dimanche 3 mars 2013

« October » de U2 (1981)

    La musique de U2 a progressivement perdu sa qualité (et il faut bien le dire son âme) à mesure que le groupe a gagné en influence sur la scène internationale. « October » n'est que le deuxième album du groupe irlandais, mais pourtant il est avec « War » (encore plus abouti, et parsemé de succès planétaires) à mon sens le meilleur album de U2. Empli d'un souffle et d'une spiritualité peu communs alors pour un groupe rock (encore plus aujourd'hui), « October » comporte d'excellentes chansons tout en restant homogène. Au premier rang desquelles Gloria, qui ouvre majestueusement l'album. Bono chante avec sincérité et exaltation le Seigneur, dans l'un des tous meilleurs titres de sa carrière. Les paroles sont merveilleuses... et l'on peut en dire de même pour le reste de l'album. S'ensuivent I Fall Dawn et I Threw a Brick Throuh a Window, de très bonnes chansons. Rejoice est énergique, et annonce Fire, l'un des sommets de l'album. La musique est envoûtante, à la fois menaçante et mystérieuse, tandis que les paroles sont empreintes d'une poésie presque apocalyptique. Tomorrow est une chanson plus apaisée et personnelle, dédiée à la mère, décédée, de Bono. October est elle aussi une chanson calme, mélancolique, avec peu de paroles, mais ô combien déchirante. With a Shout (Jerusalem), est tout comme Gloria une chanson exaltée, habitée par la voix de Bono, au texte ouvertement chrétien. Stranger in a Strange Land comporte quant à elle des paroles plus sombres, évoquant la solitude la plus noire. Scarlett est évanescente, diaphane, énigmatique. Is That All, enfin, clôt l'album avec panache, chantée toujours avec la même foi par Bono. « October » est donc un albums accompli, à la fois sincère, profond et contrasté. Et tout simplement beau.

[4/4]

dimanche 10 février 2013

samedi 12 janvier 2013

« Épouses et concubines » (Da hongdenglong gaogao gua) de Zhang Yimou (1991)

    Un film très beau... et terrible à la fois! Zhang Yimou dénonce dans ce long métrage l'horreur de la condition des femmes chinoises au début du XXème siècle. Songlian est une jeune fille pauvre de 19 ans, qui a dû quitter l'université, où elle n'a étudié que six mois, faute d'argent. Elle choisit alors de se marier à un homme riche, et devient... sa quatrième épouse. Elle découvre un monde clos sur lui-même, étouffant (l'impression d'enfermement est renforcée par la mise en scène très insistante du réalisateur chinois), alors que les manœuvres de ses rivales pour s'approprier les faveurs du maître des lieux lui mènent la vie dure. Baigné par le rouge des lanternes, qui annoncent la favorite du seigneur et celle qui peut gouverner pour un moment les serviteurs de la maisonnée, « Épouses et concubines » brille par la beauté de sa réalisation. Les cadrages sont méticuleux, les plans choisis avec soins, évitant tout superflu, tout en suggérant avec une économie de moyens remarquable le drame intérieur de ces femmes livrées au bon vouloir d'un homme qui les possède et les rend folles de jalousie. Car ce que dépeint avant tout Yimou, c'est la bassesse des sentiments humains dans une situation où l'amour se marchande. Il y a bien peu d'espoir dans cette demeure où l'on ne sort jamais : les plans aériens de ces cours enserrées par les toits finissent par donner la nausée. D'ailleurs, pour renforcer ce sentiment d'abandon et d'humiliation, on ne voit jamais le visage du maître, toujours filmé de loin ou de dos. Il est ainsi proprement inhumain, comme l'est en un sens « Épouses et concubines », tant sous l'éclat de sa mise en scène il donne à voir une noirceur insoutenable. Notons pour finir la beauté de la musique qui accompagne l'image!

