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vendredi 30 mai 2025

« Asteroid City » de Wes Anderson (2023)


Mon rapport à la filmographie de Wes Anderson est très particulier. Je fais partie de ceux qui le connaissent depuis longtemps : mon premier film vu de lui était « À bord du Darjeeling Limited » (2007), découvert en salle à l'époque. Immédiatement, son côté hyper formaliste esthétiquement parlant et très léger sur le fond m'avait saoulé.

Mais j'appréciais quand même certains de ses films (« La Vie aquatique », « Moonrise Kingdom », « Fantastic Mr Fox »), quand d'autres m'exaspéraient (le « Darjeeling… » donc, ou « The Grand Budapest Hotel »). J'avais classé Wes Anderson dans la catégorie des cinéastes plutôt sympathiques mais ne cassant pas trois pattes à un canard, à ne pas prioriser dans ma liste de films à voir (très très longue).

C'est l'enthousiasme d'une amie qui m'a fait réviser mon jugement. Fan du bonhomme, elle m'a poussé à revoir en salle « Moonrise Kingdom », en présence de Wes, lors du Festival Lumière 2023, à Lyon. Et là, gros coup de cœur. Ce film que j'avais légèrement bien aimé m'a complètement embarqué dans son délire loufoque et sensible. A date, c'est toujours le Wes Anderson que je préfère. Dans la foulée, j'ai découvert « L'Ile aux Chiens », toujours présenté par Wes. Deuxième coup de cœur, d'autant que toutes les références au Japon (d'Akira Kurosawa, entre autres), ne pouvaient que me plaire. Et puis voir Wes en vrai, c'est quelque chose : tiré à quatre épingles, timide, très drôle... Il est vraiment attachant.

Depuis, il fait partie des cinéastes que j'apprécie franchement, et je me plais à creuser (ou revoir) sa filmographie. Après avoir vu récemment à la Cinémathèque ses quatre courts métrages diffusés sur Netflix (sous le nom « La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar »), qui m'ont beaucoup plu, je me suis attaqué en toute logique à « Asteroid City », dans la perspective de découvrir très prochainement son nouveau long métrage, « The Phoenician Scheme ». 

Je dois dire que j'aborde aujourd'hui la filmographie de Wes avec un regard frais, ce qui fait que mon ressenti diffère sensiblement des autres fans du cinéaste, qui semblent en avoir un peu marre de ses tics de réalisation et de son formalisme effréné, étouffant plus ou moins toute émotion (ce qui est un peu vrai, mais pas totalement à mon sens). Je comprends tout à fait les fans déçus : il est clair que Wes Anderson répète une formule, mais je trouve qu'il se renouvelle à chaque fois, pour le moment en tout cas. Même si l'esthétisation à outrance le menace dangereusement, j'en suis bien conscient.

Pour ma part, une fois de plus, j'ai été emballé par « Asteroid City » (oui, j'ai bien changé). Bien sûr, c'est toujours hyper formaliste, et maintenant Wes est devenu un cinéaste également très (très) bavard. Mais il y a toujours cette mise en scène renversante, cet humour omniprésent (même en second ou troisième plan, il faut être attentif !)... Et puis cette sensibilité unique, ces moments de poésie pure, entre l'extraterrestre, si mignon et si amusant, et ces couples qui se forment, où cette nostalgie des êtres chers qui nous ont quitté. 

Parmi tous les personnages savoureux, j'ai particulièrement apprécié celui interprété avec talent par Jason Schwartzman : un photographe de guerre au cœur tendre, semblant revenu de tout (au sens propre et figuré), mais profondément mélancolique à la suite du décès de sa femme... Le nouveau couple qui naît entre lui et Scarlett Johansson, excellente en star plus ou moins incognito, elle aussi sans illusions sur la vie, est tout à fait réjouissant. Leur duo de personnages est au cœur du film et lui donne son âme (ça et les moments de poésie cités plus haut), dans une atmosphère douce-amère typique du cinéma de Wes Anderson, beaucoup plus subtil et profond qu'en apparence.

Alors certes, il faut encaisser tous ces dialogues et lire les sous-titres à la vitesse de la lumière... Mais c'est tout de même un vrai régal, dans l'Amérique trumpiste d'aujourd'hui, qu'il existe encore des cinéastes intelligents, subtils, lettrés, qui font confiance au spectateur pour savourer tous ces clins d’œil et qui nous partagent avec tant de générosité cet amour immodéré du cinéma. Long live Wes !

