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dimanche 16 mai 2021

« Titanic » d'Attilio Micheluzzi (1988)


 

Avec « Titanic », Micheluzzi signe à la fois une tragédie moderne et une critique acerbe de la grande bourgeoisie de l'époque. Parmi tout le gratin des passagers de « l'insubmersible » navire, bien peu trouvent grâce aux yeux de notre implacable auteur et narrateur. Une fois de plus, Micheluzzi nous livre une étude de caractères, avec des personnages hauts en couleur, dont beaucoup ont quelque chose à se reprocher.

 

Les vices des riches passagers sont alors comme une insulte aux pauvres qui ne peuvent s'embarquer à bord, ou à ceux qui doivent se contenter des 2e et 3e ponts, le premier étant réservé à « l'élite ». Pour autant, les personnes issues du peuple ne sont pas toutes représentées sous un jour favorable. Comme par exemple l'anarchiste vindicatif, qui est dépeint comme une grosse brute guère appréciable...

 

Finalement, Micheluzzi adopte un point de vue « surplombant », terriblement objectif, comme le rappelle le 4e de couverture de l'édition Mosquito. « Quand la grande horloge sonne les derniers coups, il est minuit pour tout le monde... Qu'on soit femme de chambre, prince russe, révolutionnaire ou encore millionnaire américain, il suffit parfois d'un simple bloc de glace pour remettre tout le monde sur un pied d'égalité ».

 

Ainsi, bons ou mauvais, les passagers du Titanic sont finalement logés à la même enseigne. La mort frappe aveuglément, quelle que soit sa fortune ou sa grandeur d'âme. La seule différence, peut-être, c’est son attitude lorsque la mort survient. La bande dessinée de Micheluzzi devient alors une méditation sur la vanité, celle d'une époque, celle d'une classe qui se croit supérieure, et plus largement celle d'une humanité faillible qui peine à apprendre de ses erreurs.

 

Toutefois, comme à son habitude, le maestro italien laisse entrevoir une fine lueur d’espoir, avec certains personnages plus vertueux, qui permettent de donner davantage de saveur au récit et qui empêchent qu’il soit monolithique, uniformément noir. Comme à son habitude, Micheluzzi nous offre un récit très nuancé.

 

Le style graphique en noir et blanc ne doit pas nous tromper, Micheluzzi est un auteur qui préfère les nuances de gris, ou de couleurs, à une vision binaire du monde. Et c’est tout sauf du relativisme (moral ou autre). C’est juste que l’auteur italien était un homme de son temps, du 20ème siècle, et qu’il savait que la vie est à la fois simple et terriblement complexe, tout comme nos sociétés humaines.

 

Et je dois dire que je regrette cette subtilité, qu’on ne trouve plus que rarement aujourd’hui, que ce soit dans l’art ou dans d’autres domaines… Un constat qui ne rend que plus précieuse l’œuvre d’Attilio Micheluzzi, talentueux auteur et témoin privilégié d’un siècle de profonds bouleversements.

 

[3/4]

samedi 1 mai 2021

« Bab El-Mandeb » d'Attilio Micheluzzi (1986)

 

 

Une excellente BD d'aventure et historique, figurant dans ce qu'Attilio Micheluzzi a fait de mieux. Cette fois-ci, il nous emmène en Afrique du Nord en 1935, à la veille de l'occupation de l’Abyssinie (actuelle Éthiopie) par les Italiens fascistes. On se retrouve alors à suivre 4 héros, deux hommes et deux femmes, au volant de deux automitrailleuses, qui doivent aider les abyssiniens à repousser les envahisseurs italiens.

 

Comme d'habitude, Micheluzzi nous offre une BD dessinée à la perfection, nous projetant dans des contrées exotiques à l'aide d'un style graphique et narratif ayant beaucoup de charme. L'espace restreint que constituent ces deux véhicules et leur parcours semé d'embuches lui permettent également de nous livrer une belle étude de caractères, avec la subtilité qui le caractérise. Mais non sans rugosité, agrémentée d’une bonne dose d'humour, Attilio Micheluzzi étant tout sauf un auteur lisse.

