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vendredi 7 novembre 2025

« Lux » de Rosalía (2025)


Quand les gens confondent chef-d’œuvre et art pompier... Le vrai chef-d’œuvre de Rosalía, c'est « El Mal Querer », un disque qui avait mis tout le monde KO, délicat équilibre entre flamenco traditionnel et modernité pop. Un album magnifique et impressionnant de maîtrise, très ambitieux, mais qui avait les moyens de son ambition. Rosalía était alors en pleine ascension, après « Los Ángeles », un premier album de néo-flamenco qui avait reçu un beau succès d'estime et éveillait la curiosité. « El Mal Querer » la faisait entrer dans une autre dimension : celle d'une diva pop d’envergure internationale, capable de concilier exigence artistique et succès public, sans renier ses racines espagnoles et flamenco.

« Lux » c'est un peu tout l'inverse. Un album bourrin, réalisé au forceps, qui tente de bâtir une cathédrale sonore, mais qui s'effondre de tout son poids tellement sa musique est vide. Certes les paroles sont recherchées, et chanter en beaucoup de langues différentes est une bonne idée à mettre au crédit de Rosalía. Je ne vais pas non plus blâmer son ambition.

Mais musicalement il y a un vrai problème. Rosalía a beau s'égosiller et jouer la carte de la performance vocale et musicale, à grand renfort d’orchestre symphonique, il n'y a aucune musicalité et (donc ?) aucune émotion. La présence vocale de Björk sur une des chansons de l’album n’est pas anodine, serait-elle la nouvelle mentore de Rosalía ? Le risque est que la chanteuse espagnole soit en train de se « björkiser » : à savoir créer de la mauvaise musique semi-expérimentale, très pauvre musicalement, mais qui reçoit l’aval de la critique, ne la poussant pas à se remettre en question.

La belle note reçue par « Lux » sur Pitchfork va dans ce sens (8,6/10 et album labellisé Best New Music). Rosalía risque également une trajectoire à la Radiohead, autre icône musicale des années 1990-2000 aux côtés de Björk, sur le déclin depuis 15 ans, mais toujours acclamé par la critique malgré une inspiration proche du néant aujourd’hui.

Le truc c’est qu’il faut gratter derrière les apparences. Recourir à un orchestre symphonique ne veut pas dire que la musique proposée est du même niveau que la musique classique contemporaine. C’est confondre instrumentation et musique. Ok ça peut impressionner, mais si on a un minimum d’oreille, on entend bien vite que tout n’est que poudre aux yeux.

Alors certes, Rosalía cherche avec « Lux » à renouer avec une certaine transcendance et verticalité, après un « Motomami » bien vulgos et au ras des pâquerettes. Ce n’est pas moi qui vais lui reprocher. Mais c’est bien dommage que sa créativité musicale semble évaporée, au point de la retrouver en pilotage automatique… Peut-être doit-elle ce faux pas à l’équipe qui l’entoure, je ne sais pas quelles en sont les raisons profondes.

Toujours est-il qu’après « El Mal Querer », un album bluffant qui laissait espérer un bel avenir pour Rosalía, un troisième album très décevant (« Motomami »), qui n’a pas empêché la chanteuse de connaître un succès mondial, ce deuxième opus que j’aime tant semble être un horizon indépassable… Si c’est vraiment une merveille, ça serait tout de même bien dommage que cet essai juvénile soit déjà le chant du cygne de Rosalía, une artiste tellement douée, quand elle veut bien se donner la peine de chanter, ce qu’elle fait de nouveau avec « Lux », après un « Motomami » à forte dominante rap. Mais manifestement, bien chanter ne suffit pas. Encore faut-il être inspirée musicalement…

[2/4]

samedi 1 novembre 2025

« Escape From The 21st Century » (Cong 21 Shi Ji an Quan Che Li) de Li Yang (2025)


J'avais eu de bons échos d'« Escape From The 21st Century », je m'attendais donc à une proposition vraiment qualitative, sans espérer non plus un chef-d'œuvre bien sûr. J'avais hâte de voir ce que le meilleur du cinéma chinois contemporain (apparemment) avait à offrir. Quelle n'a pas été ma surprise de me retrouver face à un machin purement visuel avec un propos dérisoire... Un certain nombre des éclaireurs renommés de SensCritique ont porté ce film aux nues, lui attribuant des notes folles (j'ai vu un certain nombre de 9/10), damn... 

