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samedi 11 août 2018

« La Captive aux yeux clairs » (The Big Sky) de Howard Hawks (1952)

    « La Captive aux yeux clairs » n'est pas le long métrage le plus connu ni le plus célébré d'Howard Hawks. Et pour cause, ce fut un échec commercial à sa sortie, Hawks n'en fut d'ailleurs jamais tout à fait satisfait. Pourtant je le préfère largement à « La Rivière Rouge » son premier western, quelque peu austère et brutal, alors que « la Captive aux yeux clairs » est un modèle d'harmonie et de douceur, percé ça et là d'éclairs de violence. Dans l'ensemble, on se laisse bercer par ce récit de trappeurs joyeux et hardis, au rythme des chansons chantées à pleins poumons, entourés par un nombreux inhabituel de Français (si si !) pour un film de ce genre et de cette époque.

Il règne dans ce long métrage une bonne humeur communicative. Les deux héros masculins, Jim Deakins (Kirk Douglas) et Boone Caudill (Dewey Martin) font connaissance en s'échangeant de vigoureux coup de poings... Et c'est ainsi que leur amitié commence ! Le temps de sortir de sa prison le vieil oncle de Boone, Zeb Calloway (Arthur Hunnicutt, truculent au possible), les deux héros se joignent à un groupe de trappeurs français, qui espèrent commercer avec les Pieds Noirs (ou Black Feet), tribu indienne dont ils détiennent une femme – la fameuse captive aux grands yeux tout à fait cinégéniques – afin de l'échanger contre des fourrures et autres avantages sonnants et trébuchants.

Mais au lieu de se focaliser sur l'intrigue, tortueuse au possible, Hawks s'attache à filmer les péripéties, les rebondissements, mais aussi les à-côté de ce voyage interminable. Il prend le temps de créer une véritable atmosphère, et on se croit plongé dans cette époque, comme dans un documentaire qui aurait traversé le temps. Tout semble plus vrai que nature. On est ravi d'échouer dans une auberge où le whisky coule à flots et où hommes et femmes chantent de leur plus belle voix, dans un français touchant. D'ailleurs, on s'amuse de ces Français râleurs et charmeurs, de leurs petites combines. Mais aussi de ce passage dans la prison, où Zeb Calloway semble s'y sentir comme chez lui. Et comment ne pas résister à ces passages où les trappeurs établissent leur campement, avec leurs viandes grillées et le whisky omniprésent...

Et quand vient le temps de l'action, le rythme change du tout au tout. Des fulgurances viennent traverser le récit, à l'image de ce bateau qui remonte lentement le cours du fleuve, très lentement... Jusqu'à ce que les Indiens viennent rompre la tranquillité du périple, et amener avec eux inquiétudes et menace. Une menace dont les trappeurs mettront du temps à se défaire, d'autant qu'en parallèle une compagnie de commerce de fourrures, ayant engagé de redoutables mercenaires, se jette toute entière à leurs trousses, avec la puissance et les moyens financiers d'une organisation particulièrement efficace...

Alternants de longs moments de calme, des scènes d'anthologie et des séquences plus animées, « La Captive aux yeux clairs » n'est pas un immense chef-d’œuvre. Pour autant, c'est à mon sens un grand et beau western, et même un grand et beau film tout court. A l'image de cette dernière séquence, qui vient donner une dimension supplémentaire, et même un supplément d'âme à ce long métrage décidément très attachant.

[4/4]

dimanche 27 mai 2018

« L'Homme qui tua Liberty Valance » (The Man Who Shot Liberty Valance) de John Ford (1962)

    « L'Homme qui tua Liberty Valance » est précédé par une glorieuse réputation. Au point qu'on le cite régulièrement comme l'un des tous meilleurs, sinon le meilleur film de John Ford. Hélas, ce genre de réputation est souvent à double tranchant : j'en ai fait l'amère expérience, et de ce que je lis ici et là, il me semble que je suis loin d'être le seul. Car j'ai eu le malheur de me jeter sur ce long métrage pour pouvoir découvrir « mon premier » John Ford. Sûr de taper dans le mille, il y a une dizaine d'années j'ai emprunté le DVD... mais quelle ne fut pas ma surprise, et surtout ma déception...

