«La beauté réside dans la vérité même de la vie, pour autant que l'artiste la découvre et l'offre fidèlement à la vision unique qui est la sienne.» Andreï Tarkovski, Le Temps Scellé (1989)
vendredi 29 juin 2012
« Faust » de Alexandre Sokourov (2012) – (2)
mercredi 27 juin 2012
« Faust » d'Alexandre Sokourov (2011)
jeudi 26 avril 2012
« Sauve et protège » (Spasi i Sohrani) de Alexandre Sokourov (1989)
lundi 14 février 2011
« Journées d’éclipse » (Dni zatmeniya) de Alexandre Sokourov (1988)
Une vaste évocation poétique, aux innombrables et inépuisables niveaux de lecture, portée par un travail sur l’image et le son proprement hallucinant. « Journées d’éclipse » (ou « Le jour de l’éclipse », selon les traductions) est un film-monde. La critique pourrait s’arrêter là, en abdiquant face à cette tâche insensée : tenter de retranscrire et de faire entrevoir au lecteur ce qui ne peut être perceptible que par les seules voies de cet au-delà du sens qu’est la poésie. Toutefois, sans rentrer dans le détail d’une analyse du film (travail à faire un jour, mais impossible après une seule vision – à quand une édition DVD ?!?), je peux sans risque avancer quelques remarques générales sur cette œuvre. Libre adaptation d’une nouvelle des frères Strougatski, les maîtres de la science-fiction russe, « Journées d’éclipse » ne peut cependant pas être qualifié de film de science-fiction. La toute dernière séquence peut éventuellement, si cela lui plaît, orienter le spectateur vers une relecture fantastique du film : dans un plan sensationnel (qui n’est pas sans rappeler l’ultime plan de « Solaris »), Sokourov fait disparaître le lieu du drame, ce village turkmène emboîté dans la montagne. N’était-ce finalement qu’un mirage? Il s’agirait alors peut-être de reconsidérer le niveau de réalité de ce que nous venons de voir, et de décrypter dans un impossible travail d’interprétation (impossible en terme d’objectivité, car cette interprétation ne peut être que personnelle), la signification des différentes apparitions de l’étrange qui parsèment le film : une discussion avec un mort, un corps se mouvant tel un animal, d’étranges créatures que l’on conserve dans de la gelée, etc… Il faudrait aussi considérer ces nombreuses allusions à l’effondrement du communisme dans les républiques soviétiques, à la peur de la répression, à cette atmosphère inquiétante de violence sourde et de menaces diffuses. On parviendrait certainement à construire quelque chose d’approximativement cohérent. Mais là n’est pas l’essence du film. La plupart des commentateurs y ont vu une métaphore sur l’impossible liberté et l’annihilation de toute créativité dans le cadre d’un système totalitaire. Cette lecture est à mon sens réductrice et ne s’appuie que sur quelques unes des évocations que provoque la vision du film. «Journées d’éclipse» est une œuvre qui se vit et se ressent plus qu’elle ne s’intellectualise, une œuvre dans laquelle il faut se perdre, lâcher prise, se laisser emporter par les impressions poétiques fulgurantes qui envahissent chaque plan. Visuellement, le spectacle proposé est un éblouissement esthétique de chaque instant, Sokourov réalisant un travail proprement insensé sur la lumière et la couleur. Le traitement de la couleur rappelle ainsi le « Element of crime » de Von Trier, réalisé 4 ans auparavant, mais la comparaison s’arrête là, l’apocalypse sokourovienne ayant une densité et une profondeur du sens absentes du film danois. On est également surpris, lorsqu’on connaît Sokourov, par la nervosité de la caméra, vive et mobile, qui empêche au film de succomber dans la léthargie contemplative, et maintient une réelle tension dramatique. La richesse du travail sonore, avec une utilisation très pertinente du son et des voix hors champ, laisse pantois… Vous l’aurez compris, « Journées d’éclipse » est un chef d’œuvre, probablement le plus grand film que le cinéma russe nous ait offert depuis la disparition de Tarkovski.
[4/4]
mardi 16 novembre 2010
« La Voix Solitaire de l'Homme » (Odinokiy golos cheloveka) d'Alexandre Sokourov (1978)
vendredi 5 novembre 2010
« Il nous faut du bonheur » (Schastye nam nuzhno) d'Alexandre Sokourov et Alexei Jankowski (2010)
Un très beau documentaire, tourné dans deux villages très simples et pauvres de la partie kurde de la Syrie. C'est l'occasion pour Sokourov d'évoquer son ressenti de russe en terre étrangère, ou plutôt son ressenti d'homme tout court : cette fameuse nostalgie à laquelle on pourrait s'attendre est plutôt mise de côté, ce qui prime avant tout c'est la rencontre des deux cinéastes (même si le texte – la voix-off du héros – est de Sokourov) avec des personnes locales. Nous est présenté le portrait de deux femmes, dont l'une est d'origine russe et a émigré à l'âge de vingt ans vers le Kurdistan pour suivre un homme natif de la région. « Il nous faut du bonheur » c'est donc à la fois le portrait d'une déracinée, étrangère à sa propre famille, dont le mari et le fils sont morts fusillés durant la guerre, et celui d'une femme ayant vécu toute sa vie au même endroit, de sa naissance à ses vieux jours. Mais c'est avant tout la recherche de ce qui meut ces personnes simples, de la façon dont elles parviennent à accepter la vie, comment tout ces gens malgré tout ce qu'ils endurent peuvent être heureux : c'est un film sur le regard, d'occidentaux en l'occurrence (si l'on peut considérer la Russie comme occidentale, bien que de nos jours cela semble plus acceptable), singulier mélange de « fiction » et de « réalité » (de film « documentaire »), les auteurs ne cachant par leur présence même si elle se fait par l'entremise d'un héros bien fictif (un médecin dont on prend la place et dont on adopte justement le regard, le point de vue : tout le long métrage est subjectif)... Sokourov et Jankowski s'interrogent donc sur la vie, sur ce qui fait sa valeur, son intérêt, ce qui permet de vivre (le bonheur? Faut-il d'ailleurs traverser le monde pour le trouver?), sur les notions de pays, de nation, sur l'homme (et la femme bien-sûr), encore et toujours, et inévitablement sur le moment de tout quitter, proches, terre, vie... J'ai l'impression que le cinéma de Sokourov, du moins les quelques films que j'ai pu voir, ou en tout cas ce long métrage, tendent tous vers la mort, et cherchent une façon de vivre, cherchent comment faire pour vivre, montrent la vie en ce qu'elle annonce et résiste conjointement à la mort... C'est un cinéma très grave, mais très profond, et en cela très vrai et très vivant : Sokourov laisse libre court à sa pensée comme à sa caméra, captant tout ces moments « inutiles » qui font la beauté des oeuvres d'art, un sourire, un éclat de soleil, une chute d'eau, une famille, la vie... L'esthétique est très belle, les plans en extérieur sont superbes, magnifiquement bien cadrés, la photographie est toujours caractérisée par ces tons sépia, délavés, typiques du cinéma de Sokourov. Bref 50 admirables minutes.