[3/4]

« Messa da requiem » de Giuseppe Verdi (1874)

    Une œuvre imposante ! Le « Requiem » de Verdi, composé en l'honneur de la mort de son compatriote, le poète Alessandro Manzoni, est très impressionnant. Notamment par le déchaînement des éléments dans son célèbre Dies Irae, qui chante la fin du monde et le jugement dernier. Dans un déferlement de voix menaçantes, de cuivres, de cordes et de percussions, Verdi nous fait dresser les cheveux sur la tête ! Cet air est tout à fait caractéristique de cet opus qui se démarque par sa théâtralité. Certains ont parlé d'opéra religieux à son propos, ils n'ont pas tort. Surtout quand on sait que Verdi était athée. Il semble donc que le compositeur italien ait mis tout son talent à faire briller de mille feux sa messe des morts. Car le Dies Irae n'est pas le seul morceau de bravoure, le Tuba Mirum, avec ses trompettes dissimulées dans les coulisses, puis sonnant héroïquement la résurrection, est lui aussi particulièrement marquant. Tout comme le Rex Tremendae Majestatis (qui porte bien son nom). La théâtralité de ces passages rappelle d'ailleurs celle de certains airs du « Requiem » de Mozart. Néanmoins on ne retrouve pas l'intériorité de l'œuvre de l'autrichien, sa finesse délicate. Pourtant, le « Requiem » de Verdi comporte des moments plus apaisés, comme ce joyeux Sanctus, dont la légèreté annonce presque le « Gloria » de Poulenc, et son malicieux Laudamus Te. D'une grande qualité, bien qu'on puisse regretter un manque certain de sincérité, la messe des morts de Verdi s'achève en beauté par un Libera Me majestueux, autre sommet de l'œuvre. Un classique qu'on savourera de préférence dans la bien belle version de Carlo Maria Giulini, passionnée et pleine de relief.

[4/4]

« La Chaumière indienne » de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1790)

    « La Chaumière indienne » est un charmant petit conte philosophique. On y retrouve la sensibilité si particulière de Bernardin de Saint-Pierre, épris d'idéal et de vertu. Il s'agit en effet d'un éloge de l'humilité et de la simplicité, face au pouvoir, à la connaissance, et tout simplement à la vie. L'intrigue est simple, archétypique, et pleine de bon sens, comme tout conte qui se respecte. Un docteur anglais, glorieux érudit, cherche à rendre l'humanité plus heureuse en se lançant dans une quête surhumaine : collecter tous les savoirs ancestraux du monde entier, de Paris à Delhi, en passant par le Vatican ou Istanbul, afin de répondre aux questions innombrables de la Société royale de Londres sur le sens de la vie et de son incarnation terrestre. Mais lorsqu'il a recueilli au terme de son long périple une quantité démesurée de connaissances, le voilà qui se met à douter. Que faire de tant d'enseignements ? D'autant qu'ils se contredisent quasiment tous... Et voilà notre pauvre docteur perdu et abattu. Nulle réponse à ses questions! Lorsqu'on lui apprend qu'un brame supérieur, sage parmi les sages, méditant dans son palais, près d'une embouchure du Gange, en Inde, serait le seul au monde capable de résoudre toutes les fameuses questions qu'on lui a chargé de poser, le voilà qui reprend espoir! Et il s'empresse d'aller le visiter. Il ira, bien évidemment, de surprises en surprises, et ses certitudes seront bien ébranlées. Je n'en dis pas plus, je vous invite à prendre le temps de vous plonger dans cette fort belle histoire, qu'on lit en une heure à peine, mais qu'on savoure des heures durant.

