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mercredi 4 avril 2012

«Hors Satan» de Bruno Dumont (2011)

Dans les paysages magnifiques de la Cote d’Opale, Bruno Dumont filme un homme mutique, "le gars", et une jeune fille un peu paumée qui le suit, le nourrit et aimerait bien coucher avec lui. Ensembles ils se promènent inlassablement dans la campagne, s’agenouillent devant les pâturages, dans une sorte de recueillement : tandis qu’il semble prier, comme touché par la grâce, elle reste silencieusement à ses côtés, respectueuse des étranges pratiques de son ami, qui est aussi son protecteur. Différents évènements qui animeront la triste tranquillité de ce petit village seront l’occasion de s’interroger sur ce personnage énigmatique : fou ou envoyé de Dieu? Avec «Hors Satan», Dumont réalise un film visuellement très beau, porté par un riche travail sur le son naturel et une mise en scène toute en contrastes. Le cinéaste alterne ainsi plans larges et plans serrés, violences assourdissantes des rafales de vent et silences pesants. Ce mariage des contraires permet de souligner toute l’ambigüité du personnage masculin, à la fois incarnation du mal et figure héroïque à dimension christique. Le film s’inscrit pleinement dans la continuité des films antérieurs du cinéaste et ne fait qu’en prolonger les thématiques et les questionnements en procédant par une certaine épure et une certaine simplification. Le cinéaste est ici moins bavard, et donc en dit beaucoup plus. Mais malgré toutes ces indéniables qualités, ça ne marche pas vraiment, et on reste irrémédiablement à distance. Rares sont les scènes qui éveillent l’émotion, et le film devient une sorte d’objet froid, inerte. Tout y apparaît trop calculé, trop prémédité. Dumont se révèle comme un cinéaste qui a appris sa leçon, un bon élève, mais qui affiche ici son incapacité à devenir maître lui-même. Il récite. Il rejoint en cela le cercle de ces cinéastes prometteurs assommés par leurs références et incapables d’avoir la hauteur d’âme et d’esprit de leurs maîtres. Je pense à des réalisateurs comme Carlos Reygadas («Hors Satan» rappelle par bien des aspects «Japon» et «Lumière Silencieuse», sans en posséder pour autant la poésie et la beauté), Andreï Zviaguintsev ou Nuri Bilge Ceylan. Mais Dumont est aussi le maillon faible de cette génération de cinéastes, n’ayant pas encore réussi à réaliser un "semi chef d’œuvre" comme les autres, et prouvant avec ce film l’impossibilité qu’il y parvienne un jour... L’impression que donne «Hors Satan» est celle d’un cinéaste qui s’est dit, en se levant un beau matin : "Tiens, et si je faisais un film mystique". Mais la mystique impose au préalable une certaine forme de croyance, et ce n’est qu’en s’investissant dans cette croyance, en cherchant à filmer le mystère et l’invisible que naît alors la magie et la poésie qui peuvent conférer une aura mystique à un film. Dumont, lui, ne semble pas beaucoup croire aux mystères qu’il filme. Et comment le spectateur pourrait-il y croire si le cinéaste lui-même n’y croit pas? Il ne suffit pas de se prétendre "mystique" pour l’être, et même au contraire, l’affirmer ouvertement relève plutôt d’une simple posture esthétique. Le mysticisme athée du cinéaste souffre d'un manque cruel de véritable fondement spirituel. Sous la caméra de Dumont, la guérison miraculeuse ou la résurrection deviennent des figures de style, des citations (Dreyer bien sûr) que le cinéaste ne se réapproprie jamais. Dans «Hors Satan», plutôt que de faire naître un certain mysticisme de l’insondable mystère naissant des images, Dumont cherche directement à filmer "du mystique". Entreprise fallacieuse nécessairement vouée à l’échec, et qui fait de «Hors Satan» un film ampoulé qui n’est pas à la hauteur de sa prétention. Un beau film certes, mais sans âme.

