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mardi 21 janvier 2020

« Capitaine Cormorant » (Capitan Cormorant) d'Hugo Pratt et Stelio Fenzo (1962)

    J'ai eu la chance de retrouver une ancienne édition des aventures du Capitaine Cormorant chez Glénat (avec la couverture ci-contre) en deux épisodes, le premier ayant fait l'objet d'une réédition récente chez Casterman (cf. ma critique ici). Le premier épisode est écrit et dessiné par Pratt en personne, avec une histoire qui préfigure « La Ballade de la Mer Salée » et le personnage de Corto Maltese, même si les protagonistes de « Cormorant » diffèrent sensiblement.

Le héros éponyme est un être épris de liberté, un peu fou en apparence, mais au fond sûr de lui et de ce qu'il fait (toute ressemblance avec Corto est fortuite, hum). Rusé, courageux, il réussit à se frayer un chemin au gré des îles australes et des coutumes locales pour le moins surprenantes. On retrouve la soif des grands espaces et le goût pour l'océan de Pratt qui feront tout le sel des aventures de Corto. De plus, en bon héros « prattien », Cormorant est entouré de fidèles amis, dont un indigène tatoué que l'on retrouvera peu ou prou dans des albums ultérieurs, et une femme de caractère, autres indices des chefs-d’œuvre à venir. « Capitaine Cormorant » est ainsi une nouvelle graphique accomplie et plaisante.

Le second épisode est dessiné en partie par Pratt, en partie par Stelio Fenzo, qui achève ainsi les aventures de notre capitaine malicieux. Le second épisode vient encore enchérir un peu plus dans l'humour et l'ironie, car nos héros sont pris entre deux feux : une princesse australe qui veut épouser l'un des personnages principaux, ce qui laisse augurer une issue funeste si ce dernier n'arrivait pas à la satisfaire, et des cannibales coupeurs de tête bien décidés à faire de nos protagonistes leur prochain repas.

Ces deux épisodes, dépaysants et réjouissants, permettent de mieux apprécier ce goût pour l'aventure typiquement prattien, en annonçant les pérégrinations d'un certain marin maltais. Deux épisodes relativement brefs mais parfaitement bien menés, qui nous laissent un peu sur notre faim tant ces deux récits sont appréciables.

Ce qui est également intéressant dans cette édition, c'est la notice introductive rédigée par Dominique Petitfaux, spécialiste d'Hugo Pratt. On apprend ainsi que le dessinateur italien s'est inspiré pour cette BD de l’œuvre de Franco Caprioli, un compatriote habitué des récits d'aventures imagés, avec la particularité qu'un certain nombre d'entre eux se déroulent en Océanie, ce qui est alors nouveau pour l'époque. On ne peut que remercier ce dernier pour la riche postérité dont il est à l'origine !

[3/4]

samedi 8 décembre 2018

« Ticonderoga » de Hugo Pratt et Héctor Germán Oesterheld (1957)

    Je suis en colère contre les éditeurs de BD, qui bien souvent nous offrent le service minimum voire se foutent royalement de leurs lecteurs, en recyclant des séries après la mort de leurs créateurs à des fins commerciales et tout sauf artistiques, ou en rééditant et « repackageant » des séries à succès tous les 3 ans, n'hésitant pas à verser dans le n'importe quoi, en proposant des versions noir et blanc de BD pensées en couleur (Alix, Blake et Mortimer, etc.) ou des versions couleur de BD pensées en noir et blanc (Corto Maltese, etc.). Vraiment c'est une honte, le lecteur n'est plus perçu que comme un tiroir caisse sans fond ou comme un fan régressif à satisfaire de toutes les façons possibles, surtout si ça s'éloigne de toute véritable création artistique digne de ce nom...

Et puis de temps en temps, surgit un miracle. C'est ici le cas : Casterman réédite « Ticonderoga » de Hugo Pratt (au dessin) et Héctor Germán Oesterheld (au scénario). Un duo de choix qui a déjà fait des merveilles, au service d'un feuilleton publié fin des années 1950. Une réédition tout à fait bienvenue, tant ce récit est passionnant et brillamment illustré. Seul bémol, les planches originales sont pour la plupart introuvables, et la présente édition est le fruit du scannage de planches déjà imprimées. Le résultat est un peu trouble et baveux, et je ne sais pas si ça vient du fait que les planches étaient originellement en couleur et là reproduites en noir et blanc, ou si ça vient de la technique de reproduction.

Mais le rendu est tout à fait convenable et s'efface au profit de la lecture. Et quel bonheur que de découvrir une histoire originale et de nouveaux personnages ! Le narrateur, Caleb Lee, sert de faire-valoir à son ami, le trappeur téméraire Joe Flint, surnommé Ticonderoga. Pour compléter le tout, la figure tutélaire de Numokh, un indien mystérieux, sage et astucieux, accompagne nos deux jeunes héros et contrebalance par son discernement leur fougue juvénile.

