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mercredi 11 juin 2025

« The Phoenician Scheme » de Wes Anderson (2025)


Ça y est, voilà que je me remets à découvrir les nouveaux films de Wes Anderson en temps réel, au moment de leur première sortie en salle. J'ai un peu potassé mon sujet, en regardant au préalable ses dernières œuvres (The French Dispatch, Asteroid City et ses quatre courts métrages regroupés sous le titre de La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar), ce qui me permet d'appréhender The Phoenician Scheme en connaissance de cause.

Et je dois dire que Wes Anderson est dans une relative mauvaise passe. Il n'a peut-être jamais été aussi populaire – en témoigne l'exposition qui lui est consacrée en ce moment à la Cinémathèque Française – et en même temps il n'a peut-être jamais été autant critiqué, que ce soit par les professionnels ou le grand public. Car le temps de son âge d’or date un peu, on peut dire sans trop se tromper qu’il a culminé avec The Grand Budapest Hotel (2014) et L’Ile aux chiens (2017), soit il y a déjà près de dix ans.

Depuis, ses longs métrages, toujours plus sophistiqués, voient l’édifice andersonien se lézarder quelque peu ici et là. Dans The French Dispatch, les sketchs qui le composent étaient un peu inégaux, et dans Asteroid City, il y avait quelques longueurs et on ne comprenait pas toujours où Wes voulait nous emmener. Mais ces deux films comportaient beaucoup de belles qualités, et je fais partie de ceux qui les trouvent réussis. Au moins, Wes a su exploiter quasiment tout leur potentiel.

Alors que pour moi, le gros problème de The Phoenician Scheme est que Wes passe à côté de son film et de ce qu’il aurait pu (dû) être. Le pitch nous promettait un film d’aventure, et Wes aurait pu nous plonger dans des décors exotiques et luxuriants, comme il avait créé de toutes pièces certains passages de la ville d’Ennui-sur-Blasé dans The French Dispatch, ou la ville désertique d’Asteroid City et ses environs dans le long métrage éponyme.

Or The Phoenician Scheme est tout à fait andersonien : le héros concocte un plan machiavélique dont les idées sont réparties dans des tiroirs… pardon des boîtes à chaussures. Et ça s’arrête plus ou moins là. Chaque boîte, une fois ouverte et son contenu mis à profit, correspond à une sorte de mini quête de jeu vidéo ultra simplissime : convaincre quelqu’un de donner de l’argent pour co-financer le plan du héros. C’est juste une histoire de pourcentage par rapport à la somme totale à rassembler… Chaque boîte et donc chaque sous partie du plan est censée nous emmener à l’autre bout du monde, mais nous n’avons droit qu’à deux-trois plans exotiques, c’est tout… Le reste du temps n’est que palabres et discussions à n’en plus finir dans des intérieurs exigus.

Autre signe d’essoufflement de la machine andersonienne : ces dialogues qui se répètent à plusieurs moments du film, ou lors d’une même séquence, du genre « - Oui » « - Non » « - Oui » « - Non »… répétés ad nauseam par deux personnages qui se chamaillent…

On a l’impression que le Wes scénariste tourne en rond, et que le Wes metteur en scène a peur d’aller au bout de son scénario. Lui qui ose vraiment tout dans ses précédents films, fait de The Phoenician Scheme une sorte de huis clos assez vain et stérile. Il nous fait son Les Bijoux de la Castafiore, pour utiliser une métaphore tintinesque, un univers très proche de celui de Wes. Et un album de BD où l’on retrouve un Hergé à bout, en panne d’inspiration, tout comme on retrouve notre Wes tout penaud aujourd’hui avec son nouveau long métrage. 