Car « L'Homme qui tua Liberty Valance » n'est pas un western classique à proprement parler. Terriblement déçu, j'ai donc laissé la filmographie de John Ford de côté pendant des années – à tort, mais aujourd'hui l'erreur est heureusement réparée, ce qui n'est pas le cas pour tout le monde hélas... En effet, il n'y a pas ici de grands espaces à l'horizon, et encore moins la présence majestueuse de la fameuse Monument Valley. Il n'y a pas non plus de chevauchées endiablées, ni d'attaques d'Indiens ou de charges de cavalerie Yankee ou Confédérée... Car ce long métrage est avant tout un méta-western. Un film qui pense, qui analyse, qui déconstruit pour reconstruire ce genre cinématographique. C'est à ma connaissance peut-être le seul. En tout cas, il reste inégalé, notamment grâce à ses différents niveaux de lecture, d'une grande richesse.

Tout d'abord, c'est le récit d'un trio de personnalités qui s'affrontent : James Stewart joue Ransom Stoddard, un jeune avocat courageux mais littéralement démuni dans l'Ouest violent ; John Wayne incarne Tom Doniphon, un cow-boy roublard et physique, généreux mais craint pour l'agilité de sa gâchette ; et Lee Marvin est Liberty Valance, bandit personnifiant le mal à lui seul : la méchanceté, la brutalité, la cruauté. Si Stoddard ne craint pas Valance, même après que celui-ci l'ait laissé pour mort après avoir attaqué sa diligence, seul Doniphon est réellement en mesure d'affronter ce dernier.

Mais Stoddard ne l'entend pas de cette oreille. Résolu à se venger de l'affront que Valance lui a infligé, mais aussi à défendre la population de son village contre les grands propriétaires terriens et leur homme de main : Liberty Valance, encore et toujours lui, Stoddard veut faire respecter la loi. Si Doniphon ne croit qu'en la vertu d'un revolver chargé pour se défendre, Stoddard estime que le droit vaincra, et qu'une nation civilisée sortira du Far West aux mœurs sauvages. Ainsi nos trois personnages principaux incarnent-ils trois idéaux-types : l'idéal civilisé, non violent, pacifié ; l'idéal de la virilité guerrière, se battant pour l'honneur et le bien, quitte à faire usage de la violence ; le mal et la violence déchaînée, toujours à l'affut pour prendre la place du bien et soumettre les faibles.

Qui plus est, l'intrigue repose également sur l'opposition entre Stoddard et Doniphon, tous deux épris de la belle Hallie, qui tantôt préfère la force de Doniphon/Wayne, quand sa rusticité ne l'exaspère pas, tantôt préfère la vive intelligence et le courage inconscient de Stoddard/Stewart, et même sa touchante faiblesse. « L'Homme qui tua Liberty Valance » n'est pas seulement un affrontement viril, c'est donc aussi un triangle amoureux tragique.

Mais on ne peut oublier enfin la grande dimension historique et sociologique de ce long métrage. A l'instar de « Princesse Mononoké » de Miyazaki (je sais, la comparaison peut sembler hardie), ce film est le récit du passage du mythe à la réalité plate et pragmatique, du passage d'un monde merveilleux à un monde désenchanté, épris de raison et privé de la magie de l'Ouest et de ses contrées ouvertes à l'aventure la plus pure. Deux éléments en sont la manifestation la plus évidente.