L'histoire se déroule au XVIIIème siècle, à la frontière du Canada et des États-Unis d'aujourd'hui, au milieu de la guerre que se livrent les Anglais et les Français, entraînant dans leur sillage, par le jeu des alliances, les peuples Indiens autochtones. Comme dans « Fort Wheeling » (où Ticonderoga fera d'ailleurs une apparition) ou « Billy James », nos héros se retrouvent pris dans l'engrenage de la guerre et des massacres en tous genres, entre bravoure, courage, espoir, violence, lâcheté et barbarie.

S'il n'a pas l'ampleur d'un « Fort Wheeling », notamment car il a été abandonné par Pratt en cours de création, et n'a donc pas sa cohérence, « Ticonderoga » est un récit fort, humaniste et touchant. Il consiste en une suite d'épisodes, qui racontent les aventures de Ticonderoga et de ses amis, et comment peu à peu ils grandissent en humanité (notamment le narrateur Caleb Lee, moins « parfait » que Ticonderoga) malgré la sauvagerie guerrière qui les entoure.

Récit d'apprentissage par excellence, c'est une pièce de choix dans l’œuvre de Pratt et d'Oesterheld. Un excellent album, qui bien que dessiné dans le style de la première période de Pratt, classique et pas encore tout à fait épanoui, mérite de figurer dans la bibliothèque de tout amateur du maître italien qui se respecte, mais aussi de tout fan de BD historique de qualité.

[4/4]

vendredi 21 août 2015

« La Jeunesse de Corto Maltese » de Hugo Pratt (1983)

    « La Jeunesse de Corto Maltese » est un sympathique album, court, cédant un peu à la mode du préquel, mais habilement scénarisé par Hugo Pratt pour faire apparaître Corto suffisamment tard dans l'histoire pour laisser intact le « mythe ». En effet, tant qu'à dévoiler la jeunesse de Corto (en partie), autant conserver une dose de mystère ! Hugo Pratt réussit donc son pari de donner à ses fans un os à ronger sans pour autant dévoyer sa célèbre série et son héros éponyme. Comme toujours on retrouve un arrière plan historique très intéressant (la guerre russo-japonaise de 1904-1905) et des héros ayant vraiment existé, tels que Jack London, ce qui permet de crédibiliser la série et de donner une certaine aura à notre ami Corto, décidément témoin de toutes les folies de ce début de XXème siècle. Le dessin se libère : Pratt est à son apogée picturale. Pour une fois les couleurs de Patrizia Zanotti ne desservent pas trop le fameux noir et blanc du dessinateur italien : on apprécie d'autant mieux les uniformes, les flammes, le ciel... Même si le noir et blanc reste inégalable. Mon principal reproche va au scénario beaucoup trop centré sur Raspoutine, l'alter ego à moitié (voire complètement) fou de Corto. Sa folie meurtrière n'est pas des plus intéressantes, mais comme je l'ai précisé en introduction, la présence en retrait de Corto est une bonne idée. Jack London est bien plus captivant, héros on ne peu plus « prattien » : américain pacifiste, perdu au milieu d'une guerre qui n'est pas la sienne, il préfigure son ami Corto, avec ce courage désintéressé qui le caractérise. On sent tout de même que Pratt est sur un pente relativement déclinante : depuis « Fable de Venise », Pratt se recentre sur son univers, réutilise beaucoup de personnages, et surtout les dialogues perdent de leur consistance, et pour tout dire de leur saveur. Les personnages échangent des banalités... Le Corto de « La Ballade de la mer salée », de « Sous le signe du Capricorne » ou des « Celtiques », mélange d'aventurier pur jus et de héros romantique (sans en avoir l'air) s'efface au profit de personnages secondaires plus désenchantés et sombres... Bien sûr de beaux restes subsistent dans « La Maison dorée de Samarkand » notamment, mais il y a comme quelque chose de perdu... « La Jeunesse » donne néanmoins le change, et figure encore dans les aventures de Corto qui me semblent (à mon humble avis) dignes de ce nom, grâce à cette ambiance si particulière que Pratt réussit à installer. Un album à lire, mais qui parlera plus aux fans de la série.

[3/4]

jeudi 20 août 2015

« Fort Wheeling » (Wheeling) de Hugo Pratt (1976-1995)

