mercredi 28 décembre 2016

« Chris Colorado » de Thibaut Chatel, Frank Bertrand et Jacqueline Monsigny (2000)

    « Chris Colorado » est une série animée qui a marqué mon enfance, notamment par son intrigue complexe et ses personnages mystérieux, au premier rang desquels Thanatos, despote tyrannique régnant sur un monde en ruine après qu'une météorite ait ravagé la Terre dans un futur proche. Son personnage est en effet au centre de l'histoire de cette série animée, éclipsant quelque peu le héros éponyme, un brin classique et convenu. Ce dernier cherche ce qu'il est advenu de ses parents, officiellement disparus dans un accident d'avion. S'en suit une quête d'identité qui mènera Chris Colorado là où il ne s'y attendait pas. La grande force de cette série tient dans ses révélations au compte goutte : dès le premier épisode on tient à savoir ce qu'il est advenu de la famille de notre héros ! L'animation n'est pas exceptionnelle mais « fait le job », les qualités de « Chris Colorado » résidant davantage dans son scénario fourni et intelligent, digne d'une série « live » d'aujourd'hui ou même d'un film digne de ce nom, ainsi que dans un accompagnement musical de grande qualité, qui facilite l'immersion. Car si l'image a quelque peu vieilli, trop rigide et simpliste à mon goût, l'histoire m'a autant passionné (si pas plus) qu'il y a bien 15 ans de cela ! Je n'en dirai pas plus pour ne pas dévoiler le cœur de l'intrigue. Par contre, les trois derniers épisodes sont épouvantablement mauvais : les révélations basculent dans le grand n'importe quoi, et à force de vouloir tout expliquer les scénaristes ôtent toute magie et tout mystère à la série... Qui en devient platement banale et franchement décevante... Mis à part ces trois derniers épisodes, donc, la série est hautement recommandable !

[3/4]

samedi 10 décembre 2016

« Vent de sable » de Joseph Kessel (1929)

    « Vent de sable » de Joseph Kessel est le pendant des « Vol de nuit » et « Terre des hommes » de Saint-Exupéry. Peut-être moins poétique et merveilleux, mais tout aussi prenant et poignant. Il nous conte l'aventure humaine, et même surhumaine, des pionniers de l'aéropostale. Tout comme chez Saint-Ex, ce n'est pas la technique, l'aviation en elle-même qui intéresse Kessel, mais les hommes qui font la ligne Toulouse-Casablanca-Dakar. Ces hommes qui, au péril de leur vie, s'élancent tous les jours, même de nuit, pour porter le courrier au-delà des frontières physiques les plus menaçantes (montagnes, mers, océans, déserts...). On sent l'admiration de Kessel pour ces héros des temps modernes, mais aussi la grande sympathie qu'il a pour eux. Toute une galerie de personnages, plus ou moins connus, fait l'objet de ce récit haletant, qui nous mène aux confins du désert, dans des lieux tous plus inhospitaliers les uns que les autres. Et malgré tout, malgré l'aridité, la solitudes de ces endroits perdus, Kessel nous parle de la chaleur humaine qui y régnait, notamment grâce à la présence de ces aviateurs qui savaient profiter de chaque instant, sachant que leur vie pouvait s'achever du jour en lendemain en vol ou même au sol... Certains furent tout de même brûlés physiquement et mentalement par ce désert fascinant, presque hypnotique (à l'image de certains personnages des « Scorpions du Désert » d'Hugo Pratt). Difficile pour eux en effet d'oublier leurs aventures, même leur captivité par les hommes du désert. Ce désert qui, à perte de vue, semble être un monde à lui seul. Dans un style presque journalistique mais néanmoins riche (plus que chez un Hemingway), Joseph Kessel, en témoin de premier plan, nous fait revivre toute une époque, tout un univers qui semble incroyable aujourd'hui. Un univers extraordinaire dans sa simplicité, son âpreté... et sa beauté.