 

De plus, le travail de reconstitution historique de Micheluzzi est comme toujours remarquable. Il place nos héros dans un bourbier inextricable, dans des terres disputées par les grandes puissances européennes et locales de l’époque : Italie, Grande-Bretagne, France, Abyssinie, Égypte... Un véritable sac de nœuds qui confirme que le 20ème siècle fut décidément une époque d'une grande complexité, un temps de grands bouleversements qui affectèrent le monde entier.

 

Pour finir, on ne peut que saluer le talent de conteur de Micheluzzi. Ici, le récit est prétendument tiré d’un journal que l’auteur aurait retrouvé. Comme il aime le faire, Micheluzzi s’amuse avec la narration, jouant de l’ellipse et de l’euphémisme comme personne, avec une écriture tantôt télégraphique tantôt poétique. De surcroît, il sait donner un rythme à ses bandes dessinées, et l’on suit les aventures haletantes de nos héros avec intérêt, l’intrigue allant de rebondissements en rebondissements.

 

Je suis donc une fois de plus conquis par une bande dessinée de Micheluzzi. Auteur érudit, virtuose graphique, conteur doué, il avait manifestement toutes les qualités pour figurer parmi les meilleurs auteurs et dessinateurs de BD. Malheureusement, franc-tireur et arrivé à ce métier sur le tard, il semble aujourd’hui oublié… Je ne peux qu’inciter les amateurs de bandes dessinées de qualité à (re)découvrir son œuvre, particulièrement riche et passionnante.

 

[4/4]

dimanche 28 mars 2021

« L'Homme du Khyber » (L'uomo del Khyber) d'Attilio Micheluzzi (1980)


 

Encore une pépite signée Micheluzzi. Tout comme « L'Homme du Tanganyika » du même auteur, cette BD fait partie de la célèbre collection « Un Homme Une Aventure », à laquelle nombre de grands dessinateurs italiens ont contribué, dont Hugo Pratt qui a livré 3 albums.

Ici, Micheluzzi lorgne du côté de Kessel ou Kipling, dans ce récit en Afghanistan, où l'armée coloniale britannique est aux prises avec des rebelles Afghans. Attilio Micheluzzi était un homme des marges, né en Istrie en 1930, alors en Italie et aujourd'hui en Croatie. Une
région longtemps disputée par les différents empires et royaumes européens.

 
Il semble donc dans son élément pour nous conter les aventures d'un métis indo-britannique, plongé dans le chaudron de l'Afghanistan, pays au centre d'influences et d'intérêts divers, où se rencontrent une multitude de peuplades. Deux grandes puissances européennes s'opposent notamment : la Grande-Bretagne et la Russie.
 

Il est particulièrement plaisant de lire une BD qui ne refuse pas la complexité, et préfère rendre compte de la diversité des nuances de caractères ou des convictions politiques de l'époque. Il n'y a pas de réels gentils ou méchants, juste des personnes qui ont leur propre destinée, servant une nation ou leur intérêt immédiat. Parfois, au fil du récit, un même personnage peut même être tour à tour lâche ou courageux, trahir ou mourir pour une cause qui le dépasse.


En cela, il me semble salutaire de lire ce genre d'ouvrages, honorant la mémoire des hommes et femmes qui nous ont précédés. Cette BD rend un bel hommage à l'extrême complexité de l'histoire afghane, complexité sur laquelle nos contemporains, notamment américains, ne pouvaient que se casser les dents.

 
Il en résulte une BD absolument passionnante, extrêmement fouillée et érudite, mais qui sait faire la part belle à l'action et à un certain romantisme, qui plus est dessinée de main de maître.
Bref, encore une admirable BD que je recommande !

 

[4/4]

dimanche 14 avril 2019

« Petra Chérie » d'Attilio Micheluzzi (1977)

    Plus grand monde ne semble se souvenir d'Attilio Micheluzzi. Il est vrai qu'il n'a pas la renommée d'un Hugo Pratt, probablement le dessinateur italien le plus connu. Pour autant l’œuvre de Micheluzzi est tout à fait digne d'intérêt. Pour ma part, j'ai connu ce dessinateur en lisant le livre-interview de Jirô Taniguchi (« Jirô Taniguchi, l'homme qui dessine »), célèbre mangaka japonais, qui reconnaissait l’œuvre de Micheluzzi comme l'une de ses influences.

