mercredi 27 juin 2012

« Faust » d'Alexandre Sokourov (2011)

    Libre adaptation du Faust de Goethe, la version d'Alexandre Sokourov ne nous offre hélas pas grand chose sinon une esthétique glauque et sordide, et une vision assez repoussante de la vie. Vous l'aurez compris, ce n'est pas la joie de vivre qui caractérise le mieux notre ami russe. « Faust » est un film grotesque. Mais il n'atteint pas le beau, grotesque lui aussi, cependant, du « Faust » de Murnau, grand cinéaste allemand disparu trop tôt. Ici nous avons le droit à des filtres et de l'anamorphose, dans la droite continuité de ce qu'a réalisé jusqu'à présent Sokourov. Mais en plus de deux heures, le cinéaste russe ne parvient pas à hisser son film sur les cimes où on l'attend. Quelques dialogues ici et là viennent nous rappeler que Sokourov a eu un jour un tant soit peu de talent, mais rien de bien consistant à se mettre sous la dent. Vous aurez le droit à des effets spéciaux assez vomitifs en guise de substitut. Bref, difficile de trouver des qualités à cet essai expressionniste, à la manière de Caspar David Friedrich certes, excusez du peu, mais qui peine à renouveler l'art de son auteur, et surtout à égaler son chef-d'œuvre « Mère et fils », la faute à un propos par trop décevant et un manque de goût assez criant. Une déception.

[1/4]

lundi 18 juin 2012

« Obsession » de Brian De Palma (1976)


Une sorte de pâle remake avoué du «Vertigo» de Hitchcock (avec également des clins d’œil nombreux à «Rebecca» et «Marnie»), par un cinéaste spécialiste de cet exercice, et qui nous montre que déjà, en 1976, le cinéma américain tournait en rond, incapable de se réinventer ou de se questionner. Cette tendance s’est dramatiquement poursuivie jusqu’à aujourd’hui, où il suffit désormais de regarder les films à l’affiche de nos salles de cinéma pour se rendre compte que le cinéma américain ne produit plus que des remakes, remakes officiels ou officieux, signe de sa mort clinique. Donc après avoir vu le grand film d’Hitchcock en salles, De Palma, accompagné de son scénariste, écrit une trame très proche de celle de «Vertigo» : un homme perd sa femme de manière tragique et croit ensuite la retrouver quelques années plus tard, tombant dans un piège machiavélique. Formellement également, De Palma s’inspire très largement de l’univers d’Hitchcock, reproduisant directement certains effets visuels du maître (comme le travelling circulaire de «Vertigo» autour du couple), créant une ambiance feutrée par l’utilisation abusive des flous et de la lumière diffuse (en respect aux règles formelles très vilaines de l’onirisme hollywoodien) et en recrutant même le célèbre compositeur attitré de Hitchcock, Bernard Herrmann. De Palma reprend tous les ingrédients du film hitchcockien et réalise un film qui est comme un surlignage, une mise en avant des quelques petits défauts du film originel, ici totalement exacerbés. Si «Vertigo» n’est pas, à mes yeux, l’un des chefs d’œuvres de Hitchcock (ça reste un très grand film toutefois), c’était déjà parce qu’il s’agissait du film le plus hollywoodien du cinéaste, un film où chaque émotion était soulignée à grands coups de musique pompeuse, où Hitchcock se laissait aller, sans le recul ou même l’ironie qu’il prend ailleurs, à une certaine mièvrerie sentimentale, donnant lieu à des scènes de romance assez indigestes. Ici, chez De Palma, il ne reste plus que ça, il ne reste plus que les défauts. «Vertigo» souffrait légèrement d’une musique trop appuyée? De Palma inonde littéralement son film de la musique toujours aussi lourde de Herrmann (ah ces grands envolées de cordes lorsque les personnages jouent à bisou-bisou !...), si bien que l’on peut dire que celle-ci pollue totalement le film. Trop de romance dans «Vertigo»? Ce n’est rien face au sentimentalisme ringard de De Palma… On frôle très souvent le ridicule dans «Obsession», et on fait même plus que le frôler avec la reprise du travelling circulaire hitchcockien lors de la séquence finale dans l’aéroport. Si le scénario de «Vertigo» était l’un des points forts du film, en étant incroyablement ciselé et génialement tortueux, celui d’«Obsession» se révèle très poussif, très peu crédible, bourré d’incohérences et en plus, ce qui est dramatique pour un film qui mise lourd sur sa chute finale, totalement prévisible. Ce n’est pas le jeu lamentable des acteurs qui permet de rehausser le niveau, ni les effets de mise en scène pathétiques que le cinéaste tente de multiplier, pensant peut-être qu’il suffit d’oser pour réussir là où Hitchcock reste l’un des plus grands. «Obsession» est un petit film de rien du tout qui ne peut en aucune façon être comparé à son illustre prédécesseur (de 20 ans tout de même) et dont le titre ne traduit finalement que l’obsession d’un cinéaste pour son maître. Une obsession cinéphilique qui se laisse regarder cependant dans ce qu'elle éveille en nous de mémoire cinématographique.   