Premièrement, c'est la loi qui a le dernier mot. Le héros de l'histoire, voire de l'Histoire, c'est Ransom Stoddard, avocat devenu un célèbre sénateur, révéré voire déifié pour avoir tué Liberty Valance, ironie de l'histoire pour un pacifiste consciencieux comme lui. Et celui qui a tout perdu, honneur, femme, patrie, c'est Doniphon, le vieux cow-boy vigoureux, mort dans l'anonymat et le dénuement le plus total. Là encore, ironie de l'histoire quand on connaît la vérité. La loi a domestiqué la violence, peut-être a-t-elle aussi fait taire l'honneur et le courage. Comme dans « Mononoké », John Ford nous fait comprendre que le nouveau monde a perdu quelque chose de l'ancien, et quelque chose d'important, peut-être même son âme, même s'il n'est pas explicite et reste mesuré, donc subtil. 

Deuxièmement, et pour parachever le tout, le dernier plan vient illustrer à merveille ce basculement vers une nouvelle ère : un train s'échappe dans le paysage, dans une courbe gracieuse, s'élançant dans des terres là aussi domestiquées. Ça y est, le citoyen Américain est en territoire conquis, il ne s'aventure plus dans l'inconnu, les États-Unis sont finis, au sens limités et connus, il n'y a plus grand chose à découvrir, et les grandes étendues d'hier ressemblent plus à un jardin anglais qu'au terrible Far West de la légende... Et l'instrument de cette victoire est le train, le rail, la technologie en somme.

« L'Homme qui tua Liberty Valance » est donc un film très riche, profond, mais également parfois très drôle. Car pour finir je ne peux pas ne pas évoquer un des sommets drôlatiques de ce long métrage : le monologue quasi shakespearien de Peabody quand il est totalement ivre, dans son bureau, qui vaut presque à lui seul le visionnage de ce film. Et j'oubliais la scène du steak, proprement dantesque et elle aussi mythique – et tant d'autres passages bien sûr !

Bref, je vous conseille de regarder d'abord une bonne dizaine de films de Ford, notamment ses westerns admirés à raison (« La Chevauchée Fantastique », « La Prisonnière du Désert », « La Poursuite Infernale », « Rio Grande »...) ou ses grands films plus contemporains (« L'Homme Tranquille » ou « Qu'elle était verte ma vallée »), et je vous assure qu'après vous apprécierez d'autant plus « L'Homme qui tua Liberty Valance », merveilleux long métrage et véritable testament spirituel et artistique de John Ford.

[4/4]

dimanche 13 novembre 2016

« Little Big Man » d'Arthur Penn (1970)

    « Little Big Man » est un film singulier : flamboyante épopée à l’humour ravageur, au premier abord il s'agit d'une vaste fresque sans queue ni tête, mais en fait c'est une puissante dénonciation de la barbarie humaine, baignant dans l’esprit subversif et contestataire des années 60-70 durant lesquelles le long métrage a été réalisé. Ce film suit la vie d’un jeune yankee recueilli par des Indiens à la suite du massacre de sa famille par ces derniers. Mais dès le début, une précision de taille nous est donnée : la tribu qui a recueilli le jeune Jack Crabb n’est pas la même que celle qui a tué ses parents. Les Indiens ne sont donc plus perçus comme un bloc monolithique : des distinctions sont faites entre les courageux, braves et justes Cheyennes (qui s’appellent entre eux Human Being – les Êtres Humains) et les lâches et violents Pawnee. Pour l’une des toutes premières fois à Hollywood, le point de vue de la narration et de l’histoire est bien plus du côté des Indiens que des conquérants blancs. Arthur Penn porte qui plus est un regard plein de dérision et d’ironie sur ces fameux blancs, soi disant civilisés, mais quelque peu hypocrites, comme ce pasteur malfaisant qui recueille Jack après que les Indiens aient subi une défaite. Et la femme nymphomane de cet odieux pasteur n’est pas en reste… Bref tout le monde en prend pour son grade. Et au milieu de tout ça, impuissant, Jack Crabb assiste en témoin de premier plan aux évènements qui voient s’affronter Indiens et cavalerie yankee. Tantôt ce sont les uns qui gagnent, tantôt ce sont les autres. Difficile de trouver un juste milieu : Jack ne sera jamais tout à fait accepté par chacun des deux camps et aura toujours du mal à se positionner, à savoir qui il est vraiment. Toutefois la figure tutélaire de son « grand-père » d’adoption indien, fascinante, l’aidera à se construire : sage, innocent, naïf et pourtant plein de bon sens, lui aussi traverse les évènements sans y pouvoir grand chose. Et à chaque fois, il garde les bras grands ouverts pour accueillir Jack, avec ces paroles pleines d’amour et de bonté pour celui qu’il considère comme issu de son propre sang. Face à l’absurdité de l’Histoire et de ces évènements funestes, il garde la foi jusqu’au bout et est comme une boussole pour notre jeune héros. Il est vraiment l’âme de ce récit, au cœur de toute la complexité de ce qui est évoqué, ces rapports d’amour-haine entre Occidentaux et Indiens. Passionnant de bout en bout, scénaristiquement riche et magistralement interprété, notamment par un Dustin Hoffman au sommet, « Little Big Man» est plus qu’un excellent western original et réussi, c’est un grand film tout court, notamment sur l’histoire mouvementée des Etats-Unis d’Amérique. Un film indispensable en somme.