Il semble que tout le monde se soit fait retourner la tête par la forme il est vrai virtuose du film, perdant ainsi toute capacité de réflexion et tout recul... « Escape From The 21st Century » est en effet un tourbillon d'images frénétique et complètement fou. Il y a parfois jusqu'à 5 idées par plan (du moins on en a l'impression), qui s'enchaînent sans discontinuer. Le rythme du long métrage est infernal et ne ménage quasiment aucune pause. Le cinéaste Li Yang use des dernières technologies d'images de synthèse et autres effets spéciaux, tout en ayant recours à différents formats de visuels et même régulièrement à l'animation, qui se surajoute parfois à des plans d'images live. 

Mais déjà là, il y a un gros hic. Car les images convoquées, dont beaucoup font écho à la pop culture chinoise, asiatique (les mangas et les jeux vidéo japonais sont abondamment cités) et même occidentale (américaine surtout), ne brillent pas par leur inventivité... C'est comme si une IA avait pris le contrôle, et recrachait à la figure du spectateur un pot-pourri de « visuels créatifs », tout ce qu'il y a de plus attendus et déjà vus... Bien rares sont les plans à être réellement surprenants et poétiques, au sens premier de pure création. 

Ensuite, ce flux non-stop d'images multicolores et dynamiques consiste plus ou moins en un gavage de cerveau. Je suis ressorti du film diverti, certes, mais avec un mal de tête. Comme si je sortais d’un McDo (enseigne d'ailleurs citée dans ce film, qui fait décidément feu de tout bois), l'estomac surchargé, avec l'impression d'avoir mangé quelque chose de très gras et de très sucré, plutôt sympa sur le moment... Mais sans réelle saveur, et assez désagréable après coup... Et de fait, je serais bien en peine de retenir une ou plusieurs idées clés de ce film. Il y a une vague nostalgie de la jeunesse et du temps qui passe, mais complètement surfaite et artificielle. 

Car il faut bien aborder ce point. Ce film enfile les clichés éculés comme les perles et ne reste qu'à la surface. Les trois personnages masculins principaux sont totalement stéréotypés, ce qui fait qu'on a le plus grand mal à s'attacher à eux. Ce n'est pas la première fois que je constate que certains films asiatiques n'ont guère évolué en 40 ans dans la psychologie des personnages (je pense au récent film hongkongais « City of Darkness »). On a ici le courageux/bagarreur (le vrai héros quoi), le rigolo/rusé et le gros qui se fait victimiser par tout le monde, y compris ses amis. Et évolution psychologique notable des personnages dans le futur : le seul trait de caractère du personnage en surpoids 30 ans après... est qu'il n'est plus gros, et donc sa vie est plus agréable. Très recherché ! Pour ce qui est des femmes ce n'est guère mieux... L'héroïne principale est figurée soit comme la star du lycée, la fille parfaite dont tous les garçons rêvent, mais sans aucune personnalité, soit 30 ans plus tard comme une amante éplorée et dépressive, cliché – là encore – de la fille trop sensible qui a mal tourné dans un monde décidément trop dur (soupir).  

De toute façon, rien de surprenant. Avec son rythme cocaïné, « Escape From The 21st Century » est dans l'impossibilité de construire la moindre psychologie pour ses personnages ou de développer le moindre propos. On est bombardé de signes pop et publicitaires, mais jamais on ne rentre dans l'intériorité de personnages en deux dimensions et purement fonctionnels. J'ai donc d'autant plus de mal à comprendre les larmes de crocodile versées par certains à propos de ce film complètement vide et vain. Peut-être l'impression de se sentir jeune en tressant des lauriers à ce film ? Fort heureusement, il y a un certain nombre de cinéastes débutants bien plus intéressants en Chine et dans le monde de nos jours.

