éveille en nous « Le Miroir », peut-être son chef-d’œuvre cinématographique. Clairement, donc, ces « Récits de jeunesse » s'adressent aux inconditionnels de Tarkovski, car ils permettent de comprendre l'itinéraire personnel et artistique de ce cinéaste particulier. Leur valeur tient plus, en effet, du témoignage biographique que d'une quelconque teneur artistique, qui n'est pas encore pleinement épanouie (mais en 1962, année où s'arrêtent ces textes et où Tarkovski achève « L'Enfance d'Ivan », ça ne saurait tarder).

[2/4]

mercredi 31 décembre 2014

« Boudu sauvé des eaux » de Jean Renoir (1932)

    « Boudu sauvé des eaux » est un film étonnant, inclassable. Sorte de fable sociale anarchiste, c'est un bel écrin pour le jeu totalement imprévisible (et très physique) de Michel Simon. Un clochard, Boudu, se jette dans la Seine après avoir perdu son chien. Un bourgeois le voit dans l'eau depuis son appartement parisien, et décide de sauter dans le fleuve pour lui venir en secours. Il le ramène chez lui, et l'habille comme l'un des siens. Mais la nature anticonformiste de Boudu ne s'adapte guère à la bienséance (toute relative) des mœurs de la famille Lestingois. Ce dernier est en effet un bourgeois libéral et généreux, qui entretien une liaison avec sa bonne, à l'insu de sa femme. Comme dans une pièce de vaudeville, l'arrivée de Boudu dans la famille vient rebattre les cartes des liaisons amoureuses et tout faire voler en éclat, engendrant de savoureux quiproquos. Il vient surtout remettre en cause les principes de Lestingois : l'hospitalité, la générosité, la croyance dans la bonté humaine. La séquence finale est extraordinaire : complètement inattendue, elle révèle toute l'ambivalence de la nature de Boudu, qui décidément, ne veut se raccrocher à rien d'autre qu'à sa liberté. Notons que la mise en scène de Renoir est d'une grande qualité, nous avons droit à de beaux travellings, et surtout à de magnifiques prises de vue en extérieur, notamment sur les bords de Seine. Un film assez déroutant, mais typique de l'art conjugué de Jean Renoir et Michel Simon, et à ce titre qui mérite largement le coup d’œil.

[3/4]

mardi 30 décembre 2014

« The Way – La Route ensemble » (The Way) d'Emilio Estevez (2010)

    « The Way » est un très beau film sur El Camino (Le Chemin), la route de Saint-Jacques-de-Compostelle. Emilio Estevez ne prétend pas faire un film définitif sur le sujet. Il s'agit juste d'un bel instantané, comme s'il avait pris au hasard une demie douzaine de pèlerins, chacun avec ses problèmes à régler, pour mieux illustrer la mosaïque de personnalités qui s'engagent sur le chemin. L'histoire est simple et sobre : un médecin ophtalmo perd son fils sur le chemin de Saint-Jacques, il décide alors de prendre sa suite et de faire le trajet à pied depuis Saint-Jean-Pied-de-Port. Il ira de rencontres en rencontres, et finira pas se forger de belles amitiés avec des gens tout aussi désemparés que lui. On ne prend jamais Le Chemin par hasard dit l'un des marcheurs. Et cela semble vrai, tant chacun d'entre eux tient à vivre une rédemption et se sent appelé à changer de vie, chacun à sa manière. Emilio Estevez évite les clichés des longs métrages américains qui se veulent européens : son héros principal, joué par l'excellent Martin Sheen, est américain dans le film, et se prend quelques réflexions bien senties. Estevez adopte un point de vue universel, les autres protagonistes étant Néerlandais, Canadienne et Irlandais. Nous n'avons donc pas le droit à l'américain qui débarque pour conquérir l'Espagne, non, ici Martin Sheen joue seulement un père qui cherche à comprendre les derniers actes de son fils, rien de plus. Ce qui réserve des passages fort émouvants sur le lien filial et la paternité. Et chose encore plus incroyable, Emilio Estevez parvient à retranscrire l'esprit de la route de Saint-Jacques, ce mélange d'aventure, de spiritualité (sans verser dans le prosélytisme : chacun a sa vision bien à lui du divin), de galère et d'amitié. Le plus important n'est pas tant l'arrivée à Saint-Jacques que le parcours vécu ensemble, voilà ce que semble nous dire Estevez, et qui reste valable pour tout voyage digne de ce nom. Emilio Estevez réussit son tour de force en n'épuisant pas un sujet vaste comme le ciel, mais en lui donnant un visage humain, et mieux encore, en nous donnant envie, à notre tour, de prendre la route à la suite de ses personnages. Que demander de plus ?