Pour autant, je n’irai pas jusqu’à dire que ce film est complètement raté. Il l’est en partie, compte tenu de son ambition initiale clairement pas accomplie. Mais ici et là, il y a toujours des choses très sympathiques, des idées de mise en scène brillantes, des acteurs attachants, des traits d’humour qui font mouche… Et puis, mine de rien, c’est peut-être l’un des films de Wes Anderson les plus graves et les plus politiques, l’un des plus violents aussi (même si c’est bien sûr relatif). Il dénonce vertement le capitalisme, représenté on ne peut mieux par un marchand d’armes et de toutes sortes d’autres choses, prêt à vendre son âme – et le monde – au plus offrant.  

Et puis je ne peux pas oublier ces intermèdes oniriques, qui semblent se dérouler dans l’au-delà et le Paradis, des séquences absolument bluffantes et inédites dans l’œuvre de Wes Anderson. Voilà une fois de plus la preuve que Wes a encore (un peu) de quoi nous étonner en réserve.

Au total, je suis donc davantage mitigé que foncièrement déçu, même si comme beaucoup je m’alarme de cette baisse progressive de qualité des derniers essais de Wes. Toutefois, il sait se ressaisir. Après The French Dispatch qui manquait un peu d’émotion, il la retrouve dans Asteroid City et La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar, où il se paie même le luxe de créer quatre courts métrages aux ambiances et aux propos très différents, creusant de nouvelles veines dans sa filmographie déjà bien riche. Et on l’a vu : The Phoenician Scheme propose également de nouvelles choses, à certains moments (rares il est vrai). Mais je reste vigilant : Wes Anderson n’est pas loin de s’enfermer dans un système, et dans son propre piège de l’esthétisation pour l’esthétisation…

[2/4]

jeudi 8 mai 2025

« Conclave » d’Edward Berger (2024)


 

Tout d'abord je dois préciser que c'est le contexte actuel, du décès du pape François, pour qui j’avais un profond respect, et du conclave qui vient de commencer « in real life », qui m'a poussé à me pencher sur ce film. J'avais parcouru quelques critiques à sa sortie, pour beaucoup mitigées, je ne m'attendais donc pas à grand-chose d'exceptionnel en regardant ce long métrage. Mais tenter de mieux comprendre les rouages de ce qui se passe actuellement au Vatican me semblait intéressant, et puis de manière plus légère, c'était le moment où jamais de regarder ce film !

J'ai donc été surpris d'être rapidement happé par l'intrigue, d'autant que le jeu remarquable des comédiens m'a permis de rentrer très vite dans le film. Je salue en tout premier Ralph Fiennes, absolument génial et attachant. Il démontre combien il est un immense acteur, capable de tout jouer avec intensité, finesse et véracité. Je salue également les autres acteurs principaux de ce film : Stanley Tucci, Sergio Castellitto, Lucian Msamati, John Lithgow, Carlos Diehz, qui semble être un acteur novice en matière de cinéma mais qui possède un réel charisme, et bien sûr Isabella Rossellini, qui crève l'écran en quelques scènes.

Je comprends un certain nombre des critiques mitigées, mais je dois dire que ce que j'ai beaucoup apprécié dans ce long métrage, c'est ce côté « à l'ancienne » : c'est un film d'ambiance et de personnages. Chacun a sa personnalité, ses qualités mais aussi ses zones d'ombre, sans qu’on ne puisse jamais porter un jugement définitif sur eux (ou presque). Le réalisateur, Edward Berger, prend le temps de nous faire côtoyer ces personnages, et même ceux qui semblent antipathiques finissent parfois par nous toucher. Car le cinéaste allemand ne fait pas de mystère : ce sont avant tout des hommes, donc faillibles. Néanmoins, être homme d’église, et plus encore pape, nécessite une probité absolue. Le film enchaîne donc un certain nombre de révélations qui font fluctuer les votes du conclave.

Autre aspect intéressant de ce long métrage : il s’appesantit sur les doutes de ses personnages, et sur la quête d’un cardinal qui ait vraiment les qualités pour devenir pape. Si le propos du film n’est pas d’approfondir les questions de foi et spirituelles, il montre les tiraillements qu’éprouvent les cardinaux, notamment ceux les plus probes, entre pouvoir temporel et vertus spirituelles. Ainsi, aucun des candidats déclarés ou potentiels n’est vraiment complètement parfait pour le « poste ». Chacun d’entre eux a des faiblesses, et l’on se demande s’il sera vraiment en mesure d’assurer ce rôle si difficile.