[4/4]

samedi 26 novembre 2016

« Le Livre de la jungle » (The Jungle book) de Rudyard Kipling (1894)

    « Le Livre de la jungle » possède un charme certain pour moi. Il a en effet bercé mon enfance, dans le cadre du scoutisme, qui pioche allègrement dans ses personnages et l’esprit d’aventure qui le baigne. Je me suis rendu compte que cet ouvrage est fort éloigné de ses adaptations, notamment du dessin animé Disney. En fait, il est bien plus riche, même si hélas Mowgli et ses amis n’apparaissent que dans trois chapitres : trois nouvelles plutôt. Car « Le Livre de la jungle » est en réalité construit comme un ensemble de nouvelles séparées, sans lien entre elles, sauf pour ce qui est des trois premières. Cela confère nécessairement un caractère inégal à l’ouvrage, car certaines nouvelles sont bien plus passionnantes que d’autres. Néanmoins on retrouve dans chacune un mélange heureux d’audace, d’humour, de panache, avec toujours ce fond moraliste – mais non moralisateur ! Car Kipling est l’égal d’un Jean de La Fontaine : ses personnages animaux lui permettent de dépeindre toute une palette de comportements et sentiments humains, et de donner chair à des principes universels, dont son célèbre poème « If… » est un magnifique exemple. Certains passages sont à ce titre des fables morales savoureuses, comme le passage sur les Bandar-Logs, ces singes stupides et indisciplinés, qui ne sont pas sans rappeler les pires travers de l’espèce humaine. Et ce que j’apprécie particulièrement chez l’auteur britannique, c’est qu’il sait joindre « l’utile à l’agréable ». Il sait faire passer son message humaniste et plein d’espérance avec une plume subtile et délicate, tout en sachant ménager un rythme continu. Les aventures de ses héros sont menées tambour battant : le fond comme la forme permettent donc de passer un très agréable moment de lecture en dévorant les pages de son ouvrage. Et puis le caractère exotique de ces péripéties du bout du monde est rafraichissant. Clairement il s’agit là d’un grand classique de la littérature, que je recommande particulièrement !

[4/4]

« Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent (2015)

    « Demain » part d’une bonne intention, et même d’une intention louable : redonner de l’espoir en l’avenir, en donnant la parole à des acteurs d’un monde plus juste, plus humain, plus durable. Et de fait, ce documentaire regorge d’initiatives sympathiques, qui poussent même à la réflexion. Toutefois assez rapidement on ressent comme un malaise. Peu ou pas de contradictions, tout paraît simple, évident… Et il suffit au réalisateur d’interroger ses interlocuteurs pour avoir la réponse aux plus grands problèmes de l’humanité (semble-t-il). Ils répondent, et ce qu’ils disent est forcément vrai. Du moins c’est ce que laissent entendre Mélanie Laurent et Cyril Dion puisqu’ils ne posent pas (ou peu) de questions, et prennent ce qu’on leur dit pour argent comptant. Nos « héros » des lendemains meilleurs deviennent alors des sortes de gourous... En fait la réalité est bien plus complexe. Les spécialistes savent que les éoliennes ne sont pas rentables, notamment car il faut un entretien régulier pour qu’elles fonctionnent à plein régime. Mais qui a déjà vu les éoliennes se faire entretenir ? Ne parlons pas des éoliennes offshore, en pleine mer ! La monnaie locale ne manque pas d’intérêt, mais comme les intervenants le disent sans détour, elle ne peut constituer qu’un complément au système financier actuel. Si on est passé du Moyen-Âge et de sa multitude de monnaies aux fluctuations plus que variables à des systèmes centralisés, ce n’est pas pour rien ! Idem pour l’agriculture de proximité et urbaine, elle ne remplacera pas de sitôt l’agriculture de masse, tout aussi néfaste qu’elle puisse être à long terme. De fil en aiguille, on a donc l’impression qu’on nous égrène des propositions homéopathiques, agréables en apparence mais sans grand effet. Plein d’idées finalement naïves, parfois réellement originales et intelligentes (faire pousser des légumes dans les espaces délaissés d’une petite ville), mais dont on peine à croire qu’elles puissent réellement bouleverser le monde. Pire encore, on reste à la surface des problèmes, et nos réalisateurs ne poussent pas la réflexion aussi loin que ce que j’aurais espéré. C’est comme s’ils mettaient du sparadrap pour boucher les trous d’un cargo de plusieurs tonnes en train de couler… L’un des problèmes réside notamment dans le fait qu’ils semblent totalement novices pour aborder ces sujets de poids et de fond. Manifestement Cyril Dion ne connaît pas grand chose à l’économie, ne parlons pas de Mélanie Laurent ! Je leur concède toutefois une chose, c’est que leur film procure une certaine envie de faire bouger les choses à son niveau, de ne pas se résigner les bras croisés. En somme, et je me répète, un film sympathique mais qui sera vite oublié…