    « Fort Wheeling » est une pièce maîtresse de l’œuvre d'Hugo Pratt. Pour tout dire, c'est l'un de ses plus grands récits, des plus amples et des plus complexes. C'est aussi un sommet graphique, pour la majeure partie dessiné selon sa façon la plus classique, des années 60, avant les débuts de Corto Maltese. « Wheeling » voit se nouer et se dénouer la trame des amitiés, sur fond de guerres amérindiennes et d'indépendance entre Britanniques et Américains. Condensant le bruit et la fureur de la conquête de l'Amérique, faisant état des atrocités de part et d'autres, commises tantôt par les colons, tantôt par les Indiens, « Wheeling » est aussi et avant tout un vibrant plaidoyer pour la paix. Les vrais héros de ce récit prônent l'amitié entre les peuples et la compréhension mutuelle, dans un respect qui devrait être éternel, même s'il est, hélas, utopique… De malentendus en malentendus, d'outrages en haches de guerres déterrées, c'est une effroyable machine qui se met en marche : la guerre. Détruisant tout sur son passage : les vies, les familles, les amitiés, l'honneur, la paix… Pourtant dans ce marasme surnagent quelques individus : certains sont un peu fous et cherchent à se venger sans savoir s'arrêter, ivres de douleur. D'autres sont tout aussi fous (du moins le croit-on) : ils rêvent d'un avenir joyeux, apaisé. C'est notamment le cas de Criss Kenton, le jeune héros de « Fort Wheeling », patriote à la recherche de sa belle, balloté par les évènements au gré des flots de l'histoire. Son courage et sa ténacité viendront à bout de bien des péripéties, et c'est lui qui porte sur ses jeunes épaules la plus grande part d'humanité de ce récit, qui bien que terrible et sombre se révèle à de nombreux moments très émouvant. Une histoire massive, servie par un beau crayonné : nous ne sommes pas loin du chef-d’œuvre. Mais, car il y a un mais, c'est sans compter sur la fin abrupte et tristement décevante. Écrit et dessiné pour l'essentiel dans les années 60 et 70, « Wheeling » est à 90% un chef-d’œuvre digne de ce nom. Mais la toute fin, réalisée dans les années 90, à la fin de la vie et de l’œuvre de Pratt est horrible. Pratt s'englue dans ses défauts du moment : des personnages grossiers et une vulgarité crasse des plus décevantes… Comme dans les derniers Corto Maltese ou « Cato Zoulou ». Il détruit méticuleusement ses héros dans un geste nihiliste qui dénote avec la beauté de « Wheeling » et de ses personnages humains, magnifiquement humains. C'est assez incompréhensible… D'autant que le style graphique, lui, épuré à l'extrême, se libère et brille par son originalité et son éclat… Quel dommage ! « Fort Wheeling » Tome 1 compte donc parmi les 4 ou 5 meilleurs albums de Pratt. Le Tome 2 (surtout la fin) parmi les 4 ou 5… pires.

[3/4]

dimanche 28 juin 2015

« Saint-Exupéry – Le Dernier vol » de Hugo Pratt (1994)

    « Saint-Exupéry – Le Dernier vol » est l'avant dernier album de bande dessinée écrit et dessiné par Hugo Pratt avant de mourir. Étonnamment, c'est l'un des plus solaires qu'il ait produits, bien qu'il soit mélancolique et nostalgique. Comme si Pratt voulait se remémorer le meilleur de l'un des plus grands auteurs de la littérature française avant de quitter le monde, le meilleur de l'un de ses nombreux auteurs de prédilection, lui l'homme aux milliers de livres. A vrai dire, cet ouvrage est l'un des plus poétiques d'Hugo Pratt, et dans le bon sens du terme. Lors de son dernier vol, tristement célèbre, Saint-Ex se perd dans ses souvenirs et se remémore toute sa vie, en partie à travers les livres qu'il a écrits. Alternant les teintes entre un présent tragique (l'attaque des chasseurs allemands) et un passé flamboyant, « Le Dernier vol » est un bel hommage, peut-être l'un des tous meilleurs, à l'écrivain et au pilote que fut Antoine de Saint-Exupéry. Il faut dire qu'Hugo Pratt donne à cet album une saveur particulière en distillant le temps par un tempo savamment entretenu. Le compte à rebours est lancé avant une fin que l'on sait certaine, et c'est là toute la tristesse joyeuse du « Dernier vol » : dans un dernier élan, le meilleur de Saint-Ex ressurgit avant de s'éteindre pour l'éternité (du moins pour ce qui est de la partie charnelle du pilote). Ultime voyage avant le passage vers l'autre monde, ultime rappel de ce que fut la vie et l'engagement du célèbre aviateur français, mais aussi du dessinateur italien. Pratt a choisi la mer, Saint-Ex les airs, mais les deux se rejoignent dans une œuvre mêlant le courage physique et moral à la poésie la plus franche, l'expérience de la navigation ou de l'aviation et le rêve, le souvenir, un langage imagé et fleuri : pour l'un ce sera les mots, pour l'autre le dessin... Quoique, n'oublions pas les aquarelles du Petit Prince et les bulles de Corto ou des Scorpions du Désert ! Deux univers qui se croisent, donc, deux destinées tout à fait singulières (Saint-Ex n'est pas Pratt et réciproquement) mais qui partagent le même goût pour l'Aventure humaine. Autant dire que « Saint-Exupéry – Le Dernier vol » est l'un des plus beaux albums d'Hugo Pratt.