[2/4]

jeudi 23 octobre 2025

« Deadbeat » de Tame Impala (2025)


Après le pastiche de rock psychédélique, et le pastiche d'un funk-house cheesy et kitsch, on aurait aimé que Kevin Parker nous offre une musique plus personnelle et vraiment originale... Hélas, l'Australien poursuit dans sa veine pop mainstream ultra sucrée, ayant renié à peu près tout ce qui faisait l'intérêt de Tame Impala, à savoir des morceaux psychédéliques aux mélodies finement ouvragées (tel Alter Ego, sa meilleure chanson à mon sens) ou des pistes furieusement épiques (Let It Happen).  

Il faut aussi qu'il arrête de nous sortir des albums d'une heure s'il n'a rien ou si peu à dire musicalement... Sa grande faiblesse a toujours été de ne pas savoir concevoir un album pertinent dans la durée. Tous ses opus sont foncièrement inégaux, avec quelques chansons géniales... et beaucoup de remplissage. « Deadbeat » n'échappe pas à la règle, mais pire, aucune chanson ne surnage vraiment au-dessus du lot... 

A vrai dire, les trois premières chansons (My Old Ways, No Reply et Dracula) se démarquent un peu plus positivement, rappelant les deux derniers albums de Tame Impala. Mais le reste ressemble surtout à de la house bas de gamme (désolé mais il y a de bien meilleurs artistes et producteurs d'électro et de house que Kevin Parker) et à du remplissage.

Il n'y a que des bouts de chansons ici et là qui surprennent et enchantent un peu, mais dans l'ensemble, Kevin est en pilotage automatique, sûr de son talent et de son succès... Et de fait, il a réussi à percer auprès du grand public, tout le monde n'est pas en mesure de remplir l'Accor Arena... Et tout n'est pas non plus à jeter dans cet album, d'où ma note médiane.

Maintenant, c'est bien dommage que pour ce faire, il ait perdu son talent musical, pour nous servir une soupe sans saveur, avec des gimmicks de producteur en guise de cache misère... Je suis certain de ne pas revenir souvent à cet album, tant cette heure de musique insipide est éprouvante, j'ai bien mieux à faire de mon temps. Ses deux précédents albums ne me rendaient pas confiants sur la suite de sa carrière, celui-ci me laisse définitivement pessimiste...

[2/4]

dimanche 5 octobre 2025

« Sirāt » d’Oliver Laxe (2025)


Marrant comme lors du Festival de Cannes les esprits s'échauffent et s'emballent parfois pour rien, ou pas grand-chose... Après « L'Agent secret » de Kleber Mendonça Filho, « Sirāt » d’Óliver Laxe est l'autre grosse baudruche qui finit par se dégonfler d'elle-même... Après, je suis bien conscient que c'est le jeu des festivals : dans une ambiance propice et survoltée, il y a de quoi faire tourner la tête.

Pourtant « Sirāt » commençait plutôt bien. En mettant en images le monde des raves parties, Óliver Laxe fait le pari de l'immersion sonore. Le volume est élevé et la musique – du gros boum boum, mais aux textures soignées – aide à la crédibilité de l'essai. Visuellement par contre, on reste un peu à l'extérieur. Pas de plans subjectifs. A la place, un regard quasi documentaire, filmant les masses de teufeurs. Déjà à ce moment, je me disais qu’il s’agissait d’un film cool, mais qui n'exploitait pas complètement son potentiel... Ce qui allait se confirmer, hélas, plus tard. Des individualités se dessinent dans la foule, et l'on devine que les quelques acteurs dont le nom s'affiche à l'écran seront nos compagnons de route. L'exposition du film est habile. On est les sens en éveil, prêt à entrer dans ce « road and bad trip ».

