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dimanche 13 février 2022

« Licorice Pizza » de Paul Thomas Anderson (2021)


 

    Cela faisait longtemps que je n’avais pas autant apprécié un film récemment sorti au cinéma. Bien que j’avais lu beaucoup de critiques positives sur ce long métrage, je me suis quand même pris une belle claque. Il faut dire que j’étais en froid avec Paul Thomas Anderson, après l’immense déception que fut pour moi « Phantom Thread ». Un film formellement éblouissant, maîtrisé à la perfection… mais au service d’un propos malsain. Anderson semblait sous l’emprise de son ego démesuré, lorgnant dangereusement vers un cinéma à la Kubrick, virtuose mais complètement vain…

Avec « Licorice Pizza », P. T. Anderson est venu m’apporter un vigoureux démenti, en prenant l’exact contrepied de son précédent long métrage. Quand celui-ci était froid comme la mort et profondément misanthrope, son dernier film est magnifiquement imparfait (en apparence) et plein de vie.

Porté par deux jeunes acteurs débordant de charisme et de vitalité (formidables Alana Haim et Cooper Hoffman !), c’est un véritable festival de scènes toutes plus drôles et plus attachantes les unes que les autres. Anderson nous plonge dans la Californie des années 1970 et nous montre l’envers du rêve américain. Sans être complaisant ni dénonciateur, il se fait chroniqueur d'une époque révolue, avec ses bons côtés, ses défauts et ses contradictions profondes, sans les masquer, et surtout sans non plus plaquer dessus une vision contemporaine. Un fait suffisamment rare pour une œuvre contemporaine que je ne peux que saluer le tour de force du cinéaste.

Pour illustrer ce rêve américain bancal et dérisoire, Anderson peuple son film de losers magnifiques, de personnages tous plus bizarres ou frappadingues les uns que les autres, nous offrant des séquences tordantes, dont certaines constituent de véritables morceaux de bravoure. Il est vrai que le cinéma de Paul Thomas Anderson a toujours été caractérisé par des personnages plus ou moins dysfonctionnels. Si parfois ils le sont au point d’être vraiment inquiétants (« There Will Be Blood ») ou quelque peu gênants (« Punch-Drunk Love »), ici on sent une vraie tendresse du cinéaste pour ses personnages profondément vivants car imparfaits, que ce soit physiquement ou dans leur comportement.

Personnellement, j’y vois un lien, volontaire ou pas, avec le cinéma de Lubitsch, et notamment avec son chef-d’œuvre « The Shop Around The Corner ». S’il n’est pas dit que « Licorice Pizza » aura la longévité du film de Lubitsch, rien n’est joué, car Anderson atteint ici un summum de subtilité dans l’écriture de ses personnages et de son film. On se prend à vouloir que ce dernier ne s’arrête jamais, tant on est ravi de suivre les (mésa)aventures de ces personnages loufoques et en même temps tellement réalistes et proches de nous.

D’ailleurs, une des grandes qualités de ce long métrage, et je trouve qu’on ne le dit pas assez, c’est justement son scénario. La mode, dans les séries comme les films, notamment américains, est à la linéarité et à la prévisibilité, et même à la standardisation forcenée des scénarios. Avec une structure complètement éculée et déjà vue : grosso modo exposition, rencontre et attirance mutuelle, puis difficultés et larmes, et enfin rabibochage et fin heureuse ou douce-amère, c’est selon.

Or, Anderson nous livre ici un scénario totalement imprévisible, tortueux, avec de multiples digressions, qui nous perd et nous fascine totalement. A l’inverse de « Inherent Vice », qui offrait aussi un scénario labyrinthique, mais qui échouait à créer un rythme, une tension et surtout un niveau de qualité suffisant à capter notre attention tout le long du film, « Licorice Pizza » est un régal de la première à la dernière minute. A tel point que quand le générique de fin arrive, on est surpris et déçu que ça s’arrête, même si le film s’achève à un bon moment, et pas abruptement, comme c’est le cas, de façon très frustrante, pour beaucoup de longs métrages.

