mardi 28 décembre 2010

« Le Retour d'un Aventurier » de Moustapha Alassane (1967)

    Depuis combien de temps n'avions nous pas assisté à l'expression d'un cinéma aussi libre, aussi vivant, aussi touchant par sa volonté de raconter par tous les moyens possibles une histoire? Peut-être depuis les débuts de Jean Rouch, de la Nouvelle Vague française, ... ou même de Robert Flaherty! Car l'art de Moustapha Alassane étonne par la modestie de son apparence : les « fautes » de raccord sont légions, la post-synchronisation n'a pas grand chose de synchronisé, les acteurs sont quelque peu maladroits... Mais ce ne sont pas à proprement parler des erreurs, puisque pour Moustapha Alassane il n'y a pas de règles de ce genre à respecter, du moins s'il met un point d'honneur à créer des œuvres de qualité ça n'est pas là qu'elle réside. Tout l'intérêt de ses films vient de l'imagination dont ils font preuve, de leur sincérité, de leur simplicité, de leur poésie, de leur richesse insoupçonnée et finalement de leur force intérieure. « Le Retour d'un Aventurier » nous conte le retour d'un africain de métropole, sa valise chargée de panoplies de cow-boys, revolver chargés y compris. Avec ses amis il se déguise donc, mais le jeu tourne rapidement à l'aigre et devient très vite funeste : des clans se forment et l'affrontement sera mortel pour plusieurs des jeunes inconscients. Alassane est friand de ces histoires, de ces paraboles plutôt, en apparence absurdes mais au fond tout sauf innocentes. Comment ne pas y voir la métaphore de l'Afrique revêtant les oripeaux de l'Occident et de la modernité pour son plus grand malheur? Au-delà de sa fraicheur formelle, de sa touchante ingénuité, un film terriblement lucide, parfait exemple du talent de son auteur.

[2/4]

« Bon Voyage, Sim » de Moustapha Alassane (1966)

    Quelle joie de découvrir un artiste tel que Moustapha Alassane! En ces temps de tout numérique, de production cinématographique asservie par la 3D, gavée d'effets spéciaux, il viens nous rappeler que l'art ne se limite pas à la technique, qu'il a pour vocation et impératif de la dépasser! Son talent est protéiforme, s'adapte aux besoins du moment et aux matériaux qu'il a en sa possession : sa seule constante est de proposer des fables terriblement attachantes et épinglant sans en avoir l'air les travers de l'Afrique qui lui est contemporaine. Ainsi en est-il de « Bon Voyage, Sim », court métrage animé réalisé en 1966. C'est l'histoire du président d'une république de crapauds qui après un voyage officiel à l'étranger se voit évincé du pouvoir à son retour. Malheureusement après s'être lui-même censuré, Alassane n'a gardé que la partie « politiquement correcte » de son histoire, ce qui la rend quelque peu bancale et d'un intérêt moindre. Néanmoins l'on se contentera largement du coup de crayon du cinéaste nigérien et de ses amusants personnages!

[2/4]

dimanche 26 décembre 2010

« Culloden » de Peter Watkins (1964)

    L'art de Peter Watkins est décidément étonnant! Sa méthode de reconstitution historique est terriblement efficace tant elle nous replace dans le contexte d'une époque, d'évènements donnés, parmi des hommes qui finalement avaient beaucoup en commun avec ceux d'aujourd'hui : si les acteurs rejouent pour la plupart leur propre histoire, celle de leurs ancêtres, la référence à la guerre du Vietnam est à peine voilée. « Culloden » est comme tout film de Watkins qui se respecte riche en problématiques politiques et sociales encore et toujours d'actualité. L'orientation du récit ne laisse pas vraiment de place au doute : une fois de plus Watkins se place du côté des masses populaires meurtries par la guerre et les exactions qui s'en suivent. Mais si l'on revient au but premier, ou pour le moins apparent de « Culloden », à savoir le récit de la bataille éponyme et de l'affrontement entre les forces anglaises et écossaises l'on ne peut qu'être admiratif du travail fourni et du rendu plus que réaliste : un réalisme à la fois visuel et sociologique donc. On s'amusera par ailleurs des commentaires épinglant l'inaptitude des troupes menées par un prince Charles Edouard Stuart ridicule de fatuité et ses lieutenants pour la plupart à la limite de l'incompétence, et surtout de la bêtise pure. On s'indignera de la cruauté des soldats du duc de Cumberland ou encore de l'indigence dans laquelle vivaient les peuplades des Highlands... Les vertus de ce long métrage sont donc manifestes, mais s'éloignent quelque peu de l'essence artistique, c'est là le principal reproche que je ferais à « Culloden », tout comme à « La Bombe » d'ailleurs. A voir tout de même!