La première moitié du film est remarquable. Nos héros filent en convoi dans le désert, à la recherche de la fille d'un des protagonistes (impeccable Sergi López), raveuse (rêveuse ?) en fuite. Les images sont très belles, le choix de la pellicule (16 mm) est judicieux : les étendues désertiques surplombées par un soleil brûlant, ou les trajets de nuit, dans une obscurité épaisse, sont à mon sens la grande réussite de « Sirāt ». Óliver Laxe installe une ambiance de road trip presque mystique, avec des marginaux qui poursuivent des chimères. Il y a un côté « Le Salaire de la peur », voire même « Apocalypse Now » (toutes proportions gardées), influence revendiquée par Óliver Laxe. Autant dire que les attentes pour la suite sont immenses, le cinéaste franco-espagnol ayant bien fait monter la sauce et la tension.

Jusqu'au point de bascule. C'est censé être l'un des climax du film, si pas LE moment clé. Mais c'est terriblement mal filmé et interprété. Je n'y ai pas cru une seconde. La suite des événements ne parviendra jamais à inverser la tendance. Óliver Laxe tombe dans une espèce de fuite en avant... Après cet événement choc, c'est comme si le film faisait une sortie de route. Je commence à comprendre que « Sirāt » risque de ne pas être le film que j'espérais. Le voilà qui traîne en longueur. Où veut-il en venir ? Je perds peu à peu espoir. C'est alors que d'autres retournements de situation surviennent. Hélas, tout aussi ratés. Cette fois ça y est, je sais que c'est mort. Óliver Laxe n'a pas su aller au bout de son projet, ou alors il n'a pas su voir le chemin qui s'ouvrait devant lui... La fin enfonce définitivement le clou. 

« Sirāt » nous promettait l'enfer et le paradis. Il reste à l'état de mirage dans le désert. On croit voir quelque chose… qui n'existe pas. Notre imagination est fortement sollicitée dans cette première moitié de film, et l'on se prend à imaginer un scénario qui ne sera jamais tourné. On sort donc de la salle terriblement frustré, par ce beau potentiel gâché...

[2/4]

mercredi 1 octobre 2025

« Honeymoon » (Medovyi Misiats) de Zhanna Ozirna (2025)


En France, nous sommes davantage habitués à découvrir des documentaires ukrainiens, depuis l'invasion russe de février 2022. Honeymoon est l'un des tous premiers longs métrages de fiction ukrainiens, tournés depuis le début de l'invasion, à parvenir jusqu'à nous.

A ce titre, c'est déjà un film intéressant. Mais c'est en plus un long métrage subtil et intelligent, qui nous replace dans ce qu'ont vécu les Ukrainiens les premiers jours de l'invasion : la stupéfaction, la peur, la paralysie, la remise en question de leur quotidien... Et plus prosaïquement, la survie : certains étant tués ou torturés par les russes, blessés, prisonniers, confinés...

Zhanna Ozirna construit son film autour d'un couple surpris par l'invasion et cloîtré dans son appartement en cours d'aménagement. C'est un choix intéressant, car la cinéaste évoque la guerre d'un point de vue humain et ukrainien. On rentre dans l'intimité du couple, avec beaucoup de tendresse et de pudeur, et on éprouve avec eux combien la guerre est inhumaine et terrifiante.

La mise en scène est maîtrisée, la photographie soignée, et surtout la direction d'acteurs est excellente. On croit à ce couple ainsi qu'à leurs interactions avec d'autres personnes. Je ne peux que vous inciter à aller voir ce film, pour partager (très modestement) ce que vivent les Ukrainiens et soutenir la talentueuse et courageuse équipe de ce long métrage.

[2/4]

mercredi 11 juin 2025

« The Phoenician Scheme » de Wes Anderson (2025)


Ça y est, voilà que je me remets à découvrir les nouveaux films de Wes Anderson en temps réel, au moment de leur première sortie en salle. J'ai un peu potassé mon sujet, en regardant au préalable ses dernières œuvres (The French Dispatch, Asteroid City et ses quatre courts métrages regroupés sous le titre de La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar), ce qui me permet d'appréhender The Phoenician Scheme en connaissance de cause.

