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dimanche 29 octobre 2023

« Les Feuilles mortes » (Kuolleet lehdet) d’Aki Kaurismäki (2023)


 

    « Les Feuilles mortes » de Kaurismäki me fait penser à un autre film actuel d’un grand réalisateur : « Perfect Days » de Wim Wenders. Hasard ou pas, ce sont tous deux des films typiques de ces cinéastes, chacun avec cette esthétique particulière qui a fait leur marque de fabrique. Les références aux années 1950-1960, ce goût pour les cadrages fixes, les plans colorés, un humour noir et sarcastique qui cache une véritable humanité, pour Aki Kaurismäki. Et un goût pour la liberté et l’errance, des vues urbaines directement inspirées d’Edward Hopper, les rapports entre adultes et enfants, ou encore un tropisme pour le Japon chez Wim Wenders, grand admirateur d’Ozu. D’ailleurs, tous deux sont de grands cinéphiles et de grands amateurs de rock, ce qui fait décidément beaucoup de coïncidences… Mais bref, je résume rapidement, ce sont deux très grands artistes dont le cinéma est bien plus riche que cela, bien sûr.

Or leurs deux derniers films ont en commun de prêter attention à des personnes ordinaires, à travers une histoire d’une grande simplicité. Des films « simples », pourrait-on dire au premier abord, avec une esthétique que l’on reconnaît immédiatement… Il en faudrait peu pour se retrouver en terrain connu et accuser ces deux cinéastes de facilité ou de faire du surplace… Mais chacun à leur manière, ils se sont renouvelés avec leur dernier (et brillant) essai. Qui sont bien plus riches que ce que leur simplicité apparente laisse penser.

Et surtout, ils montrent que dans le monde mécanique, froid, déshumanisé d’aujourd’hui, ce monde très dur, plus encore en cette période où les guerres prolifèrent de nouveau, de manière inquiétante… ce qui reste à la fin, c’est le lien humain. Qu’il s’agisse d’affection, d’amitié ou d’amour. Ce lien, si fragile, qui nous unit à nos semblables.

Et c’est tout le propos des « Feuilles mortes ». On peut clairement ranger ce film dans la catégorie des comédies romantiques, mais c’est une comédie romantique très originale, « à la Kaurismäki ». Grand cinéphile, le réalisateur finlandais connaît par cœur les codes du genre. En effet, il y a souvent un côté méta chez Kaurismäki, secondé par plein de références cinématographiques, qui rendent ses films très ludiques, tout en rendant un hommage sincère aux grands maîtres du septième art. Et il se plaît à jouer avec ces codes, mais toujours avec ce côté décalé qui n’appartient qu’à lui : les péripéties qui nourrissent un amour contrarié et font durer le suspense, la musique lyrique et langoureuse dès que l’amour s’éveille, la musique (drôlement) triste quand nos amoureux s’éloignent… Et puis les rendez-vous galants : au karaoké (sic), au café, chez soi… Ainsi, on ne peut que fondre pour nos deux personnages principaux : le tourmenté Holappa et la courageuse Ansa, qui forment un couple merveilleux.

Mais ce qui fait la grandeur du cinéma de Kaurismäki, malgré ce goût pour la « petite forme » (ou plutôt grâce à ce goût), c’est qu’il met l’être humain au centre. Il dépeint la vie de gens comme vous et moi, et il s’intéresse vraiment à eux : à leurs métiers, à leur quotidien, à leurs manies, à leurs qualités et leurs défauts. A leurs pensées, à leurs espoirs et leurs déconvenues. A la façon dont ils ont besoin les uns des autres. C’est cela qui est profondément touchant. On peut se reconnaître facilement dans ces personnages, très finement écrits. Et Kaurismäki nous offre de beaux portraits de personnages, magnifiquement imparfaits.

En outre, il utilise un grand nombre de plans pour montrer le travail éreintant d’Ansa, d’abord au supermarché, sous la coupe d’un petit chef exécrable, agent inflexible d’un système absurde qui broie les personnes. Puis dans un bar, à la plonge. Ou encore à l’usine, en manipulant des pièces lourdes ou des matières toxiques. De même pour Holappa, qui s’use à travailler sur des chantiers en étant payé une misère. Le cinéma de Kaurismäki a beau être très esthétisé, il a toujours les pieds sur terre et possède un côté profondément social, et même politique. Qu’il s’agisse de dénoncer l’hypocrisie de nos sociétés néolibérales ou la guerre en Ukraine.

Malgré cela, malgré le côté parfois noir et désespéré de son cinéma, malgré son minimalisme et ces sentiments retenus, Kaurismäki filme comme personne ses acteurs. Avec leur jeu réduit à l’essentiel, mais toujours juste, il suffit d’un regard, d’un visage qui s’illumine, d’une attitude, d’un geste… d’un sourire… pour que l’on soit touché directement au cœur, chaviré par cette bouleversante humanité. A ce titre, je ne peux que rendre hommage à Alma Pöysti (Ansa) et Jussi Vatanen (Holappa), qui sont formidables.

Comme le disait Léonard, « la simplicité est la sophistication suprême ». Avec « Les Feuilles mortes », et après avoir annoncé qu’il arrêterait de tourner des films – fort heureusement il a changé d’avis – Aki Kaurismäki prouve qu’il est en pleine possession de ses moyens et nous livre-là un petit chef-d’œuvre qui vient éclabousser de sa grâce le cinéma contemporain. Nous montrant que les maîtres comme lui ont encore beaucoup de choses à nous dire et à nous montrer, pour notre plus grand bonheur.

[4/4]

dimanche 19 février 2023

« Assise - Une rencontre inattendue » de François Cheng (2014)


Magnifique petit livre sur François d'Assise, l'un des plus grands saints ayant jamais existé, à l'héritage toujours vivant aujourd'hui. François Cheng nous livre sa vision de son saint patron et sa rencontre avec lui, dans la belle cité italienne, nichée dans les collines de l'Ombrie.

Avec raison, François Cheng cherche à déjouer les clichés d'un saint doucereux, « bisounours », pour dresser le portrait d'un homme qui a tout abandonné pour ne garder que l'Amour – des Autres, du Monde et de Dieu. Un homme qui a vécu une vie de grande exigence et tout donné de lui-même pour se consacrer aux autres.

Je pense tout de suite à un autre livre magnifique sur François, « Le Très-Bas », d'un autre poète, l'immense et humble Christian Bobin, qui nous a hélas quitté récemment, et dont l'absence se fait cruellement sentir. Je pense aussi aux deux grands artistes directement inspirés par François, Cimabue et Giotto, les pères de l'art pictural occidental.

Il est incroyable de songer à quel point François d'Assise a été une source d'inspiration pour des hommes et des femmes de tous temps, de toutes conditions, dans tous les domaines : artistes, penseurs, hommes et femmes politiques, soignants, écologistes... et bien sur Jorge Bergoglio, premier pape à se placer directement dans son sillage.

Seul regret : que ce livre soit si bref, il y aurait tant à dire de François - d'Assise, mais Cheng aussi, dont j'aurais voulu apprendre davantage sur sa conversion. Mais je ne peux que remercier le poète pour ce bel ouvrage, qui rappelle combien François d'Assise est une figure toujours actuelle et très inspirante. Le Frère Universel, auteur - entre autres - du bouleversant Cantique des Créatures, qu'il est toujours bon de relire... et méditer.

[4/4]