[3/4]

« Paul et Virginie » de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1787)

    Il y a peu, je rangeais ma bibliothèque. Alors que je triais de vieux livres de quand j'étais petit, je suis tombé sur une édition Carrefour (sic) de « Paul et Virginie », de Bernardin de Saint-Pierre, qu'on m'avait offerte étant enfant. Je ne sais pas pourquoi, je me suis dit que ce serait peut-être intéressant à lire. Alors je me suis plongé dedans. Quelle surprise ! C'est un chef d'œuvre ! Bernardin de Saint-Pierre écrit dans un français merveilleux, à la fois simple et limpide mais finement ciselé, d'une réelle beauté. Et que dire de la façon dont il dépeint la nature ! C'était paraît-il son grand talent, en effet, c'est peu de le dire ! Mais n'oublions pas non plus la finesse avec laquelle il décrit les sentiments, notamment de ses deux jeunes héros ! « Paul et Virginie » est un roman qui exalte la vertu, d'une façon tellement sincère, presque enfantine... Dans un décor paradisiaque (l'ouvrage est construit comme le magnifique film « Tabou » de Murnau), Paul et Virginie vivent avec leurs mères respectives, bannies de la société française. Nous sommes dans l'Île de France (aujourd'hui l'Île Maurice), à la fin du XVIIIème siècle, et Bernardin de Saint-Pierre est épris de la philosophie de Jean-Jacques Rousseau. Paul et Virginie, vivant à l'écart de la civilisation, sont en effet la bonté même. Ce sont les hommes et leurs froids calculs qui viendront semer le désordre et la désolation. Vraiment quelle surprise de trouver là l'un des plus brillants écrivains de son temps, et même l'un des plus brillants écrivains français ! Car comme le fait si bien remarquer la note biographique insérée en fin de mon édition, « Paul et Virginie » est une « idylle morale et mélancolique, évitant la fadeur et la déclamation ». Préfigurant le romantisme sans annoncer ses travers, « Paul et Virginie » est une œuvre intemporelle et remarquable.

[4/4]

mercredi 9 janvier 2013

« La Colline aux coquelicots » (Kokuriko zaka kara) de Gorō Miyazaki (2012)

    Un joli film, à des années lumières du premier long métrage du fils de l'illustre Hayo Miyazaki. On pouvait craindre le pire du successeur des « Contes de Terremer », pas loin d'être un caprice désincarné de « fils de », illustré avec brio par un studio de talent mais paresseusement réalisé par un cinéaste indigne de ce nom. Ici, nous avons le droit à une œuvre accomplie, certes sans grand éclat, mais d'une facture fort appréciable. Remercions Miyazaki père, car c'est bien grâce à lui que « La Colline aux coquelicots » a un semblant d'âme. Il n'a décidément pas son pareil, scénaristiquement parlant, pour donner chair aux gestes du quotidien, et rendre digne d'intérêt une histoire d'amour plus que platonique, car n'aboutissant pas à l'écran (c'est ce qui fait tout son charme). Il se rapproche en cela d'Ozu, et de la finesse de sa façon de peindre les sentiments les plus subtils avec de légères touches de pinceau. « La Colline aux coquelicots » nous conte la naissance d'un amour entre deux lycéens, au début des années 60. Bien que basée sur l'imagination et volontairement non réaliste, la représentation de l'époque est très bien recréée, sans passéisme, et sert surtout d'écrin à cette histoire diaphane. Car au risque de me répéter, l'intrigue de ce long métrage manque un peu de saveur. Gorō Miyazaki ne m'a donc pas encore totalement convaincu, il lui reste un long chemin à parcourir avant d'arriver à la hauteur de son père. Pourtant, bien que le scénario soit tout à fait linéaire et la réalisation peu inventive, ou plutôt grâce à cette sobriété qui contraste avec l'outrance de son précédent essai, Miyzaki fils commence à trouver ses marques. L'alchimie a pris, et « La Colline aux coquelicots » mérite bien le nom de film. Rien de bien transcendant pour l'instant, mais une affaire à suivre.

