Affichage des articles dont le libellé est Antonioni Michelangelo. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Antonioni Michelangelo. Afficher tous les articles

vendredi 9 décembre 2011

« La nuit » (La notte) de Michelangelo Antonioni (1961)

«La nuit» est le volet central de la trilogie réalisée par Antonioni sur la crise spirituelle de la bourgeoisie face au monde moderne. Si le film tient une place parfaitement cohérente au sein de cette trilogie, il se rapproche nettement plus du dernier film de celle-ci, peut-être le plus grand de Antonioni, qu’est «L’éclipse». Avec «La nuit» en effet, le cinéaste abandonne le lyrisme de la mise en scène qui avait fait le charme et la beauté de «L’Avventura», pour proposer un film plus froid, initiant une certaine radicalité de son approche cinématographique qui culminera dans l’abstraction totale de la fin de «L’éclipse». «La nuit» s’intéresse au couple moderne et à son délitement, victime qu’il est d’un nouveau mode de vie vidé de toute essence spirituelle, où l’argent est devenu la finalité de toute action et dans lequel les industriels sont les nouveaux maîtres du monde, les grands hommes de ce temps. Dans une Milan capitaliste en plein boom économique, l’homme apparaît épuisé, blasé, maltraité dans son être par cette modernité désacralisante dont la vitesse le largue, et qui s’impose par la force. Pour illustrer cette agression faite à l’homme, Antonioni compose des plans dans lesquels les immeubles envahissent l’écran, avalant littéralement les personnages, alors relégués dans un infime espace du cadre. Dans «L’éclipse», ces personnages finiront par être éjectés complètement de l’image laissant place au règne des choses. Vidé de son souffle vital, l’homme est alors envahi d’une certaine nostalgie, une nostalgie qui le paralyse, puisqu’aucun retour en arrière n’est permis et qu’il lui est impossible de se raccrocher à un passé définitivement révolu (ce qu’Antonioni illustre par cette ligne de chemin de fer envahie par la végétation). L’homme fatigué, en manque d’aventures, recherchant désespérément l’émotion et la passion dans une société asphyxiée par les valeurs futiles du capitalisme, se tourne alors vers des amours de passage. C’est ainsi que le personnage interprété par Mastroianni se laissera séduire par la nymphomane de l’hôpital et succombera au charme de Valentina, la fille de son futur employeur. Son inconstance finira par tuer l’amour que lui portait sa femme. Mais sans cet amour (que lui-même n’éprouve sûrement plus), il s’apercevra qu’il n’a plus rien, plus aucun repère, et pris de panique, cherchera alors, dans un geste désespéré, à s’y raccrocher de toutes ses forces. C’est cette fin d’un amour, pourtant le dernier refuge de l’humanité, que filme Antonioni dans «La nuit». Tout au long du film, le cinéaste sème des signes, des indices annonçant la mort à venir du couple, indices que les personnages ne semblent pas ou ne veulent pas voir. Dès la première séquence, dans laquelle le couple rend visite à un ami mourant à l’hôpital, le pressentiment de ce qui ne sera confirmé qu’à la toute fin pénètre le spectateur : l’agonie de cet ami semble bien annoncer et révéler l’agonie de ce couple. Sa mort sonnera d’ailleurs la prise de conscience chez la femme que son amour a disparu… Déployant une mise en scène d’une impressionnante richesse, Antonioni ne laisse rien au hasard. Chaque plan se charge de significations, chaque silence renferme un monde d’émotions, si bien qu’il est impossible en un ou deux visionnages d’englober toute l’ampleur du travail réalisé par le cinéaste, alors au sommet de son génie créatif. Un chef d’œuvre, bien évidemment.

[4/4]

dimanche 7 août 2011

« Blow-up » de Michelangelo Antonioni (1966)

