«La beauté réside dans la vérité même de la vie, pour autant que l'artiste la découvre et l'offre fidèlement à la vision unique qui est la sienne.» Andreï Tarkovski, Le Temps Scellé (1989)
mercredi 24 août 2011
« Melancholia » de Lars von Trier (2011)
lundi 8 août 2011
« Si tu tends l'oreille » (Mimi wo sumaseba) de Yoshifumi Kondo (1995)
dimanche 7 août 2011
« Blow-up » de Michelangelo Antonioni (1966)
Dans «Blow-up», Thomas, le protagoniste, vit avec un ami peintre qui est un peu son modèle artistique, lui qui vit avec répugnance de la photographie de mode alors qu’il aspire à la photographie d’art. Cet ami peint des œuvres abstraites, que l’on devine quelque part entre le cubisme et le pointillisme. Lorsqu’il les peint, il affirme ne rien y voir, ne pas savoir ce qu’elles signifient. Ce n’est que bien plus tard qu’il y découvre des choses et que ses toiles se révèlent à ses yeux. Pour l’une d’elles, il explique qu’elle est trop récente, qu’il est encore trop tôt pour qu’il la déchiffre. Cette anecdote au cœur du film est un avertissement d’Antonioni au spectateur, ou en tout cas c’est ainsi que je l’interprète désormais, car après avoir revu une troisième fois «Blow-up», je me rends compte que mes précédents visionnages, s’ils étaient nécessaires, étaient trop précoces. Ce n’est que maintenant que le film s’est révélé à mes yeux… Certes, dès le premier visionnage, j’avais été subjugué par les qualités esthétiques du film, avec une utilisation tout simplement prodigieuse de la couleur, et l’impressionnante maîtrise du cadre, de l’espace et des mouvements de caméra dont fait ici preuve Antonioni. Si le film, dès le départ, avait su toucher et éveiller comme rarement mes sens (il faut aussi noter ici le travail remarquable du son), l’ensemble paraissait à mes yeux trop théorique, un bloc de sens réalisé avec perfection certes, mais trop peu ouvert. En réalité, c’est totalement l’inverse. «Blow-up» est bien au contraire un film complètement ouvert à l’interprétation et aux différentes subjectivités de ceux qui le regarde. A chaque vision, le film réussit à prendre un sens différent et pousse le spectateur à regarder plus loin: si l’intrigue au cœur du film se fait de plus en plus limpide à chaque fois, les interrogations soulevées par le cinéaste sur les rapports entre la réalité et ce que l’on en perçoit se font plus profondes. Sous l’apparence de la simplicité (certains ont qualifié le film de «minimaliste»), avec une intrigue réduite et des séquences qui semblent au premier abord superflues, se cache un film où rien n’est laissé au hasard, où chaque élément est là pour pousser le spectateur à questionner son regard. A l’instar de l’expérience vécue par Thomas dans le film, «Blow-up» est un parcours initiatique pour le spectateur qui apprend ici à interroger toujours davantage le réel. Cette épreuve conduit et le protagoniste du film, et le spectateur, à se rapprocher un peu plus du regard de l’artiste, celui qui a parfaitement intégré le caractère illusoire de la réalité, dont la reconstitution ne peut être qu’une question de point de vue. Le film cherche ainsi à nous apprendre à adopter le regard de l’artiste. Les apparences sont trompeuses, nous dit Antonioni, et pour poser un regard juste sur le monde, il faut trouver la bonne distance. On en a ici la superbe illustration lors de la séquence centrale de l’agrandissement qui donne son titre au film: trop loin, Thomas ne voit pas ce que cache la photo, il en a une vision d’ensemble trop sommaire. Trop près, le grain de l’image est trop gros, on ne voit plus rien que des tâches qui rappellent les peintures abstraites de son ami… Je ne reviendrai pas sur le milieu dans lequel se déroule le film, le Londres psychédélique de la fin des années 60, même si le cinéaste ne se contente pas de retranscrire l’ambiance de l’époque mais pose un regard tout personnel (et assez cynique) sur cet univers, regard du cinéaste qui pourrait faire l’objet d’une analyse intéressante. La puissance de ce chef d’œuvre réside bien plus dans le travail de «révélation» de l’image que propose le cinéaste via la multiplicité des regards qu’il convoque. La séquence finale, qui correspond à la prise de conscience de Thomas sur le monde qui l’entoure, reste à ce titre un pur morceau d’anthologie. Indispensable.