Ainsi, si Anderson donne vie à des personnages imparfaits, son scénario est parfaitement maîtrisé. Tout comme sa mise en scène, absolument fluide, et complètement au service de son histoire et de ses protagonistes. On ne pouvait pas en dire autant de « Phantom Thread », un film à la réalisation géniale, mais qui semblait n’exister que pour elle et pour montrer combien Anderson est un virtuose. Pas de ça ici, ce qu’on retient avant tout, ce sont l’histoire et nos (anti)héros, même si régulièrement on se prend à saluer telle ou telle séquence brillamment mise en scène.

En bref, « Licorice Pizza » est gorgé de qualités, et notamment d’une galerie d’acteurs et de personnages particulièrement savoureux, des premiers rôles aux plus secondaires. C’est un film à la fois très drôle et vraiment touchant, frais et euphorisant, avec même une certaine poésie et une indéniable nostalgie, sans qu’elle soit passéiste ou rétrograde. Il a beau sortir l'hiver, il est printanier et solaire, empli d’une énergie communicative et plein de promesses tenues.

Un long métrage très réussi, que certains qualifient de mineur pour un Anderson, mais qui pour moi est l’un de ses tous meilleurs, un gros coup de cœur. Un film, voire même un chef-d’œuvre (n’ayons pas peur des mots), que je recommande vivement à tous les amoureux du cinéma… et de la vie.

[4/4]

mardi 16 novembre 2010

« Punch-Drunk Love » de Paul Thomas Anderson (2002)

    Paul Thomas Anderson a décidément bien du talent. Il lui reste encore un long chemin à parcourir avant de pouvoir prétendre à une place conséquente dans l'histoire du septième art, mais depuis ses débuts, il ne fait à mon sens que s'améliorer. « Punch-Drunk Love » est une fois de plus un long métrage original, cohérent et maîtrisé, peut-être plus que « Magnolia », bien qu'il ne possède pas sa puissance et son envergure en raison des codes auxquels il se réfère : ceux de la comédie romantique. La vacuité du cadre et les figures imposées qu'il suppose sont pour beaucoup dans le manque relatif de pertinence du quatrième long métrage d'Anderson, pour autant on ne peut nier sa capacité à dépasser le genre, et surtout à introduire une émotion réelle, c'est ce qui me permet d'être quelque peu laudatif envers « Punch-Drunk Love ». Les personnages sont bien plus caricaturaux que dans « Magnolia », complètement archétypiques, et brident l'émotion par leur manque criant de vérité. Toutefois, le personnage de Barry Egan est l'exception (partielle) à la règle : son traitement complètement surprenant constitue le coeur du long métrage, et est l'élément qui légitime réellement cet essai cinématographique. Il comporte tant de contradictions, est tellement déchiré par son entourage, sa famille, son métier, son époque, sans pouvoir y échapper! On sent une immense et bouleversante tension de son être… Et la retranscription de cet état psychologique et physique est rendue d'une telle manière par Adam Sandler et l'art d'Anderson que je confesse avoir été grandement touché par cet homme sans réelle personnalité, jouet de forces qui en revanche demeurent bien réelles, et relèvent de notre quotidien et notre temps. « Punch-Drunk Love » est une sorte de poème grinçant sur la modernité, maladroit certes (Anderson n'est pas Jacques Tati), mais d'une qualité indéniable. On pourra regretter une multitude d'effets n'apportant pas grand chose, mais ils participent de l'abstraction (et de la beauté plastique) du film : ils possèdent à ce titre un intérêt, même minime. En revanche certains éléments à la signification obscure m'ont paru plus dispensables (à moins que leur sens profond et essentiel m'ait échappé)… Un long métrage relativement mineur dans la filmographie de Paul Thomas Anderson, ce qui veut tout de même dire qu'il comporte un réel intérêt, puisque je me répète Anderson me semble être un réalisateur actuel des plus intéressants.

[1/4]