lundi 27 juin 2011

« La Bataille de Kerjenets » (Secha pri Kerzhentse) de Youri Norstein et Ivan Ivanov-Vano (1971)

    Avec son second court métrage, Youri Norstein franchit une nouvelle étape : aussi bien sur le fond que sur la forme, « La Bataille de Kerjenets » est une oeuvre d'une grande poésie, magnifiée par la musique du compositeur russe Rimski-Korsakov, à savoir des extraits de son opéra « La Légende de la ville invisible de Kitège et de la demoiselle Fevronia », dont le présent film constitue l'illustration d'un des passages. Cette fois, avec son collaborateur Ivan Ivanov-Vano, autre grand nom de l'animation russe, Youri Norstein s'inspire de l'art sacré orthodoxe, d'icônes et autres fresques religieuses comme d'enluminures. Et le résultat est d'une grande beauté : l'animation se fait musicale, couleurs, corps et mouvements virevoltant et s'entrechoquant au son de choeurs russes ou d'un orchestre extraordinairement bien exploité (Rimski-Korsakov est décidément l'un des plus grands compositeurs qui aient été). Certes c'est peut-être avant tout cette musique qui donne au film toute sa force, néanmoins la façon dont Youri Norstein s'en inspire ne laisse pas de doute quant à son talent, un autre que lui n'aurait certainement pas su embellir et « donner forme » aux sons et à l'histoire de cette ville sauvée par la prière de l'invasion Tartare. Qui plus est, Norstein ose une fois encore différentes techniques d'animation, et n'hésite pas à tenter des plans audacieux et singuliers pour un film animé, renouvelant ainsi la grammaire du genre. Une réussite!

[2/4]

« Le 25 octobre - Premier jour » (25-е - pervyi den) de Youri Norstein et Arkadi Tiourine (1968)

    Un court métrage d'animation célébrant le cinquantième anniversaire de la Révolution d'octobre, cherchant à retrouver l'esthétique et l'enthousiasme de l'art soviétique des années 20, à renouer avec l'esprit des artistes d'avant-garde d'alors en les transposant à l'écran. Ainsi Norstein et son collaborateur Arkadi Tiourine s'inspirent des écrits de Maïakovski, de peintres tels que Malevitch, Petrov-Vodkine, Lissitzky ou encore Chagall, le tout sur une musique de Chostakovitch, pour donner vie à une oeuvre totalement dans leur sillage, quoiqu'à l'origine portant un regard critique sur cette funeste « aventure ». Hélas la censure passera par là, et un passage critiquant explicitement Lénine sera supprimé, ce qui rendra Youri Norstein d'autant plus déterminé à ne plus jamais faire de concessions à l'avenir. Pour ce qui est du film en lui-même, l'animation est encore hésitante et maladroite, mais son ambition (de nombreuses techniques différentes sont utilisées) en fait davantage qu'un simple premier essai, même si celui-ci n'est pas pour autant des plus inoubliables : la foi en l'idéologie soviétique passera avec le temps, et tout ce qui y était alors rattaché ne peut garder aujourd'hui qu'un goût amer… Même si l'espoir placé dans la liberté et la justice, dans l'égalité, retranscrit dans le présent film est toujours émouvant, d'autant plus lorsque l'on sait ce qu'il est advenu par la suite. En somme une première oeuvre tout ce qu'il y a de plus typique : elle porte en elle les défauts de l'inexpérience, et en germe le talent de Youri Norstein qui ne demandera qu'à s'épanouir par la suite.