[3/4]

lundi 29 décembre 2014

« Ressusciter » de Christian Bobin (2001)

    Quelques mots sur Christian Bobin. Christian Bobin est un chercheur d'or, capable de trouver le métal le plus fin et le plus pur dans le cours tumultueux de la vie. Les aphorismes de Christian Bobin sont comme des touches de couleur aux nuances infimes, tantôt teintées de lumières, tantôt baignées par une ombre douceâtre. Leur éclat varie au gré des mots : elles sont souvent d'une joie parfaite, parfois d'une douleur sourde, mais jamais désemparée, toujours belles : simples et belles. Le vers libre (et plus généralement l'art) de Christian Bobin confirme que la poésie n'est pas qu'affaire de forme, je dirais même qu'elle est davantage affaire de sens, versée dans la forme des mots et leur agencement. Ce qui réjouit l'âme, dans la poésie de Christian Bobin, c'est la rencontre des images convoquées, c'est l'infini perçu dans le trois fois rien, c'est la richesse de la vie perçue dans la pauvreté de nos existences d'êtres humains. M. Bobin est capable de se réjouir de tout : c'est la marque des gens simples, d'une noble simplicité, qui sait que la vie ne réside pas dans l'argent ou les honneurs, mais dans l'amour et l'amitié. Et de fait, M. Bobin est un grand écrivain : il est un fin moraliste, mais pas un moraliste aride et aigre du XVIIIème siècle, car c'est aussi un merveilleux poète. Réjouissons-nous de cette conjonction de talents, qui nous offre de belles et longues méditations à partir de petits textes, et un beau moment de lecture grâce à cet art si consommé avec lequel il manie le Verbe.

    A présent, quelques mots sur son recueil « Ressusciter ». C'est un authentique chef d’œuvre de la littérature, un instantané de ce qui s'est écrit de mieux en ce début de XXIème siècle. Rares sont les ouvrages capables de délivrer avec autant de précision et de délicatesse le parfum si particulier de la vie véritable, celle des rencontres humaines et de l'émerveillement face à l'humanité et la nature. Bien sûr, cet émerveillement n'est pas béat et encore moins dupe : M. Bobin sait dépeindre les lâchetés d'autant mieux qu'elles blessent la sensibilité aiguë de son cœur d'homme. Pour autant, rares sont les livres à m'avoir touché à ce point, ce qui est d'autant plus étonnant au vu de la forme on ne peut plus modeste de l'ouvrage : quelques phrases couchées ici et là au creux de pages d'un blanc immaculé, aussi pures que sa poésie. Je me suis même pris à retrouver des souvenirs perdus de mon enfance et de mon adolescence, et autant le dire tout de suite, c'étaient de merveilleux souvenirs. Car oui, je n'ai pas peur de le dire : Christian Bobin réveille ce qu'il y a de meilleur en nous. Et pour cela, merci.

[4/4]

« Mary Poppins » de Robert Stevenson (1964)

