jeudi 9 juin 2016

« Courrier sud » d'Antoine de Saint-Exupéry (1929)

    Premier roman de Saint-Exupéry, « Courrier sud » est peut-être aussi la plus mélancolique de ses œuvres. Récit kaléidoscopique de la vie de Jacques Bernis, pilote de l'aéropostale, c'est aussi une plongée dans le paradis perdu de l'enfance, dans un monde de souvenirs qui n'est plus. La frontière entre le monde des enfants et celui des adultes est perméable, et on ne sait jamais si ce sont les enfants qui grandissent trop vite ou les adultes qui ne le deviennent jamais complètement. Histoire terriblement humaine, de regrets, « Courrier sud » est également le récit d'une certaine nostalgie de l'idéal, de mondes irréconciliables : celui d'un homme et d'une femme que tout oppose. Jacques et Geneviève ont grandi ensemble aux côtés du narrateur. Le premier, de condition modeste, est devenu pilote ; la seconde, d'ascendance plus aisée semble-t-il, s'est mariée à un bourgeois vaniteux et cuistre, mariage de raison... ou folie ? Quand Jacques veut l'arracher à ce mari pesant, tout vacille... Alternant le temps de l'aviateur, dans son avion, ou de ses coéquipiers et amis, suivant à terre son périple, et le temps des souvenirs, les conversations avec Geneviève, les échappées le temps d'une escale, le narrateur nous perd quelque peu et tout se mélange. On est comme la tête emplie de pensées, entre l'ici et maintenant et l'ailleurs, le passé. Peu ou pas de futur, tout est nostalgie. En cela, « Courrier sud » est un roman tragique, le récit d'un manque, d'une paix impossible. Usant d'une langue riche et simple à la fois, Saint-Ex narre avec talent les aventures de ces personnages, cet homme et cette déesse inatteignable, lointains et proches à la fois. Notons l'acuité avec laquelle l'auteur dépeint des sentiments subtils et complexes, sans psychologisme de bas étage, avec une grâce et une profondeur sans pareils. Un très beau roman, très triste aussi.

[3/4]

« Les Aventures de Robin des Bois » (The Adventures of Robin Hood) de Michael Curtiz et William Keighley (1938)

    « Les Aventures de Robin des Bois » est une madeleine de Proust savoureuse, à l'image d'« Ivanhoé » de Richard Thorpe, que je regardais en boucle étant enfant. Je n'avais jamais vu en entier le film de Curtiz jusque là, mais nul doute que plus jeune je l'aurais adoré. Je me souvenais juste de la scène où Robin s'échappe d'un festin piégé dans un château gigantesque, scène particulièrement impressionnante par le nombre d'acteurs dirigés, de premiers et seconds plans soigneusement élaborés. Une scène à l'image de tout le film : pleine d'humour et de panache. On retrouve également dans ce film un Technicolor éclatant, des chevaliers aux parures chatoyantes dans un style impeccable, presque trop propret, des combats chorégraphiés au millimètre près, des coupes de cheveux improbables... Bref, tout cela est délicieusement suranné, et c'est ce qui fait le charme de ce long métrage, ce qui fait également qu'on lui pardonne les fautes de raccord, les effets spéciaux d'un autre âge, etc. etc. Bien sûr, ce film ne serait rien sans ses personnages, tous excellents du haut de l'affiche au dernier des seconds rôles. Tout d'abord Errol Flynn (Robin des Bois) est excellent, il nous refait le coup du jeune effronté enthousiaste, maniant le verbe et l'arc comme personne, sorte de Gentleman Jim du Moyen-Âge. Il forme un couple charmant avec la belle Olivia de Havilland (Lady Marian), qui joue la jeune femme en détresse comme personne, avec ce qu'il faut d'indignation feinte. Les méchants ensuite sont particulièrement détestables : le Prince Jean est fourbe à souhait, Claude Rains s'en donne à cœur joie pour interpréter le félon par excellence. Basil Rathbone ensuite, campe un Guy de Gisbourne arrogant et perfide comme il faut. Melville Cooper, enfin, joue un Shérif de Nottingham comique malgré lui, qui vient contrebalancer la noirceur de ses comparses malfaisants. Et puis toute la troupe de Robin est réjouissante, de Petit Jean à Frère Tuck. Ce film baigne dans une joie communicative : les rires un peu forcés fusent régulièrement (épinglés par Michel Hazanavicius dans ses « OSS 117 »), mais malgré ces maladresses, comment ne pas se réjouir des tours pendables de Robin, des combats d'épées endiablés, des réparties cinglantes du Sire de Locksley, des joyeuses ripailles, et j'en passe ? Ayant mieux traversé le temps que le film avec Kevin Costner, malgré les années qui les séparent, « Les Aventures de Robin des Bois » est ainsi un classique intemporel, sans doute la meilleure adaptation à ce jour de l'histoire de Robin Hood, un film qui fera rêver les (grands) enfants encore longtemps.