[1/4]

« Jugatsu » (3-4x jugatsu) de Takeshi Kitano (1990)

    Les films les plus représentatifs de Takeshi Kitano sont certainement « Sonatine » et « Hana-Bi », ce dernier s'avérant de surcroît émouvant malgré quelques facilités d'écriture. J'ai ma petite préférence pour « Achille et la tortue », à mon sens riche méditation (par l'exemple) sur l'art, marquant l'aboutissement de la crise intérieure et artistique de Kitano, où l'espace de trois longs métrages (ce dernier ainsi que « Takeshis' » et « Glory to the filmmaker ») il avait profondément remis en cause sa conception du cinéma, l'éclatant littéralement... pour mieux revenir à ses premiers amours. Les deux premiers films de cette « trilogie » sont pour le moins bancals, montrant à quel point Kitano s'était embourbé dans sa réflexion sur lui-même, tant il semblerait que l'art soit au-delà de l'« intellectualisme » : dès que l'on se demande comment l'on fait pour marcher ou parler, cela nous devient terriblement difficile, et je crois pouvoir dire que c'est un peu la même chose d'un point de vue artistique (ou autre). A l'inverse, « Jugatsu », son deuxième long métrage, a été réalisé dans sa pleine période « ascendante », c'est donc un film totalement décomplexé, qui ose tout, au rythme à la fois décousu et étonnamment maitrisé, à l'humour très particulier (euphémisme) mais la plupart du temps ravageur. Kitano joue sur tous les registres, fait passer l'émotion à différents niveaux, tout en gardant une certaine distance burlesque, surtout vers la fin du film et son apparition sous les traits d'un yakuza hautement improbable et violent. Difficile de trouver un point d'ancrage dans ce long métrage parfois confus et brouillon, même si le « héros » béat qui parcourt le film, hébété et souvent spectateur de l'action des uns et des autres, semble être celui par lequel l'on vive tout ce qui s'y déroule. Difficile aussi de résumer ce film, que j'adresserai surtout aux admirateurs du cinéaste japonais, les autres risquant d'être quelque peu décontenancés par ce long métrage pas toujours très fin et subtil, mais à la singularité déjà bien marquée pour un second essai.

[1/4]

mardi 21 juin 2011

« Pompoko » (Heisei tanuki gassen ponpoko) de Isao Takahata (1994)

    Toutes proportions gardées, si Hayao Miyazaki est un peu le Léonard de Vinci du studio Ghibli, Isao Takahata peut être comparé à Jérôme Bosch, du moins pour ce qui est de ce film. « Pompoko » est en effet une longue métaphore filée sur l'état de notre monde d'un cynisme incroyable, intelligente et guère amène envers le spectateur (surtout lorsque l'on sait qu'il s'adresse en principe à des enfants) : le propos est singulièrement trivial (d'autant qu'il consiste en un miroir tendu à l'humanité), et nous oblige à chercher au delà des images de quoi nourrir notre vision du film. Takahata renonce ainsi au « beau » (et à une subtilité supérieure) pour mettre en scène les travers de l'homme, ce pour quoi artistiquement parlant il ne trouve pas grâce à mes yeux. En revanche, la façon dont il provoque la réflexion est estimable, et mérite qu'il en soit fait mention, tant une fois que l'on remplace les tanukis par ce qu'on veut : les artistes, les japonais, les enfants, les aïnous, les européens, les légendes, la spiritualité... ou simplement les animaux et les tanukis, tout s'éclaire. Les humains deviennent alors les occidentaux face au japonais, les américains face au reste du monde, la majorité face à la minorité, les apparences face à la vérité, la modernité face à la tradition, les hommes face à eux-mêmes... Les différentes péripéties, narrées avec ironie par une voix-off, montrent comment, traqués, les tanukis peinent à prendre le dessus à cause de leur paresse, de leurs passions... mais aussi de leur innocence, de leur naïveté et de leur talent. On peut donc aussi voir dans l'extinction des tanukis la fin de l'art et des artistes, la fin de l'imagination véritable, pure et gratuite, la fin de la tradition ancestrale, du respect de l'ancien temps... Bien peu de solutions sont données pour répondre à cet inéluctable changement, pas loin d'être qualifiable de désastreux : retrouver une éthique, un sens du sacrifice, une ardeur au travail sans verser pour autant dans l'activisme, le stress, le fanatisme, la violence, le renoncement total... « Pompoko » est donc un long métrage typiquement japonais, qui non sans humour et plus que tout dans une grande tristesse relate l'autodestruction d'un monde. Aux enfants de réparer les bêtises des adultes, et aux hommes de corriger leurs défauts : ce n'est guère nouveau malheureusement, mais il faut bien quelqu'un pour le rappeler (« Pompoko » est aussi la métaphore du studio Ghibli et du rôle de l'artiste si l'on pousse la réflexion jusqu'à la démarche de l'auteur). Dommage donc que la forme manque à ce point de finesse, mais pour les admirateurs du studio Ghibli voilà un film qui vaut le détour, d'autant qu'il « casse » un peu le mythe de façon relativement bienvenue.

