samedi 30 mars 2019

« La Passion Van Gogh » (Loving Vincent) de Dorota Kobiela et Hugh Welchman (2017)

    Cela faisait un moment que j’avais ce long métrage dans ma pile de films à voir. Un long métrage sur Vincent Van Gogh, reprenant son style pictural pour littéralement donner vie à ses peintures, voilà de quoi intriguer et donner envie. Pour autant, j’ai mis du temps avant de franchir le pas. Principalement car je craignais le biopic académique et l’exercice de style vain et creux. Je craignais de m’ennuyer devant ce long métrage que je suspectais convenu et mécanique.

Fort heureusement, « La Passion Van Gogh » m’a rapidement rassuré. En prenant le parti de raconter une sorte d’enquête visant à élucider les conditions troubles de la mort de Vincent Van Gogh, les réalisateurs ont abordé la vie du peintre de manière originale et ont évité le principal écueil de tout biopic : un récit linéaire qui reprend étape après étape les grands moments de l’existence du personnage principal, de façon paresseuse et sans aucune surprise. « La Passion Van Gogh » raconte donc la vie de l’artiste néerlandais par petites touches, au gré des souvenirs des différentes personnes qui l’ont rencontré de son vivant.

Les réalisateurs réussissent ainsi à dépeindre les sentiments et les pensées du peintre, que l’on découvre ultra sensible et fragile. On accède de la sorte à l’être intérieur de Van Gogh, et même, tout simplement, à son âme. « La Passion Van Gogh » n’est donc pas seulement une prouesse technique, c’est aussi l’un des meilleurs films réalisés sur Van Gogh, aux côtés du court métrage « Van Gogh » de Resnais, de « La Vie passionnée de Vincent Van Gogh » de Vincente Minnelli ou encore du segment des « Rêves » de Kurosawa consacré à l’artiste tourmenté.

« La Passion Van Gogh » est tout sauf aride, c’est un long métrage passionnant, que l’on finit par trouver bien trop court tant il a de choses à raconter. Il s’agit pour moi de la plus grande réussite de ce film : rendre un bel hommage au peintre tout en permettant au public de rentrer au cœur de ses œuvres, en comprenant mieux le monde intérieur qui les a fait naître. Le passage sur la série des tournesols, par exemple, est à la fois didactique et extrêmement touchant en ce qu’il révèle la profondeur et la méticulosité de l’art de Van Gogh, tout sauf un peintre uniquement visuel. Car Van Gogh était un véritable mystique, oscillant entre passion, lucidité et folie. Un être démesurément humain et terriblement touchant.

Évidemment, je ne peux pas finir ce texte sans évoquer l’aspect visuel de ce long métrage. Si la qualité de son écriture relègue presque son esthétique au second plan, un comble au vu du résultat pictural tout bonnement bluffant, on ne peut s’abstraire de ces images dont on a tous rêvé. Se plonger dans les peintures de Van Gogh, faire revivre les personnages, l’arrière plan, la ville et les champs, bien des artistes, réalisateurs notamment, l’ont tenté, avec succès d’ailleurs. Mais là une autre dimension est franchie avec l’aspect totalement immersif de ce long métrage. En fait, le film se compose de deux styles graphiques : principalement celui de Van Gogh, pour représenter le présent, et un style crayonné en nuances de gris pour figurer le passé, lors de flash backs.

Une majeure partie du long métrage reprend donc le style de Van Gogh, et c’est un vrai régal. L’animation est d’une grande qualité, et les tableaux du peintre prennent vie sous nos yeux, dans un magnifique ballet de formes et de couleurs. Les jaunes, les bleus, les ocres, tout cela semble danser devant nous, comme si les tableaux étaient des personnages à part entière. C’est une autre façon de les regarder et de les transmettre aux générations futures, par l'entremise du cinéma.

Fort de nombreuses qualités, « La Passion Van Gogh » constitue une véritable plongée dans l’œuvre intense et si belle du peintre hollandais, qui ne laisse pas indifférent. Une ballade à la fois onirique et charnelle, nous faisant mieux comprendre qui était réellement Vincent Van Gogh. En somme, un film éminemment recommandable pour tous les amoureux de son art.

[3/4]

dimanche 3 mars 2019

« Une Île lointaine » de Lele Vianello (2019)

    Lele Vianello fut l'un des assistants d'Hugo Pratt. La manière avec laquelle il écrit le scénario et les personnages ainsi qu'avec laquelle il dessine sont donc très proches de la façon de faire du maître. C'est d'ailleurs Vianello qui aurait dû, en toute logique, reprendre le personnage de Corto Maltese, et non le duo Juan Díaz Canales et Ruben Pellejero, parachutés semble-t-il uniquement pour des raisons pécuniaires... Mais revenons à Vianello.

Je ne connais l'existence du bonhomme que depuis peu, en étant tombé par hasard en librairie sur ce que je pensais être un inédit de Pratt, « Le Fanfaron », tant la ressemblance graphique était trompeuse. En regardant bien, nulle trace du nom de Pratt sur la couverture, à la place celui de Vianello, donc, et j'ai dû me rendre à l'évidence : il y avait bien quelqu'un capable de dessiner comme Pratt.