[2/4]

dimanche 13 novembre 2016

« Little Big Man » d'Arthur Penn (1970)

    « Little Big Man » est un film singulier : flamboyante épopée à l’humour ravageur, au premier abord il s'agit d'une vaste fresque sans queue ni tête, mais en fait c'est une puissante dénonciation de la barbarie humaine, baignant dans l’esprit subversif et contestataire des années 60-70 durant lesquelles le long métrage a été réalisé. Ce film suit la vie d’un jeune yankee recueilli par des Indiens à la suite du massacre de sa famille par ces derniers. Mais dès le début, une précision de taille nous est donnée : la tribu qui a recueilli le jeune Jack Crabb n’est pas la même que celle qui a tué ses parents. Les Indiens ne sont donc plus perçus comme un bloc monolithique : des distinctions sont faites entre les courageux, braves et justes Cheyennes (qui s’appellent entre eux Human Being – les Êtres Humains) et les lâches et violents Pawnee. Pour l’une des toutes premières fois à Hollywood, le point de vue de la narration et de l’histoire est bien plus du côté des Indiens que des conquérants blancs. Arthur Penn porte qui plus est un regard plein de dérision et d’ironie sur ces fameux blancs, soi disant civilisés, mais quelque peu hypocrites, comme ce pasteur malfaisant qui recueille Jack après que les Indiens aient subi une défaite. Et la femme nymphomane de cet odieux pasteur n’est pas en reste… Bref tout le monde en prend pour son grade. Et au milieu de tout ça, impuissant, Jack Crabb assiste en témoin de premier plan aux évènements qui voient s’affronter Indiens et cavalerie yankee. Tantôt ce sont les uns qui gagnent, tantôt ce sont les autres. Difficile de trouver un juste milieu : Jack ne sera jamais tout à fait accepté par chacun des deux camps et aura toujours du mal à se positionner, à savoir qui il est vraiment. Toutefois la figure tutélaire de son « grand-père » d’adoption indien, fascinante, l’aidera à se construire : sage, innocent, naïf et pourtant plein de bon sens, lui aussi traverse les évènements sans y pouvoir grand chose. Et à chaque fois, il garde les bras grands ouverts pour accueillir Jack, avec ces paroles pleines d’amour et de bonté pour celui qu’il considère comme issu de son propre sang. Face à l’absurdité de l’Histoire et de ces évènements funestes, il garde la foi jusqu’au bout et est comme une boussole pour notre jeune héros. Il est vraiment l’âme de ce récit, au cœur de toute la complexité de ce qui est évoqué, ces rapports d’amour-haine entre Occidentaux et Indiens. Passionnant de bout en bout, scénaristiquement riche et magistralement interprété, notamment par un Dustin Hoffman au sommet, « Little Big Man» est plus qu’un excellent western original et réussi, c’est un grand film tout court, notamment sur l’histoire mouvementée des Etats-Unis d’Amérique. Un film indispensable en somme.