Un point commun entre Pratt et Micheluzzi : ils eurent tous deux un père militaire. Est-ce parce qu'ils furent marqués par les deux grands conflits mondiaux du XXème siècle, toujours est-il qu'ils partagèrent également un goût pour l'Histoire, qui se traduisit avec bonheur dans leurs bandes dessinées fouillées et érudites.

Mais la comparaison s'arrête là. Car si Hugo Pratt s'est peu à peu libéré de ses influences pour produire une œuvre extraordinairement originale, ne serait-ce que sur un plan purement visuel, Micheluzzi s'est ostensiblement placé sous le haut patronage de Milton Caniff. Je ne connais que de réputation ce dernier. Mais il semble que tout comme Caniff, Micheluzzi ait créé, du moins pour « Petra Chérie », des personnages archétypiques : Petra la femme fatale, sans doute inspirée par Louise Brooks, mondaine, effrontée et courageuse, Nung, son fidèle serviteur, sorte de sage chinois tout droit sorti d'une image d’Épinal, Shapiro, son fidèle dogue, et ainsi de suite.

Mais le coup de génie de Micheluzzi, c'est qu'il se sert de ses personnages un peu clichés pour mieux les placer dans des situations troubles. Micheluzzi pratique l'art de l'entre deux, du clair obscur, visuel mais aussi moral. En fait c'est là ce qui fait l'originalité de sa série : le dessinateur et auteur italien fait évoluer ses personnages à la fin de la guerre 14-18, à une époque ambivalente. Son héroïne, Petra de Karlowitz, est citoyenne néerlandaise, fille d'un riche industriel polonais et d'une belle française. A l'époque, la Hollande est un pays neutre, tout comme semble l'être Petra. Mais son cœur balance du côté Allié, et elle profite de son statut social favorisé et de son apparente neutralité pour prêter main forte dans la guerre contre les empires germaniques.

Petra fait alors face à toute une palette de dilemmes moraux : tromper des amis de l'autre bord, s'afficher neutre jusque dans les combats pour ne pas subir le feu ennemi, poser une bombe alors qu'elle est invitée d'honneur... Mais ce qui est également intéressant, c'est la complexité des personnages qu'elle croise sur son chemin. Si Petra est tout sauf totalement blanche ou noire, il en va de même pour ses contemporains. Ses ennemis ont toujours leurs raisons, et « Petra Chérie » devient le récit d'une époque passionnante car terriblement nébuleuse et confuse. Grandeur d'âme et bassesse se côtoient, parfois même au sein d'un même personnage.

« Petra Chérie » réserve ainsi de nombreux niveaux de lecture. Mais cette série est aussi le témoignage de la fin d'une certaine Europe, cosmopolite et lettrée, comme l'est Petra. Et c'est plus particulièrement à travers la trajectoire de l'héroïne éponyme que cette chute nous est dépeinte. D'abord enjouée, légère et irrévérencieuse, Petra va se retrouver de plus en plus engluée dans les conflits de son temps et les situations extrêmement dangereuse qui s'ensuivirent, surtout quand on est une femme, belle et intrépide. L'éclat de Petra va ainsi peu à peu se ternir... jusqu'à l'avènement du bolchévisme, qui signe la fin de ce récit fleuve... et peut-être bien d'une époque, et même d'un monde.

« Pétra Chérie » est donc un monument oublié du neuvième art, une série constituée autour d'une multitude de brefs épisodes, comme autant de contes moraux modernes, ou comme un opéra de papier avec ses personnages flamboyants, ses retournements de situation surprenants et ses moments tragiques. Une série magnifique, qui laisse songeur une fois la dernière page lue et l'album refermé. Comme un bout du XXème siècle, un morceau de ce continent embrasé, de cette Histoire que plus grande monde ne connaît vraiment de nos jours... Un témoignage inestimable de ce qui fut et n'est plus...

[4/4]