On trouve peu d'informations à propose de Vianello sur internet, et je n'ai hélas pas les compétences pour lire sa fiche Wikipédia existant seulement en italien. Difficile de savoir si les albums édités (avec soin) chez Mosquito sont des rééditions ou des éditions originales. Difficile donc de savoir quand ont réellement été créées ses œuvres. 

Je suis donc tombé récemment sur la dernière BD de Vianello publiée chez Mosquito : « Une Île lointaine », publiée en janvier 2019, sans trop savoir s'il s'agit d'un tout nouvel album ou d'une réédition. A voir les quelques maladresses du trait, je dirais toutefois qu'il s'agit d'un nouvel album. Vianello n'étant plus tout jeune, on peut comprendre que son coup de crayon soit parfois hésitant.

Pour autant, je ne voudrais pas laisser l'impression que cette BD est mauvaise, c'est d'ailleurs tout le contraire, on ressent l'ambiance des albums de Pratt, avec ce héros, lointain cousin de Corto, ici nommé Julian Drake. Un marin roublard cherchant à se sortir d'une mauvaise passe. On retrouve ce mélange de gravité et de légèreté, cette ironie, cette nonchalance, le tout dans un univers exotique, parmi les îles du Pacifique.

Bien sûr, ce n'est pas aussi bon que les meilleures œuvres du maestro, mais pour ce qui semble être plutôt une œuvre « sur le tard » de Vianello, nous avons affaire ici à une BD accomplie. Malgré les grandes cases typiquement « prattiennes » qui font que les 60 pages se lisent rapidement, Vianello sait ménager un rythme à son histoire, avec un début, un milieu et une fin, cette dernière arrivant de façon harmonieuse, sans être trop abrupte.

Et quel plaisir de revivre un instant cette atmosphère si particulière, ce goût pour l'aventure dans des contrées reculées, avec notre héros malicieux. Et puis le fin mot de l'histoire vient donner un peu de panache, et révèle chez Vianello un goût pour l'humanisme digne du Pratt des grands soirs.

Pour tous les orphelins de Pratt, c'est donc vers l’œuvre de Vianello que je vous invite à vous tourner, si vous souhaitez revivre les grands moments du maître, agrémentés de la sensibilité propre à son digne successeur.

[3/4]

samedi 23 février 2019

« Les Maîtres de l'Orge – Charles, 1854 » de Jean Van Hamme et Francis Vallès (1992)

    Je vais parler ici de l'ensemble des 8 albums qui constituent cette série de bande dessinée, débutée en 1992 et achevée en 2001. Jean Van Hamme a écrit une saga familiale s'étendant sur 4 générations, et dont chaque tome s'attarde sur un personnage en particulier, sans pour autant délaisser le reste de la famille. Le tout est mis en images avec un talent certain par Francis Vallès.

Le premier tome s'ouvre au XIXème siècle, sur le futur patriarche de la famille, Charles Steenfort, alors qu'il est novice dans un monastère. Sa vie va rapidement se voir chamboulée, et il va tirer parti du savoir-faire des moines en la matière pour créer sa propre brasserie, qui deviendra l'une des plus importantes de Belgique, pays dans lequel se déroule l'intrigue. Bien évidemment, son ascension sociale va créer des convoitises, et la charge de son entreprise prospère va se révéler bien lourde à porter, par lui comme par ses descendants.

En fait, je vois dans cette saga comme le double opposé de la série Largo Winch, du même Jean Van Hamme. Largo Winch n'a pas de famille, ici c'est celle des Steenfort que l'on observe se débattre. Largo est un homme au grand cœur, une sorte de héros des temps modernes idéaliste, et sans doute idéalisé. Charles Steenfort est plutôt un opportuniste machiavélique, prêt à tout pour asseoir son pouvoir et développer son entreprise. D'ailleurs, sa brasserie, je me répète, aura de sombres répercussions sur sa famille.

La série Largo Winch n'est pas vraiment datée, tout au plus peut-on deviner qu'elle se déroule dans les années 90, 2000 ou 2010. « Les Maîtres de l'Orge » est une série au contexte historique fort : chaque album débute par les faits marquants de l'année durant laquelle il se déroule. Les Steenfort ne sont pas épargnés par les grands évènements de leur temps : maladie, crise économique, guerre, grèves... De plus, Largo Winch est une série aussi légère et rayonnante que celle des « Maîtres de l'Orge » est lourde et ténébreuse.

Car ces deux séries ne présentent pas la même vision du monde économique. Dans Largo Winch, argent et pouvoir corrompent, certes, notamment ces grands barons du groupe W, mais Largo présente un visage humain, il est une sorte de philanthrope milliardaire, et si ses responsabilités lui pèsent, il ne semble pas tant que ça atteint par le démon de l'argent. D'ailleurs, son idéal est ailleurs, il a sans doute d'autres visées.

