mercredi 17 août 2022

« Edmond » d'Alexis Michalik (2016)


 

    J'ai passé un bon moment en allant voir la pièce, même si elle me laisse un peu partagé. C'est ce qui m'a poussé à écrire cette critique, pour mettre des mots sur mon ressenti. Étant un fan absolu du film de Rappeneau avec Depardieu dans le rôle-titre (je n'ai pas encore vu la pièce originale au théâtre), et pour tout dire, Cyrano étant un héros tellement attachant, forcément, « Edmond » ne m'a pas laissé indifférent.

 

Je connaissais déjà Michalik pour avoir vu sur scène « Le Porteur d'histoire », qui m'avait moyennement convaincu, malgré d'indéniables qualités... Je me suis donc retrouvé en terrain connu avec « Edmond ». Clairement, Michalik a un vrai sens de la mise en scène, rythmée et ingénieuse, avec une grande économie de moyens bien utilisée, qui fait marcher l'imagination à plein régime, aidée par de belles trouvailles visuelles.

 

C'est plus dans l'écriture des personnages et des dialogues qu'il pèche. Car le comble c'est qu'on tombe souvent dans du boulevard, avec un humour gras, pas loin d'être lourd, qui revient de façon un peu trop récurrente et qui dénote avec les extraits de la pièce d'origine (eux toujours aussi renversants).

 

Et puis franchement, Michalik pompe quasiment toute sa pièce sur celle de Rostand, nous faisant le coup de la mise en abyme (c'est un petit malin). Car la narration, et plus largement l'écriture globale de la pièce est elle aussi un peu trop linéaire et prévisible, manquant singulièrement d'inventivité et d'audace, et puisant allègrement dans ce qui fait l'attrait de la pièce d'origine (cette histoire d'amour contrarié et cette célébration du verbe). Pour qui connaît plusieurs pièces de Michalik, on perçoit vite qu'il a ses trucs, des ficelles un peu grosses qu'il tire facilement pour faire vibrer telle ou telle corde chez le spectateur. Après tout pourquoi pas, comme Cyrano, son art ne manque pas de panache.

 

Mais voilà, le récit de la création de la fameuse (et sublime) pièce d'Edmond Rostand, ça vaut son pesant de cacahuètes. On ne s'ennuie pas une seconde, et le personnage d'Edmond est à la fois intéressant, touchant et inspirant. C'est un créateur qui doute, qui rame pour trouver l'inspiration, et pourtant qui a un bel et grand idéal, qui s'épanouira pleinement dans « Cyrano ».

 

Et puis les comédiens sont tous excellents, avec une mention particulière pour ceux qui incarnent Edmond et Coquelin, l'acteur qui créa le rôle de Cyrano. Leurs rôles sont bien écrits, on sent que Michalik s'est concentré sur ces deux personnages, leur servant une partition ample et généreuse, à l'image de la pièce, et bien sûr - et avant tout - de celle de Rostand.

 

On sent l'amour qu'a Michalik pour le théâtre, on sent aussi qu'il connaît son métier, et il nous le partage bien volontiers avec cette pièce. On sent également sa grande admiration pour Edmond Rostand, et on peut dire qu'il a eu au moins le mérite de remettre « Cyrano de Bergerac » sur le devant de la scène. Cette pièce qui risque bien de devenir immortelle, et à laquelle il est si bon de toujours revenir…

 

[2/4]


« Decision to Leave » (Heeojil gyeolsim) de Park Chan-wook (2022)


 

    Les planètes sont alignées avec ce long métrage, et j'en suis le premier ravi. Ce n'est pas tous les jours que j'apprécie un film de Park Chan-wook, et encore moins que je l'apprécie vraiment. Pourtant, et je le concède volontiers, « Decision to Leave » me semble une vraie réussite.

 

Tout d'abord, la mise en scène, primée avec raison à Cannes, est d'une précision et d'une inventivité remarquables. Clairement, les cinéastes contemporains capable de réaliser des longs métrages aussi bien filmés se comptent sur les doigts des deux mains, voire d'une seule. Park Chan-wook s'est de plus très nettement amélioré sur deux points : premièrement, sa mise en scène est beaucoup plus sobre qu'à l'accoutumée, mais non moins puissante. Sa force évocatrice est considérable, et il dit ou montre beaucoup avec peu. Et puis il échappe à un côté ampoulé, artificiel et étouffant, typique des mises en scène trop maîtrisées. Oui, rien n'est laissé au hasard, mais par plein d'aspects, notamment l'humour, « Decision to Leave » est un film qui respire et qui vit. Sans compter que beaucoup de plans sont d'une beauté à tomber par terre.

 

Mais aussi - et surtout - ce film est réussi car ses acteurs sont extrêmement talentueux. En premier lieu, bien sûr, le couple principal, joué par le Coréen Park Hae-il et la Chinoise Tang Wei, qui incarnent deux personnages complexes. Mais aussi les acteurs secondaires. Comme bien souvent chez les comédiens asiatiques, nous avons affaire à des interprètes hyper investis et crédibles à 200%, capables de jouer et transmettre les émotions les plus subtiles.

 

Pour finir, enfin, ce film se démarque par son scénario sophistiqué et ambitieux, qui rend un bel et clair hommage à Hitchcock, tout en créant son propre univers (visuel). L'histoire est indissociable de la mise en scène, car les deux sont entremêlées et s'enrichissent mutuellement. Park Chan-wook nous fait constamment douter : est-on dans la réalité ou le fantasme ? Le héros n'est-il pas en train de rêver, de se tromper ? Ou au contraire, est-il clairvoyant ? A quel jeu joue l'héroïne ? Qui est-elle vraiment ? Le film semble apporter des réponses, mais qui sont régulièrement contredites, et il s'achève sans que l'ont sache réellement ce qui s'est passé et qui sont vraiment, au fond, les personnages que l'on a côtoyés.

 

Le long métrage ressemble à un thriller psychologique, avec au centre une histoire d'amour vénéneuse. C'est aussi un film policier, et bien sûr un film typiquement coréen, avec de multiples ruptures de ton et la combinaison d'une multiplicité de genres cinématographiques. Mais le vrai plus que j'ai particulièrement apprécié, c'est la grande classe de l'ensemble (et du héros principal), avec en plus un certain lyrisme, dans la deuxième partie du film, qu'on retrouve rarement chez ce cinéaste il me semble (il faut peut-être remonter à « Joint Security Area » pour cela).

 

Toutes ces qualités font de « Decision to Leave » un des meilleurs films de Park Chan-wook et un des meilleurs longs métrages récemment sortis. Également l'un des films les plus accessibles du réalisateur coréen, beaucoup moins violent que d'habitude, sans être fade ou convenu pour autant. Bref, une belle réussite, qui replace le cinéma coréen au centre du jeu, 3 ans après « Parasite » qui avait mis tout le monde (ou presque) d'accord.

 

[3/4]