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dimanche 29 janvier 2023

« Babylon » de Damien Chazelle (2023)


    Grosse grosse déception avec ce trèèès long métrage lourd, indigeste et d’une grande vacuité. J’avais quitté Damien Chazelle avec le superbe « La La Land » (n’ayant pas vu « First Man »), et je le retrouve en bien piètre forme avec « Babylon »… Lui qui était il y a quelques années un jeune prodige prometteur semble s’être brûlé les ailes et montrer clairement ses limites dès son quatrième long métrage…

Car toute la « machinerie » Chazelle semble révélée, avec toutes ces ficelles qu’on voyait à peine dans « La La Land » ou « Whiplash » et qui sont par trop évidentes ici. Chazelle paraît même faire de « Babylon » un écho de « La La Land », comme si c’était son envers sombre, sale et lubrique, en mode bad trip. On retrouve un même duo de personnages masculin et féminin qui rêvent de gloire et de succès à Los Angeles, et dont les parcours se croisent et s’éloignent régulièrement. On retrouve aussi un portrait de Los Angeles, à la fois ville magique et factice, peu reluisante, constituant presque un personnage à part entière. Ou encore des motifs mélodiques communs dans la bande son de Justin Hurwitz, avec 3 ou 4 fois ces zooms sur une trompette, répétés jusqu’à plus soif, pour mieux tenter de dynamiser une séquence et le film… Mais tous ces gimmicks, ces clins d’œil pas très fins, je les vois davantage comme un certain manque d’inspiration (la BO d’Hurwitz était tout à fait oubliable et très décevante), alors que Chazelle rame pour nous offrir quelque chose d’un minimum intéressant.

Car il n’est pas aidé par son scénario, qui prend l’eau de partout. Certes les 3 heures du long métrage passent plutôt bien, le fait que ce soit relativement décousu n’est pas un problème, ça évite qu’il soit trop prévisible. Pour autant, avec sa trajectoire d’ascension puis de chute typiquement scorsesienne (Chazelle signe là son « Loup de Wall Street »), on est clairement dans quelque chose d’attendu, pour tout dire de déjà-vu et même complètement téléphoné. La bande annonce l’annonçait d’ailleurs, et sur ce plan, comme sur beaucoup d’autres, Chazelle ne nous surprend absolument pas.

Le thème central de ce film, c’est le passage du cinéma muet au parlant, avec la nostalgie de cet art à la fois industriel et artisanal, exubérant et fou, qui a cédé la place à un cinéma lisse et puritain, vidé de sa substance. En filigrane, Chazelle semble parler aussi de la situation d’aujourd’hui, avec la fin du cinéma à grand spectacle et ambitieux, alors que les films ultra formatés Disney/Marvel règnent sans partage sur le box-office mondial et que les plateformes du type de Netflix et Disney+ ont donné le coup de grâce au septième art.

Le problème est que Chazelle le fait très maladroitement. Son film est une accumulation de scènes délirantes et vulgaires (du genre pipi-caca), certes souvent drôles voire très drôles, mais qui donnent du cinéma muet une image de fête foraine stupide et sans fin (à l’image de la séquence introductive du film), ou d’un art grotesque et très bas de gamme (comme ces films avec l’aguicheuse Nellie LaRoy, jouée par Margot Robbie). Par conséquent, on a du mal à comprendre ce qui peut être sauvé et pourquoi ce cinéma-là a tant de valeur… Certes, Chazelle se la joue « politiquement incorrect », il ne voulait pas livrer un monument froid et glacé à la gloire du septième art, et en un sens heureusement. Mais à force de tout le temps jouer la dérision et le graveleux, impossible de se sentir touché ou ému par les acteurs, même dans les « séquences émotions » pourtant bien surlignées par la mise en scène balourde de Chazelle…

Le problème vient peut-être aussi des acteurs… Honnêtement, le film repose avant tout sur les épaules de Brad Pitt, qui cabotine à mort, mais qui est à la fois excellent, réjouissant et attachant. Chacune de ses scènes vaut son pesant de cacahuètes. Il a un rôle proche de celui qu’il avait dans « Once Upon A Time… In Hollywood » de Tarantino, celui d’un acteur déchu, une ancienne gloire, un vieux de la vieille qui a tout traversé et qui tient encore debout malgré une avalanche d’excès. C’est certainement lui l’acteur le plus drôle (l’air de rien) et le plus touchant du film. Le plus talentueux en somme. On peut même y voir une réflexion méta, Brad Pitt étant sans doute l’un des derniers grands acteurs américains, capable de tout jouer, tout en sachant faire preuve d’auto-dérision (coucou Tom Cruise).