[4/4]

vendredi 26 juin 2015

« Capitaine Cormorant », « Billy James » et « L'Assaut du fort » de Hugo Pratt, Mino Milani et Alberto Ongaro (1962)

    La récente réédition de 3 aventures dessinées par Hugo Pratt, sous le titre de « Capitaine Cormorant et autres histoires » permet d'apprécier une autre facette de l'auteur italien. La principale histoire de cet ouvrage est celle du Capitaine Cormorant, écrite et dessinée par Pratt en personne, histoire qui préfigure « La Ballade de la Mer Salée » et le personnage de Corto Maltese, même si les protagonistes de « Cormorant » diffèrent sensiblement.  Le héros éponyme est un être épris de liberté, un peu fou en apparence, mais au fond sûr de lui et de ce qu'il fait (toute ressemblance avec Corto est fortuite, hum). Rusé, courageux, il réussit à se frayer un chemin au gré des îles australes et des coutumes locales pour le moins surprenantes. On retrouve la soif des grands espaces et le goût pour l'océan de Pratt qui feront tout le sel des aventures de Corto. De plus, en bon héros « prattien », Cormorant est entouré de fidèles amis, dont un indigène tatoué que l'on retrouvera peu ou prou dans des albums ultérieurs, et une femme de caractère, autres indices des chefs-d’œuvre à venir. « Capitaine Cormorant » est ainsi une nouvelle graphique accomplie, plaisante, mais qui hélas se finit brutalement car les épisodes devant lui succéder resteront à l'état d'esquisses (quelques unes sont reproduites, sans les dialogues, dans un chapitre au titre un peu trompeur – l'espoir de découvrir un inédit complet étant toujours vif avec les rééditions – intitulé « Capitaine Cormorant - Deuxième Partie »). 

La seconde véritable aventure de cet album s'intitule « Billy James » et nous conte l'histoire d'un trappeur pris à parti lors de la guerre franco-britannique pour la suprématie en Amérique du Nord, au XVIIIe siècle. Le héros qui donne son titre à l'épisode est cette fois-ci un jeune homme, mais qui bien sûr est un fin connaisseur de la région, et est surtout quelqu'un (là encore) de malin et d'habile. Il lui faudra toutes ces qualités pour éviter d'être tué par erreur au milieu de la confusion qui régnait alors. Une jolie jeune femme et un sympathique révolutionnaire viennent pimenter le tout, faisant de cet autre récit une pièce de choix pour tout amateur de bande dessinée qui se respecte. Détail s'il en est, le scénario est écrit par Milani, mais la préface nous fait comprendre que c'est Pratt qui a décidé du cadre et de bien des aspects. Logique quand on connaît l'attrait d'Hugo Pratt pour l'époque et le lieu (cf. « Fort Wheeling »).

Vient enfin « L'Assaut du fort », écrit par Alberto Ongaro, et qui reprend là encore le cadre de l'Amérique du Nord au XVIIIème siècle, cette fois-ci après la victoire des britanniques sur les français. Un fort britannique est assailli par des indiens Ottawas, alliés des français mais surtout ennemis des anglo-saxons, et qui continuent le combat malgré le retrait de nos compatriotes. Un héros providentiel (jeune et rusé, mais je me répète) devra traverser les lignes ennemies pour demander du renfort à la base avancée de Niagara. 

Je ne vous en dit pas plus, pour résumer ces 3 histoires trouvent surtout leur cohérence dans le style graphique assez classique (on est au début de la carrière d'Hugo Pratt) et dans les traits de caractère en germe de nos héros, avec toujours ce goût pour l'aventure et les terres reculées qui feront toute la fortune de notre ami Corto (et de Pratt, bien sûr). En conclusion : une réédition qui vaut le coup, même si décidément la couleur (ici) ne vaut pas le célèbre noir et blanc du maître. 

[3/4]

mardi 23 juin 2015

« Corto toujours un peu plus loin » (Corto Maltese sempre più lontano) de Hugo Pratt (1974)

    « Corto toujours un peu plus loin » prolonge « Sous le signe du Capricorne », qui voit notre marin maltais s'aventurer en Amérique Latine et dans les Caraïbes. Il est toujours question de magie noire, d'obscures luttes de pouvoir, de folie, de révolutions, et bien d'autres choses encore. On retrouve avec plaisir certains habitués de la série : le professeur Steiner ou Bouche Dorée. Mais une fois de plus (pour le moment du moins), Hugo Pratt parvient à se renouveler et à proposer une suite de brèves histoires qui se suffisent à elles-mêmes, et qui forment un kaléidoscope poétique de ce que pouvait être le début du XXème siècle en ces lieux, sous le haut patronage de Stevenson ou de Conrad. Il y a toujours cette distinction floue entre le rêve et la folie, avec la quête de l'El Dorado et de richesses perdues d'un côté, mais aussi les ravages de la guerre 14-18 de l'autre, qui laissa un grand traumatisme dans l'esprit de bien des combattants. Finalement, seul Corto parvient à toujours s'en sortir, pas complètement indemne physiquement, mais son flegme et son pragmatisme légèrement teinté de romantisme lui permettent d'éviter de croire aux mirages qui rendent fiévreux bien des hommes. On est même surpris par le ton assez émouvant de certains passages, la dernière histoire notamment. Malgré un verni ironique, presque (mais pas) sarcastique, Corto Maltese est finalement une série plus humaine qu'il n'y paraît, portée par un anti-héros moderne, faux dur au cœur tendre. Et « Corto toujours un peu plus loin » compte parmi les meilleurs albums dessinés et écrits par Hugo Pratt, ce qui est d'autant plus appréciable.