Dans « Les Maîtres de l'Orge », la brasserie familiale est comme une sorte de Moloch, un maître sans pitié qui consume ses serviteurs, la famille Steenfort, qui lui consacrent leur vie. Le monde des entreprises y est plus noir : pour s'en sortir, pour survivre même, les protagonistes de la saga semblent prêts à tout, et doivent même se renier. Le personnage le plus exemplatif est celui d'Adrien, véritable pivot de la série, qui va consacrer sa vie à la brasserie Steenfort et la finir dans la douleur. Sa famille ne sera plus tout à fait la même, et ses héritiers vont fort heureusement infléchir la tendance, malgré les épreuves qu'ils vont rencontrer.

Si les premiers tomes sont difficiles, parfois même sordides, la fin des « Maîtres de l'Orge » se fait plus lumineuse. Elle vient redonner du sens à l'ensemble, de façon peut-être facile jugeront certains, pour ma part je ne pouvais imaginer meilleure conclusion. L'ensemble se révèle une fresque ambitieuse, avec laquelle on apprend (un peu) la confection de la bière, et plus encore le quotidien d'une entreprise familiale à travers le temps. Il y a des hauts et des bas, des moments émouvants et tragiques, d'autres un peu plus « faciles », voire inutiles, mais dans l'ensemble on suit avec intérêt l'histoire de cette famille si singulière et ordinaire à la fois.

A noter que le tome 8 est une sorte de hors série, qui vient éclaircir les zones d'ombre de cette saga, dans un esprit de mise en abime amusant et bien mené par Van Hamme. Une façon de conclure une seconde fois la série, en lui apportant encore un peu plus de densité. Bien vu !

En somme une saga adulte, un peu aride et dure, pas toujours aussi « aimable » que peuvent l'être les séries phares de Van Hamme (« Thorgal », « Largo Winch » et  « XIII », au début du moins), mais qui apporte sa pierre à l'édifice de la bande dessinée franco-belge.

[3/4]

vendredi 1 février 2019

« Gallipoli » de Beirut (2019)

    Il y a deux types d'albums. Ceux où les singles s'avèrent être l'arbre qui cache la forêt : les autres titres se révèlent aussi bon voire bien meilleurs que les quelques chansons mises en avant. Et il y a ceux où derrière les singles ne se cache pas grand chose... C'est hélas le cas de « Gallipoli ».

Zach Condon, la tête pensante et l'homme orchestre derrière Beirut, semble tourner en rond. Certes « Gallipoli » a plus de corps que « No No No », écrit et sorti alors que Zach se remettait d'une dépression. Mais ici, on a toujours envie d'ouvrir les fenêtres. Bon sang Zach, mais lâche toi ! Ton approche, inspirée par le meilleur des influences européennes et américaines, est géniale : puiser dans le folklore, à la frontière entre musique savante et populaire, en mixant instruments réels sonnant merveilleusement bien et électronique, avec quelques distorsions pour relever le tout. Personne ne fait ça mieux que toi. Alors pourquoi rester sur ces accords « fermés » ? Tu enchaînes 3-4 accords, puis tu reviens sur le premier, et tu tournes en boucle. Pourquoi ne crois-tu plus en toi ?

Je ne sais pas vous, mais quand les cuivres et les cordes s'emballent à partir de quelques accords prometteurs, je me de dis que ça y est on va décoller, comme avec la musique symphonique française fin XIXème - début XXème (Fauré, Debussy et Poulenc en tête) ou comme avec les meilleures musiques de films (Bernstein, Legrand – paix à son âme – ou encore Hisaishi, si si !). Condon aurait pu se faire beaucoup plus lyrique sans verser dans la caricature, tellement sa musique sonne « juste », tant elle est fine et subtile. On est comme coupés dans notre élan, les envolées que l'on souhaiterait encore plus généreuses se révèlent un peu chétives, ou tout du moins hésitantes. L'assurance triomphante de « The Rip Tide » s'est envolée.

D'autant plus dommage que l'univers musical et artistique de Zach Condon est particulièrement riche, sorte de Jack London de la pop, génial vagabond, perdu entre ports et bouges du monde entier, véritable éponge musicale ayant réussi à digérer ses multiples et hautes influences. Sa musique est une magnifique invitation au rêve et au voyage.

Malheureusement les seules vraies chansons de cet albums sont Gallipoli et Landslide, les deux singles mis en avant avant la sortie de l'album. Le reste de l'album se divise entre pistes purement musicales (on comprend désormais que c'est le cache misère de Condon) et titres chantés inachevés, le tout faisant presque office de remplissage et de liant. Oh certes, c'est du très bon remplissage, du remplissage élégant et distingué, mais qui peine à assouvir notre soif du Beirut des grands soirs ! La production ample et somptueuse, les gimmicks sympathiques, ne suffisent pas à combler mes (très hautes) attentes.