[1/4]

jeudi 14 juin 2012

« Les Scorpions du Désert » (Gli Scorpioni del deserto) d'Hugo Pratt (1969)

    « Les Scorpions du Désert » sont des membres du Long Range Desert Group, unité britannique irrégulière formée en Égypte en juin 1940 pour les opérations dans le désert de l'Afrique occidentale. Dans cette série créée en 1969 par Hugo Pratt, le célèbre dessinateur italien, nous suivons Vladimir Koïnsky, ancien lieutenant de la cavalerie polonaise intégré au corps des « Scorpions du Désert », alors que l'Italie et la Grande-Bretagne se disputent les possessions coloniales. D'aventures en aventures, il traversera l'Afrique, en passant par l'Égypte, le Soudan, l'Éthiopie... Et son chemin croisera des personnages hauts en couleur : la belle Judittah Canaan, Cush le guerrier révolutionnaire, le lieutenant Stella, à la recherche de l'or qu'il a enfouit, le capitaine Palchetti, littéralement fou d'opéra, le commandant Fanfulla, atteint par la lèpre, Brezza, tenancière du « Brise de Mer »... Tous ces protagonistes suivent leur propre intérêt et leur étoile, attirés par l'argent, la gloire, l'honneur ou l'amour. Tous se battent sans toujours savoir pourquoi, selon les termes de l'auteur « impliqués dans quelque chose de plus grand qu'eux par ce terrible criminel que fût, qu'est et que sera toujours la guerre ». Servi par le coup de crayon si particulier d'Hugo Pratt et sa prodigieuse maîtrise du noir et blanc, la série des « Scorpions du Désert » est l'occasion d'accompagner le lieutenant Koïnsky dans ses aventures romantiques, sous un soleil de plomb. Dépaysement garanti.

[4/4]

mercredi 13 juin 2012

« Medea » de Lars von Trier (1988)