[4/4]

jeudi 28 août 2014

« L'Homme des Caraïbes » (Sven) d'Hugo Pratt (1979)

    « L'Homme des Caraïbes » est un vrai bon album d'Hugo Pratt, du moins tel que je l'entends. Il y a tous les ingrédients qui font ses meilleures aventures : un anti-héros sarcastique mais plus généreux qu'on ne le croit, des péripéties trépidantes, une révolution, de l'argent volé (faute de trésor), de la trahison, des rebondissements, un brin de mystère et un soupçon d'humour. Ajoutons un coup de crayon pas extraordinaire mais tout ce qu'il y a de plus honorable, et nous obtenons un agréable moment de lecture imagée. Seul regret : la relative brièveté de cette histoire, on aurait aimé la voir plus dense et plus complexe, pour mieux se dénouer à la fin. Mais ne boudons pas notre plaisir, tous les albums d'Hugo Pratt ne sont pas de cette teneur, alors mieux vaut s'en féliciter !

[3/4]

« À l'ouest de l'Eden » d'Hugo Pratt (1977)

    Au carrefour des religions et des croyances, « À l'Ouest de l'Eden » est une version moderne du mythe de Caïn et Abel, de ce meurtre fratricide qui ouvre les premières pages de la Bible. Et il faut bien le dire, Pratt a du talent : sa bande dessinée est terrifiante. Dans une ambiance d'une noirceur abyssale, les morts s'égrènent un à un sous les coups de feu d'un mystérieux vengeur. Le trait est somptueux, aride, sublimant un désert funeste d'où l'on ne réchappe pas vivant. Un bémol : le mélange d'influences de Pratt n'est pas encore imbuvable, mais presque. L'idée de revisiter le mythe sous les uniformes de l'armée britannique est géniale. Mais certains personnages (dont Ève) tombent dans une bouillie ésotérico-chamanesque pas forcément du meilleur aloi. Dommage. Ceci dit, il s'agit bien d'un album réalisé de main de maître... auquel on sera en droit de préférer certains Corto Maltese et d'autres aventures d'Hugo Pratt plus... chaleureuses et humaines !

[2/4]

« Jésuite Joe » (Jesuit Joe) d'Hugo Pratt (1980)

    « Jésuite Joe » est visuellement superbe. Dans l'édition couleur, les teintes automnales éclatent et brillent de mille feux. De plus, le personnage éponyme (sorte de justicier sorti tout droit de l'enfer) est mystérieux à souhait, presque fascinant, quasi mutique (les premières pages sont extraordinaires, nimbées d'un silence élégiaque)... mais il est aussi violemment brutal. Et c'est là que le bât blesse : difficile de ressentir de la sympathie pour Joe. Il tire à la carabine et scalpe à tour de bras... C'est le côté nihiliste de Pratt qui ressort dans cette brève aventure. Et ce n'est pas le versant que je lui préfère. Il y a toutefois une pointe d'humanité dans le comportement de Joe, mais est-ce le hasard ? Un très léger brin de bonté qui complexifie le personnage, sorte de Corto Maltese au cœur calciné. Est-ce le fait que la version que j'ai eue entre les mains ne comporte pas la fin de l'histoire (semble-t-il) ? Je ne sais pas. En tout cas difficile de comprendre les motivations de Jésuite Joe, et le sens de ce récit... J'attends d'avoir une version complète, si elle existe, pour réviser (ou pas) mon jugement.

[2/4]

mardi 19 août 2014

« Mû » d'Hugo Pratt (1992)

    Ultime aventure de Corto Maltese, « Mû » est, tout comme « Les Helvétiques », un long rêve halluciné. Et tout comme « Les Helvétiques », il s'agit pour moi d'un album en demi-teinte. Corto entre de plein pied dans le pays des songes, mais ces songes n'ont pas la même saveur, à mon goût, que ceux plus subtils des « Celtiques » et autres « Sous le signe du Capricorne ». Peut-être est-ce dû au « trop plein » d'onirisme : à forcer de vouloir mettre des templiers et des champignons hallucinogènes partout, et surtout à force de les croiser avec tout et n'importe quoi (ici l'Atlantide et le pays perdu de Mû), Hugo Pratt perd en crédibilité, et surtout cède à une certaine facilité. Il faut dire que j'entrevois une baisse de régime dans l’œuvre de l'Italien depuis « La Maison dorée de Samarkand », dernière grande aventure, et dernier véritable bon album d'Hugo Pratt. A mon sens, ce qui fait le sel de Corto Maltese, c'est ce mélange entre un contexte historique fort et trouble (la première moitié du XXème siècle), des personnages mystérieux et mémorables (Corto et les nombreux personnages secondaires, excepté Raspoutine, trop grossièrement écrit, surtout vers les derniers albums), de l'aventure, et une pointe (bien qu'indispensable et plus que bienvenue, mais je dis bien une pointe, pas une louche) d'onirisme et de poésie. Un mélange délicat, qui a fonctionné pendant plusieurs albums de choix, mais qui semble se faner à partir de « Tango »... Sous couvert d'onirisme, Pratt se fait plus trivial, et ses personnages n'ont plus grand chose à dire... On ne compte plus les invectives un peu vaines qui jouent d'un comique de répétition éculé... Ainsi, il y a beaucoup de cases qui s'écoulent sans intérêt dans « Mû », délayées dans un récit au flou artistique plus ou moins maîtrisé. Pour autant, quelques passages et quelques bonnes idées forcent le respect, et démontrent qu'Hugo Pratt est (ou fut) un grand de la bande dessinée. « Mû » n'est donc pas un grand album de BD, mais son originalité et la beauté du trait de Pratt en font tout de même un passage (initiatique ?) obligé pour qui s'intéresse au neuvième art.