[4/4]

dimanche 10 juillet 2016

« Rio Bravo » de Howard Hawks (1959)

    « Rio Bravo » est un classique indéniable. De ceux qui vous font vous sentir chez vous dès les premières secondes. Le scénario est limpide comme de l'eau pure, les acteurs semblent plus vrais que nature, malgré la patine du Technicolor et un jeu millimétré, et la caméra sait se faire discrète, tout en rendant chaque plan évident. Tout cela permet de nous servir l'intrigue sur un plateau d'argent : un duel à mort entre un shérif consciencieux et une fratrie de riches personnages véreux. Chaque grande séquence est d'anthologie. Tout commence dans un bar : un homme dont on ne sait rien se fait humilier. Quelqu'un vient à son secours, hélas pour lui, car il se trouve dans le bar de son ennemi juré. Tout est dit en quelques regards, quelques gestes : une attitude arrogante, et l'on sait que l'on a affaire au pourri de l'histoire. Une attitude franche et courageuse, on sait qu'on a affaire au héros de l'histoire. Une attitude hésitante, meurtrie, mais là on ne sait pas encore qu'on a affaire à l'un des personnages principaux, déchiré, tiraillé entre un passé douloureux et un présent de rédemption. Hawks nous offre ainsi toute une galerie de personnages, aux personnalités plus ou moins tranchées, des plus fourbes aux plus héroïques. Si certains sont stéréotypiques, mais dans le bon sens du terme, comme dans un mythe (de l'Ouest), certains sont génialement complexes, à l'image du pistolero joué par Dean Martin, donc, ou de la jeune femme mystérieuse, récemment arrivée dans la ville. « Rio Bravo » est une sorte de western métaphysique, contemplatif, lent, qui privilégie la psychologie de personnages richement écrits à l'action, qui se fait rare et sèche, brève, incisive. « Rio Bravo » est une aventure humaine, une histoire d'amour et de camaraderie, une histoire de dépassement de soi dans l'épreuve, de pardon et de rachat. Une aventure tellement riche qu'un seul ou même plusieurs visionnages ne suffisent certainement pas à épuiser tout ce que contient ce film. Dans ces conditions, comment ne pas y voir un chef-d’œuvre ?

[4/4]

jeudi 5 mai 2016

« Le train sifflera trois fois » (High Noon) de Fred Zinnemann (1952)