    Il fut un temps où l'on pouvait concilier divertissement et qualité. J'insiste : divertissement ET qualité. Ce qui aujourd'hui sonne comme un oxymore, trouve son plus bel accomplissement dans cette adaptation cinématographique de l'histoire de Mary Poppins, gouvernante idéale (du moins pour les enfants), plus par la magie de ses tours et son imagination que par sa distinction (tout effrontée, l'air de rien) et son autorité (naturelle, car basée sur l'intérêt qu'elle porte aux enfants). Le studio Disney réussit la prouesse de mêler prises de vue réelles et animées, sans qu'aucun effet spécial (et Dieu sait qu'il y en a dans ce film) ne soit disgracieux. En fait c'est bien simple, dans ce long métrage, tout est réussi. Les acteurs sont exceptionnels, Julie Andrews et Dick Van Dyke en tête, les séquences animées sont poétiques et drôles à souhait, les numéros de comédie musicale sont entraînants et imaginatifs, bref, nous avons là l'une des toutes meilleures réalisations Disney. Certains passages sont de véritables moments d'anthologie : le rangement de la chambre des enfants, la partie animée (extraordinaire), ou encore le passage sur les toits. Et les seconds rôles ne sont pas en reste, des banquiers affairés et ennuyeux au capitaine de navire, en passant par la mère suffragette et le père totalement pris par son métier. Finalement, « Mary Poppins » est une fable sur l'enfance et le rôle des parents : Mary ne fait que redonner aux parents Banks (surtout le mari) le goût de la vie et de l'imagination, et plus encore, le goût des autres, le goût de ses propres enfants. Une frontière semblait s'être établie entre le monde fantastique des enfants et celui morne et triste du père, rationnel et besogneux : ils ne savaient plus se parler, le nombre de gouvernantes ayant échoué à les élever en faisant foi. L'arrivée de Mary Poppins vient renouer les liens, et les univers se rejoignent alors : les enfants investissent la banque et la font littéralement sauter, et le père retombe en enfance. Car c'est elle qui a le dernier mot : l'enfance, cet âge merveilleux où tout est possible...

[4/4]

samedi 27 décembre 2014

« Un coup de dés jamais n'abolira le hasard » de Stéphane Mallarmé (1914)

    « Un coup de dés... » fait partie de ces œuvres fondatrices de la modernité artistique, qui ont conduit à la situation de l'art d'aujourd'hui, c'est-à-dire un art en crise, vidé de son sens et de sa substance. Ce poème posthume de Mallarmé confine aux limites de la fumisterie, si l'on excepte la sincérité de l'auteur, qui croyait en la poésie comme on croit en Dieu. Adepte de l'art pour l'art (autrement dit, l'art coupé de la vie et du sens), Mallarmé est de ces talentueux artistes qui ont précipité leur art dans le néant et la médiocrité, à l'image de Picasso, brillant technicien et commerçant, mais piètre artiste et visionnaire, fossoyeur de la peinture occidentale. Mallarmé a écrit des choses magnifiques, et est un fin versificateur. Seulement il a cru aveuglément que les mots pouvaient se suffire à leur sens, que leur gangue esthétique, leur seul aspect et leur seule sonorité pouvaient combler l'absence de sens, et mener à une perfection qu'il ne percevait pas complètement ampoulée (et stérile). Voulant créer une sorte de religion de la poésie, Mallarmé nous livre là un poème qui ne manque pas d'allure (notamment par la finesse des mots choisis), mais dont le vers libre se brise totalement sur les écueils de la vacuité. L'art pour l'art, l'esprit pour l'esprit, autrement dit le narcissisme artistique dans son plus bel éclat, tout cela ne mène à rien. Mais au début du XXème siècle, personne ne pouvait encore le deviner. Aujourd'hui, nous sommes les témoins impuissants des errements de nos aïeux (sinon en osant créer à notre tour du sens). Mallarmé, malgré sa longue quête artistique, ne semble pas avoir compris que l'essence du mot est d'être vecteur de sens. Le sens est véhiculé par la structure même du mot et par sa sonorité, et je me risquerai à avancer que l'art n'est rien d'autre que l'expression du sens, un langage qui utilise un support (ici les couleurs, là les mots, ou encore les sons) pour exprimer quelque chose, ce quelque chose étant l'opposé du rien. Alors il est vrai que ce poème est une longue divagation sur la notion de hasard, il a donc un certain sens, coulé dans son esthétique quelque peu prétentieuse et absconse. Mais si l'on juge à présent de l'intérêt de ce qui est véhiculé par ce poème, on en vient à être troublé. Quoi, tant de bruit pour si peu ? A l'image de l'art d'aujourd'hui, le choc stylistique masque la vacuité du fond et de la démarche de cette œuvre de bien faible envergure.