Pour Margot Robbie et Diego Calva, en revanche, le bât blesse. Oh ils font le job, c’est certain et je le reconnais volontiers. Mais j’ai eu le plus grand mal à m’attacher à eux. Pour ce qui est de Robbie, avec son personnage très cliché et mal écrit de fille décérébrée mais ambitieuse, on ne peut que s’attendre à ses déconvenues. De plus, son manque de caractérisation et de personnalité l’empêche de « vivre » au-delà des séquences où elle apparaît. Là elle est juste en deux dimensions, purement fonctionnelle, sans la moindre nuance… A l’instar de Diego Calva, qui joue le personnage en retrait avec qui on découvre Hollywood et auquel on est censé s’identifier, comme de coutume dans les romans ou les films. Mais il est bien trop terne pour emporter notre adhésion…

En plus de tous ces défauts qui grèvent le long métrage, la mise en scène de Chazelle est d’une banalité affligeante. Si la photographie est plutôt belle mais un poil trop artificielle, ses cadrages et sa construction des plans n’ont rien d’impressionnants. Certes, il joue de la profondeur de champ et de mouvements de caméra ambitieux, mais visuellement, son film n’a aucune personnalité. Il se place dans le droit sillage d’un Scorsese, comme une sorte de Paul-Thomas Anderson du pauvre. Seul le rapport entre l’image et la musique (jazz) est un début de marque de fabrique, mais bien dérisoire. Rappelons-nous d’ailleurs que dans « La La Land », Chazelle vole beaucoup de ses bonnes idées à d’autres cinéastes souvent bien plus talentueux…

Et puis à la fin des fins, après 3 longues heures complètement hystériques, Chazelle s’est dit que ça ne suffisait pas et qu’il voulait nous en mettre encore plus plein la vue. Il nous « offre » alors un montage accéléré des films les plus iconiques de l’histoire du cinéma, avec dans les oreilles une bande son à la limite du supportable. Comme s’il crachait à la gueule du spectateur « regarde comme je suis un génie » (kubrickien). Ça plus la séquence hideuse et glauque au possible avec Tobey Maguire, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Sans parler des nombreux appels du pied à « Chantons sous la pluie », un authentique chef-d’œuvre, lui, qui ne devrait rien avoir à faire avec ce sinistre long métrage…

Ainsi donc Chazelle ça ne serait que du flan ? Une imposture de plus, un cinéaste qui pique tout aux autres et incapable de proposer quelque chose de réellement neuf et intéressant ? Hélas, j’en ai bien peur…

[2/4]

dimanche 8 octobre 2017

« Whiplash » de Damien Chazelle (2014)

    « Whiplash » est la matrice de « La La Land », en plus extrême, moins subtil, et pour tout dire moins plaisant. Pour autant on sent un certain talent en devenir, celui du jeune Damien Chazelle qui ne demande qu’à exploser avec le succès que l’on sait. A ce titre, « Whiplash » n’est pour moi ni un chef-d’œuvre précoce, ni un essai raté. Il s’agit plutôt d’un brillant brouillon, canalisant à grand peine l’énergie créatrice du jeune prodige new-yorkais.

Tout d’abord il aborde la musique sous un angle intéressant : l’envers du décor, à travers le sacrifice mental et physique nécessaire pour devenir un « grand » artiste, ou tout du moins un musicien accompli et reconnu par la profession. Chazelle ne fait pas de mystère sur le côté complètement individualiste et narcissique d’une telle ambition : il ne masque pas les sacrifices que doit faire le héros pour arriver à son but. Et il s’agit de véritables sacrifices, qui ne restent pas sans conséquences, voire qui s’avèrent franchement inquiétants au regard de ce que « gagne » en retour Andrew, qui ambitionne rien que moins que devenir le nouveau Charlie Parker de la batterie ! Mais Chazelle ne veut pas résoudre cette ambiguïté, il ne juge pas le parcours de son jeune héros. Au contraire, il le suit de près et en montre toutes les contradictions, les bons côtés comme les mauvais. Certains prendront cela au premier degré et y verront un éloge de l’individualisme, d’autres un « modèle » d’anti-héros auquel ne surtout pas ressembler.