[3/4]

lundi 20 juin 2011

« Ponyo sur la falaise » (Gake no ue no Ponyo) d'Hayao Miyazaki (2008)

    Avec « Ponyo sur la falaise », Hayao Miyazaki a de toute évidence sélectionné le public auquel il s'adressait. Certes Miyazaki n'a jamais caché faire des dessins animés pour les enfants : la différence c'est qu'ici il vise si je ne m'abuse les enfants en bas âge. Autant l'on peut (et même l'on doit) parler à un enfant comme à un adulte et réciproquement lorsque l'on fait de l'art digne de ce nom (c'est du moins mon avis), lorsque l'on commence à restreindre son public il me semble que l'on perd à tous points de vue : l'enfant sera d'autant plus « tiré » vers le bas et l'adulte se sentira bien moins touché... Par contre il y a bien un « avantage » dans la façon dont Miyazaki a réalisé ce long métrage : il s'agit de son film le plus simple et réaliste, et il se débrouille fort bien pour sublimer la réalité, d'autant que l'animation réserve comme toujours d'admirables moments, qu'il s'agisse des mouvements des personnages, des décors ou de trouvailles visuelles merveilleusement suggestives et poétiques à la fois... Hélas, il y a d'autres choses que je reprocherai à Miyazaki, outre son trop plein d'explications et d'infantilisme : « Ponyo sur la falaise » continue dans la lignée de l'« occidentalisation » forcenée de son art (il a dépassé le point d'équilibre à mon sens) visible surtout depuis « Le Château ambulant ». Ses influences commencent à ressortir disgracieusement à l'écran, à l'image de tout un imaginaire japonais actuel répandu dans la jeunesse (nippone ou d'ici), sorte de caricature criarde du « beau » occidental... Ce que j'aime tant dans l'art asiatique, c'est découvrir autre chose que l'art européen, et non pas avoir la tristesse d'y deviner une pâle copie, ne laissant présager rien de bon pour l'avenir... « Ponyo » est donc un bon moyen de redescendre sur Terre : Miyazaki est certainement le plus grand des animateurs en activité, mais ce n'est qu'un homme, et la gigantesque entreprise qu'est le studio Ghibli risque bien un jour de prendre l'eau en ployant sous son succès, à la recherche de sa supposée « marque de fabrique » (qui n'est autre que l'audace de Miyazaki), comme un certain studio Disney, s'il ne sait pas se renouveler. Assurément « Ponyo sur la falaise » est plus réussi que « Le Château ambulant », car plus homogène et sans doute davantage pris en charge par Miyazaki, qui livre là un scénario certainement plus original. Mais au final « Ponyo », malgré toutes ses qualités (et non des moindres) est moins ambitieux que ses précédents longs métrages, plus puéril, et il faut bien le dire... plus convenu.

