dimanche 26 décembre 2010

« La Bombe » (The War Game) de Peter Watkins (1965)

    Il est frappant de constater combien les préoccupations de Peter Watkins quant à l'antagonisme réalité/fiction étaient déjà manifestes bien avant la réalisation de son « Edvard Munch »! Dans « La Bombe » il use de procédés similaires pour nous plonger dans la tourmente d'un état frappé par une attaque thermonucléaire : interviews, images prises sur le vif, « caméra sur l'épaule » avec zooms maladroits,... impossible de savoir si ce qui se trame est vrai, s'il s'est déjà réalisé ou est voué à l'être... Nous sommes au coeur des évènements, alors qu'une voix-off lénifiante nous abreuve de chiffres tous plus alarmants les uns que les autres sur les conséquences d'un conflit nucléaire. L'une des réussites majeures de « La Bombe » est son ultra-réalisme : imaginez l'Angleterre en flammes, des hordes de citoyens ravagés par les flammes et les radiations radioactives d'une guerre atomique ayant embrasé l'occident! Et l'on se croirait face à un véritable documentaire constitué d'images réellement issues du drame supposé se produire : Watkins détourne avec brio les codes du genre et une fois de plus surprend par sa maîtrise du média cinématographique et de son impact sur le spectateur. L'efficacité d'un tel long métrage est donc difficilement contestable, existe-t-il moyen plus persuasif de l'horreur de la course à l'armement que d'en montrer les conséquences purement et simplement? Ainsi « La Bombe » est un film ouvertement politique (ce qui lui vaudra d'être censuré par la BBC) : il prend clairement position, dévoile les opinions édifiantes d'autorités aussi bien ecclésiales qu'étatiques ou militaires, n'hésite pas à souligner son propos par des images et un discours percutants... Si la nature politique de « La Bombe » réduit d'autant sa portée, il n'empêche que sa qualité et sa puissance méritent le coup d'oeil! Toutefois l'on pourra regretter l'orientation certaine de l'oeuvre présente : malgré un point de vue éclaté en apparence, car la parole est donnée aux protagonistes les plus divers qui soient, au final c'est surtout le propos, l'opinion de Watkins qui ressort en filigrane. Un ouvrage brillant donc, mais paradoxalement (car c'est ce qu'il dénonce en partie) pas si loin de la manipulation.

[1/4]

samedi 18 décembre 2010

« Les Herbes Folles » d'Alain Resnais (2009)

    Resnais brasse beaucoup d'air pour un résultat décevant. Il fut un temps un « grand » du septième art : en visionnant « Les Herbes Folles » il n'est pas permis d'en douter. Mais tant de talent employé à une tâche aussi... futile (le mot est lâché), c'est bien regrettable. Non pas que ce film soit mauvais, ou tout du moins complètement raté : il est suffisamment étrange et singulier pour mériter le coup d'oeil, sa forme est suffisamment virtuose (ces jeux de couleurs, ce montage aérien, ces rebondissements incessants, cet art de l'ellipse,...) pour mériter quelque applaudissement! Il réserve souvent des respirations fort appréciables, et atteint même à certains moments un lyrisme cinématographique assez grisant. Oui mais tout cela reste d'une lourdeur! On frise l'indigestion tant ça clignote de partout, tant le long métrage est boursoufflé d'humour facile, de personnages caricaturaux, de bons sentiments passéistes, de photographie baveuse, de mouvements d'appareil à n'en plus finir... L'esthétique forcenée des « Herbes Folles » est parfois étonnamment bien maîtrisée, mais de temps à autre elle ploie sous son poids excessif : la mécanique est certes (trop?) bien huilée, Sabine Azéma est décidément attachante (Resnais en est complètement amoureux, c'est aussi frappant que lorsque Godard filmait Anna Karina), la fantaisie du cinéaste est touchante... Mais qu'est-ce qu'on manque d'air! Heureusement donc qu'Alain Resnais relâche régulièrement la pression grâce à ses diverses digressions. Par ailleurs les clins d'oeil sont légions, Resnais revisite le septième art et sa filmographie par la même occasion, mais ce serpent qui se mort la queue possède ce je ne sais quoi d'agaçant, peut-être l'« indécence » d'une autosatisfaction ostensiblement affichée en dépit d'attentes pas vraiment comblées, du moins en ce qui me concerne. D'autant que les vertus réellement poétiques du film le disputent trop souvent à une certaine « poésie du pauvre », qui n'a malheureusement de poésie que le nom. A ce titre les liens qui rapprochent Resnais de Desplechin ne sont peut-être pas anodins : ils partagent ce même goût pour la citation, pour un certain marivaudage, pour un formalisme au mieux mallarméen au pire digne de Jeunet... Un film qui en somme ravira sans aucun doute certains cinéphiles (les adeptes d'Hitchcock, ou encore ceux qui raffolent des jeux de comparaison), mais qui en laissera d'autres sur leur faim. Je finis juste sur une note négative puis une autre plus positive : la musique de Marc Snow est insipide et grossière au possible, l'affiche de Blutch est jolie et vraiment réussie! Et dernière question, enfin, pour répondre à une préoccupation essentielle et de taille débutant le long métrage : Resnais aurait-il perdu tout bon goût?