    « High Noon » est un western crépusculaire, serti dans un noir et blanc tout aussi ténébreux. Tout entier dirigé vers un affrontement final qu'on sait irrépressible, il parvient à nous tenir en haleine toute la durée du long métrage, dans une tension sourde et terrible. Le pitch est simple : le shérif vieillissant Will Kane (magistral Gary Cooper) part à la retraite le jour de son mariage, mais au moment où il quitte sa ville, il apprend que son ennemi juré, un bandit qu'il a jeté en prison, revient en ville, libéré par des juges complaisants, et ce pour se venger. Kane rebrousse chemin, et décide de faire face au terrible Frank Miller, qui est censé revenir par le train de midi. Kane s'efforce alors de monter une équipe de pistoleros pour faire face à Miller et ses sbires. Mais c'est là que le film prend toute sa dimension tragique : Kane a toutes les peines du monde à recruter des hommes prêts à se battre à ses côtés, pour lui en somme. C'est là également que le titre originel, « High Noon », prend tout son sens : plein midi, mais aussi et surtout... l'heure de vérité. Kane devra-t-il affronter seul Miller et ses trois acolytes ? Un à un Kane essaie de convaincre les habitants de la ville, mais il essuie refus sur refus, le renoncement des habitants qui lui doivent tant ressemble alors à un coup de poignard dans le dos, et nous assistons impuissants à la descente aux enfers de Will Kane, non sans rappeler un autre très grand rôle de Gary Cooper : « L'Extravagant Mr. Deeds », signé Capra. A vrai dire j'ai été étonné par la qualité et la force de ce film. Cooper porte le long métrage sur ses épaules avec un aplomb extraordinaire, et le pitch minimaliste sert de prétexte à dépeindre la nature humaine avec un tel brio qu'on ne voit pas le temps passer. Je craignais que le long métrage se limite à cet affrontement final, dans une linéarité rachitique, mais la richesse des personnages et de la mise en scène m'ont détrompé. A la fois génial film de genre et film universel, « High Noon » vaut largement le coup d’œil !

[4/4]

samedi 2 avril 2016

« Le Convoi des braves » (Wagon Master) de John Ford (1950)

    « Le Convoi des braves » (encore une traduction française pompeuse d'un titre original bien plus subtil pour un film de Ford) est très représentatif de l'art du cinéaste américain. A vrai dire, tout semble harmonieux et couler de source, à tel point que c'est peut-être l'un de ses films les plus réjouissants, l'air de rien. J'y repense encore plusieurs semaines après l'avoir vu. A première vue pourtant, le sujet n'est pas spécialement extraordinaire. Tout d'abord il met en scène des Mormons austères, partis en quête de la Terre promise. De plus, la majeure partie du film consiste à suivre leur exode, cette longue caravane de chariots, dans une nature hostile. Enfin, il n'y a pas à proprement parler de héros dans ce long métrage, plutôt une mosaïque de personnages, tous traités avec la même attention. Maintenant, examinons ces aspects plus en profondeur. Certes oui, c'est simplement « une histoire de Mormons ». Mais on s'en doute, dépeints par Ford, ils sont plus attachants à mesure que se déploie l'intrigue : untel jure comme un charretier, la grand-mère s'en donne à cœur joie quand elle joue de la trompe dès qu'il s'agit de remettre en marche la troupe, certains sont jaloux... Et qui plus est, d'autres personnages viennent pimenter le récit, dont une troupe de saltimbanques accueillis fraichement par nos Mormons puritains, qui les voient rejoindre leur périple d'un mauvais œil. Un aspect qui rappelle la prostituée de « La Chevauchée fantastique », elle aussi pointée du doigt par de vieilles dames inhospitalières... et inhumaines, malgré la foi qu'elles professaient. Parmi ces personnages additionnels (et non des moindres) signalons le fameux « wagon master » du titre américain, l'homme qui sert de guide à tous ces Mormons, après une scène de marchandage d'anthologie : un certain Travis Blue, excellemment interprété par Ben Johnson. Il joue en effet un jeune aventurier pas né de la dernière pluie, qui bien qu'aux manières rustiques et à première vue limité, connaît l'Ouest comme sa poche et ne manque pas de ressources face à l'imprévu. Il est accompagné d'un jeune « benêt » fort sympathique, incarné par un excellent - lui aussi - Harry Carey Jr. Comme toujours, Ford s'intéresse au choc des extrêmes, à la rencontre entre des personnalités opposées, matérialisées par ce trio : les Mormons, les deux aventuriers et les saltimbanques, chacun avec leur sens de l'honneur, leurs codes, leurs qualités et leurs défauts. Ainsi, le temps que passent ces personnages ensemble les humanise, ils apprennent à s'apprivoiser, et ressortent grandis de leurs péripéties. De tout cela ressort une galerie de personnages savoureuse, et l'on passe un fort agréable moment en leur compagnie. Sans oublier la colonne vertébrale de ce long métrage : la foi en un avenir meilleur, ce courage, cet allant qui pousse des familles, tant bien que mal, à traverser les États-Unis pour établir leur chez-soi à bien des kilomètres de leur foyer d'origine. Cet esprit de pionnier, Ford le retranscrit comme personne, et s'il le nuancera par la suite dans d'autres de ses films, c'est ici qu'il est peut-être le plus brillamment illustré. En bref, un film d'apparence modeste, qui figure à mon sens dans les grandes réussites de John Ford, ce qui n'est pas peu dire.