[1/4]

« La Bombe » (The War Game) de Peter Watkins (1965)

    Il est frappant de constater combien les préoccupations de Peter Watkins quant à l'antagonisme réalité/fiction étaient déjà manifestes bien avant la réalisation de son « Edvard Munch »! Dans « La Bombe » il use de procédés similaires pour nous plonger dans la tourmente d'un état frappé par une attaque thermonucléaire : interviews, images prises sur le vif, « caméra sur l'épaule » avec zooms maladroits,... impossible de savoir si ce qui se trame est vrai, s'il s'est déjà réalisé ou est voué à l'être... Nous sommes au coeur des évènements, alors qu'une voix-off lénifiante nous abreuve de chiffres tous plus alarmants les uns que les autres sur les conséquences d'un conflit nucléaire. L'une des réussites majeures de « La Bombe » est son ultra-réalisme : imaginez l'Angleterre en flammes, des hordes de citoyens ravagés par les flammes et les radiations radioactives d'une guerre atomique ayant embrasé l'occident! Et l'on se croirait face à un véritable documentaire constitué d'images réellement issues du drame supposé se produire : Watkins détourne avec brio les codes du genre et une fois de plus surprend par sa maîtrise du média cinématographique et de son impact sur le spectateur. L'efficacité d'un tel long métrage est donc difficilement contestable, existe-t-il moyen plus persuasif de l'horreur de la course à l'armement que d'en montrer les conséquences purement et simplement? Ainsi « La Bombe » est un film ouvertement politique (ce qui lui vaudra d'être censuré par la BBC) : il prend clairement position, dévoile les opinions édifiantes d'autorités aussi bien ecclésiales qu'étatiques ou militaires, n'hésite pas à souligner son propos par des images et un discours percutants... Si la nature politique de « La Bombe » réduit d'autant sa portée, il n'empêche que sa qualité et sa puissance méritent le coup d'oeil! Toutefois l'on pourra regretter l'orientation certaine de l'oeuvre présente : malgré un point de vue éclaté en apparence, car la parole est donnée aux protagonistes les plus divers qui soient, au final c'est surtout le propos, l'opinion de Watkins qui ressort en filigrane. Un ouvrage brillant donc, mais paradoxalement (car c'est ce qu'il dénonce en partie) pas si loin de la manipulation.

[1/4]

samedi 18 décembre 2010

« Les Herbes Folles » d'Alain Resnais (2009)

    Resnais brasse beaucoup d'air pour un résultat décevant. Il fut un temps un « grand » du septième art : en visionnant « Les Herbes Folles » il n'est pas permis d'en douter. Mais tant de talent employé à une tâche aussi... futile (le mot est lâché), c'est bien regrettable. Non pas que ce film soit mauvais, ou tout du moins complètement raté : il est suffisamment étrange et singulier pour mériter le coup d'oeil, sa forme est suffisamment virtuose (ces jeux de couleurs, ce montage aérien, ces rebondissements incessants, cet art de l'ellipse,...) pour mériter quelque applaudissement! Il réserve souvent des respirations fort appréciables, et atteint même à certains moments un lyrisme cinématographique assez grisant. Oui mais tout cela reste d'une lourdeur! On frise l'indigestion tant ça clignote de partout, tant le long métrage est boursoufflé d'humour facile, de personnages caricaturaux, de bons sentiments passéistes, de photographie baveuse, de mouvements d'appareil à n'en plus finir... L'esthétique forcenée des « Herbes Folles » est parfois étonnamment bien maîtrisée, mais de temps à autre elle ploie sous son poids excessif : la mécanique est certes (trop?) bien huilée, Sabine Azéma est décidément attachante (Resnais en est complètement amoureux, c'est aussi frappant que lorsque Godard filmait Anna Karina), la fantaisie du cinéaste est touchante... Mais qu'est-ce qu'on manque d'air! Heureusement donc qu'Alain Resnais relâche régulièrement la pression grâce à ses diverses digressions. Par ailleurs les clins d'oeil sont légions, Resnais revisite le septième art et sa filmographie par la même occasion, mais ce serpent qui se mort la queue possède ce je ne sais quoi d'agaçant, peut-être l'« indécence » d'une autosatisfaction ostensiblement affichée en dépit d'attentes pas vraiment comblées, du moins en ce qui me concerne. D'autant que les vertus réellement poétiques du film le disputent trop souvent à une certaine « poésie du pauvre », qui n'a malheureusement de poésie que le nom. A ce titre les liens qui rapprochent Resnais de Desplechin ne sont peut-être pas anodins : ils partagent ce même goût pour la citation, pour un certain marivaudage, pour un formalisme au mieux mallarméen au pire digne de Jeunet... Un film qui en somme ravira sans aucun doute certains cinéphiles (les adeptes d'Hitchcock, ou encore ceux qui raffolent des jeux de comparaison), mais qui en laissera d'autres sur leur faim. Je finis juste sur une note négative puis une autre plus positive : la musique de Marc Snow est insipide et grossière au possible, l'affiche de Blutch est jolie et vraiment réussie! Et dernière question, enfin, pour répondre à une préoccupation essentielle et de taille débutant le long métrage : Resnais aurait-il perdu tout bon goût?