[1/4]

mercredi 15 décembre 2010

« Un Homme Qui Dort » de Georges Perec et Bernard Queysanne (1974)

    Un beau film, terrible car bien trop vrai, sur la détresse physique et morale de l'homme moderne, sur son extrême solitude, et plus précisément celle de l'homme moderne des 40 ou 50 dernières années. Je n'ai pas lu le roman de Georges Perec, que je suppose remarquable, mais je ne crois pas que son adaptation cinématographique soit dénuée de sens ou d'intérêt. Il est vrai que le film mis en scène par Bernard Queysanne est grandement tributaire du texte du célèbre écrivain, mais il n'y occupe pas la même place. Dans le livre, du moins d'après ce que je pourrais en suggérer sans l'avoir lu (c'est-à-dire bien peu de choses…), il semblerait que le texte soit le reflet, soit l'exacte transcription des pensées du jeune héros. On est donc, si j'ose dire, dans la tête du protagoniste, on adopte totalement son point de vue, un point de vue psychologique et mental totalement subjectif. Ce qu'« Un Homme Qui Dort » version cinéma apporte, c'est la vue, c'est l'ouïe : aux pensées du jeune homme s'ajoutent ses sens! Nous sommes donc dans la tête et dans le corps à présent du jeune homme, et le texte n'est donc plus l'essentiel de l'oeuvre, l'unique moyen qui nous rattache à l'intériorité du héros, mais une partie de l'oeuvre, l'un des chemins qui nous mènent au plus profond de l'être de cet individu esseulé. Le texte garde toujours son importance donc, car impossible de faire taire ces pensées douloureuses et confuses, mais il n'est plus la seule condition d'existence de ce qui se trame, de ce qui nous est montré. De plus, on alterne entre les séquences purement subjectives et celles « objectives », extérieures à l'individu et qui nous le montrent dans son environnement, dans le monde. L'orientation du récit – un récit tout sauf linéaire, d'autant qu'il se retourne sur lui-même, dans un cercle infernal, se heurtant aux murs cruels et indépassables de la modernité – est donc sensiblement différente, même si elle sert un propos similaire. Il y a tant d'autres choses à dire sur ce film, peut-être pas parfait dans l'absolu (et encore!), mais d'une cohérence admirable, d'un aspect aussi monotone et uniforme que ce qu'il nous dit, tout étant profondément déchiré en son for intérieur. Sa poésie, par exemple, est un modèle d'économie de moyens, la photographie est très belle, la musique tout à fait à propos… Je vous laisse donc en compagnie d'une sincère invitation à découvrir ce film!