Et je dois dire que Wes Anderson est dans une relative mauvaise passe. Il n'a peut-être jamais été aussi populaire – en témoigne l'exposition qui lui est consacrée en ce moment à la Cinémathèque Française – et en même temps il n'a peut-être jamais été autant critiqué, que ce soit par les professionnels ou le grand public. Car le temps de son âge d’or date un peu, on peut dire sans trop se tromper qu’il a culminé avec The Grand Budapest Hotel (2014) et L’Ile aux chiens (2017), soit il y a déjà près de dix ans.

Depuis, ses longs métrages, toujours plus sophistiqués, voient l’édifice andersonien se lézarder quelque peu ici et là. Dans The French Dispatch, les sketchs qui le composent étaient un peu inégaux, et dans Asteroid City, il y avait quelques longueurs et on ne comprenait pas toujours où Wes voulait nous emmener. Mais ces deux films comportaient beaucoup de belles qualités, et je fais partie de ceux qui les trouvent réussis. Au moins, Wes a su exploiter quasiment tout leur potentiel.

Alors que pour moi, le gros problème de The Phoenician Scheme est que Wes passe à côté de son film et de ce qu’il aurait pu (dû) être. Le pitch nous promettait un film d’aventure, et Wes aurait pu nous plonger dans des décors exotiques et luxuriants, comme il avait créé de toutes pièces certains passages de la ville d’Ennui-sur-Blasé dans The French Dispatch, ou la ville désertique d’Asteroid City et ses environs dans le long métrage éponyme.

Or The Phoenician Scheme est tout à fait andersonien : le héros concocte un plan machiavélique dont les idées sont réparties dans des tiroirs… pardon des boîtes à chaussures. Et ça s’arrête plus ou moins là. Chaque boîte, une fois ouverte et son contenu mis à profit, correspond à une sorte de mini quête de jeu vidéo ultra simplissime : convaincre quelqu’un de donner de l’argent pour co-financer le plan du héros. C’est juste une histoire de pourcentage par rapport à la somme totale à rassembler… Chaque boîte et donc chaque sous partie du plan est censée nous emmener à l’autre bout du monde, mais nous n’avons droit qu’à deux-trois plans exotiques, c’est tout… Le reste du temps n’est que palabres et discussions à n’en plus finir dans des intérieurs exigus.

Autre signe d’essoufflement de la machine andersonienne : ces dialogues qui se répètent à plusieurs moments du film, ou lors d’une même séquence, du genre « - Oui » « - Non » « - Oui » « - Non »… répétés ad nauseam par deux personnages qui se chamaillent…

On a l’impression que le Wes scénariste tourne en rond, et que le Wes metteur en scène a peur d’aller au bout de son scénario. Lui qui ose vraiment tout dans ses précédents films, fait de The Phoenician Scheme une sorte de huis clos assez vain et stérile. Il nous fait son Les Bijoux de la Castafiore, pour utiliser une métaphore tintinesque, un univers très proche de celui de Wes. Et un album de BD où l’on retrouve un Hergé à bout, en panne d’inspiration, tout comme on retrouve notre Wes tout penaud aujourd’hui avec son nouveau long métrage. 

Pour autant, je n’irai pas jusqu’à dire que ce film est complètement raté. Il l’est en partie, compte tenu de son ambition initiale clairement pas accomplie. Mais ici et là, il y a toujours des choses très sympathiques, des idées de mise en scène brillantes, des acteurs attachants, des traits d’humour qui font mouche… Et puis, mine de rien, c’est peut-être l’un des films de Wes Anderson les plus graves et les plus politiques, l’un des plus violents aussi (même si c’est bien sûr relatif). Il dénonce vertement le capitalisme, représenté on ne peut mieux par un marchand d’armes et de toutes sortes d’autres choses, prêt à vendre son âme – et le monde – au plus offrant.  

