Quelle merveille! « La Légende de la forteresse de Souram » est une splendeur de tous les instants. Chaque image est soigneusement composée, restant pendant longtemps en mémoire. Paradjanov n'a pas son pareil pour dynamiser le cadre, pour faire se mouvoir avec grâce ses acteurs, utilisant au maximum tous les plans de l'image, de sorte que malgré la fixité du cadrage, elle semble animée d'une vie propre. C'est comme si le film vivait de lui-même, je ne trouve pas de meilleur mot pour exprimer la puissance évocatrice du cinéma de Paradjanov. Visuellement, ce long métrage est donc très riche, d'autant plus qu'il regorge de symboles. On ne retrouve un tel foisonnement pictural, une telle exubérance contrôlée, que dans les meilleurs œuvres de Fellini. Mais là, l'art du cinéaste arménien sert une vieille légende géorgienne, trahissant son goût pour les contes et le folklore traditionnel. Histoire d'amour déçu, ou d'abnégation d'un peuple et de ses héros, « La Légende de la forteresse de Souram » fait défiler chapitres et tableaux mystérieux près d'1h30 durant. Bien que simple, la trame est un peu nébuleuse, on se perd dans les personnages, les fils d'untel ou d'untel. Mais cela ne fait qu'ajouter au charme de l'ensemble, à son atmosphère onirique, insaisissable. La réalisation de Paradjanov ose tout, quand on croit avoir tout vu, on est encore surpris... Ce film est d'une poésie rare, que l'on ne retrouve que chez les plus grands, autant dire une poignée. Ce n'est peut-être pas avec ce long métrage qu'il faut découvrir Paradjanov (préférez « Les Chevaux de Feu », ou même « Sayat Nova », plus cohérent, encore que très original et déroutant dans sa narration), mais il se hisse aisément au panthéon du septième art, et il est donc indispensable, à mon sens, pour tout amoureux du cinéma qui se respecte, de l'avoir vu.
[4/4]