[3/4]

samedi 4 juin 2016

« Alice au pays des merveilles » (Alice in Wonderland) de Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske (1951)

    Il semble difficile de croire que ce dessin animé ait été renié par ses créateurs, au premier rang desquels Walt Disney. Car il s'agit du plus riche et du plus créatif des longs métrages produits par la firme américaine. Difficile également de se dire que le film ne dure qu'1h15… Car dans ce laps de temps, un nombre incalculable de scènes toutes plus extravagantes les unes que les autres s'enchaînent, à un rythme soutenu, mais suffisamment bien dosé pour que l'on puisse s'attarder avec délice sur tel ou tel personnage saugrenu. Car ce qui fait aussi le charme de l'«Alice au Pays des Merveilles » version Disney, c'est cette galerie d'êtres étranges et loufoques. Je ne me risquerai pas à les énumérer, tant chacun est extraordinairement absurde et amusant à la fois. J'ai lu il y a longtemps le roman original de Lewis Carroll et ne m'en souviens plus trop, mais dans mes souvenirs, si la version de Disney est assez inquiétante, surtout pour les enfants, il me semble qu'elle l'est moins que l'ouvrage de l'écrivain britannique, relativement sombre. Ce qui fait que j'ai gardé un bon souvenir des fois où j'ai vu ce dessin animé enfant. Ce qui fait également que j'éprouve une grande tendresse pour ce long métrage et ses personnages attachants. Ainsi, on se perd avec bonheur dans ce labyrinthe onirique, où tous les rapports spatio-temporels et logiques sont abolis. Je ne pense pas qu'il faille chercher un quelconque sens ou une quelconque morale à ce long métrage. Par contre, il s'agit d'une peinture fidèle à la fois de l'imaginaire enfantin et du monde des rêves, où se perdent même les adultes dans leur sommeil. Et ce n'est pas rien ! Rares sont les œuvres à l'avoir fait avec autant de brio. A ce titre, « Alice au Pays des Merveilles » est un film universel, qui n'a pas pris une ride en plus de 50 ans, et c'est même l'un des très rares Disney qui ne me semble pas quasi exclusivement réservé aux enfants. Malgré l'exubérance qui baigne le dessin animé, je n'ai en outre pas noté une seule faute de goût. Nombreux sont les deuxièmes niveaux de lecture, sans parler d'autres véritables qualité : l'animation, parfaite, et la musique, charmante. Tout cela fait de ce dessin animé, à mon sens, la meilleure adaptation de l’œuvre de Lewis Carroll à ce jour, une version de référence indépassable.