Alors bon, je mets une note très généreuse à cet album, d'ailleurs après une deuxième écoute il remonte déjà dans mon estime. Mais si vous espérez que Condon réédite l'exploit de ses deux premiers chefs-d’œuvre ou celui de « Rip Tide », l'album de la maturité qui ouvrait à des nouveaux horizons, passez votre chemin. Si vous avez décidément du mal à tourner le dos à ce musicien attachant, alors venez vous consoler avec « Gallipoli », en rêvant au bouleversant chef-d’œuvre qu'il aurait pu être...

[3/4]

samedi 19 janvier 2019

« Le Retour du héros » de Laurent Tirard (2018)

    « Le Retour du héros » part d'une, voire de plusieurs bonnes idées. Tout d'abord, dépeindre la lâcheté, personnifiée par un anti-héros, au début du XIXème siècle, pendant les guerres napoléoniennes. Le sujet est original : l'époque est d'habitude le théâtre de grandes fresques romanesques et romantiques, très premier degré (ce qui n'est pas forcément un mal), avec des héros flamboyants, des intrigues tortueuses, des scènes de batailles épiques, un amour passionné ou impossible, etc. C'est du reste la deuxième bonne idée de ce film : proposer une parodie plus ou moins déguisée (volontaire ou non) des romans de Jane Austen. D'ailleurs, l'héroïne s'appelle ici Elisabeth, tout comme le personnage principal d'« Orgueil et Préjugés ». Coïncidence ? Peut-être pas.

Dans tous les cas, Laurent Tirard raille dans ce long métrage l'héroïsme, les grands sentiments, qui s'ils sont convoqués par certains personnages, ne servent qu'à mieux dissimuler veulerie et bassesse. Le « couple » de personnages principaux est à ce titre assez bien trouvé, pour une fois Mélanie Laurent reste relativement sobre et rend plutôt crédible son personnage de jeune femme intelligente et insolente. Jean Dujardin, égal à lui-même, incarne à merveille ce héros de pacotille, pathétique et ridicule, qui finit même par devenir inquiétant.

Le problème, c'est qu'on retrouve en fait dans ce film... OSS 117. Oui, Dujardin fait du OSS 117 à 200%, il reprend son personnage à la fois drôle et lourdingue d'Hubert Bonisseur de la Bath, à l'époque de Napoléon donc. Ce qui veut dire un jeu tout sauf naturel et sincère, fait de sourcils levés, de sourires ravageurs et de rires gras. Ce qui fait encore sourire à certains moments, mais lasse quelque peu.

L'autre problème, c'est que le film peine à se trouver, on ne sait jamais s'il s'agit d'une vraie comédie, d'une comédie virant au drame psychologique, d'une parodie... Loin d'être le reflet d'une supposée complexité, à l'image du scénario qui réserve certains errements et autres temps morts, cette indécision manifeste me fait dire que Laurent Tirard ne semble pas toujours savoir où il va.

Tout comme une bonne partie des seconds rôles d'ailleurs. Noémie Merlant et Christophe Montenez en font des tonnes, la première en névrosée (même si elle se révèle assez drôle à la fin) et le second en falot timide maladif. En fait, rares sont les seconds rôles à réellement exister et à être crédibles. En revanche, Christian Bujeau et Évelyne Buyle sont parfaits en parents intéressés, tout comme Féodor Atkine en général éreinté par la guerre.

Et pour finir, tant de veulerie finit par écœurer un peu, une fois le film fini, laissant un goût amer, on ne peut que se remémorer les meilleurs films de Philippe de Broca et de Jean-Paul Rappeneau en se disant qu'un peu de finesse et de panache n'auraient pas été de trop...

[1/4]

samedi 8 décembre 2018

« Ticonderoga » de Hugo Pratt et Héctor Germán Oesterheld (1957)

    Je suis en colère contre les éditeurs de BD, qui bien souvent nous offrent le service minimum voire se foutent royalement de leurs lecteurs, en recyclant des séries après la mort de leurs créateurs à des fins commerciales et tout sauf artistiques, ou en rééditant et « repackageant » des séries à succès tous les 3 ans, n'hésitant pas à verser dans le n'importe quoi, en proposant des versions noir et blanc de BD pensées en couleur (Alix, Blake et Mortimer, etc.) ou des versions couleur de BD pensées en noir et blanc (Corto Maltese, etc.). Vraiment c'est une honte, le lecteur n'est plus perçu que comme un tiroir caisse sans fond ou comme un fan régressif à satisfaire de toutes les façons possibles, surtout si ça s'éloigne de toute véritable création artistique digne de ce nom...

Et puis de temps en temps, surgit un miracle. C'est ici le cas : Casterman réédite « Ticonderoga » de Hugo Pratt (au dessin) et Héctor Germán Oesterheld (au scénario). Un duo de choix qui a déjà fait des merveilles, au service d'un feuilleton publié fin des années 1950. Une réédition tout à fait bienvenue, tant ce récit est passionnant et brillamment illustré. Seul bémol, les planches originales sont pour la plupart introuvables, et la présente édition est le fruit du scannage de planches déjà imprimées. Le résultat est un peu trouble et baveux, et je ne sais pas si ça vient du fait que les planches étaient originellement en couleur et là reproduites en noir et blanc, ou si ça vient de la technique de reproduction.