[4/4]

samedi 1 octobre 2016

« Wall-E » de Andrew Stanton (2008)

    Encensé à sa sortie, « Wall-E » est loin d’être le chef-d’œuvre tant attendu. La fameuse première partie sans dialogues n’est hélas guère émouvante. Difficile de se sentir touché par une machine, malgré toutes les attitudes « humaines » qu’on veut bien lui prêter. Tout semble tellement convenu et déjà-vu qu’on peine à croire qu’un tel film ait pu soulever un tel enthousiasme. On retrouve les personnages stéréotypés des dessins animés américains, qu’ils aient vu le jour sous la bannière Pixar, Dreamworks ou que sais-je encore, et ces bons sentiments de pacotille qui m’horripilent. Paradoxalement, c’est dans sa deuxième partie que j’ai trouvé ce film intéressant, lorsqu’il devient une sorte de dystopie prophétique. Les humains y sont en effet dépeints comme d’obèses personnages, rivés à leurs écrans et ne sachant plus goûter aux joies simples et réelles de la « vraie » vie, et encore moins se parler de vive voix. Le petit robot Wall-E, sorte de trublion irrémédiablement maladroit, vient bouleverser ce monde artificiel et redonner aux hommes le goût de la vie, et l’envie de quitter leur fauteuil confortable - mais funeste - pour vivre une vie digne de ce nom. Le propos nous interroge alors sur l’avenir de notre société, qui semble s’acheminer rapidement et sûrement vers cet état de torpeur malsaine et d’aveuglement mortel qui ne mènera à rien de bien rassurant. Finissant toutefois sur une note optimiste, « Wall-E » fait mine de rien réfléchir un public davantage habitué aux effets spéciaux abrutissants et aux scénarios pré-mâchés. De quoi remonter dans mon estime, ce qui en fait à mes yeux un dessin animé intéressant, mais encore loin d’être un sommet du genre.

[2/4]

« Le Discours d'un roi » (The King’s Speech) de Tom Hooper (2010)

    Dès les premières minutes du « Discours d’un roi » on se sent en terrain connu : mise en scène classique, photographie léchée, presque artificielle, stars du moment au casting… Pas de toute, nous voilà face à un film tout ce qu’il y a de plus académique. Mais assez rapidement une petite musique se fait entendre, celle d’un drame intimiste original, d’autant plus touchant que les deux personnages principaux semblent incapables de dépasser le carcan qui les enserre, malgré des enjeux extraordinaires. L’un est prince de la famille royale d’Angleterre, peut-être voué à régner un jour sur l’Empire britannique, mais bègue depuis son plus jeune âge, impuissant à exprimer en public toute la noblesse de son rang : sa vie n’est qu’autorité bafouée, honte, désespoir. L’autre est semble-t-il un excentrique, un orthophoniste australien aux méthodes étranges, un acteur raté qui veut redonner au premier confiance et le libérer de son incapacité à parler à haute voix. La force de ce film doit beaucoup au face à face entre ces deux hommes, entre un aristocrate fier et orgueilleux mais brisé, détruit par son défaut d’élocution, et cet étranger bienveillant, méprisé de beaucoup, mais aux talents prodigieux. Tous deux doivent surmonter le regard humiliant des autres, essayer sans relâche de prouver leur valeur profonde, de défendre leur dignité face à l’adversité, qui peut se révéler dans son propre frère, un jury inhumain ou un auditeur anonyme. Tous deux, heureusement, peuvent compter sur l’appui d’une épouse combative et aimante. A ce titre, Helena Bonham Carter force le respect par son jeu, pour une fois sobre et sincère. Et peu à peu, en s’apprivoisant mutuellement, le Duc d'York et le « docteur » Lionel Logue vont réussir à grandir ensemble, au gré d’une relation « professionnelle » qui se muera progressivement en amitié profonde et indéfectible. D’une « histoire vraie », ces fameuses trames dont Hollywood est si friand, qui veulent tout et rien dire, et peuvent mener aux films les plus vils, Tom Hooper a su tirer toute la substantifique moelle, tout le tragique de cette histoire d’ambitions contrariées. Plus encore, il a su dépeindre une confrontation entre un homme au sommet de l’échelle sociale mais qui ne peut jouir de son statut, rongeant son frein alors que la guerre est aux portes de l’Angleterre et qu’il veut trouver les mots pour engager son peuple dans la résistance face à l’oppresseur, et cet homme simple mais qui sait tant de choses, dont les plus essentielles, d’abord moqué puis respecté. « Le Discours d’un roi » est ainsi un long métrage multiple : drame intérieur mais aussi social, film historique et biopic singulier. En bref, sans être novateur ni flamboyant, un film subtil et profond. Une belle réussite.