[4/4]

« Le Roi lion » (The Lion King) de Roger Allers et Rob Minkoff (1994)

    Grosse déception que ce « Roi lion ». Ne l'ayant jamais vu en entier jusqu'alors, n'en connaissant que quelques passages « cultes » il est vrai, je m'attendais à quelque chose de plus abouti et d'une qualité supérieure vu l'engouement dont bénéficie ce long métrage. Hélas, hormis quelques passages choisis, ce film a mal traversé les années, et pourtant c'est un Disney plutôt récent... Tout d'abord que de niaiseries ! Certains Disney en sont quelque peu imprégnés, là ça déborde de partout ! En outre, difficile de s'attacher à Simba, ce lionceau tantôt sûr de lui à l'excès, tantôt pleurnichard, souvent insupportable… Et puis l'animation est assez déplorable… Pour le coup, le mauvais goût est souvent de mise, et franchement on ne peut pas dire que ce film soit des plus audacieux ou des plus originaux. Je sais qu'il est grandement inspiré d'une œuvre de Tezuka, « Le Roi Léo », mais n'ayant pas vu ce dessin animé, je m'arrêterai là dans la comparaison. Pour ce qui est du film de Disney, je ne retiens que deux ou trois chansons, les plus connues, et quelques personnages secondaires, Zazu en tête. Après il est vrai que certains passages tragiques sont forts et émouvants. Mais ils sont rares, et dans l'ensemble j'ai eu du mal à m'attacher aux personnages, bien trop fades pour la plupart. Même le méchant, Scar, a un visuel et un caractère qui le rendent presque ridicule, en tout cas guère menaçant. Pour moi, il s'agit donc d'un long métrage réservé aux enfants, qui peine à dépasser le stade de simple dessin animé. Oui je comprends son succès, mais je peine à croire qu'on puisse l'inclure dans un quelconque renouveau, ou Second Age d'Or des studios Disney… On est très très loin de la qualité des grandes productions Disney des années 40, 50 et 60.

[2/4]

« Le Livre de la jungle » (The Jungle Book) de Wolfgang Reitherman (1967)

    « Le Livre de la jungle » bénéficie auprès de moi d'un immense capital de sympathie. Il fait partie de ces longs métrages Disney… pas si longs que ça, mais tellement riches en séquences inoubliables, que l'on en conserve un souvenir attendri. Tous les personnages sont attachants, Baloo, Kaa et le Roi Louie en tête, notamment lors de chansons géniales. Qui ne connaît pas « Il en faut peu pour être heureux », et n'a jamais entonné ce refrain ? Moins connue, la chanson du roi des singes vaut également son pesant de cacahuètes, surtout dans la version originale chantée par Louis Prima, jazzman de talent. Et la deuxième chanson de Kaa : « Aie confiance », est excellente elle aussi. D'ailleurs ces personnages sont particulièrement bien trouvés et esquissés psychologiquement comme physiquement. Kaa, par exemple, claque de la mâchoire quand il croise Mowgli, peinant à cacher sa faim de prédateur. Ainsi, on trouve plein de petits détails savoureux en y prêtant attention. Et vraiment, ces trois personnages font tout le sel du film. Après, d'autres personnages ont aussi leur intérêt, Hathi par exemple, bien que les séquences des éléphants soient d'un humour parfois… « pachydermique ». Malgré tout on rit de bon cœur, et on comprend que Mowgli ne veuille pas quitter une jungle habitée par de si bons camarades. A propos, parlons de Mowgli : parfaitement animé, il manque un peu de saveur. Il est comme un témoin qui traverse les séquences sans trop savoir que faire, livré à l'exubérance des personnages qu'il croise sur son chemin. Ce qui n'est pas incohérent, mais peine à nous intéresser à son sort. Pour compléter les quelques critiques que j'aurais à émettre, je trouve que la séquence finale avec Shere Khan manque d'intensité par rapport à mon souvenir : c'est tout ? Difficile de comprendre pourquoi tout le monde le craint… Et enfin, je n'ai pas compris pourquoi une séquence était copiée collée plus loin dans le film : celle où Kaa se prend la queue dans une sorte de bambou. La première fois, elle fait rire aux éclats, la seconde fois elle laisse de marbre et déçoit : quoi, Disney en arrive même a réutiliser de façon évidente une séquence précédente… Le studio n'avait-il pas les moyens ou l'imagination pour faire autrement ? Passées ces quelques réserves, je reste sur une bonne impression : « Le Livre de la jungle » a traversé le temps sans trop en souffrir, et outre son statut de « classique » indéniable, il mérite selon moi le statut de film « culte », expression que j'utilise pourtant rarement.