«Medea» est un téléfilm réalisé en 1988 par Lars von Trier pour la télévision danoise, sur la base du script écrit par Carl Theodor Dreyer, script que le "maître" (dixit von Trier en préambule du film) n’eut jamais l’opportunité de porter à l’écran. De part son statut de téléfilm, «Medea» n’est pas souvent cité dans la filmographie du cinéaste et reste un film rare, peu vu et peu commenté. C’est fort dommage tant cette adaptation cinématographique de l’épisode de la vengeance de Médée constitue l’un des plus beaux films de von Trier, et est une œuvre qui se révèle rétrospectivement comme d’une importance capitale dans la filmographie du cinéaste, faisant apparaître pour la première fois dans son cinéma cette figure récurrente de la femme martyr. En ce sens, «Medea» annonce toutes les héroïnes futures du cinéma de von Trier, depuis la Bess de «Breaking the waves» jusqu’à la Justine de «Melancholia», en passant par la Selma de «Dancer in the dark» et la Grace de l’immense «Dogville». A y regarder de plus près, le personnage de Médée apparaît même comme la clé de voûte de tout le cinéma de von Trier, la source d’inspiration première et évidente du cinéaste pour la grande majorité de ses films : la plupart de ceux-ci ne sont finalement que des variations sur les thèmes particulièrement sombres de la légende de Médée. Réalisé en plein milieu de la trilogie «Europe», entre «Element of crime» et «Europa», «Medea» est très emblématique du travail extraordinaire que le cinéaste mène alors sur l’image cinématographique, un travail extrêmement innovant de recherche formelle. Que ce soit au niveau de la photographie et des éclairages, de la mobilité de la caméra, des angles de prise de vue, du montage dynamique, du traitement du son, et des nombreux effets visuels (surimpression, transparence, etc), le cinéaste déploie un langage cinématographique d’une grande richesse, langage qui permet de créer des impressions poétiques remarquables. En cette fin des années 80, von Trier s’impose définitivement, avec le cinéaste russe Sokourov (il serait intéressant, et ce n’est pas la première fois que je me fais la réflexion, d’étudier les similarités entre les films contemporains de ces deux cinéastes et de voir par exemple comment ce «Medea» est proche du «Sauve et protège» de Sokourov), comme le plus grand expérimentateur des formes cinématographiques alors en activité. «Medea» traduit une inventivité de la mise en scène et une richesse visuelle vraiment stupéfiantes. Certains plans aériens des herbes balayées par le vent rappellent la beauté de certaines images marquantes vues chez Paradjanov ou des superbes plans picturaux du «Mère et fils» de Sokourov (décidément!). Malgré cette démonstration technique et esthétique de chaque plan, le film n’apparaît jamais comme un vain exercice d’expérimentation formelle (comme le sera un peu «Europa» justement). Ici, le cinéaste ne s’amuse pas à bricoler des plans originaux. Toute la mise en scène du film est au service d’une impression poétique d’ensemble, très ténébreuse, qui fait de ce «Medea» un poème poignant sur la souffrance et le sacrifice. Il s’agit à n’en point douter du film le plus poétique de son auteur, dans un registre élégiaque que l’on ne retrouvera plus chez lui par la suite. Je pourrai encore m’extasier sur la beauté des paysages, sur la manière dont le cinéaste magnifie les éléments (superbe séquence dans le brouillard, brume balayée par le vent, mer, feu qui illumine les entrailles de la terre, etc…) mais je laisse au spectateur le plaisir de la découverte de ce bijou, plus beau encore que le déjà remarquable «Element of crime». La fin du film, terrible, est totalement bouleversante et nous laisse sous un double choc esthétique et émotionnel. Un petit chef d’œuvre.      
      
[4/4]

mardi 12 juin 2012

« Gaspard de la Nuit » d'Aloysius Bertrand (1842)

    Il est temps d'inaugurer la section « littérature » de notre blog. Y seront conjointement présentées des œuvres romanesques comme poétiques : tout comme lorsque nous parlions de cinéma les films d'animation et en prises de vues réelles étaient considérés de concert malgré leurs indéniables dissemblances, je ne souhaite pas plus ici dissocier deux « façons de faire » qui possèdent à mes yeux une même essence, que je qualifierais peut-être naïvement de « littéraire ». Romans et poèmes divergent il me semble en premier lieu par la forme (et quelle forme me direz-vous), mais ils ont tant en commun que je ne pense pas qu'il soit opportun de les exclure mutuellement, du moins en ce qui concerne le modeste objectif que se fixe notre blog : partager des œuvres qui nous sont chères. C'est donc avec un grand plaisir que je vais inaugurer cette section, par la présentation d'un ouvrage à la croisée de la poésie et de la prose.

* * *

    « Gaspard de la Nuit » est l'un des tous premiers recueils de poèmes en prose, genre dont Baudelaire se fera le héraut avec son fameux « Spleen de Paris », directement inspiré de l'œuvre d'Aloysius Bertrand. Divisé en six livres de longueur variable, « Gaspard de la Nuit » est un ensemble de miniatures moyenâgeuses et pittoresques. Comme autant de visions d'une époque révolue et hautement fantasmée, faisant écho de l'aveu même de l'auteur à l'œuvre de Rembrandt ou de Callot, brillants illustrateurs chacun à leur manière, l'un à la peinture (principalement), et l'autre à l'eau-forte. A travers ses courts poèmes, Bertrand met en scène des personnages tous plus extraordinaires les uns que les autres, des nains, des sorcières, des moines, une ondine, un feu follet, des lansquenets,... Son bestiaire foisonne, et nombre de protagonistes hantent les pages de son unique et posthume ouvrage. Le langage est finement ouvragé, Bertrand empruntant moult mots vieillis à l'ancien français, façon de revenir plus sûrement dans le passé. Il faut saluer sa maîtrise du rythme : ses poèmes sont des fantaisies charmantes qui soutiennent la comparaison avec le chant du vers et des rimes. Notons aussi le soin apporté à la mise en page, chaque poème étant introduit par un épigraphe qui vient ajouter son sens à celui du poème, de sorte que la puissance évocatrice de chaque feuillet est ainsi démultipliée. A tous points de vue, « Gaspard de la Nuit » est une œuvre qui a fait date dans l'histoire de la poésie et de la littérature, et j'invite tous les amoureux de la poésie française, du XIXème siècle, du Moyen-Âge ou de la Bourgogne à redécouvrir ce petit chef-d'œuvre oublié.