[3/4]

dimanche 19 juin 2011

« Mon voisin Totoro » (Tonari no Totoro) d'Hayao Miyazaki (1988)

    Petit, je détestais les mangas. Un jour pourtant, chez un ami, j'étais resté scotché devant la télé : en zappant j'étais tombé devant un dessin animé où les personnages attendaient, sous la pluie, éclairés par un lampadaire... J'étais fasciné : comment cela était-il possible? Que faisaient ces personnages sous la pluie? Qu'attendaient-ils? Quel étrange dessin animé! Je ne savais pas qui avait réalisé ce long métrage, d'ailleurs je ne m'en souciais guère, je connaissais seulement son nom : « Mon voisin Totoro ». Je me suis toujours souvenu de ce passage, jusqu'à me dire les années passant que le film dont il était tiré ne pouvait être qu'extraordinaire. Depuis j'ai eu le temps de réellement découvrir et aimer le cinéma, et de franchir enfin le pas : on parlait beaucoup d'un certain Hayao Miyazaki. Et un jour je me suis dit qu'il y avait peut-être une raison à cela, après tout pourquoi ne pas essayer de regarder un de ses films? J'eus alors l'immense joie de découvrir « Le Voyage de Chihiro », qui littéralement m'avait laissé béat d'admiration (Miyazaki restera d'ailleurs le seul mangaka à avoir emporté mon estime) : enfin, il y avait bien quelqu'un qui avait compris ce qu'était l'animation et su faire le dessin animé parfait, celui où il y a tout, qui parle de tout, qui est beau à chaque seconde qui s'égrène... Bien sûr l'on peut discuter de la notion de perfection, mais c'est l'impression qui m'avait saisie lorsque je visionnais son film, et que je découvrais par la même occasion l'existence d'un nouveau cinéaste de génie. Oui ce qualificatif peut paraître excessif, mais depuis le temps que je m'intéresse au cinéma je puis dire qu'il n'est pas usurpé. Dès lors, j'ai vu tous les longs métrages d'Hayao Miyazaki. Tous sauf un, que je gardais pour la fin : c'est « Mon voisin Totoro ». Et j'ai enfin pu voir en entier, du début à la fin ce dessin animé que j'attendais tant. La séquence sous la pluie m'est apparue bien trop courte, tout comme le film. Mais il s'agit bien de l'oeuvre la plus épurée et suggestive à la fois, la plus contemplative, la plus simple d'Hayao Miyazaki. La meilleure? Qu'est-ce à dire, quand des longs métrages tels que « Princesse Mononoké » ou « Nausicaä de la Vallée du Vent » (et tant d'autres) se côtoient dans sa filmographie? C'est en tout cas l'oeuvre la plus représentative de son talent, celle qui renferme en elle le secret de l'enfance. Oui c'est un dessin animé pour enfants, pas de doute. Ça en agacera certains, et rendra nostalgiques les autres (ou tout cela à la fois). Mais si vous êtes un adulte, et que vous avez gardé votre âme d'enfant, alors « Mon voisin Totoro » vous promettra une balade imaginaire que vous aurez grand peine à oublier. Et à ce jour, je connais très peu d'oeuvres de cet acabit. Ah, et j'oubliais une chose : la musique de Joe Hisaishi est décidément très belle, c'est peu dire qu'elle sied parfaitement aux images de Miyazaki.

[4/4]

samedi 18 juin 2011

« New Rose Hotel » d'Abel Ferrara (1998)