Mais le rendu est tout à fait convenable et s'efface au profit de la lecture. Et quel bonheur que de découvrir une histoire originale et de nouveaux personnages ! Le narrateur, Caleb Lee, sert de faire-valoir à son ami, le trappeur téméraire Joe Flint, surnommé Ticonderoga. Pour compléter le tout, la figure tutélaire de Numokh, un indien mystérieux, sage et astucieux, accompagne nos deux jeunes héros et contrebalance par son discernement leur fougue juvénile.

L'histoire se déroule au XVIIIème siècle, à la frontière du Canada et des États-Unis d'aujourd'hui, au milieu de la guerre que se livrent les Anglais et les Français, entraînant dans leur sillage, par le jeu des alliances, les peuples Indiens autochtones. Comme dans « Fort Wheeling » (où Ticonderoga fera d'ailleurs une apparition) ou « Billy James », nos héros se retrouvent pris dans l'engrenage de la guerre et des massacres en tous genres, entre bravoure, courage, espoir, violence, lâcheté et barbarie.

S'il n'a pas l'ampleur d'un « Fort Wheeling », notamment car il a été abandonné par Pratt en cours de création, et n'a donc pas sa cohérence, « Ticonderoga » est un récit fort, humaniste et touchant. Il consiste en une suite d'épisodes, qui racontent les aventures de Ticonderoga et de ses amis, et comment peu à peu ils grandissent en humanité (notamment le narrateur Caleb Lee, moins « parfait » que Ticonderoga) malgré la sauvagerie guerrière qui les entoure.

Récit d'apprentissage par excellence, c'est une pièce de choix dans l’œuvre de Pratt et d'Oesterheld. Un excellent album, qui bien que dessiné dans le style de la première période de Pratt, classique et pas encore tout à fait épanoui, mérite de figurer dans la bibliothèque de tout amateur du maître italien qui se respecte, mais aussi de tout fan de BD historique de qualité.

[4/4]

« La Ferme des Animaux » (Animal Farm. A Fairy Story) de George Orwell (1945)

    Un bref roman incisif, puissant, inoubliable, terriblement lucide sur l'essor des totalitarismes au XXème siècle. En 10 chapitres seulement, avec une écriture sèche, aride, Orwell analyse les rouages qui font passer une société de la liberté à l'oppression totale, comme l'histoire de la grenouille qui se fait lentement cuire dans l'eau d'abord chaude puis peu à peu bouillante, sans réagir.

La façon dont les animaux de la ferme chassent les humains (ou les bourgeois) pour prendre la tête de la ferme et l’autogérer, les détails de cette autogestion, et la prise de pouvoir des cochons Boule de Neige / Trotski et Napoléon / Staline, la façon dont la caste des cochons s'arroge toujours plus de privilèges, la façon dont elle endort le peuple des animaux à coups de statistiques élogieuses totalement déconnectées de la réalité, tout cela ne laisse aucun doute, ce roman est une critique à peine voilée des travers du communisme.

Mais résumer ce roman à la critique du communisme occulte la dimension universelle et prophétique de cette fable, qui peut aussi s'appliquer au nazisme, et même... au capitalisme. Orwell décrit comme personne la manipulation des esprits, les renoncements crapuleux, la façon dont les lois et les règles édictées par l'élite sont peu à peu totalement détournées de leur esprit initial pour mieux asservir le peuple.

Bien que ce roman soit bref, il fourmille de petits détails, de tous ces micro évènements qui font basculer la vie des animaux dans l'enfer du totalitarisme. Orwell décrit les principes politiques, sociaux, économiques qui rendent leur existence peu à peu invivable. Et paradoxalement, si le choix d'Orwell d'utiliser des animaux et non des êtres humains permet au premier abord de garder une certaine distance et d'atténuer l'extrême violence de ce qu'il raconte, peu à peu, les écheveaux de l'intrigue et les agissements des cochons basculent dans l'horreur, qui semble démultipliée par un usage prodigieux de la litote.

Orwell se fait ainsi défenseur de la liberté, de l'esprit critique, du courage fasse à la perversité des tyrans et l'ignorance des peuples. Le meilleur antidote au totalitarisme semble ainsi la capacité à comprendre les différents niveaux de lecture des évènements, la capacité à prendre du recul, à analyser ce qui se trame et le sens caché des discours, à voir au-delà des apparences, le tout grâce à une pensée aiguisée, et surtout grâce à... l'Histoire !

On le voit bien, la première chose qui est réécrite par les tyrans de cette fable (et ceux ayant réellement existé), c'est l'histoire. Notre société ne l'a sans doute toujours pas compris (ses élites de tous bords, si, par contre), connaître l'histoire est primordial, et rien n'est plus difficile que de connaître la vérité de ce qui s'est véritablement passé tant l'histoire est le jouet des idéologies.