[3/4]

dimanche 10 juin 2012

« Judex » de Georges Franju (1963)


«Judex» est un film hommage de Georges Franju au sérial muet du même nom réalisé un demi siècle plus tôt par Louis Feuillade. Franju cherche à traduire un certain esprit du feuilleton muet, mais le cinéaste peine à donner de l’intérêt à sa démarche. Par exemple, pour nous rappeler qu’il réalise un hommage à un film muet, Franju glisse dans son film quelques cartons complètement inutiles et superflus… Le cinéaste n’a donc pas de plus riches idées de mise en scène? L’hommage de Franju n’apporte rien, ne sert à rien (à part peut-être au cinéaste à se faire plaisir), celui-ci se contentant de citer bêtement, en pastichant. Très vite, passée l’illusion de la scène du bal, on en vient à vouloir couper le film pour retourner à la source originale, déjà un peu faiblarde et qui était marquée par une légèreté de ton qui faisait perdre sa complexité au cinéaste de la série «Les Vampires»,... Malgré tout, la petite ritournelle de Maurice Jarre, le visage angélique d’Edith Scob qui nous rappelle que Franju est le réalisateur du très beau «Les yeux sans visage», et puis le jeu absolument ridicule des comédiens, qui nous décroche deux ou trois sourires, maintiennent suffisamment éveillée notre curiosité pour tenir jusqu’au bout. Mais que ce film est anecdotique!... Je vais encore recevoir les foudres de ceux qui considèrent Franju comme un incontournable artiste du cinéma français, mais «Judex» n’est pour moi rien de plus qu’une petite comédie franchouillarde, à peine divertissante. Le scénario se résume au combat manichéen entre un gentil justicier (campé par un improbable Franck Dubosc américain, lisse comme un fond de lavabo) et une méchante "catwoman" avec, au milieu, une angélique jeune femme à la robe immaculée (Edith Scob, donc). Jamais les personnages ne font preuve de la moindre épaisseur ou de la moindre complexité. Ils sont désincarnés, caricaturaux, ridicules. Alors je sais, on va me répondre que ce n’est pas l’intérêt de ce film, qui joue uniquement sur la succession haletante des rebondissements, et doit se regarder comme un épisode de James Bond. Mais personne ne prétend que les aventures de 007 sont des chefs d’œuvres du cinéma, des grands films représentatifs d’une haute vision artistique du 7ème art! Alors pourquoi en est-il différemment de Franju? Ca reste pour moi une énigme (encore une fois, si on excepte «Les yeux sans visage», qui apparaît finalement comme un accident dans la filmographie du cinéaste). On ne retiendra qu’une scène de ce «Judex» qui fonctionne vraiment : celle du bal, débutant par ce plan étrange et poétique sur le masque de volatile du justicier, fort réussi (bravo au costumier), et s’achevant par la mort mystérieuse du banquier Favraux. Il y a là un mélange d’ingrédients (la musique de Maurice Jarre, l’étrangeté de ces masques inquiétants, la tension dramatique, la magie inexpliquée de la mort du banquier, etc…) qui en font un moment réellement beau. Mais une scène ne fait pas un film. La suite ne sera que succession absurde de rebondissements improbables, entre la comédie de Louis de Funès, le petit nanar d’espionnage (ah, les bruitages lors de l’ouverture des passages secrets! Dignes de «La soupe au chou»!) et les aventures de Fantômette… Un mélange kitch explosif qui atteindra la quintessence du ridicule dans le dernier film du cinéaste, un nanar de haute couture, «Nuits rouges». Non, décidément, Franju, ce n’est pas pour moi.