[1/4]

« Le Loup de Wall Street » (The Wolf of Wall Street) de Martin Scorsese (2013)

    Indéniablement, ce film est bien réalisé, bien écrit, bien joué. On ne s'ennuie pas une seule seconde, on rigole devant tant de bêtise (la scène où Belfort, complètement ravagé par une drogue expérimentale, veut conduire sa Lamborghini, la scène des nains, et plein d'autres), on est estomaqué devant la cupidité de ces courtiers. Mais on ressent une sorte de malaise diffus pendant tout le long métrage. Où veut donc en venir Scorsese ? On a le droit à la sempiternelle trajectoire ascension fulgurante / gloire et excès / et chute brutale (cf. « Raging Bull », « Les Affranchis » ou « Casino »). Mais Scorsese est-il critique envers ce jeune loup aux dents acérées et qui veut faire sa fortune sur le dos des gens ? Ou se laisse-t-il plutôt fasciner par toute cette débauche de fric, de drogue et de sexe qu'il filme avec une grande précision (et une grande complaisance) ? Je ne sais pas mais j'ai ma petite idée : sans doute les deux... même s'il penche peut-être davantage pour la deuxième option. Scorsese a toujours été ambivalent dans ses films sur la mafia, souvent violents : il semblait comme ébloui par le clinquant de ses mafieux et leurs excès en tous genre. Seule la chute venait timidement les ramener à la réalité. Ici, on peut dire qu'on a droit à 3h de sexe en tout genre avec prise de toute une variété de drogues, brillamment documentées par la voix-off et la constatation des effets. Cela comporte deux dangers : 1) croire et faire croire que la finance « est vraiment comme ça », alors que c'est le fait, certes bien réel, de quelques individus seulement ; 2) inciter des jeunes à devenir à leur tour des traders cupides et dégénérés, avides d'argent facile, de sexe et de drogue. Car tout semble réussir aux anti-héros de Scorsese, et ils semblent s'éclater à fond. Pourquoi, dans ce cas, ne pas les imiter ? Tout comme le fameux « Wall Street » d'Oliver Stone en son temps, « Le Loup de Wall Street » sera sûrement (j'en mettrais ma main à couper) le déclencheur de bien des carrières de jeunes requins prêts littéralement à tout pour s'enrichir facilement et rapidement aux dépens des autres. Toutefois, je reconnais une chose à Martin Scorsese, c'est qu'il nous dit que personne n'est innocent : les pigeons arnaqués par Belfort et sa bande voulaient s'enrichir rapidement sans chercher à comprendre comment, tout comme l'assemblée du dernier plan, prête à recevoir les enseignements de Belfort pour à son tour devenir une bande d'arrivistes sans foi ni loi. De ceux qui exigent des rendements excessifs (ça peut être le petit retraité de Californie comme l'épargnant français de base) aux opérateurs de marché complètement immoraux, non, personne n'est innocent.

PS : il convient de noter qu'auparavant, la profession de trader ne nécessitait pas d'avoir fait d'études. Ce qui explique l'absence de vision de ces individus à l'époque, et aussi l'hypocrisie de l'époque actuelle qui forme des flopées de Bac + 5 pour faire de la vente pure et simple, d'où les mécanismes complètement tordus créés par ces têtes d’œuf frustrées, qui nous on conduit à la crise que l'on connaît.

[2/4]

jeudi 25 décembre 2014

« Le Bâton de Plutarque » d'Yves Sente et André Juillard (2014)