[2/4]

vendredi 25 novembre 2011

« L’humanité » de Bruno Dumont (1999)

Deuxième film du cinéaste français Bruno Dumont, très remarqué à Cannes en 1999, «L’humanité» est un film sur un être innocent, incarnant une certaine humanité pure, première, voire primitive, et confronté à l’horreur du monde et à la barbarie des hommes. Cet homme, lieutenant de police dans un petit commissariat de Bailleul, est un être simple d’esprit, qui peine à s’exprimer, qui semble perdu, et finalement totalement inadapté à son univers professionnel. C’est un idiot, au sens dostoïevskien du terme, un être naïf, souffrant d’une hyper sensibilité et d’une capacité d’empathie qui relèvent du handicap. Profondément meurtri par la perte tragique de sa femme et son enfant, il erre dans la campagne, entretien un petit jardin ouvrier, vit avec sa mère, fredonne quelques mélodies en jouant 3 notes sur son orgue électronique, vit intérieurement des sentiments amoureux pour sa voisine qu’il fréquente régulièrement, témoin malheureux de la relation amoureuse qu’elle entretient avec son amant. Puis un jour, le voilà chargé d’une enquête sur un drame terrible : le meurtre, après viol et violences, d’une petite fillette de 11 ans. Confronté à une horreur qu’il n’est pas capable d’envisager, il essaiera d’encaisser et de prendre sur lui la souffrance du monde. Vous l’aurez compris, rien de bien gai ni de bien réjouissant dans ce film qui cultive, non sans une certaine complaisance, une ambiance lugubre et sinistre. Un film glauque donc, ancré dans un univers social et dans un lieu précis (le nord de la France ouvrière) qui rappelle fortement l’univers des films des frères Dardenne, et dans lequel Dumont n’hésite pas à filmer crument l’horreur (gros plan sur le vagin lacéré de l’enfant) et la bestialité des hommes, ramenés à leurs instincts primitifs (obsession sexuelle très présente). Dumont montre partout de la souffrance et succombe à un certain misérabilisme social et intellectuel. Certes, le désir de provoquer le malaise chez le spectateur est tout à fait légitime, puisque celui-ci se doit bien de comprendre ce que vit le policier et le combat intérieur qu’il mène, mais Dumont ne se révèle sûrement pas un maître dans l’art de la suggestion… Ceci dit, il ne faudrait pas taire pour autant les qualités du film, qualités qui reposent grandement sur le jeu (ou plutôt le non jeu puisqu’il s’agit d’acteurs non professionnels) du comédien interprétant le policier. Son regard, sa voix très particulière et son intonation étrange, sa simple présence physique et ce thorax en creux qui lui donne une silhouette légèrement bancale, tout cela colle admirablement à ce personnage et souligne remarquablement son décalage par rapport au monde qui l’entoure. Face à toute cette souffrance environnante, son comportement innocent et sa capacité, inhumaine pour le coup, à la bienveillance, à la compassion, au pardon et à l’empathie, le chargent d’une densité et d’une portée quasi mystiques. Il devient une sorte de vampire, suçant, avalant, absorbant la douleur et le mal pour ensuite l’évacuer dans de grands cris imprévisibles ou dans l’effort et la sueur, arpentant les routes à vélo. La position de Dumont sur l’humanité, qu’il présente comme monstrueuse, laisse perplexe, le cinéaste semblant faire sienne une certaine anthropologie pessimiste et négative : l’homme est ainsi, l’homme est mauvais. Face à ce qui semble être pour le cinéaste un constat, la réponse apportée par le personnage du policier consiste à faire preuve d’empathie et d’accorder le pardon. Cette position philosophique n’est pas vraiment à mon goût, et cela a certainement altéré ma réception de ce film… Le film de Dumont se démarque cela dit nettement du cinéma des frères Dardenne qu'il rappelle immanquablement, parvenant à dépasser le cadre d'un cinéma du réel pour se charger d'une vision un peu plus poétique, certes timide, mais néanmoins présente. Malgré ses défauts, «L’humanité» reste donc une proposition de cinéma pertinente et intéressante qui me donne la curiosité de découvrir le reste de la filmographie du cinéaste, qui fait preuve ici, pour un second film, d’une maîtrise certaine. A suivre donc.

[2/4]