[4/4]
samedi 6 août 2011
« Affreux, sales et méchants » (Brutti, sporchi e cattivi) de Ettore Scola (1976)
vendredi 5 août 2011
« Accattone » de Pier Paolo Pasolini (1961)
«Accattone» (le mendiant) est un jeune paumé de la banlieue romaine, un parasite apprenti maquereau et qui vit au crochet des femmes qu’il prétend protéger. C’est un inadapté de la nouvelle société italienne, incapable physiquement de supporter le labeur qu’exigent les seuls travaux rémunérés pour lequel il apparaît apte, et trop passionné pour accepter de passer ses journées à s’abrutir dans un travail dur et répétitif. Il se retrouve alors, à l’instar des autres habitants de son bidonville, à choisir entre le vol et l’argent de la prostitution. Pasolini, en critique virulent de la société bourgeoise naissante, insiste sur le caractère inadapté du personnage, condamné à s’adapter à une vie difficile que son corps et son esprit exècrent ou à se pervertir dans de basses besognes immorales. Sa quête de pureté, motivée par le sentiment amoureux, le poussera à renoncer au proxénétisme. Reste alors pour lui à s’adapter… ou à mourir. Dès son premier film, Pasolini s’émancipe du mouvement cinématographique néoréaliste italien et, d’une certaine façon, en annonce la fin. Le film part d’une thématique sociale très forte et de toujours chère au cinéaste, qui a largement marqué sa solidarité avec les pauvres exclus de la société de croissance. Mais Pasolini cherche ici à éviter la description trop réaliste, l’approche presque documentaire du monde des banlieues déshéritées pour tendre vers un cinéma plus poétique, passant par une certaine sensibilité et un regard quasi mystique sur les personnages. Cette dualité entre réalisme et poésie se retrouve admirablement retranscrite dans le travail de mise en scène de Pasolini. «Accattone» est tourné dans un style direct, très frontal, alternant longs travellings et plans serrés sur les visages des protagonistes, style propice à une approche réaliste et objective de la thématique sociale. Mais cette simplicité de la mise en scène, qui annonce la manière cinématographique à venir du cinéaste, se mue ici en pureté via le travail sur la lumière blanche, lumière envahissante et éblouissante qui apparaît irréelle, et via l’utilisation de la musique de Bach (La Passion selon Saint Matthieu). On relèvera aussi une très belle séquence onirique qui ancre pleinement le film du côté du cinéma de la poésie. Dès lors, la pureté du travail de mise en scène permet de transcender la trivialité de cette tragédie politique en une œuvre empreinte de sacralité. «Accattone» devient une Passion et chaque séquence se charge d’une dimension allégorique alimentant la métaphore christique du film. On trouve dans «Accattone» les deux facettes contradictoires de Pasolini, ces deux facettes auxquelles le cinéaste n’adhère jamais complètement et qui créent cette dualité qui apporte toute sa complexité à son œuvre : son attachement à un certain rêve d’émancipation porté par le marxisme et son aspiration au sacré. C’est ici la sacralité qui emporte finalement le film, classant «Accattone» parmi les belles réussites du cinéaste.
[3/4]
« Ghost Dog, la voie du samouraï » (Ghost dog : the way of the samurai) de Jim Jarmusch
mardi 2 août 2011
« Notre musique » de Jean-Luc Godard (2004)
lundi 1 août 2011
« Eloge de l'amour » de Jean-Luc Godard (2001)
jeudi 28 juillet 2011
« Citizen dog » (Mah nakorn) de Wisit Sasanatieng (2004)
mercredi 27 juillet 2011
« Le sang des bêtes » de Georges Franju (1949)
Ce court documentaire de 21 minutes reste aujourd’hui encore, près de 60 ans après sa réalisation, l’une des œuvres les plus violentes jamais réalisées sur le monde des abattoirs. Cette puissance est directement liée à la nature des images filmées, bien plus qu’au talent de mise en scène du cinéaste. Celui-ci se contente, dans un registre hyper réaliste, d’enregistrer des images qui restent habituellement cachées aux yeux du public : éviscération de chevaux, décapitation de veaux, égorgements de vaches, abattage à la chaîne, etc… La violence des images peut choquer (c’est d’ailleurs clairement le but recherché par Franju) et ce choc induit chez le spectateur une réflexion sur la violence faite aux animaux, sur les dessous de la consommation de viande et le monde secret des abattoirs. Cet accent mis sur l’autre facette d’un monde insouciant et paisible, sur la face cachée de la ville de Paris, est l’une des plus belles idées de cinéma du film ou, tout du moins, la seule vraiment réussie. Pour le reste, Franju se laisse emporter à la facilité de la force de ses images, et ne parvient pas à garder la neutralité et la distance qu’il semble vouloir s’imposer au départ. Petit à petit, le cinéaste impose ainsi sa révolte personnelle à son film, en se laissant ici ou là aller à des commentaires plus que suggestifs ou à des images complaisantes. «Le sang des bêtes» devient alors un objet cinématographique qui hésite dans la direction à suivre, qui cherche à s’engager mais sans aller jusqu’au bout, en feignant de garder une neutralité pourtant perdue. En voulant s’abstenir de condamner, Franju finit même par dire quelques bêtises, comme «mais il faut bien se nourrir», alors que ce n’est sûrement pas la faim qui nous impose de consommer du cheval. Les défenseurs de la cause animale qui attendent un engagement, un propos virulent du cinéaste, seront déçus par la réflexion toute superficielle de Franju qui n’aborde aucunement la question des habitudes alimentaires occidentales. Ceux qui pensent avoir à faire à un documentaire neutre et objectif seront déçus par les vagues sous-entendus du cinéaste. Reste cette fascination de Franju pour les gestes du travail, qui donne au film une certaine valeur historique. Au final, on regrette que la force du film ne repose que sur le simple enregistrement d’images, certes très évocatrices (on parvient parfois même à imaginer les odeurs émanant des vapeurs de sang). Et c’est dommage, car le contraste entre la concentration, le calme des bouchers et la véritable barbarie des actes qu’ils commettent, rappelle ces «tueurs sans haine» dont parle Baudelaire et peut très vite déboucher sur une réflexion sur la mort qui dépasse largement le cadre des abattoirs. Il semble ainsi difficile de ne pas songer aux camps de concentration, d’autant plus que Franju ose le parallèle des trains de la mort. Si «Le sang des bêtes» a si bonne réputation, c’est suite au jugement à chaud et encore sous le choc des diverses critiques. Néanmoins, lorsqu’on prend du recul et que l’on étudie l’objet filmique, on s’aperçoit que Franju ne maîtrise pas son film... A voir si vous hésitez à vous convertir au végétarisme !
[1/4]