[2/4]

vendredi 31 janvier 2014

« Ann de la Jungle » (Ann y Dann) de Hugo Pratt (1978)

    « Ann de la Jungle » est certainement le plus accessible des récits d'Hugo Pratt : c'est une œuvre que l'on peut lire à tout âge, et demeure à ce titre universelle. Pour tout dire, c'est un classique, dans le bon (et noble) sens du terme. A la différence du récent film « Tabou », de Miguel Gomes, empreint d'une mélancolie assez funeste, se nourrissant de souvenirs fantasmés d'une Afrique conquise et d'une jeunesse oisive, « Ann de la Jungle » est l'instantané d'une Afrique inquiétante, peuplée de tribus guerrières et hostiles, et nous conte l'histoire de deux jeunes adolescents avides d'aventure. C'est là la grande différence entre un imagier et un artiste : l'un reste à la surface et peine à donner chair à son récit, en dépit de la beauté de prime abord des images qu'il convoque, l'autre anime sous nos yeux des êtres de papier, pour les lancer à corps perdus dans le grand jeu de l'Aventure, celle de la jeunesse, celle de l'Afrique, celle du courage et de l'audace, mais aussi du merveilleux et du mystère. Ann et son jeune ami Dann sont des héros très archétypiques, mais on ne peut plus charmants. Juvéniles et intrépides, ils parcourent les fleuves comme la brousse, croisant au détour d'une embuscade un sorcier revenu d'entre les morts ou des trafiquants d'esclaves, et découvrant avec stupéfaction une cité perdue égyptienne ou le cimetière des éléphants. La cupidité, l'orgueil et la folie guettent toujours les sinistres personnages qui s'aventurent dans de telles contrées, mais c'est bien l'honneur et la fidélité qui ont le dernier mot. Les personnages secondaires sont fort bien esquissés psychologiquement parlant, et le coup de crayon d'Hugo Pratt, quoi qu’encore maladroit et manquant de personnalité (cette dernière se révèlera bien assez tôt dans les aventures de Corto Maltese), sert brillamment son histoire. Quel plaisir, donc, que de se plonger dans les aventures exotiques de la jeune Ann et de son ami Daniel ! Une œuvre qui ravira aussi bien les habitués du dessinateur italien que les amateurs de récits à la Hergé (« Tintin au Congo ») ou à la Conrad.

[4/4]

lundi 30 décembre 2013

« Fanfulla » (Le avventure di Fanfulla) de Mino Milani et Hugo Pratt (1981)

    Quel plaisir! Une réédition d'un album de bande dessinée digne de ce nom! Le fait est suffisamment rare, en ces temps de merchandising acharné, pour être souligné. L'histoire, captivante, a beau être signée Milani, « Fanfulla » est du pur Hugo Pratt. Je ne parle bien évidemment pas du coup de crayon si particulier de l'italien, un peu brouillon ici, mais par moments grandiose. Comme d'habitude, d'ailleurs, malgré les efforts déployés pour la mise en couleur, rien ne vaut un bon noir et blanc dessiné de main de maître, que nous ne pouvons qu'imaginer en l'occurrence. Mais ce qui fait que nous nous retrouvons en terrain connu, c'est tout d'abord cet anti-héros bagarreur, violent, qui cache sous la crasse et le picaresque un cœur d'or, et même une âme de chevalier. Fanfulla est certes un mercenaire, mais c'est avant tout l'alter ego de Corto Maltese : un bandit qui sert son propre intérêt... jusqu'à ce que l'honneur l'oblige à prendre parti pour les faibles et les opprimés, toujours avec un flegmatisme et une nonchalance inimitables. Pas de doute, Fanfulla est un héros complexe, lointain aïeul de Corto ou du lieutenant Koïnsky, des « Scorpions du Désert ». L'intrigue, quant à elle, ne dépareille pas dans l’œuvre du dessinateur italien. On retrouve ce mélange de bravoure et de traitrise, d'amour et d'aventure qui a fait son succès. Campée dans un contexte historique bien précis, le pillage de Rome et Florence par les troupes de Charles Quint, c'est l'occasion pour Milani et Pratt de s'approprier une nouvelle période de l'Histoire, et de donner vie à des personnages bien en chair, et proprement inoubliables. Notons, pour finir, que « Fanfulla » est un album complet : le scénario est entier (avec un début et une fin), et il ne manque pas de planches (du moins pas à ma connaissance), contrairement à « Sandokan », album inachevé. Voilà donc un opus qui devrait ravir les inconditionnels d'Hugo Pratt, et les amateurs de bandes dessinées de qualité.

