dimanche 5 octobre 2025

« Sirāt » d’Oliver Laxe (2025)


Marrant comme lors du Festival de Cannes les esprits s'échauffent et s'emballent parfois pour rien, ou pas grand-chose... Après « L'Agent secret » de Kleber Mendonça Filho, « Sirāt » d’Óliver Laxe est l'autre grosse baudruche qui finit par se dégonfler d'elle-même... Après, je suis bien conscient que c'est le jeu des festivals : dans une ambiance propice et survoltée, il y a de quoi faire tourner la tête.

Pourtant « Sirāt » commençait plutôt bien. En mettant en images le monde des raves parties, Óliver Laxe fait le pari de l'immersion sonore. Le volume est élevé et la musique – du gros boum boum, mais aux textures soignées – aide à la crédibilité de l'essai. Visuellement par contre, on reste un peu à l'extérieur. Pas de plans subjectifs. A la place, un regard quasi documentaire, filmant les masses de teufeurs. Déjà à ce moment, je me disais qu’il s’agissait d’un film cool, mais qui n'exploitait pas complètement son potentiel... Ce qui allait se confirmer, hélas, plus tard. Des individualités se dessinent dans la foule, et l'on devine que les quelques acteurs dont le nom s'affiche à l'écran seront nos compagnons de route. L'exposition du film est habile. On est les sens en éveil, prêt à entrer dans ce « road and bad trip ».

La première moitié du film est remarquable. Nos héros filent en convoi dans le désert, à la recherche de la fille d'un des protagonistes (impeccable Sergi López), raveuse (rêveuse ?) en fuite. Les images sont très belles, le choix de la pellicule (16 mm) est judicieux : les étendues désertiques surplombées par un soleil brûlant, ou les trajets de nuit, dans une obscurité épaisse, sont à mon sens la grande réussite de « Sirāt ». Óliver Laxe installe une ambiance de road trip presque mystique, avec des marginaux qui poursuivent des chimères. Il y a un côté « Le Salaire de la peur », voire même « Apocalypse Now » (toutes proportions gardées), influence revendiquée par Óliver Laxe. Autant dire que les attentes pour la suite sont immenses, le cinéaste franco-espagnol ayant bien fait monter la sauce et la tension.

Jusqu'au point de bascule. C'est censé être l'un des climax du film, si pas LE moment clé. Mais c'est terriblement mal filmé et interprété. Je n'y ai pas cru une seconde. La suite des événements ne parviendra jamais à inverser la tendance. Óliver Laxe tombe dans une espèce de fuite en avant... Après cet événement choc, c'est comme si le film faisait une sortie de route. Je commence à comprendre que « Sirāt » risque de ne pas être le film que j'espérais. Le voilà qui traîne en longueur. Où veut-il en venir ? Je perds peu à peu espoir. C'est alors que d'autres retournements de situation surviennent. Hélas, tout aussi ratés. Cette fois ça y est, je sais que c'est mort. Óliver Laxe n'a pas su aller au bout de son projet, ou alors il n'a pas su voir le chemin qui s'ouvrait devant lui... La fin enfonce définitivement le clou. 

« Sirāt » nous promettait l'enfer et le paradis. Il reste à l'état de mirage dans le désert. On croit voir quelque chose… qui n'existe pas. Notre imagination est fortement sollicitée dans cette première moitié de film, et l'on se prend à imaginer un scénario qui ne sera jamais tourné. On sort donc de la salle terriblement frustré, par ce beau potentiel gâché...

[2/4]

samedi 4 octobre 2025

« Kontinental '25 » de Radu Jude (2025)


Avec « Kontinental '25 », je découvre enfin le cinéma de Radu Jude, l'un des réalisateurs du moment. Et on peut dire qu'il est fidèle à sa réputation : provocateur, très drôle, cynique, socialement et politiquement engagé... Il ne brosse pas le spectateur dans le sens du poil, et c'est très bien comme ça. Radu Jude n'est pas juste un amuseur public, c'est un artiste qui veut pousser le public à la réflexion. Il montre ainsi des personnages qui sont empêtrés dans leurs contradictions, comme il met en lumière l’ambiguïté des Roumains mais aussi des Européens, et plus largement des Occidentaux. Radu Jude montre toute la complexité, à la fois de ce continent et de l'Union Européenne, qui traversent clairement une crise politique, économique, sociale... et existentielle. 