Le côté « à l’ancienne » de ce film réside aussi dans cette réalisation particulièrement efficace. Elle cherche quelques effets, à rendre le tout grandiose sans non plus trop en faire, avec un équilibre entre grandeur, réalisme et modestie. Et à vrai dire je trouve que ça marche : quoi qu’on en pense, et on le voit en ce moment, l’élection d’un pape est un événement mondial. De plus, l’Eglise charrie une histoire plurimillénaire, et est la manifestation terrestre d’une spiritualité céleste. Avec ce qu’elle peut avoir de bon mais aussi tout ce qu’elle a de mauvais. Pour ce genre de film, un autre traitement aurait pu rendre le récit plat, terne, sans intérêt. Au contraire, Edward Berger montre bien les immenses enjeux d’un conclave, mais aussi toutes les contradictions de l’Eglise et de ses prélats, tiraillés entre tradition et modernité, passéisme et nouveauté, faste et pauvreté, vision rétrograde et progressiste…

A ce titre, j’ai du mal avec les critiques qui dénoncent le prétendu côté « woke » de ce film… Alors que je le découvre début mai 2025, il me paraît d’autant plus évident que ce long métrage s’est grandement inspiré du pontificat de François. Et même si considérer François comme un progressiste total est sans doute faux, il a été un pape tout de même assez progressiste, notamment par rapport à ses deux prédécesseurs. L’Eglise, en 2025, est bel et bien multiple, avec plein de courants spirituels et idéologiques, mais tout de même deux grandes lignes s’opposent et se font face, entre traditionalistes et progressistes. J’entends par là que sur cet aspect, désolé mais Conclave n’est pas « woke »… il est juste réaliste et très bien documenté.

C’est d’ailleurs une de ses autres qualités, je ne connais pas tous les détails du fonctionnement de la papauté, du Vatican et de la curie, mais il semble que l’équipe du film se soit bien documentée et ait eu le souci de respecter le sujet. Tout paraît très vraisemblable, et les médias se sont d’ailleurs fait l’écho de combien un certain nombre de rituels effectués dans ce film sont vrais.

Néanmoins, malgré un certain nombre de qualités bien réelles, qui font que j’ai passé la majorité du film dans un état de jubilation et d’excitation, complètement pris par ce thriller haletant, à un moment… tout s’effondre. Déjà, les nombreux retournements de situation sont assez gros, mais ils restent tout de même relativement bien écrits, et plausibles. Mais le twist final vient tout remettre en perspective et ruiner le long métrage. En fait, Conclave n’avait clairement pas besoin de ça. Il aurait pu être un film de facture classique et honorable, traitant d’un sujet à la fois complexe et fascinant pour le commun des mortels, tout en nous amenant à questionner l’Eglise, ses membres et ses fidèles.

Mais ce twist final de petit malin confine ce long métrage au pur exercice de style. Voilà encore un de ces films anglo-saxons (car la production est bel et bien internationale) qui se rêve être un summum d’intelligence, et qui se révèle être d’une vacuité certaine, voire même d’un ridicule…

Toutefois, à mon sens ce twist complètement raté ne doit pas faire oublier tout le reste du film, qui me semble être tout à fait convenable. C’est juste dommage qu’après avoir fait monter la pression continuellement, jusqu’à ce qu’elle devienne quasiment insoutenable, le film fasse pschitt de la sorte, comme une vulgaire baudruche… Ce final grotesque ne doit pas faire oublier la qualité de tout le reste, qui reste de bonne tenue.

