samedi 25 novembre 2023

« Napoléon » (Napoleon) de Ridley Scott (2023)

 

La bande annonce me l'avait très clairement fait comprendre. Je savais que ce serait nul. Mais je m’étais dit que ça ferait une sortie sympa entre amis. Et puis je comptais voir ce film un jour, donc autant aller le voir sur grand écran. Or c'est encore plus mauvais que ce que j'imaginais... Le long métrage de Ridley Scott consiste en une mise en image très scolaire et très pauvre de la vie de Napoléon, avec des personnages ultra schématiques et binaires, Napoléon en tête. Il y a une absence totale d'angle, malgré la tentative ratée de faire défiler la vie de Bonaparte sous le prisme de sa relation avec Joséphine. Scott balaie en 2h40 l’existence de Napoléon, du siège de Toulon à son décès à Sainte-Hélène, en illustrant platement (et bêtement) le tout. Autant dire que sans parti pris, ce projet était mort-né. Et effectivement, c’est un désastre. Et de ce que j’ai entendu dire, la version longue / Director’s cut qui nous est promise plus tard ne mettra que des rustines, mais n’inversera pas la tendance.

Par où commencer devant cette accumulation de mauvais choix ? Peut-être par ceux que l’on voit tout au long de ces 2h40. Les deux acteurs principaux, Joaquin Phoenix et Vanessa Kirby sont très mauvais et très mal dirigés. Phoenix est très sûr de lui-même, se sent un grand acteur pénétré de génie, croyant incarner son personnage de façon fusionnelle… Mais à aucun moment je n’ai vu Napoléon, je n’ai vu que Joaquin Phoenix jouer un petit mec frustré à l’œil sombre et cabotiner à mort. Je n’ai pas cru une seule seconde à son personnage. Quant à Vanessa Kirby, ce n’est guère mieux. Plusieurs fois les personnages mentionnent son intelligence et son esprit. A aucun moment je ne l’ai vu en faire usage, les dialogues étant d’une indigence sans nom. Et puis pour un film construit sur l’amour entre Napoléon et Joséphine, à aucun moment on ne sent une alchimie entre eux et encore moins de l'attachement pour eux.

Il faut dire que le scénario et les dialogues sont d'une rare médiocrité. La période révolutionnaire et napoléonienne fut l'une des plus complexes et des plus passionnantes de l'Histoire. Ici tout est expédié, les nombreux personnages historiques n'ont pas le temps d'exister à l'écran, et sont de toute façon écrits à la truelle, comme tout Américain bas du front le ferait en s'emparant de l'histoire de France pour s'adresser à un public gavé de Marvel, « Barbie » et autres « Mario Bros. » Aucune, je dis bien aucune intelligence dans l'écriture. C'est fou, quand on connaît les traits d'esprit des grands personnages de ce temps... Quand on connaît les personnalités extraordinaires des protagonistes de cette époque, quel que soit leur camp…

Et puis rien sur les institutions créées par Napoléon, qui ont traversé plusieurs siècles jusqu'à aujourd'hui, partout en Europe, pas seulement en France. Rien sur son génie militaire. Rien sur son charisme et son aura, qui ont entraîné des millions d'hommes à sa suite, même dans le camp adverse, où, bien qu'haï il était admiré, voire parfois passionnément révéré. Rien non plus sur ses zones d'ombres comme le rétablissement de l'esclavage. Pensez-vous : trop complexe, pas assez binaire pour le public...

Alors est-ce que la mise en scène sauve Ridley le Petit de la catastrophe ? Eh bien non. Avec le temps, les film d'Uncle Ridley sont de plus en plus laids et de moins en moins inspirés. « Napoléon » est l'un des films les plus moches qu'il ait réalisés. La mise en scène est d'une paresse et d'une platitude sans nom. Aucun plan ne reste en tête. On aurait dit un débutant qui découvre le cinématographe... Une docufiction de France Télévisions aurait fait aussi bien visuellement, et sans doute beaucoup mieux sur le fond. Il y a de la CGI dégueulasse partout, des filtres hideux, des décors auxquels on ne croit pas, des effets spéciaux fauchés, trois pelés en guise de figurants...