[1/4]

vendredi 8 juin 2012

« Andrei Roublev » (Andrey Rublyov) d'Andreï Tarkovski (1966)

    Un film magnifique, et d'une richesse thématique incomparable. « Andrei Roublev » nous offre l'espace de deux heures et plus un tableau saisissant de la Russie du XVe siècle. C'est en effet l'époque des invasions tatares, et la société russe est tiraillée entre le paganisme et la religion chrétienne. Au milieu de tout ce chaos, se dresse Andrei Roublev, moine iconographe, au talent sûr. Le long métrage d'Andrei Tarkovski est scindé en dix tableaux de longueur inégale, dix poèmes visuels se déroulant chronologiquement, et faisant du film un recueil des plus admirables. Notre moine évolue au gré de ces tableaux, faisant le douloureux apprentissage de la vie, et s'appuyant tant bien que mal sur sa foi au milieu d'évènements bouleversants, tels que le sac de Vladimir, au cours duquel Andrei tuera un assaillant mal intentionné, avant de se murer dans le mutisme. Peintre renommé, il renoncera à son art, devant les épreuves par trop éprouvantes de son existence. Mais il renaîtra à la vie devant l'exemple d'un jeune fondeur de cloches, qui fera surgir la joie des ruines et du néant. « Andrei Roublev » est un hymne à l'art et au mysticisme slave, vainqueurs du mal et des fléaux tels que la guerre. C'est aussi une méditation sur le pouvoir, la jalousie, la religion et la foi. Fort d'une esthétique somptueuse, d'une mise en scène impressionnante, tantôt intimiste tantôt grandiose, « Andrei Roublev » est un plaisir pour les yeux et pour l'âme. Incontournable.

[4/4]

jeudi 7 juin 2012

« Haut les mains » (Ręce do góry) de Jerzy Skolimowski (version de 1981)


Quel film déconcertant et décoiffant! «Haut les mains» est une sorte de cri de révolte totalement désespéré, d’une liberté folle (liberté de fond et de forme). C’est certainement cette liberté impertinente, presque insolente, qui poussa les autorités polonaises à censurer le film pendant près de 15 ans. En 1981, lors de la sortie officielle du film, Skolimowski y rajouta un prologue de 25 minutes, en guise de réponse à la censure qu’avaient subi l’œuvre et son auteur. C’est de cette version du film dont je vais parler ici, tant ce prologue constitue un petit morceau de cinéma d’une richesse exceptionnelle, qui donne encore plus d’éclat au film original, déjà stupéfiant. Commençons donc par cet extraordinaire prologue, qui peut à lui seul justifier le visionnage du film. Sur le très approprié «Kosmogonia» de Penderecki, Skolimowski monte des images sans lien apparent entre elles et dont l’enchaînement semble fonctionner selon une logique poétique proche de l’association d’idées. Il s’en dégage une impression incroyablement saisissante, d’une grande noirceur, et qui traduit l’inquiétude terrible du cinéaste sur la situation de son pays, la Pologne, dont il annonce très clairement, par des inserts d’image de la ville de Beyrouth détruite par la guerre, la destruction à venir. Mais la manière même dont le cinéaste conjugue des images empruntées à différents lieux et différentes époques permet à cette impression de s’élargir et d’accéder à l’universel. Et c’est alors à une variation sur l’apocalypse que finit par conduire cet hallucinant morceau de pur cinéma, d’une stupéfiante modernité cinématographique. Puis l’image passe de la couleur au noir et blanc, et nous voilà ramenés dans le film original de 1967. Le scénario du film est un prétexte et une parabole : un groupe d’amis, étudiants en médecine, se rend on ne sait trop où à bord d’un train de marchandises. Ce trajet, qui semble clandestin, est entrecoupé de flashbacks sur leur vie d’étudiants à l’époque stalinienne. «Haut les mains» apparaît comme une charge politique sévère contre cette société de consommation qui émerge en Europe et qui ne fait que prendre la suite de la dictature stalinienne. L’une suit l’autre, semble nous dire Skolimowski qui nous montre qu’il n’y a pas d’évolution, pas d’émancipation, pas de libération dans ce nouveau monde qui se met en place. Le train dans lequel sont montés les personnages revient, à la fin du film, à son point de départ : nous tournons en rond, "emplâtrés" littéralement dans le marasme d’une société vidée de sens, liberticide, sans hauteur d’âme, sans profondeur spirituelle et sans valeurs morales… En plaçant son film hors contexte, le cinéaste ne se contente pas seulement d’attaquer le stalinisme des mentalités et des esprits, encore bien présent dans les années 60, comme l’ont rapporté les critiques à la sortie du film. Skolimowski anticipe sur l’avenir de la société et du monde, place son propos sur une échelle intemporelle qui lui donne une nuance profondément désabusée. Si l’humour est bien présent dans le film, qui est même construit comme une succession de gags absurdes, c’est plutôt à une clownerie désenchantée que ressemble au final «Haut les mains». Formellement, le film se présente dans un superbe noir et blanc et fait preuve d’une certaine audace formelle (la surexposition "sale" des flashbacks, avec ces blancs brûlés) mais surtout narrative (Skolimowski atteint ici l'apogée de la radicalité cinématographique vers laquelle semblaient tendre ses premiers films). Il se dégage de ce film une énergie folle et totalement débridée, qui peut parfois aboutir à une certaine confusion. Le film est parfois à deux doigts de basculer dans un délire difficile à suivre, et l’opacité apparente de l’ensemble pourra rebuter certains spectateurs. Ce serait se priver d’un grand film… A réserver donc pour les moments de plus grande disponibilité.    