    Je ne partage décidément pas l'attirance de Ferrara pour l'amour glauque, les bars glauques, les conversations glauques, bref pour le glauque érigé au rang d'art. J'exagère peut-être, Ferrara est sans doute sincère malgré son goût certain pour la pose « underground », et les trajectoires « vice et rédemption »... Toujours est-il que ses films sont trop construits en ce sens pour que l'on puisse en faire abstraction, du moins son « art » reste-t-il toujours à un niveau terriblement trivial et « premier degré » : c'est semble-t-il sa marque de fabrique... On pourra certes apprécier cette sorte de « poésie » du sordide, qui fait courir bien des cinéastes de nos jours, notamment en France (je pense surtout à Gaspard Noé, mais esthétiquement parlant et bien que plus sobre, Jacques Audiard n'est pas loin derrière). Pour ma part je ne vois là qu'une fascination puérile, qui n'a d'artistique que la prétention à sublimer quelque chose... Pour un résultat dénué de finesse, et finalement d'un commun... Non pas que tout soit mauvais dans ce long métrage : Walken et Dafoe sont d'excellents comédiens, et même s'ils cabotinent bien trop à mon goût ils savent donner chair à leurs personnages d'espions industriels désabusés. Asia Argento, qui n'est pas franchement l'incarnation de la candeur, ne s'en sort pas trop mal elle non plus, malgré que l'on ait parfois du mal à croire en sa prestation... Et on notera quelque originalité dans le traitement du film, qui en fait une sorte de polar « techno-scientiste » détourné, une sorte de blues urbain estampillé fin des années 90... Mais dans l'ensemble c'est un film beaucoup trop joué, trop porté sur ses comédiens, Ferrara se débrouillant ensuite pour donner de la consistance à son film en optant pour une forme relativement élaborée, faite de réminiscences et de souvenirs vaporeux... Mais lesdits souvenirs n'étant pas d'un intérêt extraordinaire, on se surprendra plusieurs fois à bailler devant cette sorte de clip lascif pour adultes consentants... C'est que Ferrara ne lésine pas non plus sur la musique et la photographie « vintage », ni même sur une caméra tremblotante et autres effets de style masquant à grand peine la fragilité du projet... Du Ferrara pur jus donc, à réserver au amateurs du genre (à ce propos l'affiche renseigne plutôt bien sur ce que l'on est en droit d'attendre du film).

[1/4]

jeudi 16 juin 2011

« Le Labyrinthe de Pan » (El laberinto del fauno) de Guillermo del Toro (2006)

    Une parabole très, trop appuyée sur la force de l'amour et du sacrifice face à l'horreur du monde. Que Guillermo del Toro ait débuté en tant que maquilleur semble évident une fois qu'on le sait : « Le Labyrinthe de Pan » est avant tout un film reposant sur quelques trouvailles visuelles, des personnages, des lieux, des décors, il est vrai fort réussis. Pour le reste nous avons affaire à une oeuvre d'une subtilité pachydermique, avec un méchant bien méchant, de la violence plus qu'explicite (pour bien montrer la cruauté des hommes), des pleurs maladroitement simulés et un peu trop récurrents à mon goût, un scénario en grande partie déjà-vu... Outre que la direction d'acteurs ne soit semble-t-il pas la spécialité du cinéaste mexicain, il ne fait aucun doute que de surcroît c'est bien plus la partie « imaginaire » qui ait été l'objet de toute son attention. La partie sur le franquisme est terriblement banale et mal jouée, gorgée de clichés et arborant un ton dénonciateur/tragique des plus communs, malheureusement... Reste l'aspect fantastique du long métrage, illuminé par la présence de la jeune héroïne, qui quoique n'écopant pas d'un rôle aussi fouillé et original qu'on l'aurait souhaité s'en sort plutôt bien, surtout face au reste de la distribution : c'est la seule à ne pas jouer, à vraiment « être » son personnage. Certes ce parcours initiatique trouve à terme une certaine cohérence, et Guillermo del Toro raccorde plutôt bien ces deux mondes qui en réalité n'en font qu'un. Mais les ficelles sont grossières (sans parler de l'ostensibilité des références), et malgré la bonne volonté (je suppose) de l'auteur, difficile de ne pas buter sur les nombreux défauts... Sans parler une fois de plus de toute cette violence, décidément au diapason de la finesse du monsieur... D'autant que de la réalisation à la photographie artificielle et laide au possible, c'est toute une influence hollywoodienne que l'on sent grever le long métrage, et franchement pas pour le meilleur. 1/4 donc, pour un film qui aurait pu être pire... mais aussi bien mieux, c'est ça qui est le plus terrible...