[4/4]

« Les Aristochats » (The Aristocats) de Wolfgang Reitherman (1970)

    « Les Aristochats » est un long métrage savoureux, qui fait la part belle à un Paris des années 1910 à jamais perdu. J'apprécie particulièrement l'animation, qui y atteint des sommets, avec un style semi crayonné qui fait des merveilles. Animaux ou humains, tous sont animés avec talent, lors de séquences mémorables. D'ailleurs, nombreuses sont les scènes qui me semblaient familières, alors que je n'avais plus vu ce film depuis mon enfance. Les animaux sont attachants, et ce film bénéficie d'une atmosphère particulière, mi surannée mi jazzy, des plus savoureuses. En effet, les chansons, distillées avec parcimonie, sont fort sympathiques, et l'humour est même parfois excellent. Indéniablement, « Les Aristochats » mérite sont titre de « classique » Disney. Toutefois j'émettrais quelques réserves : plusieurs passages sont assez niais, et les personnages animaux principaux sont parfois agaçants, même si on leur pardonne aussitôt leur préciosité lors de la séquence d'après, tellement ils sont mignons (mention spéciale à la petite souris détective, à croquer !). Ce qui fait que ce long métrage reste surtout destiné aux enfants, même si les adultes auront sûrement du mal à ne pas s'attendrir devant un dessin animé que la plupart ont connu enfants, et qui conserve malgré tout de beaux restes.

[3/4]

mercredi 18 mai 2016

« Zootopie » (Zootopia) de Byron Howard et Rich Moore (2016)

    Incroyable ce sursaut créatif de Disney et Pixar, que l'on n'attendait plus ! Après le très réussi « Vice-Versa », le studio Disney, ici faisant cavalier seul, nous sort une véritable pépite avec « Zootopie ». Tout comme pour « Vice-Versa », les créateurs du film ont choisi de traiter un sujet adulte et profond, non plus les émotions et l'apprentissage de la vie, mais les différences humaines et sociales, cette fois par le biais d'animaux anthropomorphes. Dans un monde dénué d'humains où proies et prédateurs essaient de cohabiter, la ville de Zootopie, mégalopole démesurée, fait figure d'exemple et de symbole. Toutes les espèces animales y vivent dans une relative harmonie. Judy Hopps, lapine ambitieuse et un brin naïve, ambitionne de devenir flic dans cette ville... alors que jamais un si petit animal n'a tenté un tel métier. Étant la risée de tous, elle parvient tout de même à réaliser son rêve, et à rejoindre le commissariat de police du centre-ville de Zootopie. Mais là elle déchante devant une réalité bien plus contrastée que ce qu'elle pensait. Malgré tout de fil en aiguille, elle se met à la recherche d'une loutre qui a disparu, comme d'autres mammifères, dans des conditions mystérieuses. Le récit prend alors un tour plus inquiétant, et devient une sorte de fable philosophique sur le bien et le mal, la force et la faiblesse, avec une grande subtilité. Ce qui frappe d'emblée dès les débuts du long métrage, c'est une liberté de ton, une fraicheur, une originalité qu'on croyait perdues à jamais chez la firme américaine. Nul doute que Pixar a apporté une bouffée d'air frais, en témoigne la présence de John Lasseter au générique. Mais alors que Disney nous ressort des Avengers 5 ou des Star Wars 8, et même des Toy Story 4, nous avons ici affaire à une véritable création originale, et ça fait un bien fou ! Surtout que le film est baigné par un humour fin et omniprésent, ce qui rend la séance particulièrement agréable, car on réfléchit en s'amusant. Disney ose s'aventurer hors du cadre, et traiter des sujets tels que le rapport à l'autre et à l'étranger, ce qui n'est pas rien en ces temps où les extrémistes de tous poils progressent partout dans le monde. Vraiment je tire mon chapeau à l'équipe qui a fait naître « Zootopie », une sacrée réussite qui dépasse largement le cercle restreint de l'animation, comme tous les grands dessins animés dignes de ce nom.