[3/4]

dimanche 11 septembre 2016

« Toni Erdmann » de Maren Ade (2016)

    Vanté dans la presse comme un légitime prétendant à la Palme d’or du Festival de Cannes, j’attendais beaucoup de « Toni Erdmann ». Et si mes attentes ne sont pas totalement déçues, je dois bien dire que ce film ne m’a pas pleinement convaincu pour autant. Sur le papier, ce long métrage bénéficiait pourtant d’un scénario en or massif : une jeune consultante – c’est-à-dire une femme dont le métier consiste à conseiller des entreprises et plus particulièrement leurs dirigeants – ne semble pas heureuse, ce qui préoccupe son père facétieux, qui va chercher à lui redonner le goût des choses simples avec ses blagues insistantes. De ce conflit entre le monde enfantin du père et le monde ascétique de la fille (les rôles semblent inversés en termes de maturité) ne pouvait que découler une intéressante confrontation me disais-je. De plus, le monde du conseil aux entreprises est quelque chose que je connais, ce film ne pouvait donc que me parler. Côté peinture du monde du conseil, Maren Ade frappe juste. Le réalisme de ce film en la matière est criant de vérité. Grâce à sa talentueuse interprète, Sandra Hüller, la réalisatrice capte bien toutes les frustrations et les renoncements, parfois même les reniements qu’implique ce genre de métier, de la relation au client à celles avec ses collègues ou les rapports de hiérarchie (excellente Ingrid Bisu), en passant par le vocabulaire particulièrement formaté et la rudesse, pour ne pas dire la froide inhumanité de certains. En contrepoint, le rôle du père, tenu avec brio par Peter Simonischek, permet de donner un peu de chaleur humaine à l’ensemble. Véritable élément perturbateur, tel un Tati drôle et mélancolique à la fois qui détruit tout ce qu'il touche, Toni Erdmann (alter ego imaginaire de ce père décalé) vient se fondre dans le moule du parfait businessman pour mieux en faire ressortir toute la vanité et la vacuité. Ainsi, le long métrage réserve certains passages particulièrement savoureux, qui s’ils ne font pas forcément rire aux éclats (et encore), nous font afficher un franc sourire. Ce qui pèche par contre, c’est la réalisation. Le film est long et tous les plans sont loin d’être intéressants. De plus, l’ouvrage se fait parfois pesant lors de séquences quelques peu malvenues qui rendent le tout passablement indigeste. Souvent grave, « Toni Erdmann » déçoit quand il se fait trop lourd. De sorte que quand l’image n’est pas « molle », fade, elle est parfois désagréable. En résumé, ce long métrage bénéficie à l’origine de bonne idées, voire d’idées géniales. Le personnage éponyme, en particulier, vaut son pesant de cacahuètes. Dommage qu’il manque à Maren Ade un vrai talent de réalisatrice pour transformer l’essai complètement…

[3/4]

samedi 10 septembre 2016

« Sparrow » (Man jeuk) de Johnnie To (2008)