[4/4]

dimanche 7 septembre 2014

« La Poursuite infernale » (My Darling Clementine) de John Ford (1946)

    « La Poursuite infernale » n'est pas seulement un excellent John Ford. C'est avant tout un grand moment de cinéma, faisant la part belle aux morceaux de bravoure. C'est l'histoire d'un cow-boy se faisant shérif pour venger la mort de son frère et le vol de son bétail : le célèbre Wyatt Earp. Mais l'histoire ne s'arrête pas là : ce film regorge de seconds rôles extraordinaires, en commençant par le mystérieux Doc Holliday, homme tourmenté mi-gentleman mi-brute épaisse, en passant par l'aguicheuse Chihuahua et celle qui donne son nom au titre original du long métrage : la belle Clémentine, courageuse fiancée de Doc Holliday. Un foisonnement de seconds rôles (caractéristique du cinéma de Ford) des plus réjouissants. Certes, oui, comme l'indique Télérama, « La Poursuite infernale » est un western crépusculaire. C'est l'histoire d'un meurtre presque biblique, d'une quête sans fin, de la foi dans une justice qui vient réparer l'affront et punir le malfaiteur, mais qui reste humaine (Earp ne veut pas tuer l'assassin mais le mettre derrière les verrous pour le juger). C'est la confrontation entre la loi et l'ordre de la civilisation face à la barbarie de l'Ouest. Toutefois, John Ford ne donne pas à son film une orientation uni-dimensionnelle. Comme le titre original le laisse supposer, « My Darling Clementine » est aussi une histoire d'amour, et un instantané de la vie quotidienne dans l'Ouest américain, qu'il soit question de se faire raser chez le barbier (avec beaucoup d'humour) ou d'inaugurer une église, le temps d'une danse endiablée. Comme d'habitude chez Ford, on ne compte plus les séquences inoubliables, et ces moments de tension filmés avec trois fois rien, mais d'une force tellurique : la séquence du jeu de poker, du verre de champagne, de la tirade shakespearienne de l'acteur de théâtre, etc. etc. Et comme toujours, l'interprétation est parfaite. Henry Fonda est magistral en Wyatt Earp, tout comme Victor Mature en Doc Holiday. Mais tous les autres acteurs, du moindre frère Earp au violoniste à moustache, en passant par le barman, sont géniaux. « La Poursuite infernale », s'il n'est pas l'un des tous meilleurs Ford (encore que), n'en reste donc pas moins un grand film, réalisé de main de maître (et le mot n'est pas galvaudé).

[4/4]

mardi 25 février 2014

« La Chevauchée fantastique » (Stagecoach) de John Ford (1939)