[3/4]

mercredi 16 octobre 2013

« Les Helvétiques » (Rosa Alchemica) d'Hugo Pratt (1987)

    « Les Helvétiques » est l'avant dernière aventure de Corto Maltese dessinée par Hugo Pratt. Le style aussi bien graphique que scénaristique de l'auteur italien est alors complètement enlevé : toute l'histoire n'est en fait qu'un long songe, oscillant entre rêve et cauchemar. Littéralement happé par un livre moyenâgeux, le « Parzival » de Wolfram von Eschenbach, Corto Maltese, fraichement arrivé en Suisse, se retrouve embarqué dans une aventure de rose alchimique, de fées, de chevaliers, et de bien d'autres protagonistes tous plus inattendus les uns que les autres. Pour tout dire, on nage ici en plein onirisme, et c'est assez grisant. Toutefois l'ésotérisme de Pratt laisse quelque peu sur sa faim : la complexité de l'intrigue est parfois assez vaine, et il manque à l'italien une hauteur de vue certaine pour donner une âme réelle à son histoire, au-delà du « grand guignol » relatif qui caractérise l'ensemble. La première fois que j'avais lu cet album, j'avais été saisi par l'imagination foisonnante d'Hugo Pratt, et il faut bien le dire, séduit. Aujourd'hui que je l'aborde avec du recul, je ne peux m'empêcher de penser qu'il manque aux « Helvétiques » ce soupçon de « grandeur d'âme » (quelque chose dans ce genre) qui donnerait à l'ouvrage un caractère vraiment initiatique (puisque c'est semble-t-il son, ou du moins l'un de ses buts), c'est-à-dire qui enrichirait véritablement le lecteur, au lieu de le laisser troublé par les circonvolutions d'une intrigue picaresque mais un peu creuse... Pour autant, la lecture de cet album sera appréciée par tout aficionado de Corto Maltese qui se respecte... mais laissera certainement le non initié sur le carreau.

[2/4]

dimanche 7 avril 2013

« Cato Zoulou » (Cato Zulu) d'Hugo Pratt (1988)

    « Cato Zoulou » se déroule en Afrique du Sud à la fin du XIXème siècle. L'album est scindé en deux parties. La première raconte la fin absurde et tragique du jeune prince Eugène Louis Napoléon. On y retrouve l'attrait d'Hugo Pratt pour les destinées romantiques : idéaliste, épris de bravoure, le Français courra à sa perte. L'auteur italien en profite pour introduire un nouveau personnage, Cato Milton, tout aussi rustre et indiscipliné que le prince est distingué. Une autre facette de Pratt : le goût pour la bouffonnerie et le grotesque, parfois même pour le graveleux. L'autre partie de l'album est consacrée à la fuite de Cato, qui trouve refuge dans une caravane Boers, ne tardant pas à être attaquée par des Zoulous. « Cato Zoulou » compte parmi les œuvres « martiales » d'Hugo Pratt. Sa grande connaissance de l'histoire, des armées de l'époque, ainsi que des différentes cultures européennes et africaines, lui permet de faire revivre l'espace de 80 pages une histoire oubliée, avec un réalisme et une relative poésie appréciables. « Cato Zoulou » ne compte pas parmi les meilleurs bandes dessinées de Pratt, mais il s'agit néanmoins d'une solide aventure, où le goût du détail et de l'exotisme du dessinateur italien forcent l'admiration.

[2/4]

mardi 1 janvier 2013

« Sous le signe du Capricorne » (Sotto il segno del capricorno) d'Hugo Pratt (1971)

    « Sous le signe du Capricorne » rassemble six aventures de Corto Maltese. Elles se déroulent toutes en Amérique du Sud, du côté de la Guyane hollandaise, du Brésil, dans les Antilles et au Honduras. Nous retrouvons ainsi notre gentilhomme de fortune, fraichement revenu de Mélanésie (cf. « La Ballade de la mer salée »). Il fera la rencontre du jeune Tristan Bantam, de sa demi-sœur, Morgana, du professeur Steiner de l'université de Prague et retrouvera Bouche Dorée, magicienne vaudou. Il croisera des guérilleros opprimés par les colons marchands d'esclaves, et se lancera à la recherche de trésors perdus. « Sous le signe du Capricorne » est un album typique des aventures de Corto Maltese. Dans la droite lignée de Stevenson, Jules Vernes ou Conrad, Hugo Pratt nous offre un mélange d'exotisme, de tribulations trépidantes, de folie, de magie, de courage et de lâcheté. Il nous dépeint la destinée singulière d'un homme semble-t-il béni des dieux, flegmatique héros épris de liberté et perdu dans un début de siècle fiévreux. « Ce que tu cherches n'existe pas » dit Bouche Dorée à Corto. Ces quelques mots illustrent à merveille la quête presque métaphysique de ce héros de papier, qui d'aventures en aventures cherche à fuir quelque chose pour autre chose. Est-ce l'amour ? Le bonheur ? L'absolu ? Tout cela à la fois sans doute. Dans un beau noir et blanc, le trait encore un peu hésitant (Corto n'en est qu'à ses débuts), Hugo Pratt nous livre là une fois de plus un classique du genre.