Dans «Blow-up», Thomas, le protagoniste, vit avec un ami peintre qui est un peu son modèle artistique, lui qui vit avec répugnance de la photographie de mode alors qu’il aspire à la photographie d’art. Cet ami peint des œuvres abstraites, que l’on devine quelque part entre le cubisme et le pointillisme. Lorsqu’il les peint, il affirme ne rien y voir, ne pas savoir ce qu’elles signifient. Ce n’est que bien plus tard qu’il y découvre des choses et que ses toiles se révèlent à ses yeux. Pour l’une d’elles, il explique qu’elle est trop récente, qu’il est encore trop tôt pour qu’il la déchiffre. Cette anecdote au cœur du film est un avertissement d’Antonioni au spectateur, ou en tout cas c’est ainsi que je l’interprète désormais, car après avoir revu une troisième fois «Blow-up», je me rends compte que mes précédents visionnages, s’ils étaient nécessaires, étaient trop précoces. Ce n’est que maintenant que le film s’est révélé à mes yeux… Certes, dès le premier visionnage, j’avais été subjugué par les qualités esthétiques du film, avec une utilisation tout simplement prodigieuse de la couleur, et l’impressionnante maîtrise du cadre, de l’espace et des mouvements de caméra dont fait ici preuve Antonioni. Si le film, dès le départ, avait su toucher et éveiller comme rarement mes sens (il faut aussi noter ici le travail remarquable du son), l’ensemble paraissait à mes yeux trop théorique, un bloc de sens réalisé avec perfection certes, mais trop peu ouvert. En réalité, c’est totalement l’inverse. «Blow-up» est bien au contraire un film complètement ouvert à l’interprétation et aux différentes subjectivités de ceux qui le regarde. A chaque vision, le film réussit à prendre un sens différent et pousse le spectateur à regarder plus loin: si l’intrigue au cœur du film se fait de plus en plus limpide à chaque fois, les interrogations soulevées par le cinéaste sur les rapports entre la réalité et ce que l’on en perçoit se font plus profondes. Sous l’apparence de la simplicité (certains ont qualifié le film de «minimaliste»), avec une intrigue réduite et des séquences qui semblent au premier abord superflues, se cache un film où rien n’est laissé au hasard, où chaque élément est là pour pousser le spectateur à questionner son regard. A l’instar de l’expérience vécue par Thomas dans le film, «Blow-up» est un parcours initiatique pour le spectateur qui apprend ici à interroger toujours davantage le réel. Cette épreuve conduit et le protagoniste du film, et le spectateur, à se rapprocher un peu plus du regard de l’artiste, celui qui a parfaitement intégré le caractère illusoire de la réalité, dont la reconstitution ne peut être qu’une question de point de vue. Le film cherche ainsi à nous apprendre à adopter le regard de l’artiste. Les apparences sont trompeuses, nous dit Antonioni, et pour poser un regard juste sur le monde, il faut trouver la bonne distance. On en a ici la superbe illustration lors de la séquence centrale de l’agrandissement qui donne son titre au film: trop loin, Thomas ne voit pas ce que cache la photo, il en a une vision d’ensemble trop sommaire. Trop près, le grain de l’image est trop gros, on ne voit plus rien que des tâches qui rappellent les peintures abstraites de son ami… Je ne reviendrai pas sur le milieu dans lequel se déroule le film, le Londres psychédélique de la fin des années 60, même si le cinéaste ne se contente pas de retranscrire l’ambiance de l’époque mais pose un regard tout personnel (et assez cynique) sur cet univers, regard du cinéaste qui pourrait faire l’objet d’une analyse intéressante. La puissance de ce chef d’œuvre réside bien plus dans le travail de «révélation» de l’image que propose le cinéaste via la multiplicité des regards qu’il convoque. La séquence finale, qui correspond à la prise de conscience de Thomas sur le monde qui l’entoure, reste à ce titre un pur morceau d’anthologie. Indispensable.

[4/4]

mardi 19 juillet 2011

« Identification d’une femme » (Identificazione di una donna) de Michelangelo Antonioni (1982)

Un cinéaste en panne d’inspiration recherche une actrice pour un vague projet de film. Pendant ce temps, il entretient une relation amoureuse avec une jeune femme mystérieuse qui bientôt disparaît. Tandis qu’il semble, en apparence, faire le deuil de cette relation en fréquentant une comédienne de théâtre, il reste néanmoins hanté par la jeune femme et se met à sa recherche. L’enquête qu'il mène pour la retrouver fait alors écho à la recherche de l’actrice de son film... On retrouve tous les thèmes de prédilection d’Antonioni dans «Identification d’une femme» : la disparition, l’absence, l’errance, l’intrigue et le mystère, l’incommunicabilité, le couple. Mais ces ingrédients sont si présents et si visibles que, pour la première fois peut-être chez le cinéaste, on comprend très vite la recette, ce qui enlève une part non négligeable de magie au film. On peut également ressentir un léger sentiment d’inachevé, tant certaines pistes ouvertes ne sont au final nullement exploitées (comme le processus créatif de l’artiste par exemple). «Identification d’une femme» appartient à la seconde manière d’Antonioni et s’inscrit pleinement dans la continuité de «Blow up» ou de «Zabriskie Point». On y retrouve le regard presque sociologique du cinéaste sur la société italienne de ce début des années 80 (après le Londres et l’Amérique de la fin des années 60), regard pertinent mais qui ancre temporellement le film (sentiment renforcé par l’utilisation d’une musique électronique très datée). Depuis «Blow up », Antonioni propose un cinéma de qualité certes, mais qui n’affiche plus la radicalité de mise en scène et la créativité de ses films antérieurs, de «l’Avventura» au «Désert rouge». On peut même noter ici une certaine redondance dans les procédés narratifs du cinéaste et on se retrouve à attendre, car on sait qu’elles vont arriver, les rituelles séquences de virtuosité formelle auxquelles Antonioni nous a accoutumés (en principe en plein milieu et à la toute fin des films). Et on a bien droit ici à une séquence époustouflante en plein cœur du film, où il est question d’une disparition dans un brouillard soudainement tombé. Séquence visuellement magnifique, dont l’inquiétante poésie nous fait pénétrer dans ce qui semble être une autre dimension, le monde parallèle créé par le brouillard, et qui marque la rupture entre les deux parties du film. En revanche, la séquence finale s’avère fort décevante, Antonioni s’essayant à une poésie science-fictionnelle quelque peu naïve, au moyen d’effets spéciaux ayant bien du mal à cacher leur honte… Si cette critique reflète bien une certaine déception, il n’empêche que «Identification d’une femme» reste l’œuvre d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens, un film auscultant avec acuité les rapports homme/femme dans une société déterminée et traitant poétiquement de la quête amoureuse d’un homme n’ayant pas sa place dans le milieu bourgeois qui l’environne. Le dernier bon film d’Antonioni.

[2/4]