    John Ford est un géant du septième art. De ceux qui ont non seulement un style inimitable, mais aussi de quoi dire, et surtout de belles choses à dire. C'est, en somme, un artiste complet. « La Chevauchée fantastique » est un grand film par sa perfection formelle : cadrages magnifiques (que l'on parle de gros plans sur des visages ou de plans larges sur les paysages de Monument Valley), rythme (et montage) tantôt trépidant, tantôt calme et serein, bref maîtrisé à la perfection, merveilleux usage du son et de la musique, et bien sûr, mise en scène impressionnante de grandeur et d'évidence (cette rencontre, le soir, entre Dallas et Ringo, tous les passages dans et au dehors de la diligence, ou encore cette scène inoubliable à la fin du long métrage, qui clôt l'intrigue avec force mais retenue – scène que l'on ne risquerait pas de trouver dans un film actuel, surtout dit d'« action »). Oui, esthétiquement parlant, « La Chevauchée fantastique » est génial. Mais plus encore, ce qui est incroyable chez John Ford, c'est la richesse de ses scénarios et de ses personnages. Chacun d'entre eux est profondément fouillé, même s'il est assez archétypique (le bandit, le shérif, le banquier, le joueur, la prostituée, le médecin alcoolique,...), et surtout, brillamment (et le mot est faible) interprété ! Tous, je dis bien tous les acteurs sont ici excellents, des premiers aux seconds rôles. Mais ce qui frappe le plus, c'est la compassion qu'a Ford pour ses personnages, voire l'amour qu'il leur porte. Malgré leur passé trouble ou leurs défauts, les personnages de « La Chevauchée fantastique » ont toujours un bon fond (exceptés peut-être ce banquier égoïste ou ces dames de la bonne société un peu (beaucoup) trop hautaines pour sembler vraiment humaines...). On comprend rapidement qu'outre la joliesse picturale, ce qui intéresse John Ford c'est la mise en situation de ses personnages face aux aléas de la vie et aux exigences morales qui leur incombent. Notons aussi que Ford est tout aussi à l'aise dans le registre épique que dans le registre intimiste et l'intériorité de ses personnages. Si les scènes de batailles sont exceptionnelles, que dire de ces jeux de regards qui disent tout des relations entre les protagonistes ! Et le résultat est plus que réussi : on passe un fort agréable moment en la compagnie de ces femmes et de ces hommes réfugiés dans leur diligence brinquebalante. Un grand classique, qui réserve un moment de cinéma particulièrement rare et appréciable.

[4/4]

mardi 28 juin 2011

« La Prisonnière du désert » (The searchers) de John Ford (1956)

    Le western n'est pas vraiment ma tasse de thé, mais je concède volontiers que John Ford et ses célèbres « Searchers » ont fière allure! Il s'agit là d'un film épique digne de ce nom, d'une passionnante quête aussi bien spirituelle qu'initiatique, maquillée en divertissement de haute volée. Je ne peux que louer la qualité de l'écriture du long métrage, tant la galerie de personnages et le scénario réservent de nombreux moments de surprise! Les différents protagonistes sont en effet fouillés psychologiquement, et l'intrigue abonde en digressions et autres rebondissements des plus appréciables! De plus la mise en scène est de qualité, même si avec le temps elle a un peu perdu de son éclat en raison de son classicisme. Mais le fait est qu'elle sert le film, et que ce dernier demeure d'une harmonie bienvenue, Ford a donc réussi son coup si j'ose dire. Les interprètes sont bons, voire très bons, même si l'on pourra regretter de temps à autres des expressions empruntées. Il est vrai que le film fait parfois « fabriqué », on sent une mécanique bien huilée à l’œuvre, aussi bien dans les gags parfois maladroits et superflus (bien qu'ils soient souvent fort réjouissants!) que dans les scènes de dialogue et autres disputes. Eh oui, nous sommes bien à Hollywood, nul doute! Toutefois s'arrêter là serait faire preuve de mauvaise foi, car ce ne sont là que des défauts insignifiants au regard de la subtilité (si si!) du propos : « La Prisonnière du désert » est justement une œuvre qui intime de dépasser le premier abord et les faux semblants. Certes il s'agit d'un cinéma peut-être trop « romanesque » dans son écriture et sa dramaturgie, mais c'est aussi et avant tout un puissant récit, et il faut bien le dire un excellent film. S'il ne fallait voir qu'un seul western, ce serait donc peut-être bien celui-là (préférable aux Leone, plus clinquants au niveau de la mise en scène mais ô combien moins justes et profonds).

[4/4]