Il faut dire que Chazelle se positionne sur la fine crête entre ces deux extrêmes. Il devient même limite complaisant, en esthétisant à outrance cette souffrance (ce sang rouge profond qui émane des ampoules et des mains du batteur) et en insistant très lourdement sur le personnage odieux interprété par J. K. Simmons, au parler outrancier des plus désagréable à la longue… Ce personnage de professeur tortionnaire, s’il s’avère entier, profondément ambivalent, entre ombre et lumière, trouble, manipulateur, n’en est pas moins caricatural par moments, et finit par agacer, après avoir lessivé le spectateur comme ses élèves à force de brutalité et de mépris hurlé à leur face comme la nôtre… A l’image de « La La Land », « Whiplash » est donc un essai sur la réussite et ce qu’elle peut avoir de meilleur comme de pire. Ni entre deux mou, ni tendant vers l’un ou l’autre de ces pôles positif et négatif, il s’agit d’un film plus complexe qu’il en a l’air.

Une fois passée cette analyse sur le fond de ce long métrage, j’en viens à un autre aspect intéressant : son esthétique. Si la photographie et les prises de vues lorgnent parfois vers les clichés Instagram ou Starbucks que dénonce tant le personnage de Simmons, plusieurs plans au montage musical, notamment de New York la nuit, sont remarquables. Les prises de vues jouent avec la luminosité, les couleurs et les cadrages, dans un élégant ballet d’images. On ne peut nier la beauté de cette photographie, pas plus que la réalisation étonnamment maîtrisée de Chazelle, qui impressionne vu son jeune âge à l’époque. Il y a un certain classicisme de bon aloi chez Chazelle. Certes, il manque parfois de tomber dans la copie ou le pastiche malgré lui, mais il conserve ce brin de spontanéité qui n’appartient qu’à lui.

J’en veux pour preuve un autre aspect remarquable de ce film : le jeu des acteurs. Si J. K. Simmons force le respect mais en fait limite trop, Miles Teller ne démérite pas et tient tête à Simmons. Mais la vraie surprise pour moi est la découverte de Melissa Benoist, au jeu sincère et sobre, plein de vie sans être maniéré. On n’a pas l’impression d’être en face d’une actrice, mais bien d’une personne « réelle » que l’on pourrait croiser dans un café ou dans la rue. Et c’est là toute la force de la direction d’acteur de Chazelle, que l’on évoque « Whiplash » ou « La La Land ». Il a le don de libérer ses acteurs, à la manière des grands d’Hollywood, qui savaient diriger de grands acteurs, eux-mêmes sachant donner vie à des personnages hauts en couleur et particulièrement inoubliables. A sa mesure, Chazelle s’inscrit dans cette veine, et fort heureusement pour lui comme pour nous, il sait rester mesuré, il ne court pas après la « spontanéité » ou pire, « l’authenticité ». Il filme des acteurs et des personnages simples, vivants, humains. Et je ne saurais trop le remercier : un peu de fraicheur dans notre époque gavée d’images factices au possible, voilà qui n’est pas pour me déplaire.

En résumé, à l’image de la musique tantôt légère et virtuose (l'ouverture), tantôt lourde et forcée (le morceau « Whiplash »), si Chazelle ne passe pas loin de l’exercice de style un peu vain, il parvient avec son talent à donner vie à de vrais personnages, loin des protagonistes en deux dimensions dont nous gratifie souvent le cinéma américain. Il parvient également à mettre sur la table un sujet d’actualité : un individualisme forcené des plus funestes, pas loin d’un narcissisme destructeur, tout en rendant hommage au jazz et à ses plus illustres représentants, en mettant en évidence le côté tragique de leur trajectoire et de leur existence. En somme, tout n’est pas parfait, loin de là, mais ce film possède tout de même d’indéniables qualités. De toute évidence, Chazelle est un réalisateur à suivre !

