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dimanche 18 décembre 2011

« Elephant » de Alan Clarke (1989)

«Elephant» est un court métrage de 39 minutes, composé d’une seule idée, un unique motif cinématographique qui se répète 18 fois. Un plan d’ensemble nous montre le lieu du drame, puis un homme apparaît dans le plan. Nous le suivons jusqu’au lieu où il va croiser un autre homme, qu’il tuera, ou qui le tuera. Nous verrons ensuite le tueur s’enfuir avant que la caméra ne revienne s’attarder quelques longues secondes sur le cadavre de la victime. Aucun dialogue, aucun commentaire, aucune explication, nous ignorons tout des mobiles de ces meurtres, des meurtriers et des victimes qui restent toujours dans l’anonymat. Clarke ne nous fournit aucun élément de compréhension, forçant le spectateur à s’interroger sur la signification de ce qu’il voit. C’est ainsi que les différents lieux du crime, les seuls indices dont nous disposons pour contextualiser le drame, nous permettent de retranscrire un certain cadre social. En effet, les meurtres sont souvent perpétrés sur des lieux de travail, dans des entrepôts grandement désaffectés, dans des terrains vagues... Bref, nous sommes dans un décor de ville désindustrialisée. Un indice au générique et la présence de nombreux bâtiments construits de briques rouges nous renseignent sur le fait que nous nous situons en Irlande. Cà y est, nous y sommes, «Elephant» traite des "Troubles", des massacres perpétrés en Irlande du Nord dans le conflit opposant républicains (catholiques) et loyalistes (protestants). Ce sont donc des meurtres politiques. La répétition des assassinats et ce cercle de violence qui ne s’arrête jamais, l’absence d’émotions sur les visages des victimes et des meurtriers (visages que nous voyons de toutes façons très peu), l’impossibilité du rebondissement ou de la surprise (on comprend très vite que chaque meurtre sera mené à bien, même si on ignore au début de chaque nouvelle séquence qui sera tué et qui tuera), sont autant d’éléments stylistiques qui permettent à Clarke de souligner le caractère complètement ordinaire, quotidien, de cette violence. Il se dégage de cette banalisation du crime une sérénité dans l’horreur, une sérénité qui glace le sang et engendre une tension, un malaise qui parcourt tout le film. De plus, le fait que nous ignorons tout des personnages à l’écran, qui finissent par se réduire à de simples silhouettes mécaniques, et la confusion entretenue par le cinéaste entre tueurs et victimes, illustrent la neutralité de Clarke dans ce conflit. Le cinéaste ne s’intéresse pas aux raisons de la violence, ne différencie aucun des deux camps, mais s’intéresse à la violence elle-même, et à son omniprésence. A ce titre, le dernier meurtre se charge d’une portée allégorique, puisque nous y voyons un tueur abattu, avec son consentement, par un autre tueur. «Elephant», le dernier film d’Alan Clarke, s’éloigne donc nettement de l’approche sociale et du registre du réalisme documentaire qui parcourait l’ensemble de son œuvre, et l’on peut regretter que le cinéaste n’ait pas eu le temps d’approfondir cette veine de son cinéma. La grande stylisation de la mise en scène, tout en longs plans séquences, inspirera grandement Gus Van Sant pour son film éponyme, qui reprendra notamment, tels quels, ces longs plans où nous suivons les assassins de dos. On préfèrera nettement l’original à sa copie américaine, bien plus reconnue mais d’une portée pourtant beaucoup plus modeste. «Elephant» est un film qui repose sur une idée unique, un concept, et qui, à ce titre, reste une expérience de cinéma intéressante mais relativement anecdotique. Le format court est en ce sens parfaitement adapté.

[2/4]

jeudi 15 décembre 2011

« Scum » de Alan Clarke (1979)

«Scum» est un film qui s’inscrit pleinement dans la lignée d’un cinéma britannique caractérisé par une forte sensibilité sociale (Frears, Loach, Watkins), cinéma de la télévision né sur les cendres du Free Cinema anglais des années 50. C’est donc à un sujet de société de l’époque que s’attaque Alan Clarke, à savoir ces controversés borstals, ces centres de détention pour mineurs anglais qui seront définitivement fermés en 1982 (le film contribua d’ailleurs grandement à l’abolition de ces maisons de redressement). Adoptant un réalisme parfois proche du documentaire, le film fut réalisé à partir d’enquêtes approfondies menées dans certains de ces établissements. «Scum» nous dépeint alors un univers carcéral extrêmement violent, où la violence s’exerce à la fois par l’autorité des gardes et du gouverneur et par les détenus les plus forts, qui endossent le rôle de chef. C’est donc au principe récurrent de la double peine que sont systématiquement confrontés ces adolescents. La prison devient une micro-société qui se réorganise selon des lois proches de celles de la jungle, société dans laquelle il faut survivre, en s’imposant par l’autorité et la violence, ou mourir. Clarke nous montre l’échec complet de ces établissements, qui non seulement ne disciplinent pas ces jeunes paumés, mais qui, bien au contraire, les transforment en monstres. Les plus forts deviennent des bêtes sauvages tandis que les plus faibles, incapables de supporter le poids de leur souffrance et de leur malaise, se suicident. Ce principe d’une micro-société fasciste dans laquelle une poignée de dirigeants exercent une autorité totale sur des adolescents, s’acoquinant et collaborant avec les plus pervers d’entre eux, n’est pas sans rappeler la république mussolinienne de Salo que Pasolini avait portée à l’écran quelques années plus tôt. Mais là où le film de Pasolini débouchait sur une réflexion philosophique très vaste, le film de Clarke s’ancre pleinement dans un contexte politique et social précis. En dénonçant l’échec de ces maisons de correction et d’une vision de l’éducation basée sur la privation et la punition (la discipline par la violence), le tout auréolé de morale religieuse, le cinéaste condamne la politique répressive qui se met alors en place dans son pays, en ce début des années Thatcher. Au-delà du film carcéral et de la violence qu’il dépeint (violence jamais gratuite, le cinéaste se plaçant systématiquement du côté des plus faibles), «Scum» apparaît alors comme un film contestataire, férocement engagé, porteur d’une saine colère qui fera défaut à la majorité des autres films britanniques de cette veine sociale (chez le tiède Ken Loach notamment). Niveau mise en scène, Alan Clarke joue sur les plans resserrés, utilise les cadrages dans les ouvertures de portes et suit les personnages de près pour illustrer au mieux l’enfermement des détenus, parvenant même par moment à donner une impression de claustrophobie et d’étouffement. L’utilisation de couleurs froides et l’absence de musique renforcent le côté sec et glacial du film. «Scum» est un film choc, porté par une interprétation de qualité, qui a relativement bien vieilli, et qui a le grand mérite d’avoir œuvré efficacement à la cause qu’il défendait. L’ancrage politique et temporel précis du drame, la faible portée philosophique du propos, et l’absence d’une ambition artistique plus vaste en font néanmoins un film qui finit par s’oublier assez vite.

[2/4]