samedi 17 janvier 2015

« Le Château ambulant » (Hauru no ugoku shiro) d'Hayao Miyazaki (2004)

    La première fois que j'ai vu ce film, j'ai été extrêmement déçu, ne voyant que ses défauts : une occidentalisation forcenée, voire parodique malgré elle, une certaine mièvrerie (le héros principal est passablement agaçant) et surtout un rendu consensuel au possible. Où était donc passé Miyazaki me demandais-je ? Après un second visionnage, je révise mon jugement, tant j'ai pris plaisir à revoir ce long métrage. En fait, je sais aujourd'hui ce qui m'avait déplu dans « Le Château ambulant » : c'est son côté composite. C'est un amalgame de cultures anglo-saxonne et japonaise, d'histoires d'amour et de guerre, de magie et de réalisme, et le tout, saupoudré de rose bonbon et autres couleurs criardes, m'était apparu fort indigeste. En n'attendant plus rien de cette seconde chance laissée à ce film, ses qualités sont tout à coup ressorties, peu discutables. Tout d'abord la poésie de certains passages est extraordinaire. Rien que ces moments privilégiés confèrent toute sa force au « Château ambulant », en en faisant un dessin animé de grande qualité. De plus, les personnages secondaires (l'épouvantail et le démon du feu notamment) sont savoureux : c'est tout simplement le sel qui donne son goût si particulier à ce long métrage. Et si l'héroïne n'arrive pas à la hauteur des autres personnages principaux des meilleurs Ghibli, elle marque par son abnégation et son courage typiquement « miyazakiens ». « Le Château ambulant » est tout de même un film du maître à part et légèrement en deçà des autres, car on peine à s'identifier totalement au couple principal (vu l'âge plus qu'avancé de l'héroïne et le maniérisme adolescent du héros). Toutefois l'histoire tient la route, et j'ai apprécié l'arrière plan martial, qui une fois de plus donne l'occasion au cinéaste japonais de dénoncer la folie des hommes. L'animation, quant à elle, est toujours irréprochable, même si ce n'est pas le long métrage le plus exemplaire du studio Ghibli à ce sujet. En somme, il faut prendre « Le Château ambulant » pour ce qu'il est : un pur divertissement, dans le meilleur sens du terme. Ce n'est pas le film le plus profond, ni le plus réussi ou le plus émouvant de Miyazaki. Mais l'un des plus réjouissants, et à ce titre, il mérite largement le coup d’œil.

[4/4]

dimanche 11 janvier 2015

Citation du dimanche 11 janvier 2015

« La beauté s’offre à qui sait la voir. »

Paul Valadier
(Conférence « Beauté neuve : le cas du cinéma », le 29 septembre 2014)

« L'Homme de Rio » de Philippe de Broca (1964)

    Le mètre-étalon de la comédie d'aventure moderne. Librement inspiré des Aventures de Tintin (en pagaille : L'Oreille cassée, Le Secret de la Licorne, Les 7 Boules de cristal,...), à l'origine des futurs Indiana Jones et autres OSS 117 signés Hazanavicius, « L'Homme de Rio » parvient à concilier grand spectacle et divertissement de haute volée, grâce à l'interprétation pour le moins excellente de Belmondo (qui réalise seul ses cascades, toutes plus improbables les unes que les autres) et de la regrettée Françoise Dorléac, qui portent à eux deux le film : Bebel (Adrien) en jeune homme athlétique et jamais à cours de ressources, embarqué malgré lui dans des aventures extraordinaires, et Dorléac (Agnès) en jeune femme impertinente, un brin agaçante (c'est ce qui fait son charme), objet de la quête de son compagnon, qui ira la chercher jusqu'au fin fond de l'Amazonie. Tout est réjouissant dans ce long métrage : le charme juvénile des deux principaux acteurs, un méchant machiavélique, les péripéties incroyables et les rebondissements incessants, les vues extraordinaires de la forêt amazonienne ou de Brasilia, encore vide et en construction à l'époque... mais surtout l'humour ravageur qui règne tout au long du film. La façon dont les héros ne se prennent pas au sérieux restera inimitable (excepté justement dans les Indiana Jones, et peut-être dans les 2 ou 3 premiers Pirates des Caraïbes), et confère au long métrage une fraicheur inaltérable : même s'il fait aujourd'hui très daté, « L'Homme de Rio » est toujours aussi bon... comme les Tintin ! Intemporel en somme, ce qui, pour un film de divertissement, sonne comme une réussite rare et appréciable ! Daniel Craig et Matt Damon, remballez vos affaires, rien ne remplacera un bon vieux Bebel, prêt à assommer une douzaine de brutes patibulaires à main nue ou à passer d'un immeuble à l'autre suspendu à un unique câble, à 30m de hauteur, pour sauver sa belle des griffes d'un odieux personnage, et ce à l'autre bout de la planète !

