Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas plongé dans un livre de Tolkien. Durant mon adolescence, comme beaucoup, j'avais lu avec ferveur son fameux « Seigneur des Anneaux », un livre très riche dont je suis certain de n'avoir saisi qu'une partie, tant l'univers déployé est fouillé et les références aux mythes occidentaux sont nombreuses.
Avec le recul, j'abordais « Bilbo le Hobbit » avec une certaine impatience : ce livre plus court me permettait de revenir dans les Terres du Milieu, cet univers foisonnant tout droit sorti de l'imagination de Tolkien, avec sans doute plus de légèreté que pour son ouvrage phare, d'un abord assez difficile.
Ce que je dois dire, c'est que je n'ai pas été déçu. Mieux, lire « Le Hobbit » a été un véritable enchantement, tant Tolkien maîtrise parfaitement deux choses essentielles : l'art du récit, pour nous tenir en haleine tout en ménageant des moments de calme et de répit, et un imaginaire puissant fondé sur des mythes européens, revisités à sa façon, pour nous offrir un pur moment d'évasion.
« Le Hobbit » est un roman parfaitement construit. C'est le récit de la quête d'une troupe d'aventuriers, qui cherchent à récupérer un gigantesque trésor volé et gardé par un dragon menaçant. On ne pourrait faire plus simple. Et pourtant, tout le génie de Tolkien va résider dans la façon dont il va raconter son histoire et comment il va la nourrir de personnages extraordinaires et de péripéties dangereuses.
Comment parler de ce livre sans évoquer la figure de Bilbo Sacquet (ou Baggins en anglais) ? C'est un drôle de petit personnage, un Hobbit, petit être qui n'aspire qu'au confort, à la prospérité et à la tranquillité. Il vit dans la Comté avec ses congénères, plus précisément dans une maison sous une colline, formée de galeries souterraines confortablement aménagées. Bilbo n'aime qu'une chose : la routine. Il tire fierté d'être parfaitement prévisible, rien ne saurait plus lui déplaire que d'être perturbé dans ses petites habitudes.
Ce qui est très fort, c'est qu'avec ce héros peureux et douillet, Tolkien semble s'adresser directement à nous, comme si c'est nous, lecteurs bien à l'abri chez nous, qui étions tout à coup plongés dans des aventures rocambolesques, à la place de ou avec Bilbo. Quoi de mieux que la figure d'un être simple et effacé, avec des défauts humains (mais aussi des qualités, nous le verrons) pour servir de fil conducteur, de passeur vers une histoire ? En cela, Tolkien maîtrise parfaitement son sujet.
Autre élément particulièrement réjouissant dans son roman, c'est la place du conteur dans le récit et l'humour omniprésent. Tolkien s'autorise (pour notre plus grande joie) de nombreux apartés, se moquant gentiment de ses personnages, mais aussi dévoilant en partie des péripéties qui auront lieu bien après, histoire de nous tenir en haleine. La façon dont Tolkien a construit son histoire et ses personnages révèle sa connaissance des contes, faisant du « Hobbit » une sorte de méta-conte, qui emprunte des sortes de passages obligés (la troupe d'amis aventuriers, la quête, le trésor, le dragon...) tout en créant sa propre mythologie.
Ce qui est très drôle par exemple, c'est le début, où les nains font irruption à l'improviste chez Bilbo. Car ce n'est pas un nain qui vient squatter, ni deux. C'est 13 nains qui arrivent les uns à la suite des autres, chacun avec son propre nom, qu'on aura d'ailleurs le plus grand mal à retenir. Bien entendu, Tolkien ne va pas s'attarder sur chacun des nains dans son récit, seulement sur certains. Mais cette idée de nombre presque incalculable de personnages est comme une boutade, presque une gentille caricature, tout en donnant naissance par ailleurs à une sorte de groupe homogène, comme une sorte de chœur antique qui agit comme un seul homme. Et le roman fourmille de trouvailles de ce genre.
Quant à la construction du récit, les péripéties vont s'enchainer une à une, avec quelques passages de pause, souvent des haltes chez des personnages amis. En gros, un chapitre = une séquence et un ensemble homogène de péripéties. Mais loin d'en faire quelque chose de linéaire, ce mode de narration va permettre à Tolkien de réaliser un récit initiatique, avec un danger toujours plus grand à surmonter, voyant ses personnages se transformer peu à peu au fil de leurs aventures. En cela, c'est peu dire que Bilbo va se révéler. D'être craintif et pleurnichard, il va devenir un véritable héros, LE véritable héros de ce récit. Et c'est tout à l'honneur de Tolkien, comme dans « Le Seigneur des Anneaux » d'ailleurs, de prouver que les êtres les plus humbles peuvent être les plus courageux.
Enfin, cette histoire ne serait pas ce qu'elle est sans l'imaginaire remarquable de Tolkien. Il n'a pas son pareil pour créer des personnages dotés d'une aura, pleins de mystère et souvent malicieux. A l'image, par exemple du célèbre Gandalf, toujours aussi fascinant, de Beorn et bien sûr du dragon Smaug. Mais il est aussi particulièrement doué pour créer des lieux merveilleux et des ambiances. Le plus bel exemple est pour moi le passage dans la forêt de Mirkwood, avec ces péripéties (dont je ne dirai rien) qui nourrissent particulièrement l'imagination. A ce titre, rien ne vaut un livre pour rêver les yeux ouverts.
Maintenant j'ai hâte d'une chose : voir comment Peter Jackson a mis en image ce récit. Je sais bien que je ne dois pas m'attendre à grand chose de réussi, déjà que réaliser 3 films pour un livre de cette taille démontre que c'est surtout l'appât du gain qui est aux commandes. Mais il y a certains passages, notamment celui de Mirkwood dont je parlais, qu'il me tarde de voir représentés à l'écran, même si fort heureusement je me suis déjà fait mentalement une image.
Dans tous les cas, je ne peux que vous recommander la lecture de ce merveilleux ouvrage, qui semble avoir été fait pour être lu au coin du feu avec un bon chocolat chaud, ou déclamé à une assemblée jeune ou moins jeune, avec un ton enjoué et mystérieux à la fois... Comme tout conte qui se respecte !
[4/4]