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lundi 20 octobre 2025

« N’attendez pas trop de la fin du monde » (Nu aștepta prea mult de la sfârșitul lumii) de Radu Jude (2023)


Radu Jude joue avec la patience et même les nerfs du spectateur. « N'attendez pas trop de la fin du monde » est interminable, sa longueur de 2h43 n'étant clairement pas justifiée. Le film est complètement inégal. Il y a un certain nombre d'excellentes séquences, mais aussi beaucoup de passages inutiles. Du moins en apparence. Car Radu Jude nous livre une expérience cinématographique en tant que telle. Il nous confronte à l'ennui, à la banalité et parfois même à la médiocrité de notre vie, loin des paillettes et du glamour hollywoodien. Avec de la musique bien débile à fond la caisse pour nous maintenir éveillés, littéralement.

Une fois de plus, c'est un cri du cœur du cinéaste roumain face à la bêtise et à la méchanceté de notre monde contemporain, pris en étau entre l'ultralibéralisme qui gangrène nos sociétés, et le cancer du fascisme/populisme, qui croît à une vitesse fulgurante partout dans le monde, y compris dans notre Occident soi-disant civilisé. Il faut dire que les fléaux du 20e siècle n'ont pas été totalement vaincus. Il y a pas mal de monde en Europe aujourd'hui, et pas seulement à l'Est, qui regrette le nazisme et le communisme lénino-stalinien. La France n'est bien sûr pas épargnée, la Roumanie non plus.

Face à ce constat qui incite au désespoir, Radu Jude sort deux armes : l'humour et l'intelligence. Il se moque outrageusement des fascistes contemporains – Orban, Poutine et compagnie – mais aussi des capitalistes hypocrites et vénaux, prêts à tout pour exploiter les êtres humains jusqu'à ce qu'ils en crèvent. Le cinéaste roumain use aussi beaucoup d'humour absurde, dans le ton de notre époque complètement folle, comme lors de cette séquence hilarante où l'héroïne raconte un contentieux juridique à propos d'une exécution par balles. 

Radu Jude s'en remet également à l'intelligence de ses semblables. D'abord par la culture, son film regorgeant de citations lettrées, souvent amusantes et décalées, mais propices à la réflexion. Comme un moyen d'honorer la richesse culturelle et la complexité de notre continent, les hommes et femmes de savoir – pour ce qui est des bien intentionnés – ayant aidé l'humanité à progresser ne serait-ce qu'un peu. Ensuite, il place au cœur de ses œuvres l'Histoire. Il rappelle les tragédies passées, pour ne pas oublier et faire en sorte qu'elles ne se reproduisent pas (rien n'est moins sûr). Mais aussi car l'Histoire et la mise en lumière des faits et des idéologies du passé permettent d'éclairer et de mieux comprendre le présent, voire même de prévoir en partie l'avenir. A titre d'exemple, même s'ils n'ont pas été crus, certains avaient anticipé l'invasion russe en Ukraine de février 2022, dont les fondements, parmi lesquels ce fameux nationalisme impérialiste russe, remontent à plusieurs siècles en arrière. 

Mais Radu Jude ne verse pas pour autant dans le didactisme simpliste. Il prend les spectateurs à rebrousse-poil, choque pour secouer et réveiller des Occidentaux endormis par la lâcheté et le poison des fake news, ces vérités alternatives, qui disloquent nos démocraties. Les films de Radu Jude se méritent, il faut passer outre la vulgarité de façade et l'apparent cynisme, pour discerner l'angoisse d'un cinéaste et artiste face à un monde en décomposition... Sans doute faut-il adopter l'attitude de son anti-héroïne Angela, dire fuck aux tyrans, promouvoir la vérité même la plus crue... et travailler pour faire advenir un monde plus humain, à notre mesure, malgré nos compromissions et nos faiblesses.