    J'ai vu la première fois ce film à sa sortie en 2008, emmené par un ami dans un cinéma du quartier latin à Paris, sans savoir le moins du monde à quoi m'attendre. Je ne connaissais que le titre du film, Sparrow, et c'était tout. Ce genre de conditions permet d'apprécier davantage un long métrage dans lequel on ne place pas d'espoirs trop grands pour lui. Sans tomber sur le film du siècle, il se trouve donc que j'ai passé un très bon moment. J'ai particulièrement apprécié la légèreté du long métrage et le portrait envoûtant de Hong Kong qu'il propose. Dans un style Nouvelle Vague bien digéré, Johnnie To nous livre une histoire simple et amusante : 4 pickpockets (ou moineaux, « sparrow » en anglais, « man jeuk » en cantonais) se font prendre dans les filets d'une belle et mystérieuse jeune femme. C'est pour lui l'occasion de filmer des plans absolument magnifiques et enchanteurs de la fameuse cité portuaire, dans une atmosphère charmante, comme dans un Godard des débuts libéré de ses tics formels. On ne voit pas le temps passer et on savoure chaque instant, au gré de plusieurs séquences mémorables, dont la dernière, particulièrement réussie : ce ballet de parapluies, la nuit, au cœur de la ville. Par contre, le revers de la médaille, car il en faut bien un, c'est le scénario. Ingénieux, il sert toutefois davantage de prétexte qu'autre chose, car c'est peu dire qu'il est assez invraisemblable, ce qui le rend quelque peu bancal. Ce qui fait que quand le film s'achève, la fin est un peu abrupte. Malgré ce léger bémol, « Sparrow » est une vraie réussite. Difficile de trouver aujourd'hui des films aussi rafraichissants : simples, beaux et drôles à la fois... Les années 2000 avaient décidément beaucoup de charme... Et le cinéma asiatique a rejoint, et même dépassé le cinéma occidental contemporain. Ne ratez donc pas cet oiseau rare !

[3/4]

samedi 13 août 2016

« Princesse Mononoké » (Mononoke Hime) de Hayao Miyazaki (1997)

    « Princesse Mononoké » couronne la carrière d'Hayao Miyazaki par bien des aspects. Peut-être son film le plus riche et le plus complexe, c'est également l'un des plus accomplis formellement, utilisant à merveille les possibilités de l'art du dessin animé fait main, avec un soupçon d'images de synthèse uniquement quand le besoin se fait sentir, pour ne pas rompre l'équilibre de la façon de faire typiquement artisanale du fameux studio Ghibli. Je ne m'attarderai pas sur la richesse de l'univers miyazakien, sur l'abondance des kamis et autres êtres fantastiques qui font tout le charme du long métrage, et plus généralement de l’œuvre même de Miyazaki. Je fais en revanche le choix de me pencher sur « l'infrastructure » de ce film, à savoir ses 3 dimensions (me semble-t-il) : sociologique, poétique et épique. 