Puisse ce roman être encore lu pendant des siècles, édifier les jeunes générations et les moins jeunes, faire œuvre de mémoire pour que les totalitarismes fassent définitivement partie du passé. L'essor d'internet et de Big Brother (les GAFA et autres BATX chinois) me rendent toutefois pessimiste... Orwell était décidément un visionnaire...

[4/4]

mercredi 17 octobre 2018

« Brol » d'Angèle (2018)

    Il est peu probable que vous n'ayez pas entendu parler d'Angèle, de plus en plus présente dans les média depuis 1 an et la sortie de ses 3 premiers singles, avant celle de son album le 5 octobre dernier. Elle a véritablement explosé sur Youtube et Instagram avec son univers visuel particulier, décliné dans les clips de ses 3 premiers singles. Angèle ne serait-elle qu'un produit marketing ? Il est vrai que ses textes sont dans l'air du temps : l'amour, les réseaux sociaux, la malchance, le mouvement #MeToo, le narcissisme et la superficialité, la célébrité, ses avantages et ses inconvénients... Ses clips n'échappent pas non plus à un certain formalisme sucré déjà vu. Un peu trop consensuelle ?

En fait, une de ses grandes forces est sa « belgitude » pleinement assumée. Prenons le titre de son album : « Brol ». Il faut connaître un minimum le Wallon, patois (ou dialecte local) belge, pour connaître le terme, qui signifie « bazar », « chose », « truc ». Ayant des origines belges, je ne peux que savourer ce titre décalé. Une anecdote à ce sujet : la pub de l'album à la radio dit en gros « écoutez le premier album d'Angèle ». Nulle mention du titre, étonnant non ? Comme s'il y avait quelque chose qui n'allait pas, quelque chose de trop bizarre, de trop ridicule, de trop... Belge.

Et c'est ça la « Angèle touch » : un ton décalé, drôle, ironique, plein d'auto-dérision, mais aussi beaucoup de fraicheur, d'inventivité. Dans ses textes, il y a souvent une petite phrase, une expression, qui rend la chanson amusante et unique à la fois. Alors certes, ce n'est pas du Desproges, mais elle n'hésite pas à se jouer des codes ultra-narcissiques de la jeunesse d'aujourd'hui : elle n'est pas dupe. Si elle maîtrise Instagram à la perfection, elle en connaît la face obscure. Et elle prend plaisir à détourner les codes des médias et de la célébrité, dans un jeu de mise en abyme plus intelligent qu'il n'y paraît.

Beaucoup a déjà été écrit sur son père chanteur, sa mère comédienne et son frère Roméo Elvis, connu dans le milieu du rap. Mais le style d'Angèle est différent, d'ailleurs si son frère a 560 000 abonnés sur Instagram, Angèle en a déjà 534 000, preuve qu'elle le dépassera certainement bientôt en notoriété et qu'elle a su trouver son propre public. Et puis la notoriété de ses parents est toute relative.

Si sa famille a pu l'aider, je pense surtout que c'est dans la gestion de la célébrité, qu'elle prend avec un certain recul, n'hésitant pas à exprimer ses doutes voire ses craintes. Car les réseaux sociaux ce n'est plus vraiment en 2018 l'agora démocratique et citoyenne tant fantasmée à leurs débuts, ni un modèle de liberté d'expression, c'est plutôt la jungle, une jungle qui peut être ultra violente et nauséabonde, le meilleur côtoyant bien plus que le pire, quelqu'un pouvant être en quelques heures porté aux nues puis taillé en pièces.

Pour finir sur ce qui fait la spécificité d'Angèle, je reviens une dernière fois sur sa « belgitude » décomplexée. La particularité de ses chansons est qu'elle sont simples, directes, et mieux encore : sincères. Une sincérité et une simplicité typiquement « du Nord », belges notamment. Pas de pose hypée, pseudo-arty, élitiste ou torturée à la française. Raison qui fait qu'un Stromae et maintenant une Angèle mettent KO ce qu'on appelait un temps la « nouvelle chanson française » (Bénabar et consorts), qui a fini rapidement en eau de boudin. 

Car au-delà des textes, attachants, la musique d'Angèle sait faire danser. La malédiction française qui consiste à mettre le paquet dans les textes et proposer une musique rance est heureusement évitée : il y a un vrai travail sur les mélodies, souvent entraînantes sans être aussi faciles que chez un Stromae par exemple (qui est tout sauf un artiste médiocre cela dit).

Bref, Angèle n'en est qu'à ses débuts, tout n'est pas parfait ni inoubliable, mais elle a du talent à revendre, et c'est le principal. Maintenant, il va s'agir pour elle de durer, rien n'est plus difficile dans le milieu artistique et notamment celui de l'industrie musicale. Une mode en chasse une autre... Et c'est la plus grande crainte d'Angèle : ne pas être la curiosité d'un moment. C'est là le challenge des artistes qui commencent fort : comment égaler des débuts qui déchaînent les foules ? Une chose est sûre, ça ne va pas être facile pour Angèle, d'autant qu'il n'est pas certain qu'elle continue dans cette voie. La dernière chanson de son album, « Flou », évoque le sujet : « la suite, on verra ».

