lundi 24 mai 2021

« Drunk » (Druk) de Thomas Vinterberg (2020)


     Quel plaisir de retourner au cinéma et d'y découvrir un vrai film. Ce sentiment, je l’ai eu pour la dernière fois en allant voir « Parasite » de Bong Joon-ho en salles. D’ailleurs, les deux longs métrages ont certains points communs, outre leur moisson de récompenses.

Il s’agit de films multiples, ambivalents, mixant comédie et tragédie, rire et émotion, réflexion et légèreté. Deux longs métrages qui radiographient notre société contemporaine et notamment leur pays. Deux films alliant une brillante interprétation à une réalisation inspirée et efficace.

Je tiens ainsi à saluer en introduction l’interprétation parfaite des différents acteurs, l’immense Mads Mikkelsen en tête. Mais aussi à tirer mon chapeau à Thomas Vinterberg, que j’avais quitté en très petite forme, avec un « Submarino » décevant et manichéen au possible.

La grande force de « Drunk » est son ambiguïté. Vinterberg se cache d’ailleurs un peu derrière pour ne pas prendre position, mais soit, son film perdrait en intérêt sinon. Ce long métrage est ainsi à la fois une célébration et une dénonciation de l’ébriété. Plus encore, c’est un film constamment sur le fil du rasoir, à l’image de ses protagonistes.

En effet, ceux qui l’ont testé le savent : boire peut-être libérateur... Jusqu’à un certain point. Cela permet de se désinhiber, on est plus volubile, plus sûr de soi, parfois même plus lucide sur certains points, plus détendu. Mais, et il y a un gros mais, ça ne vaut qu’avec modération. Dès que la prise d’alcool est trop répétée ou trop importante, le rêve éveillé peut devenir un cauchemar.

Et c’est tout l’enjeu de ce film. Montrer des personnages cinquantenaires, englués dans leur quotidien et la banalité de leur vie, qui décident de renverser la table, de se mettre à boire comme leurs jeunes élèves, à célébrer la vie, mais qui pensent pouvoir se maîtriser. 4 hommes en lutte avec eux-mêmes et qui tentent de retrouver un équilibre… précaire et instable.

Au début, c’est comme un jeu, une boutade, une pseudo-expérimentation qui les fait rire et nous avec. Un psychologue norvégien indique que l’homme est fait pour vivre avec 0,5 grammes d’alcool dans le sang, pas plus, pas moins. Au début, donc, on y croit. Nos (anti)héros sont transformés, métamorphosés, tout semble leur réussir. Ils auraient pu s’arrêter là. Mais non, la démesure humaine les rattrape.

Ils franchissent alors la ligne jaune. Ils perdent le contrôle. Tout s’emballe. Si certains arrivent encore à se raccrocher à des bouées dérisoires, pour d’autres c’est la fuite en avant. Thomas Vinterberg aurait pu en rester là, et faire de ce film une amère condamnation de l’alcool.

Mais il fait un autre choix. D’un côté il semble presque glorifier la saoulerie, qu’elle soit monumentale et impressionnante chez les jeunes étudiants, ou plus discrète mais tout aussi festive pour nos 4 personnages. De l’autre, il montre crument les ravages de l’alcool, avec des conséquences parfois irréversibles.

Vinterberg ne tranche donc pas. D’un côté l’alcool est une fête à lui seul, de l’autre il blesse et tue profondément, le corps comme l’âme. Ce n’est pas l’un ou l’autre, ce sont les deux à la fois. Les deux faces d’une même pièce.

La séquence qui le manifeste le mieux est la dernière, brillante. Une scène survoltée, avec un Mads Mikkelsen en transe. Jusqu’à ce plan final, suspendu. Martin est-il en train de renaître, de revivre, de s’amuser une dernière fois avant de reprendre le contrôle de sa vie ? Ou est-ce vraiment la fin, la fête de trop, puis la mort ?

Le film s’achève, irrésolu. Plein de cette contradiction : l’alcool est synonyme de convivialité, mais aussi de déchéance, de joie et de détresse. Est-il possible – et souhaitable – de rester raisonnable ?

[3/4]

dimanche 16 mai 2021

« Titanic » d'Attilio Micheluzzi (1988)


 

Avec « Titanic », Micheluzzi signe à la fois une tragédie moderne et une critique acerbe de la grande bourgeoisie de l'époque. Parmi tout le gratin des passagers de « l'insubmersible » navire, bien peu trouvent grâce aux yeux de notre implacable auteur et narrateur. Une fois de plus, Micheluzzi nous livre une étude de caractères, avec des personnages hauts en couleur, dont beaucoup ont quelque chose à se reprocher.

 

Les vices des riches passagers sont alors comme une insulte aux pauvres qui ne peuvent s'embarquer à bord, ou à ceux qui doivent se contenter des 2e et 3e ponts, le premier étant réservé à « l'élite ». Pour autant, les personnes issues du peuple ne sont pas toutes représentées sous un jour favorable. Comme par exemple l'anarchiste vindicatif, qui est dépeint comme une grosse brute guère appréciable...

 

Finalement, Micheluzzi adopte un point de vue « surplombant », terriblement objectif, comme le rappelle le 4e de couverture de l'édition Mosquito. « Quand la grande horloge sonne les derniers coups, il est minuit pour tout le monde... Qu'on soit femme de chambre, prince russe, révolutionnaire ou encore millionnaire américain, il suffit parfois d'un simple bloc de glace pour remettre tout le monde sur un pied d'égalité ».