[2/4]

samedi 5 janvier 2013

« Merlusse » de Marcel Pagnol (1935)

    Un film simple, maladroit mais touchant. « Merlusse » est l'histoire d'un pion à l'allure féroce, surtout avec son œil en moins, et qui fait peur aux enfants. Il est de garde dans un internat de lycée la nuit de Noël, et les élèves en sont horrifiés. On raconte tout plein d'histoires à son sujet, qu'il aurait donné des punitions terribles aux enfants turbulents ! Mais derrière une apparence ingrate se cache un cœur d'or. « Merlusse » est un véritable petit conte de Noël et sur l'enfance. Oh ce n'est pas du grand cinéma (encore qu'il soit de qualité), la grammaire cinématographique de Marcel Pagnol est d'une simplicité extrême et ne brille pas par son inventivité, mais nul besoin d'en faire des tonnes pour délivrer un aussi beau message. Saluons le jeu des acteurs, en particulier du personnage éponyme, incarné avec talent par Henri Poupon. La preuve qu'il n'est pas nécessaire de faire de longs films (celui-ci dure une heure) pour raconter une histoire intéressante et accomplie. La preuve aussi du talent certain de scénariste de Marcel Pagnol.

[2/4]

« Angles » de The Strokes (2011)

    A la première écoute, j'ai trouvé que « Angles » était un album très moyen, pour ne pas dire raté. Mais j'ai peu à peu révisé mon jugement, au fil des écoutes. A vrai dire, il est très différent de ce qu'avait réalisé le groupe new-yorkais jusque là. Beaucoup moins « fun », beaucoup plus théâtral et tourmenté, plus mûr également. Quelques chansons sortent particulièrement du lot par leur cohérence et leur niveau d'aboutissement mélodique : You're So Right et son atmosphère étouffante, Games, assez inventive et bourrée d'électro utilisée, une fois n'est pas coutume, à bon escient, et Metabolism et son ambiance de fin du monde (ou presque). L'ensemble des chansons, tantôt (faussement ?) enjouées, tantôt sombres à l'excès, semblent marquer un tournant dans l'esthétique du groupe. En effet, « Angles » marque par son ton désenchanté et mélancolique. « Living in an empty world », répète Julian Casablancas dans Games, « I wanna be somebody / Wanna be somebody like you  / Like you, like you / Like you, instead of me » chante-t-il dans Metabolism... « Angles » est certainement l'album le plus torturé (aussi bien au niveau de la musique que des textes) du groupe, mais c'est ce qui lui donne une certaine saveur, bien plus marquante que le long et qualitativement dilué First Impressions of Earth.

[3/4]

mardi 1 janvier 2013

« Sous le signe du Capricorne » (Sotto il segno del capricorno) d'Hugo Pratt (1971)

    « Sous le signe du Capricorne » rassemble six aventures de Corto Maltese. Elles se déroulent toutes en Amérique du Sud, du côté de la Guyane hollandaise, du Brésil, dans les Antilles et au Honduras. Nous retrouvons ainsi notre gentilhomme de fortune, fraichement revenu de Mélanésie (cf. « La Ballade de la mer salée »). Il fera la rencontre du jeune Tristan Bantam, de sa demi-sœur, Morgana, du professeur Steiner de l'université de Prague et retrouvera Bouche Dorée, magicienne vaudou. Il croisera des guérilleros opprimés par les colons marchands d'esclaves, et se lancera à la recherche de trésors perdus. « Sous le signe du Capricorne » est un album typique des aventures de Corto Maltese. Dans la droite lignée de Stevenson, Jules Vernes ou Conrad, Hugo Pratt nous offre un mélange d'exotisme, de tribulations trépidantes, de folie, de magie, de courage et de lâcheté. Il nous dépeint la destinée singulière d'un homme semble-t-il béni des dieux, flegmatique héros épris de liberté et perdu dans un début de siècle fiévreux. « Ce que tu cherches n'existe pas » dit Bouche Dorée à Corto. Ces quelques mots illustrent à merveille la quête presque métaphysique de ce héros de papier, qui d'aventures en aventures cherche à fuir quelque chose pour autre chose. Est-ce l'amour ? Le bonheur ? L'absolu ? Tout cela à la fois sans doute. Dans un beau noir et blanc, le trait encore un peu hésitant (Corto n'en est qu'à ses débuts), Hugo Pratt nous livre là une fois de plus un classique du genre.

[4/4]