[3/4]

dimanche 16 septembre 2018

« Le Magnifique » de Philippe de Broca (1973)

    J'ai découvert « Le Magnifique » il y a presque une dizaine d'années, et ce film m'était apparu un peu bancal et outré, limite de série Z, malgré d'indéniables qualités, en somme j'étais passé à côté et je l'avais oublié. L'ayant revu il y a peu, je révise complètement mon jugement, il s'agit peut-être du meilleur film réalisé par Philippe de Broca et du plus attachant long métrage où figure Jean-Paul Belmondo. Complètement loufoque et délirant, mais aussi réaliste en un sens, c'est un film multiple. Qui ne s'est jamais rêvé aventurier, héros sans peur et sans reproche ? C'est le cas de François Merlin, écrivain fauché et raté, auteur des aventures de Bob Saint-Clar, sorte de James Bond parodique, double fantasmé de notre anti-héros et véritable alter ego de fiction de notre Bébel national.

Les aventures de Saint-Clar sont bien évidemment hautes en couleurs, l'amenant à courir le monde et à déjouer les pièges de ses ennemis, au premier rang desquels l'ignoble Karpov, double de Charron, l'odieux éditeur de Merlin. D'innombrables péripéties donnent l'occasion à Belmondo de jouer les cascadeurs téméraires, comme à son habitude, et de distribuer coups de poings et rafales de mitraillettes.

Mais « Le Magnifique » ne serait pas ce qu'il est sans la présence de la lumineuse Jacqueline Bisset, incarnant à la fois la belle Christine, voisine de Merlin, étudiante en sciences sociales, et la fougueuse Tatiana, la partenaire de Bob Saint-Clar. Tout l'attrait de ce film réside dans l'opposition et les ressemblances entre la vie réelle de François Merlin et la vie fantasmée de Bob Saint-Clar, faisant du « Magnifique » une sorte de « film pop », de bande dessinée filmée. Si Saint-Clar est un héros stéréotypé, charmeur, bagarreur, courageux voire inconscient du danger, Merlin est un homme banal, peu sportif, mais aussi sensible, bref l'anti Saint-Clar. Et si Tatiana est éprise de Saint-Clar, c'est peu dire que Christine ne l'est pas de Merlin ! Tout l'enjeu du long métrage est donc de savoir si François Merlin arrivera finalement à séduire Christine.

Et c'est là que réside peut-être encore plus l'âme de ce film : cette histoire d'amour naïve et bon enfant entre ce loser magnifique et cette femme inaccessible. On y retrouve les relations hommes-femmes typiques du cinéma de Philippe de Broca, mi macho mi courtoises, cette image fantasmée et sublimée de la femme, ce jeu de l'amour dans toute sa fraicheur. Je vois ainsi « Le Magnifique » comme un film poétique, juvénile, rieur, au charme durable. Un summum du pastiche qui évolue mille lieues au-dessus des « OSS 117 » bas du front signés Hazanavicius, confondants de bêtise crasse, qui s'inspirent clairement du présent long métrage sans en retrouver la légèreté et le pétillant. Jean-Paul Belmondo et Jacqueline Bisset sont rayonnants et touchants... Jean Dujardin et Bérénice Bejo ou Louise Monot non, ce ne sont que des caricatures en deux dimensions.

Car en plus, « Le Magnifique » est très drôle, il enchaîne les gags improbables, les références, les irrévérences, les invraisemblances typiques des films à la James Bond, les mots d'esprit, tout en ayant un vrai scénario (là encore à l'inverse des « OSS 117 »), avec un but, une tension, du suspense. Bref, il s'agit là d'un long métrage accompli, qui possède un attrait indéniable, un charme désuet et à la française qui en font une œuvre séduisante et intemporelle. A ne pas manquer !

[4/4]

dimanche 12 août 2018

« Rébellion » (Jôi-uchi: Hairyô tsuma shimatsu) de Masaki Kobayashi (1967)

    « Rébellion » est un long métrage typique de Masaki Kobayashi, un magnifique jidai-geki (ou film historique) politique, sec et douloureux, pendant de son chef-d’œuvre « Harakiri », réalisé 5 ans plus tôt. Ici, l'intrigue est plus linéaire, plus simple et le long métrage est plus lent, moins fiévreux, tout en retenue. Si « Harakiri » possède l'un des meilleurs scénarios jamais écrits et une cohérence qui en fait un sommet du 7e Art, « Rébellion » pèche un peu par son didactisme appuyé et une absence de réelles péripéties.

Pour autant, tout comme « Harakiri », il s'agit d'une vive et intense dénonciation des travers du Bushido, des codes parfois inhumains de la société féodale japonaise. Et c'est à travers cette dénonciation que se révèle le long métrage, comme un cri d'indignation qui résonne encore bien des années après l'époque où sont censés se dérouler les faits ou même après la réalisation de ce film, tant son propos reste d'actualité. En effet, la société japonaise actuelle n'est pas un modèle d'égalité entre hommes et femmes, tout comme la société occidentale d'ailleurs, où il reste tant à faire.

