Tout d'abord je dois préciser que
c'est le contexte actuel, du décès du pape François, pour qui j’avais un
profond respect, et du conclave qui vient de commencer « in real life »,
qui m'a poussé à me pencher sur ce film. J'avais parcouru quelques critiques à
sa sortie, pour beaucoup mitigées, je ne m'attendais donc pas à grand-chose
d'exceptionnel en regardant ce long métrage. Mais tenter de mieux comprendre
les rouages de ce qui se passe actuellement au Vatican me semblait intéressant,
et puis de manière plus légère, c'était le moment où jamais de regarder ce film
!
J'ai donc été surpris d'être
rapidement happé par l'intrigue, d'autant que le jeu remarquable des comédiens
m'a permis de rentrer très vite dans le film. Je salue en tout premier Ralph
Fiennes, absolument génial et attachant. Il démontre combien il est un immense
acteur, capable de tout jouer avec intensité, finesse et véracité. Je salue
également les autres acteurs principaux de ce film : Stanley Tucci, Sergio
Castellitto, Lucian Msamati, John Lithgow, Carlos Diehz, qui semble être un
acteur novice en matière de cinéma mais qui possède un réel charisme, et bien
sûr Isabella Rossellini, qui crève l'écran en quelques scènes.
Je comprends un certain nombre
des critiques mitigées, mais je dois dire que ce que j'ai beaucoup apprécié
dans ce long métrage, c'est ce côté « à l'ancienne » : c'est un film
d'ambiance et de personnages. Chacun a sa personnalité, ses qualités mais aussi
ses zones d'ombre, sans qu’on ne puisse jamais porter un jugement définitif sur
eux (ou presque). Le réalisateur, Edward Berger, prend le temps de nous faire
côtoyer ces personnages, et même ceux qui semblent antipathiques finissent parfois
par nous toucher. Car le cinéaste allemand ne fait pas de mystère : ce
sont avant tout des hommes, donc faillibles. Néanmoins, être homme d’église, et
plus encore pape, nécessite une probité absolue. Le film enchaîne donc un
certain nombre de révélations qui font fluctuer les votes du conclave.
Autre aspect intéressant de ce
long métrage : il s’appesantit sur les doutes de ses personnages, et sur
la quête d’un cardinal qui ait vraiment les qualités pour devenir pape. Si le
propos du film n’est pas d’approfondir les questions de foi et spirituelles, il
montre les tiraillements qu’éprouvent les cardinaux, notamment ceux les plus
probes, entre pouvoir temporel et vertus spirituelles. Ainsi, aucun des
candidats déclarés ou potentiels n’est vraiment complètement parfait pour le « poste ».
Chacun d’entre eux a des faiblesses, et l’on se demande s’il sera vraiment en
mesure d’assurer ce rôle si difficile.
Le côté « à l’ancienne »
de ce film réside aussi dans cette réalisation particulièrement efficace. Elle
cherche quelques effets, à rendre le tout grandiose sans non plus trop en
faire, avec un équilibre entre grandeur, réalisme et modestie. Et à vrai dire
je trouve que ça marche : quoi qu’on en pense, et on le voit en ce moment,
l’élection d’un pape est un événement mondial. De plus, l’Eglise charrie une
histoire plurimillénaire, et est la manifestation terrestre d’une spiritualité
céleste. Avec ce qu’elle peut avoir de bon mais aussi tout ce qu’elle a de
mauvais. Pour ce genre de film, un autre traitement aurait pu rendre le récit
plat, terne, sans intérêt. Au contraire, Edward Berger montre bien les immenses
enjeux d’un conclave, mais aussi toutes les contradictions de l’Eglise et de
ses prélats, tiraillés entre tradition et modernité, passéisme et nouveauté,
faste et pauvreté, vision rétrograde et progressiste…
A ce titre, j’ai du mal avec les
critiques qui dénoncent le prétendu côté « woke » de ce film… Alors que
je le découvre début mai 2025, il me paraît d’autant plus évident que ce long
métrage s’est grandement inspiré du pontificat de François. Et même si considérer
François comme un progressiste total est sans doute faux, il a été un pape tout
de même assez progressiste, notamment par rapport à ses deux prédécesseurs. L’Eglise,
en 2025, est bel et bien multiple, avec plein de courants spirituels et idéologiques,
mais tout de même deux grandes lignes s’opposent et se font face, entre traditionalistes
et progressistes. J’entends par là que sur cet aspect, désolé mais Conclave n’est
pas « woke »… il est juste réaliste et très bien documenté.
C’est d’ailleurs une de ses autres
qualités, je ne connais pas tous les détails du fonctionnement de la papauté,
du Vatican et de la curie, mais il semble que l’équipe du film se soit bien
documentée et ait eu le souci de respecter le sujet. Tout paraît très
vraisemblable, et les médias se sont d’ailleurs fait l’écho de combien un
certain nombre de rituels effectués dans ce film sont vrais.
Néanmoins, malgré un certain
nombre de qualités bien réelles, qui font que j’ai passé la majorité du film
dans un état de jubilation et d’excitation, complètement pris par ce thriller haletant,
à un moment… tout s’effondre. Déjà, les nombreux retournements de situation
sont assez gros, mais ils restent tout de même relativement bien écrits, et
plausibles. Mais le twist final vient tout remettre en perspective et ruiner le
long métrage. En fait, Conclave n’avait clairement pas besoin de ça. Il aurait
pu être un film de facture classique et honorable, traitant d’un sujet à la
fois complexe et fascinant pour le commun des mortels, tout en nous amenant à
questionner l’Eglise, ses membres et ses fidèles.
Mais ce twist final de petit
malin confine ce long métrage au pur exercice de style. Voilà encore un de ces films
anglo-saxons (car la production est bel et bien internationale) qui se rêve être
un summum d’intelligence, et qui se révèle être d’une vacuité certaine, voire
même d’un ridicule…
Toutefois, à mon sens ce twist complètement
raté ne doit pas faire oublier tout le reste du film, qui me semble être tout à
fait convenable. C’est juste dommage qu’après avoir fait monter la pression continuellement,
jusqu’à ce qu’elle devienne quasiment insoutenable, le film fasse pschitt de la
sorte, comme une vulgaire baudruche… Ce final grotesque ne doit pas faire
oublier la qualité de tout le reste, qui reste de bonne tenue.
Et puis malgré tout, ce twist est
relativement intéressant. Il montre que l’élection d’un pape, comme toute
élection d’homme ou de femme politique, ou exerçant des responsabilités conséquentes,
comporte toujours son lot d’aléas, d’invraisemblances, de retournements de situation,
qui amènent à se questionner et à questionner l’institution dont la gouvernance
est mise en jeu. Plus encore, il s’agit d’élire un être humain, dans toute sa
complexité et avec toutes ses contradictions. A l’heure où j’écris ces lignes,
la première journée du vrai conclave vient de s’achever avec une fumée noire.
Il va donc se poursuivre jusqu’à ce qu’un nouveau pape soit élu. Or qui sait ce
que ce nouveau pape nous réserve ?
[2/4]