 

Ainsi, bons ou mauvais, les passagers du Titanic sont finalement logés à la même enseigne. La mort frappe aveuglément, quelle que soit sa fortune ou sa grandeur d'âme. La seule différence, peut-être, c’est son attitude lorsque la mort survient. La bande dessinée de Micheluzzi devient alors une méditation sur la vanité, celle d'une époque, celle d'une classe qui se croit supérieure, et plus largement celle d'une humanité faillible qui peine à apprendre de ses erreurs.

 

Toutefois, comme à son habitude, le maestro italien laisse entrevoir une fine lueur d’espoir, avec certains personnages plus vertueux, qui permettent de donner davantage de saveur au récit et qui empêchent qu’il soit monolithique, uniformément noir. Comme à son habitude, Micheluzzi nous offre un récit très nuancé.

 

Le style graphique en noir et blanc ne doit pas nous tromper, Micheluzzi est un auteur qui préfère les nuances de gris, ou de couleurs, à une vision binaire du monde. Et c’est tout sauf du relativisme (moral ou autre). C’est juste que l’auteur italien était un homme de son temps, du 20ème siècle, et qu’il savait que la vie est à la fois simple et terriblement complexe, tout comme nos sociétés humaines.

 

Et je dois dire que je regrette cette subtilité, qu’on ne trouve plus que rarement aujourd’hui, que ce soit dans l’art ou dans d’autres domaines… Un constat qui ne rend que plus précieuse l’œuvre d’Attilio Micheluzzi, talentueux auteur et témoin privilégié d’un siècle de profonds bouleversements.

 

[3/4]

« Dream Songs: The Essential Joe Hisaishi » de Joe Hisaishi (2020)


 

    Une solide compilation, qui reprend les morceaux phares des bandes sons signées Hisaishi, notamment des films de Miyazaki et de Kitano. Il me semble que la majorité des titres ont été réenregistrés par rapport aux bandes originales, car on entend des variations subtiles mais néanmoins perceptibles, sans que cela altère le plaisir qu'on éprouve à les écouter.

 

Un des gros intérêts de cette compilation est qu'elle comporte également des morceaux issus des albums personnels d'Hisaishi, dans un style de musique classique contemporaine mixant harmonieusement influences extrême-orientales et occidentales. Des albums moins bien distribués sur le continent européen et qui comportent quelques véritables pépites.

 

Toutefois, si je devais adresser un reproche, c'est que cette compilation, surtout sur le 2e CD, propose des versions réduites au piano de certains titres phares tirés de BO de films composées par Hisaishi, alors qu'ils sont à la base taillés pour un orchestre symphonique. Je pense par exemple à la suite tirée de Nausicaä, qui est un véritable chef-d’œuvre dans sa version symphonique, dont je ne me lasse pas. Et qui rend forcément (beaucoup) moins bien au piano seul...

 

Pour le fan (que je suis), cette compilation constitue un complément aux albums des BO d'Hisaishi et n'est donc pas un mauvais investissement, car elle permet d'avoir des versions alternatives de certains de ses titres phares. En revanche, pour celui ou celle qui recherche la compilation ultime de Joe Hisaishi, il lui faudra passer son tour... Même si on n'en est vraiment pas passé loin et que je recommande tout de même ce double album, d'une grande qualité.

 

[4/4]

samedi 1 mai 2021

« Bab El-Mandeb » d'Attilio Micheluzzi (1986)

 

 

Une excellente BD d'aventure et historique, figurant dans ce qu'Attilio Micheluzzi a fait de mieux. Cette fois-ci, il nous emmène en Afrique du Nord en 1935, à la veille de l'occupation de l’Abyssinie (actuelle Éthiopie) par les Italiens fascistes. On se retrouve alors à suivre 4 héros, deux hommes et deux femmes, au volant de deux automitrailleuses, qui doivent aider les abyssiniens à repousser les envahisseurs italiens.

 

Comme d'habitude, Micheluzzi nous offre une BD dessinée à la perfection, nous projetant dans des contrées exotiques à l'aide d'un style graphique et narratif ayant beaucoup de charme. L'espace restreint que constituent ces deux véhicules et leur parcours semé d'embuches lui permettent également de nous livrer une belle étude de caractères, avec la subtilité qui le caractérise. Mais non sans rugosité, agrémentée d’une bonne dose d'humour, Attilio Micheluzzi étant tout sauf un auteur lisse.

 

De plus, le travail de reconstitution historique de Micheluzzi est comme toujours remarquable. Il place nos héros dans un bourbier inextricable, dans des terres disputées par les grandes puissances européennes et locales de l’époque : Italie, Grande-Bretagne, France, Abyssinie, Égypte... Un véritable sac de nœuds qui confirme que le 20ème siècle fut décidément une époque d'une grande complexité, un temps de grands bouleversements qui affectèrent le monde entier.

 

Pour finir, on ne peut que saluer le talent de conteur de Micheluzzi. Ici, le récit est prétendument tiré d’un journal que l’auteur aurait retrouvé. Comme il aime le faire, Micheluzzi s’amuse avec la narration, jouant de l’ellipse et de l’euphémisme comme personne, avec une écriture tantôt télégraphique tantôt poétique. De surcroît, il sait donner un rythme à ses bandes dessinées, et l’on suit les aventures haletantes de nos héros avec intérêt, l’intrigue allant de rebondissements en rebondissements.

 

Je suis donc une fois de plus conquis par une bande dessinée de Micheluzzi. Auteur érudit, virtuose graphique, conteur doué, il avait manifestement toutes les qualités pour figurer parmi les meilleurs auteurs et dessinateurs de BD. Malheureusement, franc-tireur et arrivé à ce métier sur le tard, il semble aujourd’hui oublié… Je ne peux qu’inciter les amateurs de bandes dessinées de qualité à (re)découvrir son œuvre, particulièrement riche et passionnante.

 

[4/4]