« Rébellion » c'est l'histoire d'un homme simple, Isaburo (excellent Toshiro Mifune), habile sabreur devenu maître d'armes et marié à l'héritière d'un clan relativement important, Suga Sasahara, une femme irascible et avide de pouvoir. Ils ont deux fils, l'effacé Yogoro, aîné et futur héritier du clan, plus proche de son père par son caractère respectueux et humain, et l'impétueux Bunzo, cadet plus proche de sa mère par sa duplicité et son ambition. Alors qu'Isaburo compte prendre sa retraite en cette période de paix, son suzerain répudie sa concubine favorite et propose (ordonne en fait) à Isaburo que son fils Yogoro la prenne pour épouse, insigne honneur qu'il lui « vend » comme gagnant-gagnant : Isaburo, petit vassal local, ne pouvait prétendre à un tel « cadeau » de la part de son suzerain, et ce dernier se « débarrasse » d'une concubine devenue trop encombrante.

Le seul hic, c'est que si Dame Ichi s'est vue répudiée, c'est en raison d'un accès subit de violence envers son puissant époux. La proposition du suzerain sent donc le souffre, et accepter Ichi comme belle fille pour Isaburo c'est en réalité déshonorer sa famille et tout le clan Sasahara pour satisfaire son maître. La femme d'Isaburo voit donc d'un très mauvais œil l'arrivée d'Ichi au sein de son clan... Mais sous la pression sociale, Yogoro et Isaburo finissent par accepter : Yogoro et Ichi s'unissent alors, et, surprise, Ichi se révèle une femme formidable, calme, travailleuse, courageuse, aimante et aimée par Yogoro. Ils filent le parfait amour et Ichi donne naissance à une petite fille qui illumine le foyer de joie.

Mais tout paraît trop beau pour être vrai. Le prince héritier meurt un jour, et c'est alors le fils qu'a eu Ichi avec le suzerain qui devient héritier. Dès lors, impossible que la mère du nouveau prince héritier soit mariée à un petit vassal : Ichi doit revenir au château et redevenir l'épouse du suzerain. Le titre complet du film prend alors tout son sens et toute son horreur : « Jôi-uchi: Hairyô tsuma shimatsu » soit « Rébellion : Une femme prise et reprise ». Isaburo et Yogoro, soumis et dociles jusque là, ne peuvent rester de marbre, cette fois c'en est trop. Ils n'ont pas d'autre choix : l'honneur leur intime de lutter contre les codes de l'époque, leur âme de samouraï les fait réagir justement contre cette éthique du samouraï, l'esprit se révoltant contre la lettre. Bien entendu, leur rébellion sera tragique...

Kobayashi s'est fait une spécialité de scruter les travers de son peuple en dotant ses films de plusieurs niveaux de lecture. Le premier propose des histoires intenses, héroïques, où les personnages principaux doivent se battre contre l'injustice. Le deuxième niveau de lecture est la nature de cette injustice : les drames historiques matérialisent des enjeux contemporains. Contrairement à Kurosawa, qui proposait d'un côté des films historiques intemporels, presque métaphysiques à l'image de son maître John Ford, et de l'autre des drames contemporains effectivement préoccupés par la société japonaise d'alors, Kobayashi utilise ces films historiques pour rejouer des drames contemporains : chez lui tout est mêlé et le jidai-geki devient un moyen de subvertir le genre, ses longs métrages deviennent des pamphlets politiques sous le couvert de films de divertissement.

L'actrice Yoko Tsukasa, talentueuse interprète de Dame Ishi, disait, dans une interview de l'impeccable édition DVD Wild Side, que les héros des films historiques de Kobayashi pouvaient être joués par des salary men contemporains. Et c'est tout à fait vrai : le contexte historique, les costumes, les combats au sabre, ne sont qu'un prétexte. Le cœur de ses longs métrages c'est la dénonciation des injustices d'hier et d'aujourd'hui. Cet aspect politique est ce qui fait la force des longs métrages de Kobayashi, mais aussi peut-être leur faiblesse. Notamment pour « Rébellion » : les personnages sont assez stéréotypés et tranchés, le propos un peu trop caricatural, il leur manque justement l'universalité des personnages de Kurosawa.

Néanmoins, le talent de Kobayashi est bien réel, et si « Rébellion » se révèle en deçà de « Harakiri », s'il souffre de quelques longueurs et s'avère moins percutant, il s'agit d'un film fort, beau et prenant, excellemment interprété par Mifune, tout en sobriété, Yoko Tsukasa, toute en colère contenue, et bien sûr Tatsuya Nakadai, qui une fois de plus joue l'antagoniste de Mifune, mais également son ami, ce qui ne rend leur confrontation que plus déchirante. Après un premier visionnage décevant, je ne peux que saluer Kobayashi, maintenant que j'ai donné à « Rébellion » une seconde chance.

[4/4]