Plus jeune j’admirais Ridley Scott. Mais j’ai fini assez vite par comprendre qu’il est toujours resté un chef opérateur, un visuel, un habile faiseur d’images. Il n’a jamais été un auteur, un penseur, un grand artiste. Film après film il nous l’a prouvé, réussissant, on ne sait comment, à réaliser une poignée de chefs-d’œuvre dans sa carrière, brillants sur la forme (mais assez vides sur le fond, déjà à l’époque). Et à côté de ça, il nous a pondu une flopée de trucs bancals et de francs navets. Je n’ai pas encore vu tous ses longs métrages, mais celui-ci est le pire qu’il m’ait été donné de découvrir, et de loin. Déjà, parce qu’il est tout simplement raté sur tous les aspects possibles. Mais en plus car il a l’ambition folle de traiter un personnage et une époque éminemment complexes, en le faisant avec la croyance qu’il va y apporter un regard nouveau, voire corrosif, avec une écriture aussi peu travaillée. Alors que c’est d’une bêtise et d’une vulgarité pitoyables…

Ce film est une débâcle totale... On sait que le personnage de Napoléon est une montagne à gravir. Ridley s'est arrêté en (morne) plaine, alourdi par son égo démesuré, incapable d'arriver au doigt de pied de l'homme que fut Napoléon. Mais bon, pouvait-on en attendre autrement d’un Britannique, et encore plus d’un réalisateur devenu aussi lamentable que Ridley Scott ?

Ce qui est triste, c’est que beaucoup de personnes dans le monde et notamment en France vont prendre ce film pour argent comptant, vont boire les bonnes paroles de Tonton Ridley et s’arrêter là, en se disant qu’ils ont bien compris qui fut Napoléon et ce que fut cette époque… Or là, non seulement Ridley a une fois de plus tordu l’Histoire pour en faire son jouet, mais en plus de ça il s’essuie les pieds sur Napoléon et la France.

Il ose dénombrer les morts « causés par Napoléon ». Mais il oublie de dire que Napoléon a d’abord défendu la France, que l’Angleterre, qui n’a jamais été rassasiée par son île, voulait écraser, avec l’aide des autres nations européennes. En écrasant par la même occasion la République. Ce qui gênait les Anglais, ce n’était pas Napoléon, mais la France, qu’ils ont toujours voulu assujettir, ainsi que cette République qui osait montrer une alternative à la monarchie. De plus, Napoléon a d’abord voulu négocier la paix (ce que montre d’ailleurs Ridley dans le film), mais les Anglais lui ont rit au nez. Ils ont voulu la guerre, ils l’ont eue… Même si bien sûr, on sait que Napoléon n’a pas su s’arrêter à temps et a été rattrapé par son hubris…

Donc si vous voulez voir un film mal écrit, mal joué, mal mis en scène, qui viole l’histoire, notamment celle de notre pays, allez voir le « Napoléon » de Ridley Scott. Mais si vous voulez voir un vrai bon film sur cette période, il y en plein d’autres !

Tout d’abord le « Napoléon » (1927) d’Abel Gance, légendaire fresque en cours de restauration, qui devrait ressortir en salles en milieu d’année prochaine, ou son « Austerlitz » (1960). « Guerre et Paix » (1966) de Sergueï Bondartchouk, énorme film de 8h qui ressort en ce moment en salles de cinéma, grâce à l’excellent distributeur et éditeur Potemkine, et qui permet de voir le point de vue adverse. Ne le manquez surtout pas ! Ce même réalisateur a également réalisé un « Waterloo » (1970) paraît-il excellent. Le « Napoléon » (1955) de Sacha Guitry est apparemment une version pleine de verve qui mérite aussi le coup d’œil. J’ai même entendu dire que la mini-série télévisée « Napoléon » (2002) d’Yves Simoneau, avec Christian Clavier dans le rôle-titre, est plutôt réussie, et paraît même un chef-d’œuvre à côté de la version de Ridley Scott…

Donc vous voyez qu’il existe de vraies œuvres cinématographiques dignes de ce nom sur Napoléon, qui méritent bien mieux d’être connues que ce triste spectacle… Un conseil d’ami : n’allez pas gâcher votre esprit, vos yeux, votre temps et votre argent devant ce film. Sinon, je vous aurais prévenu…

[0/4]

mercredi 22 novembre 2023

« Le Garçon et le Héron » (Kimi-tachi wa dō ikiru ka) d’Hayao Miyazaki (2023)

 

« Le Garçon est le Héron » est un film douloureux, à la fois sur le fond et dans sa réception par le public. Car il y est principalement question de deuil : le deuil de son héros principal, la mort qui s’approche pour Miyazaki, conscient de son grand âge, mais aussi le deuil de son public. Miyazaki, avec ce film, et d’ailleurs aussi avec les quelques-uns qui ont précédé, a fait le choix de ne pas reproduire inlassablement une formule éprouvée, mais de créer, une fois de plus, quelque chose de neuf, de différent. Il ne sert donc à rien de regretter les chefs-d’œuvre du passé, Miyazaki ne reproduira pas les mêmes. On peut s’en désoler, ce qui est aussi mon cas, mais il faut l’accepter, car telle est la volonté de cet artiste.