[3/4]

samedi 11 décembre 2010

« Le Choeur » (Hamsarayān) d'Abbas Kiarostami (1982)

    Dire qu'il fut un temps (pas si éloigné que cela!) où je doutais du talent d'Abbas Kiarostami... Quelle erreur! D'autant que Kiarostami nous propose à chaque fois des films d'une simplicité et d'une subtilité rares : il suffit juste de se laisser porter par la jolie photographie en couleurs, par les prises de vues inspirées malgré leur dénuement total, par les interprètes tous plus attachants les uns que les autres, par le charme des fables que l'auteur iranien sait si bien nous conter... Avec « Le Choeur », Kiarostami part comme à son habitude d'une idée que l'on pourrait qualifier de toute bête : la traduction cinématographique de l'isolement d'un vieillard sourd au monde qui l'entoure. En un sens, le seul lien qui lui permet de se rattacher à la vie quotidienne est son appareil auditif, qu'il peut fort heureusement enlever à sa guise lorsque les bavards intempestifs ou les marteaux-piqueurs se font trop insistants. Seulement voilà, à trop se couper des désagréments de la vie il en va jusqu'à oublier les siens! A ce titre « Le Choeur » peut très bien faire office de métaphore quant aux affres de l'âge ou au fossé qui sépare toujours les générations, ou encore quant aux revers inévitables du confort, mais il est tout autant à prendre (et apprécier) au premier degré : l'histoire amusante et touchante d'un grand père et de sa petite fille séparés par le son et l'espace. Une admirable petite merveille, d'une délicate et belle harmonie!

[3/4]

« Window Water Baby Moving » de Stan Brakhage (1959)

    Paradoxalement, dans sa quête de pureté artistique absolue l'avant-garde moderniste n'a fait que réduire davantage l'investissement de l'artiste, la part de l'homme dans l'oeuvre produite, si bien que cette dernière n'a plus grand chose à voir avec l'art, du moins avec l'art en tant que création. Il serait bien sûr faux d'affirmer que Brakhage ne crée rien avec son célèbre « Window Water Baby Moving », ne serait-ce que par l'idée de maternité (et en filigrane de paternité) qu'il matérialise par l'entremise du montage, du cadrage, bref de la réalisation de son film. Mais son court métrage tiens plus du documentaire clinique que d'autre chose : la part de l'enregistrement « objectif » des faits par la caméra est ô combien prépondérante sur la construction élément par élément de l'oeuvre par l'artiste. Brakhage se joue certes de la matière, contemple son épouse, assiste à son accouchement, partage son appréhension, sa joie ou sa douleur, mais il nous offre là davantage un « film de famille », un souvenir filmé, qu'un chef-d'oeuvre du 7e art, du moins à mon sens. Car finalement qu'a-t-il à nous dire avec « Window Water Baby Moving »? Que la maternité c'est beau, que c'est magnifique, malgré la douleur et les moments d'inquiétude extrême par lesquels on doit inévitablement passer? Je ne lui donnerai certainement pas tort, mais pour autant a-t-on réellement besoin de ce court métrage pour s'en rendre compte? J'utilisais d'ailleurs le mot « jeu » pour évoquer la façon de faire de Brakhage : on a l'impression qu'il s'amuse avec sa caméra, qu'il « joue » véritablement avec, qu'il essaie de se surprendre par ce qu'il filme... C'est certainement ce que tous les cinéastes font en un sens, mais pas dans cette proportion il me semble. Car ici tout repose sur l'enregistrement d'un fait par la machine, puis après par la réorganisation des images enregistrées par Brakhage lui-même. Par la sélection qu'il opère, par les choix qu'il fait, je l'ai déjà dit il crée donc quelque chose d'une certaine manière, mais ce « quelque chose » reste d'une envergure réduite, relative. Il ne reste quasiment qu'à la surface de ce qu'il filme, il reste dans le particulier et n'atteint pas le stade universel que touche tout grand artiste digne de ce nom, ou s'il l'atteint, cela reste de l'ordre du truisme... Car créer de l'art ce n'est pas reproduire une « réalité » visible, objective, c'est aller au-delà, et c'est ce qui fait la beauté même du cinéma! A part un sentiment mitigé de voyeurisme et de « suspense », et bien sûr le caractère émouvant que présente tout accouchement, « Window Water Baby Moving » n'a malheureusement pas grand chose à partager...