[1/4]

mercredi 15 décembre 2010

« Un Homme Qui Dort » de Georges Perec et Bernard Queysanne (1974)

    Un beau film, terrible car bien trop vrai, sur la détresse physique et morale de l'homme moderne, sur son extrême solitude, et plus précisément celle de l'homme moderne des 40 ou 50 dernières années. Je n'ai pas lu le roman de Georges Perec, que je suppose remarquable, mais je ne crois pas que son adaptation cinématographique soit dénuée de sens ou d'intérêt. Il est vrai que le film mis en scène par Bernard Queysanne est grandement tributaire du texte du célèbre écrivain, mais il n'y occupe pas la même place. Dans le livre, du moins d'après ce que je pourrais en suggérer sans l'avoir lu (c'est-à-dire bien peu de choses…), il semblerait que le texte soit le reflet, soit l'exacte transcription des pensées du jeune héros. On est donc, si j'ose dire, dans la tête du protagoniste, on adopte totalement son point de vue, un point de vue psychologique et mental totalement subjectif. Ce qu'« Un Homme Qui Dort » version cinéma apporte, c'est la vue, c'est l'ouïe : aux pensées du jeune homme s'ajoutent ses sens! Nous sommes donc dans la tête et dans le corps à présent du jeune homme, et le texte n'est donc plus l'essentiel de l'oeuvre, l'unique moyen qui nous rattache à l'intériorité du héros, mais une partie de l'oeuvre, l'un des chemins qui nous mènent au plus profond de l'être de cet individu esseulé. Le texte garde toujours son importance donc, car impossible de faire taire ces pensées douloureuses et confuses, mais il n'est plus la seule condition d'existence de ce qui se trame, de ce qui nous est montré. De plus, on alterne entre les séquences purement subjectives et celles « objectives », extérieures à l'individu et qui nous le montrent dans son environnement, dans le monde. L'orientation du récit – un récit tout sauf linéaire, d'autant qu'il se retourne sur lui-même, dans un cercle infernal, se heurtant aux murs cruels et indépassables de la modernité – est donc sensiblement différente, même si elle sert un propos similaire. Il y a tant d'autres choses à dire sur ce film, peut-être pas parfait dans l'absolu (et encore!), mais d'une cohérence admirable, d'un aspect aussi monotone et uniforme que ce qu'il nous dit, tout étant profondément déchiré en son for intérieur. Sa poésie, par exemple, est un modèle d'économie de moyens, la photographie est très belle, la musique tout à fait à propos… Je vous laisse donc en compagnie d'une sincère invitation à découvrir ce film!