Sociologique, tout d'abord, car le grand « thème » si j'ose dire de « Princesse Mononoké », c'est l'antagonisme entre tradition et modernité. Deux esprits s'affrontent : celui des anciens, du culte des divinités shintoïstes, du respect de l'Autre et de la nature ; et celui des modernes, de l'emprise sur la nature, mais aussi de la rupture avec les traditions asservissantes, d'une liberté chèrement gagnée. Deux figures s'opposent ainsi dans ce long métrage : San, la princesse Mononoké, c'est-à-dire des esprits vengeurs (si j'en crois Wikipédia), qui vit auprès des animaux-dieux de la forêt magique (une déesse louve l'a recueillie à la mort de ses parents et en a fait sa fille adoptive), et pour qui l'homme est un monstre cupide et violent, qui ne pense qu'à tuer et détruire, notamment la nature ; et de l'autre côté Dame Eboshi, mystérieuse aventurière qui règne en maître sur des forges rougeoyantes, d'où est extrait le métal utilisé par les armes à feu qui ravagent les animaux divins. Ce personnage est particulièrement réussi, car s'il a un côté obscur, du fait de son avidité et de son absence de scrupules, c'est également quelqu'un qui vit aux côté des lépreux, et qui a redonné une fierté et une dignité aux ex-prostituées qu'elle emploie dans ses forges. C'est le personnage moderne par excellence, du fait de son audace (elle ose rien moins que s'attaquer en personne à des dieux), mais aussi du fait de son féminisme : qu'une femme dirige un village, une entreprise industrielle mais aussi une armée d'hommes, qu'elle aille aux devants des combats, qu'elle ait la maîtrise de sa destinée et de celle de ses sujets, c'est bien évidemment une invention de Miyazaki, mais qui dit tout de ce que peut représenter l'émancipation de la femme dans un Japon très codifié (cf. les films de Masaki Kobayashi des années 60). Au milieu de ces deux personnages se trouve Ashitaka (alter-ego de Miyazaki ?), jeune prince qui veut porter un regard sans haine sur le monde qui l'entoure. Véritable médiateur, s'il veut stopper la folie meurtrière des hommes, et intimer à Dame Eboshi de respecter la nature et ses divinités, il ne peut se résoudre à tourner le dos à son humanité, et fait tout pour que San redevienne humaine, mais aussi pour que les gens de Dame Eboshi (et elle-même) ne subissent pas la fureur des dieux de la forêt. Plus complexe qu'il en a l'air, c'est l'un des rares héros masculins de la filmographie de Miyazaki, et c'est véritablement la clé de ce film. Car la grande force de ce long métrage, c'est que Miyazaki ne juge pas ses personnages, et ainsi ne porte pas de jugement sur le passage de la tradition à la modernité : l'ancien temps n'est pas le Bien et le nouveau le Mal. La modernité succède à la tradition, et pour cela la détruit de l'intérieur. Un monde nouveau naît alors, un monde ou la nature n'a plus rien d'enchanteresse, où les animaux ne parlent plus. Un monde domestiqué, où l'homme règne en maître, un monde en 3 dimensions – celui que nous connaissons – où le sacré est absent (la 4ème dimension de ce film). D'autres de ses films viendront souligner combien tout n'est pas rose dans ce nouveau monde (« Le Voyage de Chihiro » pour ne citer que lui), et tout ce qu'il a perdu de l'ancien. D'ailleurs l'Esprit de la forêt est tellement beau qu'on comprend aisément combien une part de Miyazaki regrette le Japon de la tradition. Mais pour certains de ses aspects seulement ! Notamment le culte du respect.

J'en viens à l'aspect poétique de ce long métrage. Ce qui est évident, comme je le disais, c'est que l'ancien monde a son charme, et même beaucoup de charme, à travers les yeux de Miyazaki. Les nombreux kamis, et notamment les amusants sylvains, font tout le sel de « Princesse Mononoké », sans parler bien évidemment de l'Esprit de la forêt, au visage (car c'est plus un visage humain qu'animal) étonnamment beau et apaisant. La forêt est magnifiée, sorte de monde primitif et vierge de toute emprise humaine, espace foisonnant qui abrite toutes sortes d'êtres, des humains aux animaux en passant par les dieux et déesses qui protègent cet endroit sacré. Difficile de ne pas succomber à cette vision paradisiaque de la nature. Mais ce qui est très fort dans ce film, c'est que ce n'est pas forcément un but en soi, c'est une sorte de fond aux aventures des personnages, et notamment de l'histoire d'amour qui unit Ashitaka à San. San est pleine de rage, elle en veut aux humains de détruire son monde merveilleux, de fouler au pied un univers qu'ils ne cherchent même pas à comprendre. C'est pour cela que dans un premier temps elle est hostile à Ashitaka, qui incarne le genre humain à lui seul. Mais elle va comprendre toute la bonté de cet être, qui au-delà de porter un regard dénué d'animosité, porte un véritable regard d'amour sur ceux qui l'entourent. Il aime profondément San, mais il aime aussi Dame Eboshi et ses gens, en tant qu'êtres humains méritant eux-aussi son respect. Car c'est là la condition de l'homme, soumettre la nature (dans une certaine mesure) pour pouvoir y vivre. San a oublié que c'était à elle aussi sa condition, et Ashitaka tente de lui faire entendre raison, non pas pour soumettre à son tour la nature et ceux qui l'ont recueillie, mais pour ré-apprendre à aimer les humains, qui s'ils cherchent à maîtriser la nature le font non pas par plaisir finalement, mais parce qu'il en va de leur survie. « Princesse Mononoké » est donc également une très belle histoire d'amour... impossible. Les scènes « d'affrontement » entre Ashitaka et San sont à ce titre très belles et émouvantes. Il y a beaucoup de poésie chez Miyazaki dans les relations humaines, c'est l'un des rares créateurs contemporains à encore croire en l'amour, ce qu'il a illustré à plusieurs reprises tout au long de sa filmographie, et une fois encore, de façon originale, ici. 