[1/4]

«Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain» de Jean-Pierre Jeunet (2001)

    L'art comme mensonge, ou plutôt comme illusion permettant de maquiller le réel (et les-petits-tracas-du-quotidien), voilà peu ou prou la conception de Jean Pierre Jeunet semble-t-il en la matière. Mais est-ce vraiment de l'art qu'il nous offre avec son « Amélie Poulain »? La question se pose tant l'on frise la surenchère d'effets visuels et numériques des plus vilains, d'humour gras et facile, de péripéties larmoyantes et autres moyens au ras des pâquerettes destinés à faire décoller une histoire qui n'a pas grand chose pour elle... « Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain » c'est un peu comme un hamburger indigeste à qui l'on aurait injecté une substance anti-vomitive, en l'occurrence la musique de Yann Tiersen. Oh certes ça n'est pas de la grande musique, mais elle est simple et jolie, et les seuls moments où l'on se sent un chouilla touché par le film c'est en présence des mélodies du breton. Pour le reste, je dois dire que je suis consterné. Tant de bêtise, tant de vulgarité... C'en est à pleurer! Dire que des jeunes (et des moins jeunes) un peu partout dans le monde fantasmeront sur une telle idée de la France et de son cinéma... Il n'y aurait pas de quoi crier au loup si l'on se souvenait encore aujourd'hui de ce qu'étaient le Réalisme poétique ou la Nouvelle Vague (pour comparer ce qui est comparable – et encore!)... Non décidément, une telle niaiserie qui s'affiche sans rougir, une telle autosatisfaction, une telle complaisance de la part de Jeunet, envers ses personnages régressifs et sa vision rétrograde du monde ou de l'art, c'en est trop pour moi. Juste une dernière remarque sur les similitudes que partage ce long métrage avec le « Good Bye, Lenin! » de Wolfgang Becker : même compositeur, même nostalgie passéiste, même recherche surfaite de spontanéité (ambition vaine et à la mode, tout autant dans les clips musicaux d'ailleurs – et « Amélie Poulain » tient certainement plus du clip que du cinéma)... Mais le film du réalisateur allemand avait ce je ne sais quoi en plus... Peut-être est-ce sa façon amusante de détourner les signes du communisme qui faisait mouche... Ou peut-être est-ce tout simplement l'« exotisme » est-allemand, auquel cas j'en viens à me demander si nos amis germaniques ne ressentent pas la même exaspération envers ce long métrage que moi-même envers « Amélie Poulain » et l'énormissime cliché qu'il représente... Je croyais que Luc Besson était le seul cinéaste français à avoir fait de l'infantilisme son fonds de commerce, je concède m'être lourdement trompé.

[0/4]

samedi 4 décembre 2010

« Et la Vie Continue » (Zendegi digar hich) d'Abbas Kiarostami (1992)

    Un beau film, tout ce qu'il y a de plus simple et pourtant d'une profondeur qui force l'admiration! Une fois de plus Abbas Kiarostami explore l'étroite frontière qui sépare la réalité de la fiction (existe-t-elle d'ailleurs?) tout en parcourant l'Iran d'un regard curieux, avide d'espoir, cherchant inlassablement comment l'homme peut se relever des instants les plus terribles de son existence, où parvient-il à trouver des forces pour dépasser l'horreur et continuer à vivre dans tous les sens du terme. Il revient en effet après le séisme de 1990 sur les lieux du tournage de son long métrage « Où est la Maison de mon Ami? » à la recherche de ses jeunes acteurs, mais aussi des rescapés du tremblement de terre qui a dévasté la région. La façon dont il se met en scène par l'intermédiaire d'un double fictionnel (l'acteur principal joue le rôle d'un cinéaste venu retrouver la trace des acteurs du film précédemment cité... tiens tiens!) est d'ailleurs amusante, mais surtout fort intéressante! Car il crée un effet de distanciation inattendu : à un certain moment il déjoue ostensiblement le dispositif fictionnel lorsqu'un protagoniste semble apostropher directement le « vrai » réalisateur en personne, soit Kiarostami, alors que le « faux » se trouve hors-champ. Ce personnage nous explique d'ailleurs que la maison qu'il occupe n'est pas la sienne mais qu'elle lui a été attribuée pour les besoins du film... « Et la Vie Continue » serait alors un documentaire? Ou n'est-ce pas plutôt un documentaire factice, une fiction? Est-ce un mensonge? L'opposition vrai/faux vole en éclat, ou plutôt s'opacifie : à nous de réfléchir sur la question, qu'est-ce que le vrai? Qu'est-ce que le faux? Le faux est-il bon ou mauvais? Est-il pertinent de présenter les choses de la sorte? Kiarostami, comme à son habitude, sollicite l'intellect avec une évidence et une aisance désarmantes! Et il ne s'arrête pas là, il propose par la même occasion un touchant portrait de rapport filial et paternel, tout en rendant hommage aux victimes du séisme mortel! Un superbe essai cinématographique de plus à mettre au crédit du talentueux cinéaste iranien!