Et puis je ne peux pas oublier ces intermèdes oniriques, qui semblent se dérouler dans l’au-delà et le Paradis, des séquences absolument bluffantes et inédites dans l’œuvre de Wes Anderson. Voilà une fois de plus la preuve que Wes a encore (un peu) de quoi nous étonner en réserve.

Au total, je suis donc davantage mitigé que foncièrement déçu, même si comme beaucoup je m’alarme de cette baisse progressive de qualité des derniers essais de Wes. Toutefois, il sait se ressaisir. Après The French Dispatch qui manquait un peu d’émotion, il la retrouve dans Asteroid City et La Merveilleuse Histoire de Henry Sugar, où il se paie même le luxe de créer quatre courts métrages aux ambiances et aux propos très différents, creusant de nouvelles veines dans sa filmographie déjà bien riche. Et on l’a vu : The Phoenician Scheme propose également de nouvelles choses, à certains moments (rares il est vrai). Mais je reste vigilant : Wes Anderson n’est pas loin de s’enfermer dans un système, et dans son propre piège de l’esthétisation pour l’esthétisation…

[2/4]

jeudi 8 mai 2025

« Conclave » d’Edward Berger (2024)


 

Tout d'abord je dois préciser que c'est le contexte actuel, du décès du pape François, pour qui j’avais un profond respect, et du conclave qui vient de commencer « in real life », qui m'a poussé à me pencher sur ce film. J'avais parcouru quelques critiques à sa sortie, pour beaucoup mitigées, je ne m'attendais donc pas à grand-chose d'exceptionnel en regardant ce long métrage. Mais tenter de mieux comprendre les rouages de ce qui se passe actuellement au Vatican me semblait intéressant, et puis de manière plus légère, c'était le moment où jamais de regarder ce film !

J'ai donc été surpris d'être rapidement happé par l'intrigue, d'autant que le jeu remarquable des comédiens m'a permis de rentrer très vite dans le film. Je salue en tout premier Ralph Fiennes, absolument génial et attachant. Il démontre combien il est un immense acteur, capable de tout jouer avec intensité, finesse et véracité. Je salue également les autres acteurs principaux de ce film : Stanley Tucci, Sergio Castellitto, Lucian Msamati, John Lithgow, Carlos Diehz, qui semble être un acteur novice en matière de cinéma mais qui possède un réel charisme, et bien sûr Isabella Rossellini, qui crève l'écran en quelques scènes.

Je comprends un certain nombre des critiques mitigées, mais je dois dire que ce que j'ai beaucoup apprécié dans ce long métrage, c'est ce côté « à l'ancienne » : c'est un film d'ambiance et de personnages. Chacun a sa personnalité, ses qualités mais aussi ses zones d'ombre, sans qu’on ne puisse jamais porter un jugement définitif sur eux (ou presque). Le réalisateur, Edward Berger, prend le temps de nous faire côtoyer ces personnages, et même ceux qui semblent antipathiques finissent parfois par nous toucher. Car le cinéaste allemand ne fait pas de mystère : ce sont avant tout des hommes, donc faillibles. Néanmoins, être homme d’église, et plus encore pape, nécessite une probité absolue. Le film enchaîne donc un certain nombre de révélations qui font fluctuer les votes du conclave.

Autre aspect intéressant de ce long métrage : il s’appesantit sur les doutes de ses personnages, et sur la quête d’un cardinal qui ait vraiment les qualités pour devenir pape. Si le propos du film n’est pas d’approfondir les questions de foi et spirituelles, il montre les tiraillements qu’éprouvent les cardinaux, notamment ceux les plus probes, entre pouvoir temporel et vertus spirituelles. Ainsi, aucun des candidats déclarés ou potentiels n’est vraiment complètement parfait pour le « poste ». Chacun d’entre eux a des faiblesses, et l’on se demande s’il sera vraiment en mesure d’assurer ce rôle si difficile.