Pour celles et ceux qui rêvent d’un nouveau film « façon Miyazaki », avec le merveilleux exaltant qu’on lui connaît, je leur conseille de s’orienter vers le Studio Ponoc… Avec la mise en garde que ces derniers me semblent faire du « sous-Miyazaki », un ersatz qui en a vaguement la saveur, mais clairement pas le goût ni le génie…

C’est le risque que courait Miyazaki, de faire un best of de sa filmographie, de capitaliser paresseusement sur ses glorieux acquis. C’était d’ailleurs un peu le cas avec « Le Château Ambulant », à mon sens, même s’il s’agit tout de même d’un grand film. Certaines et certains diront que c’est en un sens ce qu’il a fait avec « Le Garçon et le Héron », en reprenant des idées de pas mal de ses autres films. Certes, mais elles sont là davantage pour faire le bilan, et sont mises au service du propos déployé ici. Il ne s’agit pas de « bêtement » satisfaire le client… pardon, le spectateur, ce que Disney, DreamWorks and co. savent très bien faire quant à eux.

Avec « Le Garçon et le Héron », Miyazaki livre son film testament, le film d’un homme de 82 ans, qui jette un regard en arrière sur sa vie, et réfléchit à l’héritage qu’il va léguer à la postérité. C’est donc une œuvre emplie de gravité, d’une certaine tristesse, mais aussi de la beauté absolue et de la poésie si chères au Sensei. Désolé donc, mais vous ne trouverez pas ici un « Chihiro-bis », un « Mononoké-bis », ni même un « Le Vent se Lève-bis », même si « Le Garçon et le Héron » contient un certain nombre de réminiscences de ces films passés.

Miyazaki nous propose ici une méditation profondément personnelle sur la vie, la mort, l’amour, le rêve… Et notamment une élégie sur sa mère, dont la maladie, lorsqu’il était jeune, l’a profondément marqué, et dont le décès l’a sans doute laissé bouleversé à jamais… J’ai appris que Miyazaki ne pouvait retenir ses larmes lorsqu’il travaillait sur certaines séquences avec le personnage de la mère. Signe évident que ce long métrage parle avant tout de son amour filial et du grand vide qu’a laissé sa mère après qu’elle ait quitté notre monde.

Ce passage d’un monde à un autre est aussi la grande ligne directrice de ce film. Le jeune héros, Mahito, personnification de Miyzaki jeune, tente de percer le mystère de la mort, en allant dans l’Autre Monde. Mais seuls les morts savent ce qu’il y a après la vie, il n’y a pas d’aller-retour vers l’au-delà, juste un aller simple…

Ainsi, Mahito ne peut s’aventurer dans le tombeau sans perdre la vie. Son aventure lui permet en revanche de faire son deuil, de mieux comprendre le sens de la vie, et de dire au revoir à sa mère, pour mieux retrouver une maman d’adoption. Je vois donc ce film comme un poème lyrique de Miyazaki adressé à sa mère, qui m’a pour ma part beaucoup ému.

J’y vois aussi sa déception de ne pas avoir trouvé d’héritier, notamment en la personne de son fils Goro, ou encore parmi les autres dessinateurs du Studio Ghibli ou du pays. On sait tous que la faute lui incombe en partie, lui qui n’a pas su leur faire une véritable place… Miyazaki avait aussi déclaré faire ce film pour son petit-fils, peut-être est-ce lui aussi qu’incarne Mahito, ce jeune garçon courageux et combatif, qui grandit sous le regard de ce grand-oncle magicien, autre avatar d’Hayao Miyazaki.

Dans tous les cas, on le voit, il s’agit bien d’un long métrage éminemment personnel. Mais qui est aussi en prise avec notre temps. Curieusement, il y est moins question directement d’écologie (thème cher à Miyazaki) et davantage de bouleversement du monde (autre thème récurrent chez Maître Miya). Avec ces animaux (humains ?) qui se sont reniés, ou ces perruches belliqueuses, représentant la résurgence des totalitarismes, qui prospèrent de plus en plus aujourd’hui.

Comment, dans cette situation, construire et non détruire ? Comment construire le beau, la paix, l'harmonie, l’amitié et l'attachement, entre les êtres et les peuples ? La vision de Miyazaki semble pessimiste et la solution qu’il avance bien fragile. Elle tient en un mot : l'amour.