[3/4]     

lundi 4 juin 2012

« Habemus Papam » de Nanni Moretti (2011)

    Un film léger, assez sympathique mais un peu court. « Habemus Papam » c'est l'histoire d'un Pape qui ne peut assumer sa charge, et aller à la rencontre des fidèles sur le célèbre balcon du Vatican. Tout est bon alors pour le ramener à la raison, la mystification comme le recours à la psychanalyse, par l'entremise d'un éminent professeur, en la personne de Nanni Moretti. Les résultats hélas ne seront pas à la hauteur des attentes des légats du Pape. Ce sera malgré tout l'occasion pour nous d'assister à une représentation fantaisiste de l'entourage du Pape, de tous ces cardinaux réunis en un conclave qui s'éternise. Plusieurs séquences d'un humour presque enfantin dépeignent le quotidien de ces hommes dont la charge est souvent bien lourde pour leurs épaules âgées. Nanni Moretti, avec un talent certain, nous offre une image d'Epinal du Vatican, perturbé par ce Pape qui n'ose se montrer. La mise en scène, sobre, est bien travaillée. Le scénario se déroule sans accroc, bien qu'on puisse lui reprocher son manque de consistance. Et les acteurs, Michel Piccoli en tête, sont excellents. Mais Nanni Moretti peine à dépasser le stade de la bonne idée de scénario. Son histoire évoque avec justesse la charge énorme qui incombe au Pape. Il se permet de surcroît des incursions vers le théâtre. Mais rien de bien renversant. « Habemus Papam » est donc un bon petit film, et c'est déjà beaucoup. Mais j'en attendais un peu plus...

[1/4]

vendredi 1 juin 2012

« Moonrise Kingdom » de Wes Anderson (2012)

    Un sympathique long métrage, quoi qu'un peu ennuyeux. Wes Anderson est de ces cinéastes systématiques, voire obsessionnels, possédant un univers visuel bien à eux, quitte à réaliser d'une certaine façon toujours le même film. On retrouve ainsi la mise en scène habituelle du réalisateur américain, faite de plans soigneusement construits, de panoramiques, de cadres serrés, le tout avec une certaine poésie de l'image, tendance rétro. On retrouve en effet les teintes surannées si chères à Wes Anderson, qui emplissaient « La Vie aquatique » ou « A bord du Darjeeling Limited ». On est donc en terrain connu si j'ose dire. Hélas, c'est peu dire que Wes Anderson ne se renouvelle pas : sa mise en scène est trop rigide et codifiée pour laisser libre cours à son imagination, le film se résume peu ou prou à une suite de miniatures vivantes assez amusantes, mais qui restent en surface. Anderson soigne l'image, mais celle-ci n'a aucune profondeur, sans compter que le montage est assez lâche, si bien que les scènes s'enchaînent sans garder cette pertinence qui nous empêcherait de bailler aux corneilles. Finalement, donc, « Moonrise Kingdom » est comme une suite d'instantanés type Polaroid, guère plus. Car si l'on en vient à considérer l'intrigue, ce n'est pas non plus de ce côté là que l'on trouvera notre bonheur. Wes Anderson nous offre une malicieuse histoire d'amour entre un boy scout et une fille de 12 ans, tous deux « perturbés mentalement » (sic). Une histoire qui se déroule de façon assez monotone : on sourit sans rire aux éclats, et on s'ennuie poliment. Les acteurs ne sont pas mauvais mais ne brillent pas non plus par leur excellence. En bref un film moyen, plutôt bien réalisé mais manquant singulièrement de chair et d'âme.

[1/4]