Enfin, le registre épique. « Princesse Mononoké » est un grand voyage initiatique, notamment pour Ashitaka. En effet, s'il ne va pas forcément se révéler à lui-même, car il fait preuve dès le début d'une très grande maturité et d'un calme olympien, il va devoir conserver sa retenue, sa maîtrise de soi, face au mal qui le ronge et à la bêtise des hommes. Maudit par un dieu devenu démoniaque, qu'il a tué pour sauver son village d'origine, Ashitaka n'a d'autre choix que de quitter les siens pour s'aventurer à la recherche d'un remède. A de nombreuses reprises, il va devoir faire taire sa colère, pour ne pas qu'elle se transforme en haine et le tue de l'intérieur. Il aura bien des raisons de le faire, mais à chaque fois il saura se contenir, non sans que se matérialise ce combat intérieur, par ce bras traversé par cette cicatrice maudite. Signe de ce que la haine est un vrai poison pour l'homme ! Ashitaka le médiateur, mais aussi la première victime de ce combat entre tradition et modernité, va non seulement devoir affronter mais aussi absorber toute cette haine, et la transformer en amour et en sagesse. C'est probablement le personnage le plus « fort » de ce film, fort au sens où il se relèvera toujours de ses épreuves et saura se montrer exemplaire, tout comme Nausicaä dans la bande dessinée et le film éponymes, malgré toutes ses responsabilités. « Princesse Mononoké » est ainsi le récit de cette quête vers la guérison, qui ne sera possible qu'en détruisant la haine de ce monde. C'est aussi une authentique épopée en ce qu'elle rend compte des exploits des héros et des héroïnes de cette histoire. Entre batailles rangées et conflits intérieurs, Miyazaki illustre avec sa maestria habituelle les remous de l'Histoire, de cette transition entre deux mondes, entre des personnages aux visées contraires, mais aussi des drames intimes qui se nouent, et de la difficulté pour San et Ahsitaka d'accepter que leur monde change à jamais. 

Il y a beaucoup de nostalgie dans ce long métrage mais aussi une certaine espérance. L'ancien monde a changé à jamais, tout retour en arrière sera impossible (et pas forcément souhaitable), c'est ce que Miyazaki nous montre par le simple biais d'images, à la fin de son film, non sans une certaine tristesse. En quelques plans, par cette herbe familière qui remplace la forêt sauvage et majestueuse, Miyazaki nous dit tout de ce passage d'une époque à une autre. Riche de thèmes et de personnages, illustré avec un talent inégalé, « Princesse Mononoké » n'est pas forcément son plus grand film à mon sens (la faute à un très relatif académisme), mais c'est indéniablement le plus représentatif de son talent. D'une profondeur que plusieurs visionnages n'ont jusqu'à présent pas entamée. 

[4/4]