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dimanche 16 juin 2019

« Parasite » (Gisaengchung) de Bong Joon-Ho (2019)

    Auréolé de la Palme d'Or et du concert de louanges qui l'a accompagné, « Parasite » est vendu comme le meilleur film de Bong Joon-Ho depuis « Memories of Murder ». C'est dire si mes attentes étaient élevées. Sur ce point, au moins, je n'ai pas été déçu. Oui, « Parasite » voit le cinéaste coréen revenir au plus haut niveau, qu'il n'avait pas atteint depuis son mémorable deuxième long métrage, en dépit du succès critique et populaire dont il a bénéficié pour ses derniers films.

« Parasite » est un film très maîtrisé sur la forme : excellente réalisation, à la fois sobre et s'autorisant des passages du plus bel effet, magnifique photographie, montage nerveux tout en ménageant des moments de répit... Et bien sûr, ce qui fait la force du cinéma coréen : un scénario malin, à tiroirs, offrant de nombreuses péripéties inattendues et de continuelles ruptures de rythme et de style, entre comédie voire farce grotesque, drame social, thriller ou film d'horreur...

Toutefois, ce long métrage ne serait pas aussi réussi sans sa magistrale distribution et ses interprètes crédibles à 200%. Avec bien sûr en tête le toujours excellent Song Kang-ho, inoubliable anti-héros de « Memories of Murder », et tous les membres des deux familles qui s'opposent, ainsi que les personnages plus secondaires.

Pour tout dire, voir ce film au cinéma fut pour moi un grand moment de plaisir, les longs métrages de cette qualité étant bien rares de nos jours. Tant de maîtrise, ces acteurs bourrés de talent, ces plans parfois magnifiques, à l'image de ce travelling aérien sur le déluge, tout cela réveille ma foi envers le cinéma coréen et asiatique, voire envers le cinéma tout cours, un cinéma qui ose, qui défriche, qui surprend, à l'exact opposé du cinéma français perdu dans sa médiocrité, qui semble hélas durable, et d'un cinéma américain toujours plus formaté et sans âme.

Pourtant, il manque quelque chose à ce film. Tout d'abord la cohérence et le jusqu'au-boutisme de « Memories of Murder ». « Parasite » est moins prenant et surtout moins touchant. De plus, la lutte des classes illustrée ici manque de finesse et Bong Joon-Ho s'arrête au milieu du gué : l'analyse reste à la surface, comme une sorte de prétexte à des évènements et des rebondissements parfois gratuits dans le sordide. « Parasite », comme nombre de films coréens, ressemble a un jouet rutilant, de type montagnes russes, où la forme prend dangereusement le pas sur le fond.

La première partie du long métrage est bien construite, mais la seconde se perd dans ses péripéties et la satire sociale prend l'eau, à l'image de cette pluie torrentielle. Surtout, c'est peu dire que la symbolique est lourde, très lourde, comme assénée avec une massue. Difficile donc de se satisfaire de ce film à message pas très finaud. Et puis l'épilogue vient donner le coup de grâce : regrets, larmes, ton moralisateur, invraisemblances scénaristiques... Bref, une fin ratée.

Si « Parasite » est un régal – ne boudons pas notre plaisir – le festin manque un peu de saveur et de finesse. Le film reste un peu sur l'estomac, et l'on se prend à rêver de ce qu'aurait pu être un long métrage de cette trempe totalement réussi. Le cinéma coréen a encore de beaux jours devant lui, mais attention à ne pas se perdre dans l'auto-caricature et à savoir se renouveler. Car 15 ans après le chef-d’œuvre qu'est « Memories of Murder », on dirait qu'on en est toujours au même point. Bong Joon-Ho avait placé la barre très haut, ce qui fait que lui comme ses confrères ont le plus grand mal à la dépasser, voire même à l'atteindre de nouveau.

En tout cas, le cinéaste coréen a piqué ma curiosité, je ne pensais pas pouvoir en dire autant d'un de ses films. J'attends donc avec impatience son prochain long métrage !