[4/4]

lundi 31 décembre 2012

« Les Celtiques » (Le Celtiche) d'Hugo Pratt (1980)

    « Les Celtiques » est l'un des plus jolis albums des aventures de Corto Maltese. Il faut dire qu'il fait la part belle au rêve et aux mythes (en l'occurrence celtiques). Cet album regroupe quatre histoires. La première, « Concert en O mineur pour harpe et nitroglycérine », raconte les difficultés d'un groupe de l'IRA, aux prises avec les britanniques, en 1917. Il y est question d'honneur et de honte, d'héroïsme et de lâcheté, d'idéaux pour certains déchus, pour d'autres toujours vivants, et de rébellion contre l'oppresseur. La seconde histoire, « Songe d'un matin d'hiver », très poétique, figure la lutte des créatures enchantées celtiques contre l'envahisseur germanique. Nous sommes en effet pendant la Première guerre mondiale, et Obéron, roi des elfes ou des fées, c'est selon, apparaît à Stonehenge, inquiet du devenir des légendes de son pays. Entouré de la fée Morgane, de Merlin réveillé du sortilège jeté sur lui par Viviane, et de Puck,  espiègle lutin, il choisit un dormeur alangui au pied d'un rocher, notre ami Corto Maltese, pour délivrer l'Angleterre de la menace allemande. Notons la richesse et la beauté de l'illustration d'Hugo Pratt, qui fait de cet épisode l'un des sommets graphiques de son œuvre, avec la quatrième histoire de ce recueil. Vient ensuite « Côtes de Nuits et roses de Picardie ». Un passage narrant les exploits de l'aviateur Manfred von Richthofen, le fameux Baron Rouge. Aux commandes de son triplan rouge sang, il décime en effet les troupes alliées et domine le ciel picard. L'album s'achève avec « Burlesque entre Zuydcoote et Bray-Dunes », l'histoire d'un marionnettiste un peu fou et de sa protégée, l'envoûtante chanteuse Mélodie Gaël. Dans une atmosphère mystérieuse, un incident survient, alors que Corto retrouve son ami Caïn Groovesnore, apparu pour la première fois dans « La Ballade de la mer salée ». Ce bref récit est lui aussi illustré de main de maître, onirique à souhait, nous gratifiant d'une historiette captivante. Je ne saurait donc trop vous recommander cet ouvrage, comptant parmi les meilleurs réalisations du maestro italien.

[4/4]

jeudi 27 décembre 2012

« Morgan » d'Hugo Pratt (1999)

    Ultime œuvre dessinée par Hugo Pratt, au soir de sa vie, « Morgan » est à peu de choses près un condensé de la façon de faire de l'auteur italien. Un dessin épuré, une aventure dont l'intrigue est ancrée historiquement (nous sommes à la fin de la Seconde guerre mondiale), un héros moderne, un brin cynique... Morgan est sous-lieutenant dans la Royal Navy. Officier expérimenté, habile et rusé, il écope pourtant de missions anecdotiques, de routine. De son propre aveu, il a plus l'impression de travailler pour la Royal Mail que pour la Royal Navy. Mais les circonstances l'emmèneront là où il ne s'y attendait pas, au gré des vagues de l'Adriatique. Le dernier album dessiné par Hugo Pratt est de qualité. Une qualité qui aura caractérisé toute son œuvre. On peut cependant regretter qu'il manque à « Morgan » cette poésie qui fait les meilleurs albums du dessinateur italien, que l'on compte parmi la série des aventures de Corto Maltese. Hugo Pratt partage avec les plus grands une capacité à faire rêver sans pareille. Dommage que ce dernier opus n'en soit pas l'illustration (affaire de goûts personnels). Néanmoins il s'agit là d'une aventure bien ficelée, un peu brève, mais attachante.

[2/4]

mardi 25 décembre 2012

« Dans un ciel lointain » (In un cielo lontano) d'Hugo Pratt (1996)

    Brève aventure africaine, « Dans un ciel lointain » nous conte les exploits d'un as de l'aviation, le capitaine Pietro Bronzi. Il est italien, et nous sommes en 1940, lors de l'entrée en guerre de l'Italie dans le conflit mondial. Bronzi est amoureux de Luciana Gila, fille d'un colonel, ils ont d'ailleurs prévu de se marier d'ici peu. Hélas, Luciana aime en secret le frère de notre héros, Luca. Et ce dernier ne sait pas comment l'annoncer à son frère. La guerre, et l'affectation de Pietro à Asmara, en Érythrée, viendront les séparer. « Dans un ciel lointain » est une tragédie moderne, se déployant à Rhodes, dans le ciel africain, au gré des sables du désert. L'exotisme du décor vient rehausser la douleur du drame qui se noue. Notons la finesse des sentiments que dépeint Hugo Pratt : c'est une histoire accomplie qu'il nous offre. Certes, elle reste assez classique et ne compte pas parmi les meilleures réalisations de l'auteur italien, mais elle parvient sans peine à nous transporter vers l'Afrique orientale, et nous amène à nous préoccuper du sort d'un aviateur au cœur lourd.

[3/4]