[3/4]

samedi 11 décembre 2010

« Le Choeur » (Hamsarayān) d'Abbas Kiarostami (1982)

    Dire qu'il fut un temps (pas si éloigné que cela!) où je doutais du talent d'Abbas Kiarostami... Quelle erreur! D'autant que Kiarostami nous propose à chaque fois des films d'une simplicité et d'une subtilité rares : il suffit juste de se laisser porter par la jolie photographie en couleurs, par les prises de vues inspirées malgré leur dénuement total, par les interprètes tous plus attachants les uns que les autres, par le charme des fables que l'auteur iranien sait si bien nous conter... Avec « Le Choeur », Kiarostami part comme à son habitude d'une idée que l'on pourrait qualifier de toute bête : la traduction cinématographique de l'isolement d'un vieillard sourd au monde qui l'entoure. En un sens, le seul lien qui lui permet de se rattacher à la vie quotidienne est son appareil auditif, qu'il peut fort heureusement enlever à sa guise lorsque les bavards intempestifs ou les marteaux-piqueurs se font trop insistants. Seulement voilà, à trop se couper des désagréments de la vie il en va jusqu'à oublier les siens! A ce titre « Le Choeur » peut très bien faire office de métaphore quant aux affres de l'âge ou au fossé qui sépare toujours les générations, ou encore quant aux revers inévitables du confort, mais il est tout autant à prendre (et apprécier) au premier degré : l'histoire amusante et touchante d'un grand père et de sa petite fille séparés par le son et l'espace. Une admirable petite merveille, d'une délicate et belle harmonie!

[3/4]

« Window Water Baby Moving » de Stan Brakhage (1959)

    Paradoxalement, dans sa quête de pureté artistique absolue l'avant-garde moderniste n'a fait que réduire davantage l'investissement de l'artiste, la part de l'homme dans l'oeuvre produite, si bien que cette dernière n'a plus grand chose à voir avec l'art, du moins avec l'art en tant que création. Il serait bien sûr faux d'affirmer que Brakhage ne crée rien avec son célèbre « Window Water Baby Moving », ne serait-ce que par l'idée de maternité (et en filigrane de paternité) qu'il matérialise par l'entremise du montage, du cadrage, bref de la réalisation de son film. Mais son court métrage tiens plus du documentaire clinique que d'autre chose : la part de l'enregistrement « objectif » des faits par la caméra est ô combien prépondérante sur la construction élément par élément de l'oeuvre par l'artiste. Brakhage se joue certes de la matière, contemple son épouse, assiste à son accouchement, partage son appréhension, sa joie ou sa douleur, mais il nous offre là davantage un « film de famille », un souvenir filmé, qu'un chef-d'oeuvre du 7e art, du moins à mon sens. Car finalement qu'a-t-il à nous dire avec « Window Water Baby Moving »? Que la maternité c'est beau, que c'est magnifique, malgré la douleur et les moments d'inquiétude extrême par lesquels on doit inévitablement passer? Je ne lui donnerai certainement pas tort, mais pour autant a-t-on réellement besoin de ce court métrage pour s'en rendre compte? J'utilisais d'ailleurs le mot « jeu » pour évoquer la façon de faire de Brakhage : on a l'impression qu'il s'amuse avec sa caméra, qu'il « joue » véritablement avec, qu'il essaie de se surprendre par ce qu'il filme... C'est certainement ce que tous les cinéastes font en un sens, mais pas dans cette proportion il me semble. Car ici tout repose sur l'enregistrement d'un fait par la machine, puis après par la réorganisation des images enregistrées par Brakhage lui-même. Par la sélection qu'il opère, par les choix qu'il fait, je l'ai déjà dit il crée donc quelque chose d'une certaine manière, mais ce « quelque chose » reste d'une envergure réduite, relative. Il ne reste quasiment qu'à la surface de ce qu'il filme, il reste dans le particulier et n'atteint pas le stade universel que touche tout grand artiste digne de ce nom, ou s'il l'atteint, cela reste de l'ordre du truisme... Car créer de l'art ce n'est pas reproduire une « réalité » visible, objective, c'est aller au-delà, et c'est ce qui fait la beauté même du cinéma! A part un sentiment mitigé de voyeurisme et de « suspense », et bien sûr le caractère émouvant que présente tout accouchement, « Window Water Baby Moving » n'a malheureusement pas grand chose à partager...