[3/4]

samedi 4 août 2018

« Memories of Murder » (Salinui chueok) de Bong Joon-ho (2003)

    J'ai vu pour la première fois « Memories of Murder » il y a presque 10 ans. Et à l'époque ce fut un choc. Je l'ai revu il y a peu, et si je craignais que le long métrage se soit émoussé, il n'a en réalité rien perdu de sa force. Film étendard du cinéma coréen, c'est avec ce long métrage que bien des personnes ont commencé à s'intéresser au cinéma du Pays du Matin Calme, un peu comme « Rashômon » en son temps pour le cinéma japonais. Et pour cause, « Memories of Murder » contient tous les ingrédients qui font la spécificité du cinéma coréen : hyperréaliste, violent, drôle, et surtout totalement imprévisible, avec des ruptures de ton incessantes qui retournent complètement le spectateur.

En effet, « Memories of Murder » est le récit tragicomique d'une enquête policière qui vire à la débandade totale. Bonh Joon-ho nous raconte l'histoire du premier tueur en série sud-coréen dans les années 80. Et c'est peu dire que la police de l'époque était loin de posséder les moyens de mener une enquête efficace et l'organisation appropriée. Scènes de crimes malencontreusement saccagées par les badauds du coin, suspects considérés comme coupables sans raison valable et aussitôt maltraités, interrogatoires qui virent à la torture, faux témoignages, chamanisme... Tout est bon pour retrouver le meurtrier, mais son adresse dépasse de loin les compétences de la police locale, et même de l'inspecteur venu de Séoul exprès pour tenter de résoudre cette enquête.

Fait inattendu à l'époque où est sorti ce film, on assiste alors à l'impuissance de nos (anti-)héros... Ils cherchent, trouvent des indices, semblent avancer... Mais quand ils approchent du but, le tueur leur échappe. On souffre avec les personnages principaux de tourner en rond, d'avancer d'un pas pour en reculer de trois, et on comprend que leur exaspération finisse par tourner à l'aigre.

« Memories of Murder » est ainsi un thriller en tension constante, qui refuse les effets de manche qu'on voit venir longtemps à l'avance pour proposer de nombreux micro-retournements de situation. On est comme aux montagnes russes, on alterne moments de franche rigolade, et moments d'inquiétude voire d'effroi. Les évènements s'enchainent et on est pris par le tourbillon de cette enquête improbable et proprement incroyable, hallucinante et hallucinée. Impossible de rester impassible sur son siège en somme...

« Memories of Murder » c'est donc un scénario en or massif et une réalisation efficace, à la fois sobre et surprenante. Mais c'est aussi et surtout un formidable numéro d'acteurs. Il faut citer en premier Song Kang-ho, véritable histrion imprévisible qui porte presque le film à lui seul. Mais Kim Sang-kyeong n'est pas en reste et vient contrebalancer par son sérieux la folie douce de son coéquipier. Et puis toute la galerie des personnages secondaires est tout aussi digne d'éloges, des policiers véreux aux suspects un peu trop louches pour sembler innocents.

Pour finir, il faut aussi citer les quelques plans de poésie pure, magnifiques (notamment des champs et de la nature environnante), qui émaillent le film, pour apporter une respiration bienvenue au long métrage et contrebalancer sa noirceur. Et puis cette musique, à tomber, notamment celle du générique de fin. D'autant plus poignante après que l'on ait assisté à tant d'épreuves...

En résumé, si ce film n'est pas à mettre entre toutes les mains car il est dur et quelque peu sordide, il possède d'indéniables qualités : un rythme trépidant, un scénario riche et imprévisible, des acteurs bigger than life, une réalisation qui sert le propos, bref il promet un grand moment de cinéma. C'est d'ailleurs un long métrage qui a occasionné de nombreux suiveurs en Corée ou ailleurs... Et même Bong Joon-ho n'est pas arrivé à réaliser un film aussi bon par la suite. En bref, un film déjà culte.

[4/4]