Merci à Carlotta, à Lili
Hinstin, au Champo et à toutes les parties prenantes qui ont permis que le projet de faire
connaître Kinuyo Tanaka en France voie le jour ! Réalisatrice de l'âge d'or du
cinéma japonais, les 6 longs métrages qu'elle a réalisés sont projetés pour la
première fois en France, seulement maintenant ! Et il aurait été dommage de
passer à côté, tant c'est une brillante cinéaste.
Merci également à Pascal-Alex Vincent, fin
connaisseur du cinéma japonais, pour son travail de médiation, afin de faire
connaître à tous le cinéma de Tanaka. Le petit bouquin qu'il a écrit à son
sujet est une mine d'informations. Il dévoile le parcours de Kinuyo Tanaka, et
le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est un modèle de courage et de
persévérance.
Nombreux sont les cinéastes masculins japonais à
avoir vu d'un mauvais œil ses velléités de réaliser des longs métrages, et
beaucoup lui ont mis des bâtons dans les roues. Notamment Kenji Mizoguchi, qui
était pourtant l'un de ses proches, Tanaka ayant joué en tant qu'actrice dans
certains des plus grands films du célèbre cinéaste nippon. D'autres
réalisateurs, au contraire, ont pris sa défense, parmi lesquels Ozu ou Naruse.
On peut dire qu'ils ont perçu avant tous les autres le potentiel de Tanaka, et
le résultat est à la hauteur de leurs anticipations.
Pour le moment, je n'ai vu qu'un film de
Kinuyo Tanaka, mais celui-ci m'a donné envie de découvrir tous les autres, leur
pitch étant par ailleurs intéressant et prometteur. « Mademoiselle Ogin » est
le dernier long métrage réalisé par Tanaka. C'est un film historique, ou
jidai-geki, or comme l'explique Pascal-Alex Vincent dans son ouvrage, ce genre
de films, ambitieux et au budget conséquent, était réservé aux réalisateurs les
plus doués. C'est donc une sorte d'accomplissement et de reconnaissance de la
profession envers Tanaka que de lui avoir permis de réaliser un tel film.
Ce long métrage se base sur une histoire très
intéressante. Elle a lieu au 16e siècle et traite des persécutions envers les
japonais convertis au christianisme. Un sujet rare, que ce soit au cinéma ou
dans d'autres arts et médias. Sur ce thème, on connaît surtout le film «
Silence » de Scorsese, adapté d'un roman japonais, lui-même déjà porté à l'écran
par un cinéaste nippon, Masahiro Shinoda, en 1971. Ou la bande dessinée « Ugaki
» de Robert Gigi. Mais ça reste un thème peu traité.
A cela s'ajoute une histoire d'amour contrarié
entre l'éponyme Mademoiselle Gin, fille du grand maître de thé Sen no Rikyû, et
Ukon Takayama, seigneur chrétien déjà marié. A noter que ces deux derniers
personnages ont réellement existé, tout comme Toyotomi Hideyoshi, le seigneur
qui règne à l'époque sur le Japon et qui mène les persécutions contre les
chrétiens.
Comme dans beaucoup de ses films, Tanaka fait
d'une femme sa principale héroïne. Ici, il s'agit de Mademoiselle Gin, une
femme qui veut juste pouvoir vivre sa vie comme le ferait un homme, et qui se
heurte à la société japonaise patriarcale et rigide, où les femmes sont
complètement assujetties aux hommes, qui peuvent disposer d'elles comme ils le
souhaitent...
Tout comme Kinuyo Tanaka, Gin est une femme
affranchie. Elle se fiche des convenances et des traditions. C'est une femme
libre, qui a un idéal de vie particulièrement élevé, et qui dénote au milieu
d'hommes pour la plupart veules et retors. Même les hommes les plus vertueux
semblent bien pâles et indécis face à Gin et à sa droiture.
« Mademoiselle Ogin » est donc un film construit
sur une figure féminine très forte, qui tente de se faire une place dans une
société masculine et étouffante. En cela, c'est un long métrage universel et
intemporel, tant il reste encore beaucoup à faire pour l'émancipation des
femmes, même dans notre Occident contemporain...
Mais Kinuyo Tanaka n'est pas qu'une féministe
courageuse, c'est également une véritable artiste, qui sait dépeindre comme
personne les sentiments humains. Esthétiquement, ce long métrage est très
proche d'un film de Mizoguchi, avec une magnifique photographie et des couleurs
somptueuses, avec des cadrages réalisés de main de maître, tout comme la
composition des plans, très sophistiquée. Mais personnellement, j'ai encore été
davantage touché que dans certains films de Mizoguchi.
Ce dernier n'échappe pas toujours au
mélodrame larmoyant un peu grossier, à mon sens, même s'il a aussi réalisé des films d'une
grande subtilité. Ici, tout m'a semblé plus fin, encore plus nuancé et délicat.
Si l'on est rapidement pris par l'intrigue, émouvante, vers la fin du film il
devient difficile de retenir ses larmes face à la beauté et à la tristesse de
ce qui nous est conté...
Aboutissement de la carrière de réalisatrice de
Kinuyo Tanaka, « Mademoiselle Ogin » est un grand et beau film, qui vaut
largement ceux des maîtres du cinéma japonais. Il est heureux que cette
réalisatrice soit réhabilitée et que ses films arrivent enfin jusqu'à nous,
démontrant que oui, les femmes ont aussi réalisé de très grands films, et
qu'elles n'ont pas attendu aujourd'hui pour le faire, alors qu'à l'époque c'était une autre paire de manches !
Je ne peux donc que vous inciter à courir voir
cette magnifique rétrospective Kinuyo Tanaka. La bande annonce ne ment pas :
c'est bien l'événement cinéma de ce début d'année.
[4/4]