samedi 21 mars 2015

« Tokyo Fiancée » de Stefan Liberski (2014)

    Je ne connais Amélie Nothomb que de nom et de réputation, et je serai donc bien en peine d'évaluer la fidélité de ce long métrage à l’œuvre d'origine (si tant est que ce soit une question pertinente). A première vue, il semble que le réalisateur ait tenu à s'en démarquer quelque peu, ne serait-ce que par le choix de son héroïne, qui ne ressemble pas beaucoup à l'auteure belge malgré quelques traits en commun. Ce choix me semble bienvenu tant Pauline Etienne joue à merveille l'ingénue et la fan du Japon, tout en donnant vie à son personnage avec entrain. La réalisation fait très fabriquée au premier abord, voire artificielle (interludes avec ralentis, voix-off, cadrages méticuleux), mais c'est tellement bien amené que ça en devient évident et plaisant. Pour tout dire, il y a beaucoup d'humour dans ce film, et c'est ce qui fait sa force première. C'est un condensé de fraicheur, malgré ses thématiques un peu mélancoliques : comment s'adapter à un pays si riche de coutumes et de traditions que le Japon quand on vient de l'autre côté du monde, voilà la question centrale de « Tokyo fiancée ». Beaucoup de séquences sont très drôles et assez anthologiques, jouant de ce ton aigre-doux particulier qui baigne tout le long métrage. En bref, acteurs, réalisateur, directeur de la photographie, compositeur, tous tiennent leur rôle avec talent et réussissent à faire de ce film un joli instantané mi-joyeux, mi-nostalgique des relations fascinées (et assez fantasmées) qu'entretiennent le Japon et la France. Une bonne surprise !

[3/4]

« Le Très-Bas » de Christian Bobin (1992)

    Cet ouvrage est probablement l'un des, sinon le chef-d’œuvre de Christian Bobin. A vrai dire, tout comme « Andrei Roublev » est un film à la fois historique, hagiographique et autobiographique pour Andreï Tarkovski, ce dernier mettant en scène un moine-peintre d'icônes dont la destinée et les préoccupations rejoignent les siennes, « Le Très-Bas » raconte l'histoire de François d'Assise, ce moine-poète au service des pauvres et amoureux de la nature, et l'on comprend aisément que c'est Bobin qui se dépeint à travers les traits du fondateur de l'un des principaux ordres mendiants. Condensé de poésie et de subtilité, ce livre renferme une vision enchanteresse du monde, une vision exaltée de la nature dans sa simplicité et sa beauté pure. Mais Bobin ne chante pas seulement les merveilles des bois et des bêtes, il chante avant tout et surtout l'amour d'une mère pour son fils, ou l'amitié féconde de deux êtres épris des autres : Claire et François. Ce qui fait toute la richesse de cet ouvrage, c'est non seulement l'emploi d'une langue magnifiée, finement ciselée, poétique et signifiante à souhait, mais aussi la réflexion sur l'essence de la vie que nous livre Christian Bobin. Nous ne sommes certainement pas tous destinés à vivre dans le dénuement le plus total. Mais Bobin fait bien de nous rappeler que toute vie n'est pleinement vécue que dans le don de soi. Un livre qui est appelé à devenir un classique de la langue française, sans aucun doute.

[4/4]

dimanche 1 mars 2015

« Le Château dans le ciel » (Tenkū no shiro Rapyuta) d'Hayao Miyazaki (1986)