Le côté « à l’ancienne » de ce film réside aussi dans cette réalisation particulièrement efficace. Elle cherche quelques effets, à rendre le tout grandiose sans non plus trop en faire, avec un équilibre entre grandeur, réalisme et modestie. Et à vrai dire je trouve que ça marche : quoi qu’on en pense, et on le voit en ce moment, l’élection d’un pape est un événement mondial. De plus, l’Eglise charrie une histoire plurimillénaire, et est la manifestation terrestre d’une spiritualité céleste. Avec ce qu’elle peut avoir de bon mais aussi tout ce qu’elle a de mauvais. Pour ce genre de film, un autre traitement aurait pu rendre le récit plat, terne, sans intérêt. Au contraire, Edward Berger montre bien les immenses enjeux d’un conclave, mais aussi toutes les contradictions de l’Eglise et de ses prélats, tiraillés entre tradition et modernité, passéisme et nouveauté, faste et pauvreté, vision rétrograde et progressiste…

A ce titre, j’ai du mal avec les critiques qui dénoncent le prétendu côté « woke » de ce film… Alors que je le découvre début mai 2025, il me paraît d’autant plus évident que ce long métrage s’est grandement inspiré du pontificat de François. Et même si considérer François comme un progressiste total est sans doute faux, il a été un pape tout de même assez progressiste, notamment par rapport à ses deux prédécesseurs. L’Eglise, en 2025, est bel et bien multiple, avec plein de courants spirituels et idéologiques, mais tout de même deux grandes lignes s’opposent et se font face, entre traditionalistes et progressistes. J’entends par là que sur cet aspect, désolé mais Conclave n’est pas « woke »… il est juste réaliste et très bien documenté.

C’est d’ailleurs une de ses autres qualités, je ne connais pas tous les détails du fonctionnement de la papauté, du Vatican et de la curie, mais il semble que l’équipe du film se soit bien documentée et ait eu le souci de respecter le sujet. Tout paraît très vraisemblable, et les médias se sont d’ailleurs fait l’écho de combien un certain nombre de rituels effectués dans ce film sont vrais.

Néanmoins, malgré un certain nombre de qualités bien réelles, qui font que j’ai passé la majorité du film dans un état de jubilation et d’excitation, complètement pris par ce thriller haletant, à un moment… tout s’effondre. Déjà, les nombreux retournements de situation sont assez gros, mais ils restent tout de même relativement bien écrits, et plausibles. Mais le twist final vient tout remettre en perspective et ruiner le long métrage. En fait, Conclave n’avait clairement pas besoin de ça. Il aurait pu être un film de facture classique et honorable, traitant d’un sujet à la fois complexe et fascinant pour le commun des mortels, tout en nous amenant à questionner l’Eglise, ses membres et ses fidèles.

Mais ce twist final de petit malin confine ce long métrage au pur exercice de style. Voilà encore un de ces films anglo-saxons (car la production est bel et bien internationale) qui se rêve être un summum d’intelligence, et qui se révèle être d’une vacuité certaine, voire même d’un ridicule…

Toutefois, à mon sens ce twist complètement raté ne doit pas faire oublier tout le reste du film, qui me semble être tout à fait convenable. C’est juste dommage qu’après avoir fait monter la pression continuellement, jusqu’à ce qu’elle devienne quasiment insoutenable, le film fasse pschitt de la sorte, comme une vulgaire baudruche… Ce final grotesque ne doit pas faire oublier la qualité de tout le reste, qui reste de bonne tenue.

Et puis malgré tout, ce twist est relativement intéressant. Il montre que l’élection d’un pape, comme toute élection d’homme ou de femme politique, ou exerçant des responsabilités conséquentes, comporte toujours son lot d’aléas, d’invraisemblances, de retournements de situation, qui amènent à se questionner et à questionner l’institution dont la gouvernance est mise en jeu. Plus encore, il s’agit d’élire un être humain, dans toute sa complexité et avec toutes ses contradictions. A l’heure où j’écris ces lignes, la première journée du vrai conclave vient de s’achever avec une fumée noire. Il va donc se poursuivre jusqu’à ce qu’un nouveau pape soit élu. Or qui sait ce que ce nouveau pape nous réserve ?

[2/4]