[1/4]

mardi 14 juin 2011

« Une femme est une femme » de Jean-Luc Godard (1961)

    A vouloir à tout prix casser les codes de la narration cinématographique et proposer autre chose qu'un récit, Godard n'offre finalement qu'une suite de gags d'une teneur assez variable... La façon dont il se joue du cinématographe est certes fort appréciable et souvent réjouissante. Il parvient tant bien que mal à s'en sortir en conférant tout de même un minimum de cohérence à l'ensemble, et en osant s'aventurer relativement loin des sentiers battus, ce dont on lui saura gré. Mais Godard se répète dans les clins d'oeil au spectateur : la distanciation a ses vertus, ses limites aussi, qu'il franchira allègrement par la suite et déjà en quelque sorte ici. Il faut dire que le genre auquel se prête au premier abord « Une femme est une femme », soit la comédie, est rarement l'occasion de faire montre de profondeur, en tout cas la façon dont Godard s'y attaque n'arrange pas les choses. Du moins du point de vue « contenu », si tant est que l'on puisse le détacher de la forme, car « Une femme est une femme » n'est rien moins qu'un pur exercice de style. En ce sens il est plutôt réussi, une fois de plus les idées de mise en scène abondent, Godard s'amusant complètement avec sa technique fétiche : l'association d'idées, qu'il traduit visuellement (« littéralement » pourrait-on dire). De plus s'il se réfère plus ou moins explicitement à la comédie, en réalité Godard brouille tellement les pistes qu'il est réducteur de l'associer au seul genre. C'est bien l'expérimentation cinématographique qui l'intéresse, et briser les normes traditionnelles : chose faite. Quant au résultat, il laisse plus circonspect... Oui cinématographiquement parlant « Une femme est une femme » vaut le coup d'oeil, mais d'un point de vue plus large, artistique ou autre, il s'agit là d'un film assez anecdotique. Un Godard mineur en somme.

[1/4]

lundi 13 juin 2011

« Journal d'un curé de campagne » de Robert Bresson (1951)

    Encore un film de Bresson qui fait état de la trajectoire tortueuse d'un homme intègre, qui toute sa vie cherchera Dieu, frayant douloureusement son chemin au milieu d'une humanité tantôt hostile tantôt humble et douce. Ce jeune curé anticipe la figure du martyr personnifiée plus tard dans sa filmographie par Mouchette, la Marie d'« Au hasard Balthazar » ou encore Jeanne d'Arc. Il porte aussi en lui la conviction, la foi, la force et le courage (à sa façon, malgré l'apparence de sa faiblesse physique), bref la détermination du Fontaine d'« Un condamné à mort s'est échappé » ou du chevalier Lancelot du Lac. Le curé d'Ambricourt, son héros torturé, sa bonté, ses doutes, son existence fragile, les hommes et les femmes qui l'entourent sont typiques du cinéma de Bresson. De même, la mise en scène commence à nettement laisser entrevoir la naissance d'un style, épuré à l'extrême et pourtant étonnamment suggestif. A titre d'exemple, il suffirait de retirer la musique il est vrai fort envahissante de Jean-Jacques Grunenwald pour donner encore plus de force au long métrage, tant ses images et ses dialogues disent déjà tout, si bien que la bande-son tombe hélas dans la redite et alourdit le propos. La photographie parfois un peu trop surexposée (quoique fort belle) et le sentimentalisme trop prononcé de l'accompagnement musical sont donc deux choses que Bresson gagnera à supprimer par la suite, mais ils ne réussissent pas à masquer la réelle valeur de ce film touchant, austère et dur certes, mais terriblement triste, émouvant, et surtout simple et vrai. La maîtrise du cinématographe de Robert Bresson ira en s'améliorant, ce n'est donc pas sa virtuosité que l'on peut admirer là, mais son extrême sensibilité, sa finesse d'écriture et d'esprit, qui trouveront dans le cinématographe un art à leur hauteur. De même, les films de Bresson gagneront en intensité et en concision ultérieurement, néanmoins l'on peut bel et bien qualifier cette adaptation du roman de Bernanos de premier chef-d'oeuvre de l'un des plus grands maîtres du cinéma français.

[4/4]