    Après avoir vu tous les longs métrages d'Hayao Miyazaki, dont certains au moins deux fois, j'en arrive à la conclusion suivante. Deux films surnagent parmi cette douzaine d'authentiques chefs-d’œuvre : « Totoro »... et « Le Château dans le Ciel ». Parlons de ce dernier. A mon sens, il s'agit d'un film parfait. Parfait parce que sans défaut, mais surtout, parce que poétique au possible, merveilleux, entraînant, subtil, divertissant tout en conservant une grande profondeur. Ce n'est pas un long métrage aride, parfait car lisse, austère, non, il est parfait pour moi car je n'ai jamais vu mieux. Oui, c'est un film très sensuel. Et poétique, je me répète. J'en veux pour preuve cette magnifique séquence d'introduction : une petite fille tombe du ciel, lentement, doucement, pour arriver dans les bras d'un petit garçon, émerveillé et surpris à la fois. Et c'est là que tout commence. Mélange d'histoire d'amour et d'amitié, mais aussi de pure aventure, « Le Château dans le ciel » est peut-être avec « Totoro » le film le plus universel de Miyazaki. Les valeurs de l'entraide, du courage, de la curiosité, de la débrouillardise, et de l'amour, toujours, y sont exaltées. Et puis cette exubérance visuelle, cette inventivité permanente est extraordinaire. Tout semble possible pour Miyazaki. C'est bien lui qui est allé le plus loin dans le domaine de l'animation, car il est allé chercher ce qu'il y avait de meilleur dans son cœur de poète ainsi que ses yeux et ses mains de dessinateur : un conte pour enfants (et adultes n'ayant pas perdu leur âme d'enfant) intemporel. Avant, je n'attribuais pas la note suprême à ce film car j'avais toujours à l'esprit ce méchant assez manichéen. Et en fait non, peu importe. Le mal existe, il ne sert à rien de le masquer. L'important c'est que le bien triomphe. Que l'innocence vienne à bout de la noirceur qui peut régner dans ce monde. Que des enfants puissent sauver l'humanité, précisément car ce sont des enfants, au cœur pur. Et puis toute cette galerie de seconds rôles, est comme d'habitude chez Maître Miya, réjouissante : des pirates facétieux et maladroits, un vieillard esseulé, perdu dans une mine, un chef ouvrier grognon mais humain... Et comment ne pas évoquer la musique de Joe Hisaishi, qui comme toujours vient sublimer le tout, donner une dimension supplémentaire à un film déjà exceptionnellement riche par bien des aspects ? D'autant que n'ai pas parlé de tout ce mystère autour de Laputa, la fantastique île volante. Cette partie là aussi du long métrage est intrigante, mystérieuse et fascinante. En fait, et j'en reviens à ma conclusion : tout dans ce film est réussi. Tout. Et je crois que je pourrais le revoir des dizaines et des dizaines de fois en étant toujours aussi ému. Rares sont les œuvres dont je peux affirmer cela, tous arts confondus... « Le Château dans le ciel » en fait indéniablement partie.

[4/4]

« Vol de Nuit » d'Antoine de Saint-Exupéry (1931)

    « Vol de Nuit » est un roman extraordinaire. A partir de l'aviation, et plus précisément d'une nuit au temps capricieux, Saint-Exupéry nous dit tout de la vie. Certes, d'abord, de la vie des pilotes de l'Aéropostale, et de leurs proches, toujours dans l'appréhension d'un accident mortel. Mais aussi de la hiérarchie de cette organisation, faite de chefs courageux et rudes, de pilotes jeunes et téméraires, et de bureaucrates ratés. Et enfin de cette joie de voler dans les airs, de quitter la terre pour mieux la rejoindre le temps d'une escale brève mais salutaire, de frôler les nuages, de saluer les étoiles,... Ce sentiment de liberté qui étreint les pilotes, nous le ressentons intensément grâce au talent de conteur de Saint-Ex, qui sort sa plus belle plume pour rendre hommage à ses amis pionniers. La poésie est omniprésente dans cet ouvrage, notamment dans ces descriptions magnifiées du ciel et de la nature, belle mais farouche. Mais aussi dans la description de la psychologie et des sentiments des personnages. Le passage sur la femme du pilote est à tomber. Je n'ai rien lu d'aussi beau, sensuel et subtil à la fois. Les personnages sont toujours complexes chez Saint-Ex, car riches de contradictions, comme tout être humain qui se respecte. Ainsi en va-t-il de la figure tutélaire de Rivière, ce chef intraitable, prêt à sacrifier ses hommes pour sa cause, ou plutôt une cause qui les dépasse tous : aller au-delà de ses limites physiques et psychologiques pour servir l'humanité. Toutefois pas de doute, il aime ses hommes, et s'il est particulièrement sévère, c'est parce qu'il veut les préserver de l'erreur funeste. Car dans le ciel, le moindre écart peut signer la fin de l'équipage. Mais Saint-Ex ne nous dépeint pas un chef aride, suffisant : Rivière doute. Qu'est-ce qui vaut plus que la vie humaine ? Qu'est-ce qui vaut que l'on décolle la nuit pour arracher à la pesanteur le courrier, symbole de la vie d'un continent ? Pourquoi vivre, et pourquoi vivre ainsi ? Tant de questions qui restent (apparemment) sans réponse, mais dont Saint-Ex nous fournit, discrètement, des propositions merveilleuses : le courage et l'espérance ne sont pas vains. Et ça, c'est une certitude.

[4/4]