[3/4]

samedi 4 octobre 2025

« Kontinental '25 » de Radu Jude (2025)


Avec « Kontinental '25 », je découvre enfin le cinéma de Radu Jude, l'un des réalisateurs du moment. Et on peut dire qu'il est fidèle à sa réputation : provocateur, très drôle, cynique, socialement et politiquement engagé... Il ne brosse pas le spectateur dans le sens du poil, et c'est très bien comme ça. Radu Jude n'est pas juste un amuseur public, c'est un artiste qui veut pousser le public à la réflexion. Il montre ainsi des personnages qui sont empêtrés dans leurs contradictions, comme il met en lumière l’ambiguïté des Roumains mais aussi des Européens, et plus largement des Occidentaux. Radu Jude montre toute la complexité, à la fois de ce continent et de l'Union Européenne, qui traversent clairement une crise politique, économique, sociale... et existentielle. 

Le cinéaste met en images le malaise civilisationnel que l’on éprouve, à travers la trajectoire parallèle d’un SDF, visage d’une misère économique et sociale, et d’une femme de la classe moyenne, empêtrée dans une autre forme de misère : humaine, relationnelle et ontologique. Des personnages submergés par le chagrin, contrebalancé par l’humour ravageur de Radu Jude, qui nous tend un miroir implacable. Mieux vaut ouvrir les yeux et se rendre compte de la situation dans laquelle on vit, et que nous autres, Européens, refusons tant de voir. Il y a comme une nostalgie de la part de Radu Jude quant à l’Europe, du fait de cet écart entre ce qu’elle est et ce qu’elle aurait pu ou dû être.

Rien que le titre du film, convoque les fantômes de cette Europe cosmopolite, riche de ses différentes cultures, qui ont en même temps provoqué sa perte lors des deux guerres mondiales, à cause du cancer du nationalisme, qui est en train de ressurgir… Un nationalisme contre lequel Radu Jude s’érige, en dénonçant explicitement Viktor Orbán ou Vladimir Poutine. Dans « Kontinental '25 », on a beau être en Roumanie, on parle roumain, mais aussi hongrois ou allemand. Une partie de la population est hostile aux étrangers, pourtant ce sont les différentes nations et cultures de l’Europe qui font tout son intérêt.

La construction de l’Union Européenne est peut-être la plus belle utopie du 20e siècle, et elle a pu se réaliser ! Hélas, son édification a été bancale et elle a trop reposé sur une forme d’ultra libéralisme naïf et aveugle. Les fonds de l’UE ont permis a beaucoup de ses pays membres de se (re)construire, mais dans le même temps, le marché européen a été trop dérégulé, et a détruit en partie un certain nombre de pays, dont la transition vers l’UE s’est faite au profit de cliques de mafieux et autres entrepreneurs douteux. Il semble que ça ait été le cas de la Roumanie, parmi tant d’autres pays à l’Est mais aussi à l’Ouest. Il y a de quoi désespérer, ou du moins être passablement déçu de la tournure des événements… 

Mais Radu Jude est un peu l'anti Ruben Östlund. Il ne verse pas dans le cynisme absolu et dans une forme de pose arty pseudo subversive, qui ricane lâchement sans rien proposer. Un certain nombre des personnages de Radu Jude ont un bon fond, ça ne veut pas dire qu'ils sont irréprochables. En tout cas, ce ne sont pas tous des pourritures. Certains de ses personnages essaient de faire de leur mieux, même s’ils sont parfois maladroits et ont leurs défauts. Radu Jude montre des personnages équivoques, et non caricaturaux.

Le cinéaste roumain pose d’ailleurs davantage de questions qu'il n'apporte de réponses. Et tant mieux sans doute, tant la complexité des problèmes de notre époque mérite autre chose que des réponses toutes faites, simplistes et populistes. En tout cas, Radu Jude semble dire que quand tout va mal, il reste encore à l'être humain son irréductible humanité, et sa conscience en guise de boussole. Une fragile voix intérieure, bien utile en ces temps d'obscurantisme et d'incertitude totale...

[3/4]