samedi 30 mars 2019

« La Passion Van Gogh » (Loving Vincent) de Dorota Kobiela et Hugh Welchman (2017)

    Cela faisait un moment que j’avais ce long métrage dans ma pile de films à voir. Un long métrage sur Vincent Van Gogh, reprenant son style pictural pour littéralement donner vie à ses peintures, voilà de quoi intriguer et donner envie. Pour autant, j’ai mis du temps avant de franchir le pas. Principalement car je craignais le biopic académique et l’exercice de style vain et creux. Je craignais de m’ennuyer devant ce long métrage que je suspectais convenu et mécanique.

Fort heureusement, « La Passion Van Gogh » m’a rapidement rassuré. En prenant le parti de raconter une sorte d’enquête visant à élucider les conditions troubles de la mort de Vincent Van Gogh, les réalisateurs ont abordé la vie du peintre de manière originale et ont évité le principal écueil de tout biopic : un récit linéaire qui reprend étape après étape les grands moments de l’existence du personnage principal, de façon paresseuse et sans aucune surprise. « La Passion Van Gogh » raconte donc la vie de l’artiste néerlandais par petites touches, au gré des souvenirs des différentes personnes qui l’ont rencontré de son vivant.

Les réalisateurs réussissent ainsi à dépeindre les sentiments et les pensées du peintre, que l’on découvre ultra sensible et fragile. On accède de la sorte à l’être intérieur de Van Gogh, et même, tout simplement, à son âme. « La Passion Van Gogh » n’est donc pas seulement une prouesse technique, c’est aussi l’un des meilleurs films réalisés sur Van Gogh, aux côtés du court métrage « Van Gogh » de Resnais, de « La Vie passionnée de Vincent Van Gogh » de Vincente Minnelli ou encore du segment des « Rêves » de Kurosawa consacré à l’artiste tourmenté.

« La Passion Van Gogh » est tout sauf aride, c’est un long métrage passionnant, que l’on finit par trouver bien trop court tant il a de choses à raconter. Il s’agit pour moi de la plus grande réussite de ce film : rendre un bel hommage au peintre tout en permettant au public de rentrer au cœur de ses œuvres, en comprenant mieux le monde intérieur qui les a fait naître. Le passage sur la série des tournesols, par exemple, est à la fois didactique et extrêmement touchant en ce qu’il révèle la profondeur et la méticulosité de l’art de Van Gogh, tout sauf un peintre uniquement visuel. Car Van Gogh était un véritable mystique, oscillant entre passion, lucidité et folie. Un être démesurément humain et terriblement touchant.

Évidemment, je ne peux pas finir ce texte sans évoquer l’aspect visuel de ce long métrage. Si la qualité de son écriture relègue presque son esthétique au second plan, un comble au vu du résultat pictural tout bonnement bluffant, on ne peut s’abstraire de ces images dont on a tous rêvé. Se plonger dans les peintures de Van Gogh, faire revivre les personnages, l’arrière plan, la ville et les champs, bien des artistes, réalisateurs notamment, l’ont tenté, avec succès d’ailleurs. Mais là une autre dimension est franchie avec l’aspect totalement immersif de ce long métrage. En fait, le film se compose de deux styles graphiques : principalement celui de Van Gogh, pour représenter le présent, et un style crayonné en nuances de gris pour figurer le passé, lors de flash backs.

Une majeure partie du long métrage reprend donc le style de Van Gogh, et c’est un vrai régal. L’animation est d’une grande qualité, et les tableaux du peintre prennent vie sous nos yeux, dans un magnifique ballet de formes et de couleurs. Les jaunes, les bleus, les ocres, tout cela semble danser devant nous, comme si les tableaux étaient des personnages à part entière. C’est une autre façon de les regarder et de les transmettre aux générations futures, par l'entremise du cinéma.

Fort de nombreuses qualités, « La Passion Van Gogh » constitue une véritable plongée dans l’œuvre intense et si belle du peintre hollandais, qui ne laisse pas indifférent. Une ballade à la fois onirique et charnelle, nous faisant mieux comprendre qui était réellement Vincent Van Gogh. En somme, un film éminemment recommandable pour tous les amoureux de son art.

[3/4]

dimanche 3 mars 2019

« Une Île lointaine » de Lele Vianello (2019)

    Lele Vianello fut l'un des assistants d'Hugo Pratt. La manière avec laquelle il écrit le scénario et les personnages ainsi qu'avec laquelle il dessine sont donc très proches de la façon de faire du maître. C'est d'ailleurs Vianello qui aurait dû, en toute logique, reprendre le personnage de Corto Maltese, et non le duo Juan Díaz Canales et Ruben Pellejero, parachutés semble-t-il uniquement pour des raisons pécuniaires... Mais revenons à Vianello.

Je ne connais l'existence du bonhomme que depuis peu, en étant tombé par hasard en librairie sur ce que je pensais être un inédit de Pratt, « Le Fanfaron », tant la ressemblance graphique était trompeuse. En regardant bien, nulle trace du nom de Pratt sur la couverture, à la place celui de Vianello, donc, et j'ai dû me rendre à l'évidence : il y avait bien quelqu'un capable de dessiner comme Pratt.

On trouve peu d'informations à propose de Vianello sur internet, et je n'ai hélas pas les compétences pour lire sa fiche Wikipédia existant seulement en italien. Difficile de savoir si les albums édités (avec soin) chez Mosquito sont des rééditions ou des éditions originales. Difficile donc de savoir quand ont réellement été créées ses œuvres. 

Je suis donc tombé récemment sur la dernière BD de Vianello publiée chez Mosquito : « Une Île lointaine », publiée en janvier 2019, sans trop savoir s'il s'agit d'un tout nouvel album ou d'une réédition. A voir les quelques maladresses du trait, je dirais toutefois qu'il s'agit d'un nouvel album. Vianello n'étant plus tout jeune, on peut comprendre que son coup de crayon soit parfois hésitant.

Pour autant, je ne voudrais pas laisser l'impression que cette BD est mauvaise, c'est d'ailleurs tout le contraire, on ressent l'ambiance des albums de Pratt, avec ce héros, lointain cousin de Corto, ici nommé Julian Drake. Un marin roublard cherchant à se sortir d'une mauvaise passe. On retrouve ce mélange de gravité et de légèreté, cette ironie, cette nonchalance, le tout dans un univers exotique, parmi les îles du Pacifique.

Bien sûr, ce n'est pas aussi bon que les meilleures œuvres du maestro, mais pour ce qui semble être plutôt une œuvre « sur le tard » de Vianello, nous avons affaire ici à une BD accomplie. Malgré les grandes cases typiquement « prattiennes » qui font que les 60 pages se lisent rapidement, Vianello sait ménager un rythme à son histoire, avec un début, un milieu et une fin, cette dernière arrivant de façon harmonieuse, sans être trop abrupte.

Et quel plaisir de revivre un instant cette atmosphère si particulière, ce goût pour l'aventure dans des contrées reculées, avec notre héros malicieux. Et puis le fin mot de l'histoire vient donner un peu de panache, et révèle chez Vianello un goût pour l'humanisme digne du Pratt des grands soirs.

Pour tous les orphelins de Pratt, c'est donc vers l’œuvre de Vianello que je vous invite à vous tourner, si vous souhaitez revivre les grands moments du maître, agrémentés de la sensibilité propre à son digne successeur.

[3/4]