[1/4]

«Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain» de Jean-Pierre Jeunet (2001)

    L'art comme mensonge, ou plutôt comme illusion permettant de maquiller le réel (et les-petits-tracas-du-quotidien), voilà peu ou prou la conception de Jean Pierre Jeunet semble-t-il en la matière. Mais est-ce vraiment de l'art qu'il nous offre avec son « Amélie Poulain »? La question se pose tant l'on frise la surenchère d'effets visuels et numériques des plus vilains, d'humour gras et facile, de péripéties larmoyantes et autres moyens au ras des pâquerettes destinés à faire décoller une histoire qui n'a pas grand chose pour elle... « Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain » c'est un peu comme un hamburger indigeste à qui l'on aurait injecté une substance anti-vomitive, en l'occurrence la musique de Yann Tiersen. Oh certes ça n'est pas de la grande musique, mais elle est simple et jolie, et les seuls moments où l'on se sent un chouilla touché par le film c'est en présence des mélodies du breton. Pour le reste, je dois dire que je suis consterné. Tant de bêtise, tant de vulgarité... C'en est à pleurer! Dire que des jeunes (et des moins jeunes) un peu partout dans le monde fantasmeront sur une telle idée de la France et de son cinéma... Il n'y aurait pas de quoi crier au loup si l'on se souvenait encore aujourd'hui de ce qu'étaient le Réalisme poétique ou la Nouvelle Vague (pour comparer ce qui est comparable – et encore!)... Non décidément, une telle niaiserie qui s'affiche sans rougir, une telle autosatisfaction, une telle complaisance de la part de Jeunet, envers ses personnages régressifs et sa vision rétrograde du monde ou de l'art, c'en est trop pour moi. Juste une dernière remarque sur les similitudes que partage ce long métrage avec le « Good Bye, Lenin! » de Wolfgang Becker : même compositeur, même nostalgie passéiste, même recherche surfaite de spontanéité (ambition vaine et à la mode, tout autant dans les clips musicaux d'ailleurs – et « Amélie Poulain » tient certainement plus du clip que du cinéma)... Mais le film du réalisateur allemand avait ce je ne sais quoi en plus... Peut-être est-ce sa façon amusante de détourner les signes du communisme qui faisait mouche... Ou peut-être est-ce tout simplement l'« exotisme » est-allemand, auquel cas j'en viens à me demander si nos amis germaniques ne ressentent pas la même exaspération envers ce long métrage que moi-même envers « Amélie Poulain » et l'énormissime cliché qu'il représente... Je croyais que Luc Besson était le seul cinéaste français à avoir fait de l'infantilisme son fonds de commerce, je concède m'être lourdement trompé.

[0/4]

samedi 4 décembre 2010

« Et la Vie Continue » (Zendegi digar hich) d'Abbas Kiarostami (1992)

    Un beau film, tout ce qu'il y a de plus simple et pourtant d'une profondeur qui force l'admiration! Une fois de plus Abbas Kiarostami explore l'étroite frontière qui sépare la réalité de la fiction (existe-t-elle d'ailleurs?) tout en parcourant l'Iran d'un regard curieux, avide d'espoir, cherchant inlassablement comment l'homme peut se relever des instants les plus terribles de son existence, où parvient-il à trouver des forces pour dépasser l'horreur et continuer à vivre dans tous les sens du terme. Il revient en effet après le séisme de 1990 sur les lieux du tournage de son long métrage « Où est la Maison de mon Ami? » à la recherche de ses jeunes acteurs, mais aussi des rescapés du tremblement de terre qui a dévasté la région. La façon dont il se met en scène par l'intermédiaire d'un double fictionnel (l'acteur principal joue le rôle d'un cinéaste venu retrouver la trace des acteurs du film précédemment cité... tiens tiens!) est d'ailleurs amusante, mais surtout fort intéressante! Car il crée un effet de distanciation inattendu : à un certain moment il déjoue ostensiblement le dispositif fictionnel lorsqu'un protagoniste semble apostropher directement le « vrai » réalisateur en personne, soit Kiarostami, alors que le « faux » se trouve hors-champ. Ce personnage nous explique d'ailleurs que la maison qu'il occupe n'est pas la sienne mais qu'elle lui a été attribuée pour les besoins du film... « Et la Vie Continue » serait alors un documentaire? Ou n'est-ce pas plutôt un documentaire factice, une fiction? Est-ce un mensonge? L'opposition vrai/faux vole en éclat, ou plutôt s'opacifie : à nous de réfléchir sur la question, qu'est-ce que le vrai? Qu'est-ce que le faux? Le faux est-il bon ou mauvais? Est-il pertinent de présenter les choses de la sorte? Kiarostami, comme à son habitude, sollicite l'intellect avec une évidence et une aisance désarmantes! Et il ne s'arrête pas là, il propose par la même occasion un touchant portrait de rapport filial et paternel, tout en rendant hommage aux victimes du séisme mortel! Un superbe essai cinématographique de plus à mettre au crédit du talentueux cinéaste iranien!

[3/4]