[3/4]

samedi 3 janvier 2015

« Entre elle et lui » de Nathalie Dessay et Michel Legrand (2013)

    Je le concède, les premières fois que j’ai écouté cet album, j’étais déçu par la production ultra léchée et la voix presque mécanique de Nathalie Dessay. Difficile de ressentir la moindre émotion, avec un essai qui me semblait presque factice, forcé. Mais bien malgré moi, à force d’éprouver l’envie de réentendre cet opus et au fil des écoutes, il s’est imposé à moi comme un magnifique aperçu de ce que sait faire de mieux Michel Legrand : des chansons aux mélodies riches et limpides à la fois. Car finalement Nathalie Dessay reste en retrait, et c’est la formidable musicalité des chansons de Legrand qui ressort, leur génie musical (n’ayons pas peur des mots) demeurant un régal sans pareil. Si l’on sent une patte, voire quelques « tics » de composition, force est de reconnaître que l’inspiration de Legrand semble sans limite. Certaines de ses œuvres sont déjà des classiques, et cet album est l’occasion de se rendre compte combien il a su composer des mélodies originales et se forger un style qui n’appartient qu’à lui. Un style qui ravira tout autant les adeptes de musique classique, les amateurs de jazz et les fans de comédies musicales. Le style de Legrand est protéiforme et s’abreuve aux meilleures sources qui soient. Et le tout, loin d’être indigeste, coule comme de l’eau de source, pure et claire. A tel point que je me suis surpris plusieurs fois à écouter le disque en boucle en le relançant une fois fini. Un disque que je recommande donc à tous, inconditionnels de Legrand ou simples amoureux de belle musique.

[3/4]

jeudi 1 janvier 2015

« Récits de jeunesse » d'Andreï Tarkovski (2004)

    Tarkovski le dit lui-même dans l'un des récits qui composent ce recueil, il n'est pas un bon écrivain. Et ce n'est pas moi qui le contredirai. Ses récits sont assez plats, n'ont que peu de relief artistique, manquent de poésie. A l'inverse, ce sont des récits autobiographiques, crus, plus par le regard sans fard que porte sur lui le futur cinéaste que par un langage vulgaire et grossier qu'on serait bien en peine de trouver parmi ces textes. Tarkovski a beau être sans concession sur sa personne, il n'en conserve pas moins une certaine pudeur. Mais on sent que Tarkovski n'est pas à l'aise avec l'art des mots, il ne suffisent pas à rendre compte de tout ce qu'il veut dire, ils peinent à rendre l'expérience de la vie telle qu'il la perçoit dans toute sa richesse (richesse dont témoigneront ses longs métrages, d'une grande beauté et d'une grande profondeur). Même ses poèmes, assez agréables (bien que parfois tourmentés), sont maladroits et ne frappent pas le lecteur par leur singularité. Ce sont de jolis instantanés de la nature russe (humaine comme végétale). Mais rien d'exceptionnel. Par contre, on sent dans chacun de ces textes, nouvelle ou poème, toute la sensibilité à fleur de peau du cinéaste russe, et surtout une attention portée au détail qui trouvera tout son accomplissement dans des films comme « Stalker », où la nature règne, majestueuse, sublimée par la photographie sépia ou en couleur du long métrage. Plus encore, on ressent ce que vit Tarkovski, ses peines comme ses joies, son émerveillement face à la nature environnante, même si ce n'est pas du même ordre que ce qu'éveille en nous « Le Miroir », peut-être son chef-d’œuvre cinématographique. Clairement, donc, ces « Récits de jeunesse » s'adressent aux inconditionnels de Tarkovski, car ils permettent de comprendre l'itinéraire personnel et artistique de ce cinéaste particulier. Leur valeur tient plus, en effet, du témoignage biographique que d'une quelconque teneur artistique, qui n'est pas encore pleinement épanouie (mais en 1962, année où s'arrêtent ces textes et où Tarkovski achève « L'Enfance d'Ivan », ça ne saurait tarder).

[2/4]