Et puis malgré tout, ce twist est relativement intéressant. Il montre que l’élection d’un pape, comme toute élection d’homme ou de femme politique, ou exerçant des responsabilités conséquentes, comporte toujours son lot d’aléas, d’invraisemblances, de retournements de situation, qui amènent à se questionner et à questionner l’institution dont la gouvernance est mise en jeu. Plus encore, il s’agit d’élire un être humain, dans toute sa complexité et avec toutes ses contradictions. A l’heure où j’écris ces lignes, la première journée du vrai conclave vient de s’achever avec une fumée noire. Il va donc se poursuivre jusqu’à ce qu’un nouveau pape soit élu. Or qui sait ce que ce nouveau pape nous réserve ?

[2/4]

vendredi 18 avril 2025

« A Study of Losses » de Beirut (2025)


Un album de Beirut est toujours agréable, Zach Condon, l’homme-orchestre derrière ce groupe, étant un musicien talentueux. De plus, il a débuté sa carrière avec trois immenses albums, et cet artiste est attachant (il n’hésite pas à montrer sa fragilité, et il est un grand amoureux de la France et de l’Europe), il bénéficie donc toujours d’un grand capital sympathie en ce qui me concerne.

Cela étant posé, je dois bien dire que j'attendais cet album au tournant. Le précédent opus de Zach, Hadsel, m'avait déçu, par son ton éthéré et son manque d'inspiration. C'était un album à part, conçu dans le froid d'un endroit reculé de la Norvège, avec une esthétique visuelle et sonore complètement à part dans la discographie de Zach. Il avait un côté plus dépouillé : les cuivres, les nombreux instruments organiques et les boucles électroniques – véritable signature sonore de Beirut – étant beaucoup moins présents que d’habitude. Un vrai pas de côté, pas inintéressant, mais assez mineur.

Avec A Study of Losses, l'artiste américain reprend ses pochettes d'albums énigmatiques, invitant à la rêverie et au voyage. Je pensais donc que celui-ci se placerait dans la lignée de Gallipoli, un album inégal, mais qui voyait Beirut livrer un certain nombre d'excellentes chansons, au gré d'un album cohérent et homogène. Gallipoli faisait suite à No No No, un opus maudit, né dans la douleur et le syndrome de la page blanche, après un divorce et un éprouvant épisode de dépression.

Pourtant, je dois bien dire que je regrette même No No No, qui était encore plus inégal que Gallipoli, mais qui comportait certaines pépites. Dans A Study of Losses, je ne retiens que le single Caspian Tiger pour le moment, qui soit un minimum abouti et réussi. Le reste ressemble à une sorte de remplissage instrumental et ambiant, le tout formant une longue complainte qui fait du surplace…

18 titres, c'est ambitieux ! Mais encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions... Ce n'est clairement pas le cas de Zach ici... Il y a trop de chansons monotones et répétitives, qui ressemblent à des faces B ou C de Gallipoli, ou de sa compilation Artifacts... On sent le soin apporté au son, mais les grandes absentes ce sont les mélodies, pourtant imparables par le passé, lors de l’âge d’or du groupe… Ici, Zach fait plutôt dans la ritournelle qui tourne en rond…

Je compte bien réécouter cet album, Artifacts avait été un « grower », peut-être en sera-t-il de même pour A Study of Losses... Mais j'ai tout de même des doutes. Artifacts balayait l'ensemble de la carrière de Zach, et par le passé il avait produit beaucoup de superbes chansons.

Aujourd'hui, il semble être l'ombre de lui-même, ce qui fait peine à voir... Ce fut un miracle que je puisse le voir en concert lors de sa tournée faisant suite à la sortie de Gallipoli. Ça a été un des meilleurs concerts de ma vie, mais depuis Zach en a annulé pas mal et ne semble pas prêt à revenir en France de sitôt, lui qui ne vit pourtant pas très loin désormais, à Berlin...

Une fois de plus, je ne peux donc qu'espérer que Zach se ressaisisse, et qu'il retrouve sérénité et inspiration... Il a en lui ce potentiel inouï, le tout est qu'il arrive à le laisser s'épanouir de nouveau...

[2/4]