[4/4]

mercredi 1 novembre 2023

« Le Voyage de Shuna » (Shuna no tabi) d’Hayao Miyazaki (1983)

  


    Cela fait un moment que les fans d’Hayao Miyazaki connaissent « Le Voyage de Shuna » de réputation, à défaut de l’avoir lu. Bien sûr, une version japonaise existe depuis des années, et une traduction anglaise pirate circule depuis un moment, tout comme des scans. Malgré tout, la renommée de cette œuvre était assez confidentielle, alors que son aura était, elle, très forte, notamment auprès des fans les plus passionnés…

Alors l’annonce de la publication d’une version française le 1er novembre 2023 a été comme un coup de tonnerre dans le monde de l’édition et auprès des fans francophones du Sensei… Elle suit de peu la première traduction anglophone officielle (il y a pile un an, le 1er novembre 2022), qu’on doit à Alex Dudok de Wit, fils du talentueux Michael Dudok de Wit, auteur de « La Tortue Rouge », film d’animation coproduit par… le Studio Ghibli. Hasard de calendrier, la version française du « Voyage de Shuna » sort le même jour que le tout dernier film de Miyazaki, « Le Garçon et le Héron »… C’est peu dire que les admirateurs de Miyazaki sont particulièrement comblés en ce mois de novembre 2023 !

Je n’ai pas attendu pour me procurer le précieux ouvrage, et mes espoirs n’ont pas été déçus. Tout d’abord, quelques précisions. Comme plusieurs personnes l’ont déjà mentionné, ce n’est pas un vrai manga, c’est plutôt un mix entre un manga et un livre illustré. Il y a plusieurs cases par page, mais peu, d’une à trois en général. Et il n’y a pas de phylactères (c’est-à-dire de bulles) : la narration et les dialogues sont intégrés directement sur les images. Mais ce n’est en rien gênant. Et en fait, cet ouvrage se lit bien comme un manga. A noter que le format de lecture originel, de droite à gauche, est respecté. L’édition par Sarbacane, quant à elle, est superbe. La taille des pages est plus grande que l’édition japonaise originale si j’ai bien compris, et c’est tant mieux, car elle était très petite apparemment, et là on peut profiter davantage des magnifiques aquarelles du maître.

Car oui, l’une des nombreuses qualités de ce manga c’est qu’il s’agit de l’une des rares œuvres papier en couleur de Miyazaki. Et pour qui connaît son talent à l’aquarelle, c’est un vrai régal. Outre qu’il maîtrise parfaitement les couleurs et qu’il a une très belle palette de coloris, son style proche du crayonné, fragile et vivant, n’en est que plus émouvant.

Maintenant, on ne peut parler du « Voyage de Shuna » sans évoquer son fond étourdissant. Si l’ouvrage fait 160 pages, car il contient une note de Miyazaki et une postface d’Alex Dudok de Wit, le récit fait 147 pages. Ce qui est à la fois court, comparé aux 7 tomes de « Nausicaä », et en même temps suffisant pour déployer un ample récit. D’autant que Miyazaki maîtrise très bien l’ellipse.

Ainsi, en quelques pages et quelques cases, visuellement mais aussi narrativement, Miyazaki fait naître tout un monde, profondément original et unique, même s’il comporte un certain nombre de similitudes avec « Nausicaä » et « Princesse Mononoké ». Mais « Le Voyage de Shuna » se suffit amplement à lui-même et fascine par sa richesse. Maître Miya crée des peuples, des civilisations vivantes ou passées et oubliées, avec des us et coutumes particuliers, des divinités étranges et parfois effrayantes, tout un cosmos, à une époque indéfinissable, entre lointain passé et futur.

Et le tout est structuré autour d’une quête et d’un héros, le jeune prince éponyme Shuna, qui sur sa vaillante monture, un yakkuru (« Mononoké » n’est jamais loin), s’en va pour un long et éprouvant voyage vers l’Ouest, loin de son peuple, pour tenter de le sauver…

Je n’en dis pas plus, pour laisser à chacune et chacun le plaisir de découvrir cette histoire très forte, pas loin d’être bouleversante, en tout cas mémorable. Et je ne peux que remercier Hayao Miyazaki, une fois de plus, pour son immense talent, Alex Dudok de Wit pour avoir poussé Miyazaki à publier ce récit magnifique au-delà du Japon, et enfin Sarbacane, pour cette très belle et inespérée édition.

[4/4]