    Un album à destination hautement... commerciale. Je ne vois pas d'autre explication possible à sa raison d'être. « Le Bâton de Plutarque » fait partie de ces albums de bande dessinée qui sucent jusqu'à la moelle d'autres albums d'envergure. Qui n'hésitent pas à reprendre des personnages qui n'ont vocation qu'à apparaître une seule fois et disparaître dans l'ombre pour faire place à de nouvelles aventures (et ouvrir le champ à l'imagination féconde de tout artiste digne de ce nom, pour le plus grand bonheur des spectateurs/lecteurs). Ici, rien de nouveau. L'histoire prend place juste avant « Le Secret de l'Espadon », peut-être la plus grande réussite de feu Edgar P. Jacobs (qui doit se retourner dans sa tombe), et assurément l'une des plus grandes aventures du neuvième art. Et paresseusement, l'intrigue sommaire (digne d'un collégien de classe de troisième), déroule maladroitement ses entrelacs pour ouvrir sur le grand récit bien connu de tous les aficionados de « B & M ». Le problème est que tout est bancal. On repère la taupe de l'histoire à des kilomètres à la ronde. Les péripéties semblent cousues de fil blanc, tout est mécanique et semble creux, factice, juste bon à servir de prétexte. Le scénario est soporifique, et seule l'arrivée d'un personnage clé de l'univers jacobsien vient pimenter le tout. Mais lui aussi fait de la figuration, il a bien plus d'allure et d'épaisseur dans la suite des aventures de Blake et Mortimer, surtout sous le crayon de Jacobs en personne. Je l'ai déjà évoqué, le problème des aventures de B & M postérieures au maître est qu'elles doivent remplir un cahier des charges bêtement établi. On ne rend pas hommage à l’œuvre d'un artiste en la copiant fidèlement (et c'est vrai pour tout art et toute époque), mais en créant quelque chose de tout à fait neuf tout en s'en inspirant avec parcimonie. Et de fait, les meilleurs albums post-Jacobs (à savoir « L'Affaire Francis Blake » et « La Machination Voronov ») sont excellents parce qu'ils osent tout. Tout reprendre à zéro, tout remettre en question, changer totalement de cadre et proposer autre chose. Le pire cauchemar de tout artiste ou créateur est (ou devrait être) de s'enfermer dans des tics et une expression auto-référentielle des plus nombrilistes, pauvre et stérile au possible. Dans une parodie sans âme qui ne fait rire personne. Malheureusement, il semble que les continuateurs de B & M s'enfoncent de plus en plus dans cette direction...

[1/4]

dimanche 21 décembre 2014

« Timbuktu » d'Abderrahmane Sissako (2014)

    « Timbuktu » est le film qui devait être fait sur l'actualité brûlante du djihadisme barbare, qui s'est répandu comme une trainée de poudre au Moyen-Orient et en Afrique. Mieux encore, c'est un long métrage réalisé par un poète : au lieu de montrer l'horreur qui est l'apanage des extrémistes de tout poil (et au lieu de s'avilir comme eux dans cette complaisance de la violence), Sissako suggère, et nous offre un film d'une grande beauté formelle. Beaucoup de plans sont magnifiques, et il use avec talent du cinémascope. Il nous surprend même, quand son long métrage prend des atours de fable biblique ou coranique. Il oppose l'Eden du foyer familial, des époux et de leurs enfants, aux étrangers brutaux qui arrivent tout à coup pour semer le chaos et l'horreur (un exemple nous est donné avec cet homme qui mitraille une touffe d'herbes dans les dunes de sable, juste pour le plaisir et pour montrer sa puissance). Mais Sissako est un fin personnage : il nous représente les djihadistes comme ce qu'ils sont réellement, des pauvres hommes déracinés et fanatisés, qui préfèrent presque Messi et Zidane à Allah, qui ne peuvent s'empêcher de danser même si c'est proscrit, ou de fumer même si c'est interdit. Oui ce sont juste des hommes, embarqués dans une escalade de violence et de haine qui s'auto-alimente, sans échappatoire. La force du long métrage d'Abderrahmane Sissako réside surtout dans son humour, en ce qu'il montre avec humanité et bienveillance (certains le trouveront trop doux) l'absurdité totale du djihadisme tel qu'il est vécu par ces hordes de sinistres individus. Là encore il fait preuve d'intelligence lorsqu'il fait parler un imam face aux djihadistes, ce dernier leur expliquant que le djihad est avant tout intérieur, et mettant ces hommes qui n'hésitent pas à s'introduire armés dans une mosquée face à leurs contradictions. En quelques touches de pinceau, Sissako nous montre que les djihadistes ont tout faux, que leur Islam n'est pas le véritable Islam, que leur guerre n'est ni juste et encore moins sainte, en ce qu'elle brise des individus qui ne sont autres que leurs frères et sœurs, dans la foi comme dans cette nature humaine qui leur fait bien défaut. Heureusement nous dit Sissako, tout ce qui fait l'humanité : la bienveillance, l'amitié, le pardon, la culture, la musique, l'amour, tout cela survivra toujours à la haine et la violence de quelques individus. Puisse ce message d'espoir redonner courage à tous ceux qui souffrent encore aujourd'hui de la barbarie dans le monde...

[4/4]