[3/4]

jeudi 25 novembre 2010

« Takeshis' » de Takeshi Kitano (2005)

    Un fascinant miroir brisé, un film complètement fou et inégal, à moitié raté mais non dénué d'intérêt pour autant! Contrairement à « Glory to the Filmmaker », « Takeshis' » comporte encore de véritables personnages, permettant une empathie que le second opus de la trilogie de « l'autodestruction de l'artiste » n'autorise pas. Pourtant on pénètre de plein pied dans l'entreprise d'auto-critique (acerbe) de Kitano, il suffit de constater la façon dont il se moque des travers de son art, comme il se maltraite, comme il rit de ses défauts d'artiste et d'homme… Nous avons affaire à un essai rageur, presque nihiliste, comme si le réalisateur nippon réglait ses comptes avec les autres et lui-même : on l'accuse de se complaire dans la violence gratuite? Avec « Takeshis' » il en remet une sacrée couche! On ne compte plus les fusillades ralenties avec sang qui gicle de partout. Et c'est loin d'être fini! Les figures récurrentes de son cinéma comme de sa personnalité schizophrène de cinéaste et de comique trivial viennent hanter le présent long métrage, avec un soupçon d'ironie qui donne au film plusieurs niveaux de lecture bienvenus. D'autant que la structure même du long métrage, onirique, fantasmée, s'avère complexe et confuse, perdant le spectateur dans les méandres du cerveau du japonais. On en ressort tour à tour séduit, agacé, amusé, ému, surpris, écoeuré, déçu ou enjoué : l'art de Kitano vole en éclats, mais s'il ne parvient pas à atteindre l'envergure d'un Fellini le pied de nez à la critique et au spectateur que constitue « Takeshis' » ne manque pas de sel. Plus troublant encore est cette profonde instabilité du film, qui pourtant garde une certaine cohérence : Kitano est en crise, il doute, il s'auto-invective, se met à nu… « Takeshis' » penche dangereusement du côté du néant, il se tient véritablement au bord du gouffre, prêt à sombrer dans le vide (ce qui arrivera en un sens avec « Glory to the Filmmaker »), mais ce qu'il laisse deviner de l'état du cinéaste s'avère terriblement touchant… A ce titre son angoisse, son blocage face aux attentes des uns et des autres, son complexe d'infériorité apparaissent de façon clairement manifeste! C'est une oeuvre qui comporte les défauts de ses qualités : sa liberté, son inventivité, son originalité demeurent tributaires de son relatif inachèvement.

[1/4]

mardi 23 novembre 2010

« Paranoid Park » de Gus Van Sant (2007)

