Magnifique roman d'apprentissage,
d'une profondeur insondable. Certes, le ton très didactique et le vocabulaire
simple peuvent laisser penser que cet ouvrage ne s'adresse qu'aux adolescents.
Mais si c'était le cas, ce serait déjà un chef-d’œuvre de la littérature
jeunesse, par sa force et sa richesse sur le fond. D'ailleurs, c'est ce qu'il
est. Son retentissement énorme, des décennies après sa rédaction, en est la
preuve éclatante.
Mais ce livre peut aussi se lire à
un âge adulte, et n'en est que plus émouvant. Il permet de se mettre à hauteur
d'adolescent, en se replongeant dans nos pensées de l'époque, mais aussi nos
choix qui ont fait l'adulte que nous sommes aujourd'hui. Qui plus est, l'auteur
déploie des valeurs universelles, valables à tout âge et quelle que soit son
origine ou son pays. Ce qui est d’ailleurs remarquable, pour un livre écrit en
1937, alors que les totalitarismes étendaient leur emprise sur le monde entier…
Si le style, que ce soit dû à la
traduction ou non, peut paraître un peu scolaire, il se dégage de la lecture de
ce livre un enthousiasme vivifiant et des sentiments subtils. Il est
indispensable de prendre connaissance du contexte de rédaction de ce livre
avant de s'y plonger, ce que permet la note introductive signée de l'auteur,
Genzaburô Yoshino, dans l’édition Picquier (excellente). Cet ouvrage est en
fait le dernier et le point d’orgue d’une collection de seize livres pour enfants,
intitulée « Nihon Shukokumin Bunko », soit en français « Bibliothèque
de la Jeunesse Japonaise ».
Cette collection est le fruit d’un
travail collectif, entre éditeurs et écrivains, autour d’une ligne éditoriale humaniste
et progressiste, allant clairement à l’encontre du militarisme forcené qui
régnait alors au Japon. Genzaburô Yoshino était éditeur de cette collection, et
comme ses partenaires sur ce projet, il a fait plusieurs fois de la prison du
fait de ses convictions politiques. Il se trouve que ce seizième ouvrage devait
être la clé de voûte de la collection, devant donner sens et perspective à l’ensemble
des ouvrages précédents. La tâche était donc difficile et ambitieuse. C’était l’écrivain
Yūzō Yamamoto qui devait le rédiger, mais il tomba malade, et ce fut donc Genzaburô
Yoshino qui pris son courage à deux mains et s’attela à écrire cet ouvrage.
Genzaburô Yoshino n’est pas un génie
de la littérature, ce livre ne vaut donc pas la lecture pour cet aspect. D’où,
sans doute, certaines critiques négatives que j’ai lues ici et là, qui me
semblent hélas ne s’en tenir qu’à la forme (et donc à la surface)… En revanche,
Yoshino était un philosophe, et il avait un grand sens de la pédagogie. Il a
ainsi construit des personnages attachants et plausibles : quelques jeunes
d’une quinzaine d’années. Et il leur a fait vivre des péripéties classiques à
cet âge… Mais en cherchant à en tirer de grandes leçons. Or si la langue
employée n’est pas renversante – mais belle pour autant – ce sont surtout les
réflexions qui y sont déployées qui s’avèrent tout simplement brillantes.
Avec une économie de mots redoutable,
Genzaburô Yoshino réfléchit aux grands problèmes de l’humanité… et aux grandes
questions qui font d’un homme et d’une femme des êtres humains dignes de ce
nom. L’air de rien, ce livre, progressivement, se révèle un roman d’apprentissage
très marquant, traitant de thèmes aussi importants que l’humanité, la société,
la nation, la vertu, le courage, l’amitié, l’honneur, la justice, la fraternité,
la vérité, la science, l’art, mais aussi la lâcheté, la violence, le mensonge, le remord, les inégalités sociales, la conscience… « Et vous, comment vivrez-vous ? » est donc un
livre particulièrement puissant, vibrant d’humanisme, renfermant des passages
éblouissants, au milieu d’un roman solaire, célébrant la beauté de l’enfance et
de l’adolescence, ces temps de construction de soi si fondamentaux pour tout
être humain.
Pour finir, je dois préciser que j’ai
lu ce livre récemment, comme beaucoup, car il vient d'être adapté au cinéma par Hayao
Miyazaki, sous ce même titre au Japon, et traduit de façon très maladroite et
réductrice par le simpliste « Le Garçon et le Héron » en Occident…
Comme beaucoup, également, je me suis vite rendu compte que Miyazaki ne s’en
est inspiré que de façon très lointaine, ce qu’avaient indiqué certains
journalistes à la sortie du long métrage. Mais à vrai dire, en lisant cet
ouvrage, j’avais l’impression d’être dans un film de Miyazaki, avec ces mêmes
personnages fiers, dignes, profondément humains, vivant la vie à fond. Avec cet
humanisme rayonnant et vivifiant, tellement inspirant… Cette joie d’être au
monde et de s’accomplir…
Pas de doute, il y a bien une
filiation entre ce livre et l’œuvre d’Hayao Miyazaki. Il y a même des liens
évidents avec « Le Garçon et le Héron », ne serait-ce que par le
héros du film, Mahito, qui a un caractère proche de celui de Coper, le héros du
roman. Ou encore avec cette figure tutélaire de l’oncle, même si celle-ci a une
place absolument essentielle dans le livre, et plus secondaire dans le film de
Miyazaki.
En tout cas, je ne peux que
recommander de mettre cet ouvrage dans les mains de tout adolescent de 12 à 18
ans. C’est un livre que j’aurais aimé découvrir plus jeune, et qui m’a fait une
très forte impression, alors que je le lis pour la première fois en ayant la
trentaine. Et une fois encore, je ne peux que saluer la clairvoyance et le
courage de son auteur, Genzaburô Yoshino, qui a écrit une œuvre d’une beauté et
d’une intelligence sidérante sur le fond, à une époque particulièrement trouble
et délétère. C’est peu dire qu’elle résonne d’autant plus fort aujourd’hui…
[4/4]