[3/4]

dimanche 26 février 2017

« La la land » de Damien Chazelle (2017)

    Rarement un film aura fait l'unanimité à ce point ces dernières années. C'était de loin le film le plus attendu de 2017, et c'est peu dire que mes attentes étaient à la hauteur de l'évènement annoncé. Certes, « La la land » fait l'objet de quelques critiques : les goûts et les couleurs, tout le monde n'est pas sensible au genre de la comédie musicale, et c'est bien compréhensible... Là où je ne suis pas d'accord en revanche, c'est tous les procès d'intention qui lui sont adressés : face à ce qui ressemble il est vrai à un rouleau compresseur à Oscars et autres statuettes (mais non sans raisons, j'y reviendrai !), certains se sentent obligés de le descendre avant même de l'avoir vu. Dommage, surtout pour eux, ils ne savent pas ce qu'ils ratent ! Maintenant entrons dans le vif du sujet. Dès les premières secondes, Chazelle donne le « la », et le ton de son long métrage : un rythme effréné, une musique entrainante, des chorégraphies soignées, un brin de révérence à ses glorieux prédécesseurs et un soupçon d’originalité et d'actualisation du sujet à nos problématiques contemporaines, le tout formant une belle alchimie, une œuvre attachante avec beaucoup de charme, notamment grâce à ses talentueux interprètes. Ce qui fait il me semble le succès de « La la land », outre sa saveur particulière, c'est tout simplement qu'il respecte selon moi la base d'une comédie musicale réussie : une mise en scène de qualité et une musique réussie car inventive, intéressante donc (d'ailleurs je me la passe en boucle depuis que j'ai vu le film). Retirez l'un de ces deux paramètres et tout s'effondre. Ici, l'une dans l'autre, ces deux composantes soutiennent tout le long métrage, pour l'amener vers des sommets où figurent en bonne place des « Chantons sous la pluie », « Mary Poppins » ou « West Side Story », pour citer les œuvres de mon panthéon personnel en la matière. En bref, « La la land » est une comédie musicale ambitieuse et qualitative. 

Je la rapprocherais d'un « Chantons sous la pluie » pour plusieurs raisons. Tout d'abord, un thème la sous-tend : dans le film de Donen et Kelly c'était le passage du muet au parlant, ici il s'agit de l'ambition personnelle. Le sujet est d'ailleurs tellement universel que certains de mes collègues se sont sentis interpelés par l'histoire. En effet, la quête de gloire et de succès de nos deux personnages principaux est au diapason de l'individualisme de l'époque, et on n'arrive pas au bout de ses rêves sans faire des choix... et des sacrifices. La façon dont Chazelle illustre cela est très réussie : il en dévoile les contradictions sans alourdir ou appuyer plus que de raison le propos. Ainsi, si « La la land » n'était pas une comédie musicale, il serait déjà un film intéressant à suivre, c'est là l'une de ses grandes forces. Ensuite, ingrédient indispensable de tout film réussi, à mon sens : l'humour ! Ou plutôt une certaine légèreté. Élément omniprésent dans « Chantons sous la pluie », il est aussi de mise dans « La la land », venant contraster un peu plus et densifier l'histoire, en ménageant des changements de rythme et une respiration appréciables. Autre élément indispensable dans tout film qui se respecte : les comédiens. Et c'est peu dire que Ryan Gosling et Emma Stone m'ont bluffé : le premier par la passion avec laquelle il semble jouer du piano (réjouissante au possible !), ainsi que la nonchalance avec laquelle il pousse la chansonnette, et la seconde par sa belle voix et sa présence, toutes deux naturelles et touchantes. A l'image du couple Gene Kelly et Debbie Reynolds, ils crèvent l'écran et leur relation « fonctionne », on y croit vraiment, et on se laisse embarquer dans leur histoire. Enfin, « La la land » ce sont aussi des morceaux de bravoure à la fois en termes de mise en scène et de bande son. Des séquences magiques, qui parfois il est vrai citent des œuvres passées – et de poids – mais néanmoins Chazelle réussit à créer du neuf, avec un sens du détail qui fait mouche, plein de petits éléments qui, je le répète, en font un film à l'ambition folle, mais avec les moyens de cette ambition, car c'est une œuvre de grande qualité. Toutes ces raisons en font un candidat rêvé pour les Oscars. Scandale ? Imposture ? Réfléchissez un instant et citez-moi ces dernières années un film avec ce niveau d'exigence, avec une histoire riche et profonde, avec des interprètes de cette trempe, avec des références d'aussi bon goût (en plus un héros passionné de jazz, moi j'achète), et surtout avec cette ambition aussi invraisemblable (je me répète une fois encore) que d'allier divertissement de haute volée et œuvre d'art gorgée d'émotion, chaleureuse et intimiste. Voyez-vous des concurrents sérieux à « La la land » ? Moi pas vraiment... Donc oui, « La la land » mérite largement son succès, et ce n'est que justice, pour une fois que c'est un vrai bon film qui explose au box office ! Allez, je vais me le refaire encore une fois !

[4/4]