[3/4]

dimanche 8 mai 2016

« Wadjda » de Haifaa al-Mansour (2013)

    « Wadjda » est le parfait témoignage de la situation des femmes au Moyen-Orient, plus précisément en Arabie Saoudite. Et pour cause, il a été réalisé par une femme, Haifaa al-Mansour, qui fait figure de pionnière du cinéma dans son pays (cf. les conditions de tournage de ce film). A partir d'une histoire simple, une sorte de fable à la Kiarostami, ce long métrage dresse un portrait sans concession de la société saoudienne, de son hypocrisie et de son caractère funeste, pour les femmes mais aussi pour les hommes ! Wadjda est une petite fille turbulente. Se moquant des règles imposées par le clergé et ses relais complaisants dans tous les établissements (ici la directrice et les professeurs de son école), elle n'hésite pas à jouer avec un garçon, ne porte pas le voile quand ça l'embête, et surtout… elle veut un vélo pour faire la course avec son ami Abdallah ! Or, le vélo est interdit pour les femmes en Arabie Saoudite. Toutes sortes de sottises courent à ce sujet, toutes plus invraisemblables les une que les autres… Mais c'est non, les parents de Wadjda ne veulent pas qu'elle ait un vélo, ce serait la honte assurée auprès de leurs proches et de leurs voisins. Lorsqu'un jour, un concours de récitation du Coran est organisé à l'école de Wadjda, avec à la clé un joli pactole à gagner. Quelle meilleure occasion pour s'acheter un vélo ? Ni une ni deux, Wadjda se met à apprendre le Coran par cœur, un comble pour cette petite fille qui visiblement n'a que faire de la religion et surtout de son carcan de règles sociales incompréhensibles pour un enfant… A ce stade, il est clair que mettre en scène une jeune fille intelligente et quelque peu rebelle, le tout avec humour et bienveillance, fait de ce long métrage une œuvre brillante, dénonçant avec force et douceur à la fois le wahhabisme. Mais « Wadjda » ne s'arrête pas là. Car l'autre personnage principal de ce film est la mère de Wadjda. Délaissée par un mari absent, qui préfère jouer à la console quand il rentre chez lui, elle personnifie un autre aspect de la vie des femmes dans ce pays. En effet, on comprend peu à peu qu'un drame intime se noue autour d'elle, et la chute qui rassemble Wadjda et sa mère dans une belle image donne au long métrage une dimension tout autre. De fable sociale, il devient un drame déchirant, non pas larmoyant (les personnages ici ont une dignité qui force le respect) mais un drame subtil, terriblement subtil. En somme, « Wadjda » constitue une charge contre la sclérose de la société saoudienne. Qu'un tel film ait pu voir le jour en ces temps difficiles, et qu'il ait pu venir jusqu'à nous, constitue un vrai miracle. Surtout quand on se rend compte de la qualité de ce film, qui se suffit à lui seul, loin d'être un « film à thèse ». Un grand bravo à sa réalisatrice et à son équipe de comédiens ! Voilà un film qui aurait dû recevoir la Palme d'Or… mais le jury n'avait manifestement pas suffisamment de cran...