    Encore un joli clip... euh film, pardon, signé Gus Van Sant tout mignon et tout creux… Pour sûr, la bande-son comme la photographie sont soignées, de plus je l'ai déjà dit mais je le répète : Gus van Sant sait filmer, c'est indéniable. Seulement il ne s'arrête qu'à la surface des choses. Et une fois que l'on commence à gratter la surface de ces images... il ne reste rien. Rien ne meut son long métrage, il s'agit juste d'un prétexte pour contempler ses acteurs (j'exagère un peu, mais pas tant que cela). Est-ce un thriller? Nous avons droit à la musique angoissante en conséquence, aux effets visuels et sonores traduisants le désarroi du personnage, à une narration disloquée… Oui certes ça colle, mais ça ne marche pas vraiment. « Paranoid Park » est à lui seul un cliché : un cliché de film de genre, un cliché de film tout court, un cliché de l'adolescence, un cliché du désir amoureux (ou de l'indifférence, son contraire), un cliché du mal-être propre à cet âge, un cliché de l'Amérique… Certes c'est un joli cliché, mais qui éveille quelques « soupçons ». Il suffit d'observer toutes les citations visuelles et musicales convoquées ici (allant d'Hitchcock à Fellini - et Nino Rota - en passant par Béla Tarr) pour avoir une mise en abîme de l'art de Gus van Sant : il copie mais forcément à sa façon, sans pouvoir restituer la saveur de l'original, en ne gardant que l'apparence de ses modèles et maîtres. Une apparence plaisante en un sens, mais vide. Certains passages sont à ce titre particulièrement évocateurs : ceux (trop rares) où Van Sant arrive à capter le regard du héros, à saisir son « intériorité », et non plus seulement un visage figé. Ce sont ces moments qui permettent d'affirmer que tout le reste est dénué de la moindre émotion : il suffit de comparer. Et ces passages plus intenses ne sont que le fruit du hasard : Gus Van Sant pose sa caméra devant l'acteur, essaie sans doute de se faire oublier, et attend qu'il cesse de jouer pour pleinement « être ». Ou plus précisément, ces instants « accidentels » sont là encore à l'image de tout le long métrage : le réalisateur (comme tant d'autres aujourd'hui) ne fait qu'attendre, il ne propose pas grand chose, juste un cadre pour que le film se crée, film qui ne provient donc pas réellement de lui. Ce qui fait sa fadeur et sa superficialité : c'est totalement abscons... mais ça ne dérange personne puisque c'est bien empaqueté. Ah oui au fait, Christopher Doyle était de la partie? Non, rien...

[1/4]

samedi 20 novembre 2010

« La Chute de la Maison Usher » de Jean Epstein (1928)

    Un admirable film français, assez unique dans l'histoire de notre cinéma : imaginez la rencontre entre Edgar Allan Poe, l'expressionnisme et l'impressionnisme cinématographique... Singulier mélange me direz-vous! Le côté fantastique du film, les symboles employés, l'usage de la photographie ou des décors rappellent l'art de nos amis d'outre-Rhin, mais la façon de filmer tout à fait particulière d'Epstein est bien de chez nous, si j'ose dire (d'autant qu'elle n'appartient certainement qu'à lui). Par des travellings audacieux, parfois subjectifs, par des ralentis, des effets de surimpression, il parvient à dire autre chose, à faire sentir le drame intérieur des personnages et le tragique de leur histoire. L'expressionnisme est une fois encore bien présent, mais cette recherche de la sensation, cette autre façon d'impliquer le spectateur est typiquement impressionniste, pour autant que cet adjectif soit réellement pertinent. Il est toujours délicat de regrouper des artistes, et surtout des oeuvres sous telle ou telle catégorie de l'intellect, et je vais donc m'arrêter là dans cet essai de présentation de la « façon de faire » d'Epstein. Cette version de « La Chute de la Maison Usher » est basée en réalité sur deux nouvelles de Poe, mais ne les ayant pas lues, je m'abstiendrai d'évoquer leur adaptation cinématographique. Par contre il m'est aisé de relater mon ressenti quant à l'émotion que dégage ce long métrage, quant aux images,... qui sont pour le moins étonnantes! Ce film regorge d'idées de mise en scène, Jean Epstein a su faire sien le langage cinématographique et à ce titre mérite bien des éloges. Je serai plus circonspect quant à la forme « globale » du long métrage, son rythme surtout, l'enchaînement de ces séquences hautement inspirées : il manque peut-être la cohérence d'un Murnau ou d'un Dreyer pour faire de ce long métrage un chef-d'oeuvre absolu. Toutefois sa puissance et sa poésie sont indéniables, rares sont les films français - ou mondiaux - de cette envergure! « La Chute de la Maison Usher » est un long métrage prodigieusement évocateur même si son achèvement s'avère (relativement) imparfait, un grand film, d'une beauté mystérieuse et envoûtante!

[3/4]