[3/4]

dimanche 25 mai 2025

« Rashid, l’enfant de Sinjar » de Jasna Krajinovic (2025)


 

Voilà un superbe documentaire réalisé par la cinéaste franco-slovène Jasna Krajinovic, qui dresse le portrait de Rashid, jeune yézidi, et de sa famille, dans le berceau de cette région, le Sinjar, région d'Irak où les Yézidis sont toujours persécutés aujourd'hui, après le génocide de ce peuple perpétré par Daesh.

La réalisatrice et son équipe ont réussi à filmer cette famille et Rashid qui grandit, dans des conditions difficiles. Étalé sur 4 ans, de 2019 à 2023, le tournage a été de plus en plus surveillé année après année par l'armée irakienne qui contrôlait la région, puis par les milices du Hesbollah, qui sont progressivement montées en puissance jusqu'à être les vrais maîtres de la région en 2023. Des factions foncièrement hostiles aux Yézidis.

Le film a donc dû être évasif sur le contexte politique et militaire du Sinjar, mais on comprend très bien la tension qui règne par des plans habiles, comme ces caméras que l'on éteint brusquement (et ostensiblement) dès que l'équipe approche de militaires, souvent lourdement armés.

Malgré tout, le propos de Jasna Krajinovic est avant tout humain et s'intéresse aux individualités de Rashid et de sa famille : comment arrivent-ils à se reconstruire après avoir été prisonniers de Daesh, quelles sont leurs joies, leurs espoirs... et cette tristesse qu'ils traînent, face aux morts et aux portés disparus parmi leurs proches. C'est le cas d'une des sœurs de Rashid, toujours captive, sans qu'ils aient de nouvelles d'elle au moment où sort ce film, en mai 2025.

J'ai pu découvrir ce documentaire au Forum des Images, sur un très grand écran, dans le cadre d'un partenariat entre l'institution et France Télévisions, qui co-finance le film, avant qu'il soit diffusé à la télévision. C'est une excellente initiative, car « Rashid, l'enfant de Sinjar » est un vrai film de cinéma. Tourné en trois expéditions sur place, avec des équipes différentes autour de la réalisatrice, il reste homogène formellement. Surtout, la réalisatrice fait preuve d'ambition, avec de grands plans larges des paysages locaux, magnifiques, en usant d'une photographie très soignée. Si la région du Sinjar est bien mise en valeur, il en va de même pour Rashid et sa famille, qui sont de la plupart des plans, Jasna Krajinovic rendant hommage à leur profonde humanité.

Car il faut rappeler que pour la religion yézidie, toute vie humaine est sacrée. Il est donc particulièrement cruel que ce peuple pacifiste, où les femmes tiennent une place prépondérante, ait été tant persécuté... Ce long métrage permet de mettre un visage sur des faits journalistiques et de raconter les histoires d'êtres humains dont on a entendu parler, victimes de drames terribles... mais toujours debout, dignes au milieu d'une société qui veut les anéantir...

[3/4]

vendredi 25 avril 2025

« Anxious » de Nell Smith (2025)

 

« Anxious » est un album bouleversant, car posthume, réalisé par une très jeune artiste qui avait la vie devant elle... En effet, la talentueuse et prometteuse Nell Smith est décédée en octobre 2024, à seulement 17 ans, d'un tragique accident de voiture...

Elle avait été repérée par Wayne Coyne, le leader des Flaming Lips, groupe culte (pour moi le meilleur de ces 30 dernières années), lors d'un de leurs concerts, où Nell assistait déguisée en perroquet (sic). Les Lips et Nell avaient réalisé un album en commun, « Where The Viaduct Looms », où ils reprenaient des chansons de Nick Cave. Un très bel album, où la voix juvénile de Nell et la production des Flaming Lips et du génial Dave Fridmann faisaient des merveilles.

Depuis, Nell bossait sur son premier véritable album solo, « Anxious », qu'elle avait quasiment fini de réaliser au moment de son décès. Il est donc très étrange et émouvant de découvrir l'émergence d'une jeune artiste alors qu'elle n'est déjà plus de ce monde...

Le résultat est conforme à l'image que l'on se faisait de Nell : c'est un album juvénile, fragile, forcément imparfait, mais gorgé de belles idées, avec la voix de Nell davantage mise en valeur que sur son précédent opus, et une production maximaliste et réjouissante, ludique, sur laquelle a sans doute travaillé Dave Fridmann, le producteur du mythique son des Lips, car on reconnaît sa patte.

C'est un album vraiment qualitatif et réussi, qui se plage dans le sillage du célèbre groupe de l'Oklahoma, tout en traçant sa propre voie : on sent un style en devenir, personnel. Et l'on ne peut que regretter que Nell soit partie trop tôt, c'est un terrible déchirement pour ses proches et ses fans...

[3/4]