[3/4]

jeudi 5 mai 2016

« Le train sifflera trois fois » (High Noon) de Fred Zinnemann (1952)

    « High Noon » est un western crépusculaire, serti dans un noir et blanc tout aussi ténébreux. Tout entier dirigé vers un affrontement final qu'on sait irrépressible, il parvient à nous tenir en haleine toute la durée du long métrage, dans une tension sourde et terrible. Le pitch est simple : le shérif vieillissant Will Kane (magistral Gary Cooper) part à la retraite le jour de son mariage, mais au moment où il quitte sa ville, il apprend que son ennemi juré, un bandit qu'il a jeté en prison, revient en ville, libéré par des juges complaisants, et ce pour se venger. Kane rebrousse chemin, et décide de faire face au terrible Frank Miller, qui est censé revenir par le train de midi. Kane s'efforce alors de monter une équipe de pistoleros pour faire face à Miller et ses sbires. Mais c'est là que le film prend toute sa dimension tragique : Kane a toutes les peines du monde à recruter des hommes prêts à se battre à ses côtés, pour lui en somme. C'est là également que le titre originel, « High Noon », prend tout son sens : plein midi, mais aussi et surtout... l'heure de vérité. Kane devra-t-il affronter seul Miller et ses trois acolytes ? Un à un Kane essaie de convaincre les habitants de la ville, mais il essuie refus sur refus, le renoncement des habitants qui lui doivent tant ressemble alors à un coup de poignard dans le dos, et nous assistons impuissants à la descente aux enfers de Will Kane, non sans rappeler un autre très grand rôle de Gary Cooper : « L'Extravagant Mr. Deeds », signé Capra. A vrai dire j'ai été étonné par la qualité et la force de ce film. Cooper porte le long métrage sur ses épaules avec un aplomb extraordinaire, et le pitch minimaliste sert de prétexte à dépeindre la nature humaine avec un tel brio qu'on ne voit pas le temps passer. Je craignais que le long métrage se limite à cet affrontement final, dans une linéarité rachitique, mais la richesse des personnages et de la mise en scène m'ont détrompé. A la fois génial film de genre et film universel, « High Noon » vaut largement le coup d’œil !

[4/4]

« Ratatouille » de Brad Bird (2007)

    Comment rester de marbre face à cette déclaration d'amour à Paris, à la France et à sa gastronomie ? Le studio Pixar signe là l'un de ses tous meilleurs longs métrages, mixant aventure, humour et romance avec un (gros) soupçon d'originalité et de fraicheur qui font du bien. Il fallait oser : réaliser un film ne parlant que de cuisine (ou presque), surtout quand on sait que les Etats-Unis sont la mère patrie de la malbouffe ! Pour autant, Brad Bird et son équipe réussissent à nous faire partager ce goût pour la bonne chair qui fait la renommée de notre pays, ce goût pour la confection de bons petits plats, et accessoirement pour la « haute cuisine ». Et qui plus est, il met en scène des personnages fort sympathiques, au premier rang desquels Rémy, petit rat apprenti cuisinier de son état, et maître dans l'art de marier les saveurs. Les clins d’œil à un Paris fantasmé sont légions et ne sont pas pour me déplaire. De plus, certaines trouvailles visuelles méritent des applaudissements (la maison d'Anton Ego). Et surtout, ce qui fait la force de ce long métrage, c'est sa cohérence, son atmosphère, son absence (ou quasi-absence) de fautes de goût qui le font lorgner du côté des grands classiques Disney (si si !). Je reste par contre plus circonspect sur le visuel des êtres humains, le principal défaut des dessins animés de synthèse (signés Pixar ou non d'ailleurs). Pour autant, on rit beaucoup, on est attendri par notre héros rongeur, et on se passionne pour sa quête improbable : devenir un vrai cuisinier, au même titre qu'un homme. Comme souvent chez les Américains et le studio Disney, « Ratatouille » a sa petite morale. Mais je dois dire qu'elle fait mouche : « tout le monde peut cuisiner », nous dit le grand chef Gusteau. C'est vrai, les bons plats de sa mère valent bien tout l'or du monde, et les menus des plus grands cuisiniers. Brad Bird l'illustre d'ailleurs par une très belle séquence. Bref, en ces temps de merchandising acharné, de « Captain America » ou « Avengers » 3, 4, 5, 10, dans cette ambiance artistique frileuse où la création est aux abonnés absents, dans un paysage cinématographique aux mains de financiers sans âme, un film comme « Ratatouille » détonne... et réjouit le cœur !

[3/4]