Le cinéaste met en images le malaise civilisationnel que l’on éprouve, à travers la trajectoire parallèle d’un SDF, visage d’une misère économique et sociale, et d’une femme de la classe moyenne, empêtrée dans une autre forme de misère : humaine, relationnelle et ontologique. Des personnages submergés par le chagrin, contrebalancé par l’humour ravageur de Radu Jude, qui nous tend un miroir implacable. Mieux vaut ouvrir les yeux et se rendre compte de la situation dans laquelle on vit, et que nous autres, Européens, refusons tant de voir. Il y a comme une nostalgie de la part de Radu Jude quant à l’Europe, du fait de cet écart entre ce qu’elle est et ce qu’elle aurait pu ou dû être.

Rien que le titre du film, convoque les fantômes de cette Europe cosmopolite, riche de ses différentes cultures, qui ont en même temps provoqué sa perte lors des deux guerres mondiales, à cause du cancer du nationalisme, qui est en train de ressurgir… Un nationalisme contre lequel Radu Jude s’érige, en dénonçant explicitement Viktor Orbán ou Vladimir Poutine. Dans « Kontinental '25 », on a beau être en Roumanie, on parle roumain, mais aussi hongrois ou allemand. Une partie de la population est hostile aux étrangers, pourtant ce sont les différentes nations et cultures de l’Europe qui font tout son intérêt.

La construction de l’Union Européenne est peut-être la plus belle utopie du 20e siècle, et elle a pu se réaliser ! Hélas, son édification a été bancale et elle a trop reposé sur une forme d’ultra libéralisme naïf et aveugle. Les fonds de l’UE ont permis a beaucoup de ses pays membres de se (re)construire, mais dans le même temps, le marché européen a été trop dérégulé, et a détruit en partie un certain nombre de pays, dont la transition vers l’UE s’est faite au profit de cliques de mafieux et autres entrepreneurs douteux. Il semble que ça ait été le cas de la Roumanie, parmi tant d’autres pays à l’Est mais aussi à l’Ouest. Il y a de quoi désespérer, ou du moins être passablement déçu de la tournure des événements… 

Mais Radu Jude est un peu l'anti Ruben Östlund. Il ne verse pas dans le cynisme absolu et dans une forme de pose arty pseudo subversive, qui ricane lâchement sans rien proposer. Un certain nombre des personnages de Radu Jude ont un bon fond, ça ne veut pas dire qu'ils sont irréprochables. En tout cas, ce ne sont pas tous des pourritures. Certains de ses personnages essaient de faire de leur mieux, même s’ils sont parfois maladroits et ont leurs défauts. Radu Jude montre des personnages équivoques, et non caricaturaux.

Le cinéaste roumain pose d’ailleurs davantage de questions qu'il n'apporte de réponses. Et tant mieux sans doute, tant la complexité des problèmes de notre époque mérite autre chose que des réponses toutes faites, simplistes et populistes. En tout cas, Radu Jude semble dire que quand tout va mal, il reste encore à l'être humain son irréductible humanité, et sa conscience en guise de boussole. Une fragile voix intérieure, bien utile en ces temps d'obscurantisme et d'incertitude totale...

[3/4]

mercredi 1 octobre 2025

« Honeymoon » (Medovyi Misiats) de Zhanna Ozirna (2025)


En France, nous sommes davantage habitués à découvrir des documentaires ukrainiens, depuis l'invasion russe de février 2022. Honeymoon est l'un des tous premiers longs métrages de fiction ukrainiens, tournés depuis le début de l'invasion, à parvenir jusqu'à nous.

A ce titre, c'est déjà un film intéressant. Mais c'est en plus un long métrage subtil et intelligent, qui nous replace dans ce qu'ont vécu les Ukrainiens les premiers jours de l'invasion : la stupéfaction, la peur, la paralysie, la remise en question de leur quotidien... Et plus prosaïquement, la survie : certains étant tués ou torturés par les russes, blessés, prisonniers, confinés...

Zhanna Ozirna construit son film autour d'un couple surpris par l'invasion et cloîtré dans son appartement en cours d'aménagement. C'est un choix intéressant, car la cinéaste évoque la guerre d'un point de vue humain et ukrainien. On rentre dans l'intimité du couple, avec beaucoup de tendresse et de pudeur, et on éprouve avec eux combien la guerre est inhumaine et terrifiante.

La mise en scène est maîtrisée, la photographie soignée, et surtout la direction d'acteurs est excellente. On croit à ce couple ainsi qu'à leurs interactions avec d'autres personnes. Je ne peux que vous inciter à aller voir ce film, pour partager (très modestement) ce que vivent les Ukrainiens et soutenir la talentueuse et courageuse équipe de ce long métrage.

[2/4]