mercredi 15 décembre 2010

« Un Homme Qui Dort » de Georges Perec et Bernard Queysanne (1974)

    Un beau film, terrible car bien trop vrai, sur la détresse physique et morale de l'homme moderne, sur son extrême solitude, et plus précisément celle de l'homme moderne des 40 ou 50 dernières années. Je n'ai pas lu le roman de Georges Perec, que je suppose remarquable, mais je ne crois pas que son adaptation cinématographique soit dénuée de sens ou d'intérêt. Il est vrai que le film mis en scène par Bernard Queysanne est grandement tributaire du texte du célèbre écrivain, mais il n'y occupe pas la même place. Dans le livre, du moins d'après ce que je pourrais en suggérer sans l'avoir lu (c'est-à-dire bien peu de choses…), il semblerait que le texte soit le reflet, soit l'exacte transcription des pensées du jeune héros. On est donc, si j'ose dire, dans la tête du protagoniste, on adopte totalement son point de vue, un point de vue psychologique et mental totalement subjectif. Ce qu'« Un Homme Qui Dort » version cinéma apporte, c'est la vue, c'est l'ouïe : aux pensées du jeune homme s'ajoutent ses sens! Nous sommes donc dans la tête et dans le corps à présent du jeune homme, et le texte n'est donc plus l'essentiel de l'oeuvre, l'unique moyen qui nous rattache à l'intériorité du héros, mais une partie de l'oeuvre, l'un des chemins qui nous mènent au plus profond de l'être de cet individu esseulé. Le texte garde toujours son importance donc, car impossible de faire taire ces pensées douloureuses et confuses, mais il n'est plus la seule condition d'existence de ce qui se trame, de ce qui nous est montré. De plus, on alterne entre les séquences purement subjectives et celles « objectives », extérieures à l'individu et qui nous le montrent dans son environnement, dans le monde. L'orientation du récit – un récit tout sauf linéaire, d'autant qu'il se retourne sur lui-même, dans un cercle infernal, se heurtant aux murs cruels et indépassables de la modernité – est donc sensiblement différente, même si elle sert un propos similaire. Il y a tant d'autres choses à dire sur ce film, peut-être pas parfait dans l'absolu (et encore!), mais d'une cohérence admirable, d'un aspect aussi monotone et uniforme que ce qu'il nous dit, tout étant profondément déchiré en son for intérieur. Sa poésie, par exemple, est un modèle d'économie de moyens, la photographie est très belle, la musique tout à fait à propos… Je vous laisse donc en compagnie d'une sincère invitation à découvrir ce film!

[3/4]

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